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Cet ouvrage est issu de la recherche doctorale de l’auteure, Francesca Scrinzi, recherche menée de 2001 à 2005 à l’Université Nice Sophia Antipolis, au sein de l’unité de recherche Migrations et société (Centre national de la recherche scientifique/Unité de recherche Migrations et société) en cotutelle avec l’Université de Gênes (Dipartemento di Scienze Anthropologiche).
D’entrée de jeu, l’auteure situe en contexte européen son travail de recherche, en relevant la pression exercée par la croissance des familles monoparentales et le vieillissement de la population sur la demande de services domestiques. Il en résulte une expansion du travail domestique dans une conjoncture de grande mobilité internationale.
« L’externalisation des tâches domestiques a en effet créé un besoin d’emplois non qualifiés et flexibles, à laquelle répondent des travailleurs et travailleuses migrant.e.s, des femmes notamment », indique l’auteure (p. 13).
Les féministes se sont penchées sur ces nouvelles configurations ayant comme trame de fond la division sexuelle du travail, à partir des années 90.
L’auteure renvoie aux travaux de Colette Guillaumin (1972) pour rappeler l’importance d’analyser le travail domestique en tenant compte de l’articulation des rapports sociaux de sexe avec les rapports de classe et de « race ». L’approche retenue sera donc matérialiste à travers la notion de la division sociale du travail de Danièle Kergoat (2009) qui rappelle que les rapports sociaux sont consubstantiels. Ces « rapports sociaux de classe, de genre et de “ race ” se reproduisent et se co-produisent mutuellement », précise l’auteure (p. 18) qui cite Kergoat. Pour analyser ces rapports qui structurent l’insertion de travailleuses migrantes, Scrinzi propose la notion de « division internationale du travail domestique ».
Dans une perspective comparative, Scrinzi s’intéresse aux contextes des villes de Paris et de Gènes pour y faire ses observations. Elle indique l’intérêt de comparer ces deux villes, chacune offrant un terreau fertile d’observation de la croissance (vieillissement de la population et féminisation de la main-d’oeuvre) et de la transformation de l’aide domestique. Elle souligne toutefois la difficulté de comparer ces contextes nationaux distincts, tout en réifiant la richesse de sa démarche.
Du point de vue méthodologique, l’auteure utilise la méthode ethnographique afin de saisir les usages sociaux des catégories de genre/« race »/classe dans les rapports de travail étudiés. Elle souligne les difficultés d’accès aux travailleuses de l’aide domestique, ce qui l’amène à utiliser les agences prestataires de services. La méthode d’échantillonnage « boule de neige » (par réseaux) a été retenue pour atteindre les personnes interviewées, soit par des contacts personnels à travers des structures ou des associations. Les entrevues ont été menées avec des femmes majoritairement (30/40), employées ou employés de maison et aides à domicile, ainsi qu’avec des employeurs et des employeuses (11/15).
Dans son premier chapitre, Scrinzi discute de l’articulation des rapports sociaux de sexe, de classe et de « race ». Elle distingue trois niveaux : 1) macro, où le contexte global est marqué par la mobilité internationale; 2) méso, où le contexte est celui des politiques publiques et des discours; et 3) micro, où le contexte est celui des relations interindividuelles. L’auteure montre comment les politiques publiques « induisent une certaine division sexuelle du travail dans la population migrante et, ce faisant, concourent à établir une division internationale du travail domestique » (p. 41). De même, elle analyse la manière dont ces politiques s’inscrivent dans un contexte européen marqué par des idéologies différentialistes. Enfin, elle examine la construction de la non-qualification du travail autour de croyances comme celles qui portent sur les « qualités féminines » (p. 174) et l’altérité ethnique. L’auteure souligne que les États, par leurs politiques en matière de migration internationale, concourent à la hiérarchisation sexuée entre population citoyenne et population migrante, le tout en tenant compte des divers groupes de personnes migrantes.
Comme Scrinzi le souligne aussi, les études féministes ont contribué largement à la recherche sur le racisme et ont permis de démontrer que le processus de racisation est souvent combiné à l’effet des rapports sociaux de genre et de sexe. Sont mentionnés notamment les travaux de Colette Guillaumin (1992), de Patricia Hill Collins (1999) et de Kimberlé Williams Crenshaw (2005). Elle convoque donc leurs écrits pour mieux saisir l’articulation entre ces divers marqueurs de l’identité. Elle examinera ainsi la façon dont les « constructions sexuées de la différence culturelle » (p. 70) sont mobilisées dans l’aide aux personnes âgées.
