Abstracts
Résumé
Cet article a pour objectif d’analyser le rôle que tiennent les questions de genre dans le discours public de certains médias suisses francophones sur les musulmans et l’islam. Au fil de l’analyse quantitative et qualitative du corpus d’une recherche, on montre que les questions de genre traversent les thématiques abordées par le débat public à propos de la compatibilité ou de l’incompatibilité de la culture musulmane avec celle de la Suisse. Cela amène une interprétation des résultats du point de vue de l’usage politique du genre et de la constitution du sujet politique.
Mots-clés :
- islam,
- suisse,
- religion,
- medias,
- voile,
- valeurs
Abstract
This article aims to analyze the role that gender issues play in the public discourse on Muslims and Islam of several Swiss French-speaking Swiss media. Through a quantitative and qualitative analysis of the corpus of our research we show that gender issues go across the themes addressed in the public debate about the compatibility or incompatibility of Muslim culture with the one prevailing in Switzerland. This leads us to interpret these results in the perspective of the political use of gender and the political constitution of the subject.
Article body
Depuis environ une décennie, plusieurs recherches ont mis en exergue le fait que les musulmans sont généralement considérés comme un groupe culturel-religieux difficilement intégrable dans les sociétés européennes (Parekh 2008 : 103-106; Modood 2007 : 130-131; Modood, Triandafyllidou et Zapata-Barrero 2006; Gottschalk et Greenberg 2008; European Monitoring Center on Racism and Xenophobia, 2006; Angst, Kreienbühl et Naguib, 2006).
Ces recherches ont fait ressortir des discours politiques fréquents qui décrivent « l’islam » comme une religion qui, d’une part, serait hostile à diverses libertés (liberté d’expression, liberté de choix de la religion, liberté de l’orientation sexuelle) et, d’autre part, contesterait activement des normes et des pratiques démocratiques. Cette contestation prônerait l’utilisation de la violence (ou du terrorisme) et favoriserait une conception collectiviste de la société fondée sur la religion et la foi comme piliers structurels de l’ordre social, culturel et politique. Du côté de l’analyse médiatique, plusieurs recherches ont souligné le rôle de relais joué par différents médias, aboutissant à la constitution d’un « problème » social et politique (Poole 2002; Commission on the Future of Multi-Ethnic Britain 2000 : 170; Deltombe 2005; Geisser 2003; Mishra 2007; Richardson 2004; Said 1997; Schranz et Imhof 2002; Ettinger 2010). Deltombe, par exemple, après avoir analysé des journaux télévisés français, constate la construction d’un islam imaginaire. Cet islam est constitué de mots et d’images qui sont moins le reflet d’un hypothétique « islam réel » que le miroir d’imaginaires qui traversent la société et qui « se reproduisent et évoluent avec le temps, et […] sont le produit de rapports de forces dans lesquels nous sommes impliqués, journalistes ou téléspectateurs, musulmans ou non » (Deltombe 2005 : 8). Cette construction est le fruit de l’interaction entre les médias et leur public et elle se caractérise par son évanescence, car elle surgit et disparaît des écrans au gré des événements d’actualité et par sa vision partielle, car l’islam est alors « regardé à travers des “problèmes” et des crises qui ne le concernent pas forcément ou, en tout cas, pas seulement » (Deltombe 2005 : 9).
L’image des musulmans et de l’islam dans les médias suisses romands n’a que rarement fait l’objet d’études. Elle est parfois évoquée au détour d’articles ou de rapports scientifiques pour mentionner le fait que certains médias font encore l’amalgame entre “islamisme” et “islam” ou que cette religion est généralement envisagée comme source de problèmes liés à la discrimination des femmes, à la violence ou encore au terrorisme. Comme c’est le cas pour cet islam imaginaire évoqué par Deltombe (2005), beaucoup d’auteures et d’auteurs s’accordent sur le fait que cette présentation relève du “sensationnalisme” et qu’elle a des conséquences directes sur l’image négative de l’opinion publique à l’égard des musulmanes et des musulmans (Angst, Kreienbühl et Naguib 2006; Schneuwly Purdie 2009; Schneuwly Purdie, Gianni et Magaly 2009). Quant à la presse suisse alémanique, elle a fait l’objet d’une seule étude comparative récente des acteurs et des actrices juifs et musulmans dans les médias. Cette étude montre que ces derniers sont catalogués de manière nettement plus négative que les premiers et que les articles publiés subissent l’influence du débat sur le terrorisme islamiste (Meier et Müller 2004). Il n’y a donc pas à proprement parler d’études approfondies proposant une analyse des médias suisses romands quant à leur manière de présenter les événements en rapport avec l’islam et les populations musulmanes et très peu d’études permettent la comparaison au niveau suisse.
Parmi les griefs contre l’islam, ou les musulmans[2] qui tendent à dépeindre leur culture et leur religion comme incompatibles avec les valeurs démocratiques, les questions de genre ont une place prépondérante. Les pratiques sociales et religieuses musulmanes ont pu être vues comme contradictoires avec l’un des principes considérés comme non négociables dans les régimes démocratiques, à savoir l’égalité entre les hommes et les femmes (Moller Okin 1999). À cet égard, un aperçu très large de discours publics en Europe montre que les questions concernant le port du foulard, la lapidation, le crime d’honneur, la polygamie, l’excision, les mariages forcés, ou l’invisibilité publique des musulmanes sont largement citées comme exemples pouvant illustrer l’incompatibilité avec les valeurs démocratiques. Il est donc plausible de penser que la narration collective sur les rapports entre les sexes joue un rôle important dans la façon dont les musulmans et l’islam sont représentés dans les sociétés occidentales.
