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L’ouvrage de Fabienne Malbois propose de revisiter les fondements épistémologiques des théories féministes sur la différence sexuelle à partir d’une critique de la thèse féministe antinaturaliste. Dans le premier chapitre, intitulé « L’objectivité de la différence sexuelle », Malbois s’attache à montrer l’évidence de la différence sexuelle, s’inscrivant contre le féminisme poststructuraliste et l’idée que la catégorie « femme » est une fiction culturelle. Malbois écrit à ce sujet que, « pour tout membre adulte des sociétés modernes, […] toute personne est soit une femme, soit un homme, le sera durant toute sa vie et de manière permanente et il est juste et moral qu’il en soit ainsi. Sous cet aspect, il est erroné de soutenir que la catégorie « femme » est une fiction culturelle » (p. 14-15). Car, soutient Malbois, si la femme est une fiction culturelle, elle est une fiction qui est prise pour une réalité, donc une réalité qui n’est pas un pur produit de la culture.
Au chapitre 2, Malbois entreprend de remettre en question les fondements du féminisme antinaturaliste, tout en s’inscrivant dans une relation de proximité avec ce féminisme. Son projet est de réinscrire la différence sexuelle à l’intérieur du féminisme antinaturaliste plutôt que de penser l’un et l’autre comme nécessairement opposés. La démonstration de l’auteure repose sur ce qui est ici désigné comme l’oubli de la thèse féministe antinaturaliste, soit le fait que la différence sexuelle se présente sous la forme d’une réalité objective (p. 18). La thèse féministe antinaturaliste ne rend pas compte de la visibilité ordinaire des catégories de sexe qui est constitutive de la différence sexuelle, et Malbois entend rendre à la différence sexuelle son statut de phénomène. Pour ce faire, elle se penche sur les travaux de trois féministes associées au courant antinaturaliste (Ann Oakley, Simone de Beauvoir et Christine Delphy) et examine leurs représentations et constructions du genre et du sexe avec en tête une question principale qui sert de fil conducteur : le genre est-il seulement la face culturelle du sexe?
Malbois relève la contradiction inhérente à la proposition selon laquelle la différence sexuelle est une différence sociale, car, écrit-elle, « définir la différence sexuelle comme un fait de société présuppose d’avoir entériné l’idée selon laquelle la différence sexuelle existe avant, ou hors société » (p. 43) et elle entreprend de clarifier ce qui est construit quand on dit adopter une perspective constructiviste de la différence sexuelle. Le genre a besoin de l’existence d’un sexe naturel ou biologique : « Si le genre peut désigner ce qu’il y a d’historique, de contingent, de mutable dans la différence sexuelle, c’est parce qu’il y a un opposé, le sexe, qui renvoie quant à lui au caractère a-historique, stable et immuable de ladite différence » (p. 47). Donc, pour être en mesure d’affirmer que la différence sexuelle est un fait social, il faut logiquement avoir pensé que la différence sexuelle a une existence dans l’ordre naturel. Il est en effet possible de postuler que le genre est la différence sexuelle d’ordre social ou culturel si et seulement si il a été admis auparavant que le sexe précède le genre (p. 47). Malbois fonde ses arguments sur la réalité objective de l’existence du sexe sur la logique. Le genre prouverait ainsi qu’il y a bel et bien des catégories de sexe.
La réflexion de l’auteure se tourne par la suite vers le statut de la distinction sexe/genre pour le projet féministe antinaturaliste (p. 61) et le chapitre 3 est consacré à cette question. Malbois entend montrer qu’il faut transformer radicalement la façon d’envisager la distinction sexe/genre (p. 63). Il faut déloger la distinction sexe/genre de son statut de théorie et l’appréhender comme une méthode. Dans le chapitre 4, l’auteure trace une généalogie de l’argument féministe antinaturaliste et elle s’emploie à analyser différents arrangements de la distinction sexe/genre, comme la conception genre-sur-sexe proposée par Ann Oakley, qui constitue le stade initial de l’argument féministe antinaturaliste, caractérisé par un effort considérable pour instaurer une séparation entre le sexe et le genre et où le genre émerge à travers la mise en opposition de la nature et de la culture. Christine Delphy a développé la thèse selon laquelle le genre précède le sexe; c’est le sexe qui est construit et non le genre. Enfin, Simone de Beauvoir a influencé l’argument féministe antinaturaliste, bien que le Deuxième Sexe puisse être vu comme une entreprise de dénaturalisation de la différence sexuelle inaboutie (p. 106), alors que la relation de non-réciprocité entre hommes et femmes est comprise en rapport avec le rôle des femmes dans la reproduction (p. 108).
Le sexe ne serait-il pas déjà du genre? Judith Butler a formulé cette interrogation, reprenant l’idée de Monique Wittig que les lesbiennes ne sont pas des femmes. Que faire de la question du sexe? Celle-ci constitue l’objet du chapitre 5. Malbois montre que le corps demeure largement impensé dans certaines constructions féministes antinaturalistes, proposant de revoir la conception du sexe pour l’envisager comme une forme symbolique : « Dans ce sens, le sexe biologique femelle/mâle ne relèverait pas du naturel, mais du culturel : il serait la représentation, dans les corps, de la nature » (p. 147). Malbois développe un ensemble de propositions dans le but de réconcilier le féminisme antinaturaliste avec le sexe, se demandant si le corps sexué est une entité a-historique ou bien une construction historique. Le corps bisexué est une production historique, donc une entité culturelle, qui est matérialisée dans nos sociétés en tant qu’entité naturelle (p. 153). La science joue un rôle important dans la production de l’idée d’une frontière entre les sexes et elle participe de la fabrication du sexe (p. 156).
Dans le chapitre 6, Malbois interroge l’utilité de la catégorie « femme » pour l’analyse sociologique. Est-il possible que toutes les femmes puissent être représentées par la catégorie « femme »? Faut-il abandonner le concept s’il ne permet pas de traduire la complexité de l’expérience des femmes? L’auteure suggère qu’il n’est pas nécessaire de supprimer la notion de femme du vocabulaire sociologique, mais qu’il faut se pencher sur la fabrication de la catégorisation, sur le processus par lequel un certain individu se voit attribuer un statut sexuel (p. 185). C’est le travail symbolique qu’ont effectué les mouvements féministes des années 70, qui, au travers des groupes de prise de conscience et par la création d’espaces politiques non mixtes, ont produit une nouvelle définition de la catégorie « femme » (p. 194). Enfin, le chapitre 7 propose une sociologie de la différence sexuelle en train de se faire différence sexuelle (p. 204).
Voilà donc un ouvrage qui s’est donné au point de départ une mission vaste, celle de convaincre les féministes antinaturalistes de la nécessité de réexaminer le statut de la catégorie « sexe ». La démonstration de Malbois repose principalement sur un jeu de logique qui agace plutôt que de convaincre : pour qu’il y ait genre, il faut que le sexe préexiste. C’est l’idée qui est martelée sur plus de 200 pages sans que l’auteure amène pour autant de nouvelles pièces à conviction au débat sexe/genre. Tout comme les féministes antinaturalistes à qui elle fait référence, l’auteure s’abstient d’explorer la biologie des différences sexuelles et les débats qui ont cours présentement dans les sciences. Pourtant, elle essaie de convaincre son lectorat que le sexe n’est pas soluble dans le genre parce qu’il le précède. Soit, mais cherchons-en les évidences. Certes, Déplier le genre propose une thèse originale, mais la démonstration n’est pas complète.