Dans le deuxième chapitre, l’auteure s’affaire à présenter les contextes différenciés de la France et de l’Italie pour lesquels est examiné l’impact des politiques publiques sur l’organisation des emplois domestiques d’aide aux personnes âgées. Elle rappelle que la tendance observée dans ces deux contextes est généralisée à l’ensemble de l’Europe depuis les années 80, soit un déplacement de l’offre de services d’aide aux personnes vers le marché. On présente alors le secteur associatif pour la France, alors qu’il s’agit plutôt d’emplois directs en Italie. Les deux pays se distinguent dans l’organisation des emplois domestiques d’aide aux personnes âgées, tout comme dans les liens entretenus entre ces emplois et les migrations. Malgré les différences notées, il existe bien des convergences quant au rôle des États en matière de politiques sociales, d’emploi et d’immigration. Dans tous les cas, on note la précarité et la marginalité sociale des employées domestiques migrantes en France comme en Italie, malgré une organisation du travail distincte, que ce soit l’aide à domicile en France ou le travail à demeure en Italie.
Dans le troisième chapitre, Scrinzi aborde la formation et le placement des employées et des employés de maison en Italie, qui se fondent sur le bénévolat et les réseaux informels. On y découvre les conditions de construction et d’idéalisation de la culture sud-américaine par l’entremise d’une organisation, l’ACLI COLF (Associazioni cristiane lavoratori italiani), aux fondements religieux catholiques. Les relations paternalistes sont au coeur de l’offre de travail à des femmes dites en difficulté. Dans cette analyse des propos des personnes interviewées, on observe que la « construction de la non-qualification de l’emploi domestique repose sur l’invisibilisation du travail des migrantes et sur la naturalisation des rapports sociaux à l’oeuvre » (p. 128).
Le quatrième chapitre porte sur la formation et le recrutement des aides à domicile en France. On y relève l’injonction d’intégration au coeur de la formation professionnelle, distinction importante par rapport au contexte italien. Les stagiaires en formation doivent adopter une approche professionnelle dans l’intervention à domicile, distinction par rapport au travail à domicile et au bénévolat. L’analyse des entrevues montre que l’injonction à l’intégration est même visible dans les séances de formation, les formatrices préconisant de bien servir le client ou la cliente dans ses diverses demandes et invitent même les stagiaires au changement culturel. L’enquête montre l’ambivalence « des pratiques de formation et de celles de recrutement et de gestion des aides à domicile » (p. 162) eu égard à la visibilisation du travail émotionnel et à la naturalisation des qualités féminines des femmes selon le groupe.
Le cinquième chapitre aborde la comparaison des contextes étudiés, en France (Paris) et en Italie (Gênes), quant à la construction de la non-qualification et de la racisation dans les emplois domestiques. L’enquête montre que l’altérité ethnique et de genre est inscrite dans le travail et les tâches, de même que dans les processus de placement, de recrutement et d’affectation de la main-d’oeuvre ou des bénévoles. Il existe aussi des dissemblances selon les contextes étudiés, en raison des modèles d’intégration et de production de l’altérité ethnique, tout comme des modes d’organisation des emplois domestiques. L’enquête ethnographique aura mis en lumière la façon dont l’organisation du travail, selon les deux contextes étudiés, « entérine les rapports sociaux de sexe, de classe et de “ race ”, ainsi que la hiérarchisation entre catégories de salariées » (p. 179).
En guise de conclusion, l’auteure renvoie au processus de construction sociale de la non-qualification, modulée par l’idéologie raciste et sexuée. La contribution de son ouvrage s’avère donc importante en fait de connaissance des mécanismes des opérations de naturalisation et de dénaturalisation des rapports sociaux dans la sphère publique ou privée. Son apport est aussi notable quant aux ambiguïtés et aux limites de l’entreprise de professionnalisation en France et, dans une moindre mesure, en Italie. Même si les voix des migrantes sont moins présentes dans son ouvrage, on y trouve le manque de convergence en matière de mobilité professionnelle et sociale avec les objectifs de professionnalisation des agences ou des organisations. Ces femmes sont préoccupées plutôt par la reconnaissance de la dignité de leur travail. Enfin, l’auteure jette un regard nouveau sur la division internationale du travail domestique. Elle se focalise sur les pratiques et non uniquement sur les formes de la domesticité. Bien sûr qu’une démarche complémentaire sur les hommes quant à leur rôle et à leurs pratiques ajouterait au portrait présenté par Scrinzi, ce qu’elle souligne, et ce, afin d’aborder éventuellement la construction sociale des féminités et des masculinités racisées dans la division internationale du travail domestique.