Dans le présent article, nous avons pour objectif d’analyser le rôle que tiennent les questions de genre[3] dans le discours public de certains médias suisses francophones sur les musulmans et l’islam. Dans la première partie, nous présenterons quelques données quantitatives issues du codage d’un ensemble de médias[4] dans le but d’évaluer la prégnance des questions de genre dans ces discours médiatiques. Dans la deuxième partie, nous essaierons d’évaluer la distribution des questions de genre dans le corpus et les principales thématiques abordées. Dans la troisième et dernière partie, nous proposerons une interprétation des résultats obtenus dans une perspective féministe.
Nous considérons que le « débat médiatique » que nous cherchons à analyser est constitué par l’ensemble des paroles portées par des politiciens et des politiciennes ou par des personnes de la société civile, paroles que les médias sélectionnent, mettent en forme, commentent, relatent et transmettent finalement dans l’espace public sur une question donnée (dans notre cas, les questions de genre concernant les musulmans et l’islam). Nous considérons donc les journalistes comme des acteurs ou des actrices de la fabrication du discours public et non comme de simples courroies de transmission d’idées et de propos tenus par ailleurs. La capacité d’agir (agency) des journalistes prend son effectivité dans leurs choix éditoriaux. Notre approche s’inspire de la Critical Discours Analysis (CDA) qui considère les discours dans leur contexte historique et s’intéresse plus à l’usage du langage qu’au langage lui-même. Du point de vue épistémologique, la CDA cherche à comprendre et à éclairer les discours qui encadrent, mais en même temps construisent et façonnent, un « problème social » (Wodak 2001). L’objet de recherche ne doit donc pas être coupé de son contexte social, politique et historique, car c’est ce qui lui donne sens (Petitclerc 2009). En effet, la parole publique sur l’intégration des musulmans et plus généralement sur la « compatibilité » entre la religion musulmane et les valeurs démocratiques, a pris de l’ampleur dans le contexte de l’après 11 septembre 2001. Non seulement elle veut décrire des situations, mais surtout elle tient à porter un discours normatif sur la question; dans cet ensemble de discours, notre but est d’explorer les significations et les normes qui sont véhiculées à travers les questions de genre.
L’importance des questions de genre dans le discours sur les musulmans et l’islam
Une analyse quantitative exploratoire basée sur la couverture du journal Le Temps[5] nous a montré que, de 2004 à 2006, le nombre d’articles à propos des musulmans ou de l’islam a considérablement augmenté (par exemple, on en dénombre seulement 70 en 2001, année marquée par les attentats du 11 septembre, alors qu’en 2004 nous en avons compté 160). Cette tendance peut s’expliquer, d’une part, par des problèmes concrets qui opposent des musulmanes et des musulmans à des collectivités locales (par exemple, la mise à disposition de cimetières musulmans, ou l’édification de minarets) et, d’autre part, par une montée généralisée dans le monde occidental de la « question musulmane » dès le début des années 2000. Cette tension est exploitée politiquement par beaucoup de partis en Suisse, avec une particulière insistance par l’Union démocratique du centre (UDC)[6] (Schneuwly Purdie, Gianni et Magaly 2009). Cette résonance de plus en plus ample du débat public sur les musulmans ou l’islam prolonge l’une des questions politiques les plus épineuses qui accompagnent les débats politiques en Suisse depuis des décennies : celle de la présence et de l’intégration des « étrangers ». Cette question n’a pas émergé ces dernières années, mais c’est une sorte de « serpent de mer » de la politique suisse (Mahnig 2005). Aujourd’hui, toutefois, les soupçons d’intégration défaillante se portent sur une religion particulière (indépendamment de la nationalité des personnes – suisse ou étrangère), alors que jadis le problème était posé pour les personnes non citoyennes de ce pays (la population immigrée espagnole, italienne, portugaise, kosovare ou encore les réfugiées et les réfugiés politiques, notamment). Durant ces années, la question de l’appartenance religieuse de la population migrante n’a pas été thématisée dans le débat politique comme une question primordiale. Les controverses autour de cette population se concentraient surtout sur des questions culturelles, à savoir la capacité de s’intégrer ou non dans la société suisse quant à la langue, aux coutumes et à l’échelle économique. Comme d’autres pays occidentaux, la Suisse a connu l’émergence croissante de la question religieuse à partir du début des années 2000; tout particulièrement, les affrontements ont pris pour cible la population musulmane. Contrairement aux pays voisins, la Suisse n’est pas liée à un passé marqué par la colonisation. Haenni souligne (1994 : 184) :
[La] Suisse, n’ayant jamais eu affaire directement à des populations musulmanes, ne se construira son image de l’Islam qu’à partir des grands événements qui ont porté celui-ci à la une des médias dès la fin des années 70 et durant la décennie suivante. La perception de l’Islam est donc à la fois ramassée dans le temps, médiatisée (dans les deux sens du terme) et plus politique qu’articulée à partir d’expériences vécues.
Si ce propos caractérise une première étape pendant laquelle la présence musulmane en Suisse est faible et, qui plus est, se veut discrète et provisoire, une seconde étape est marquée par une visibilité croissante de cette communauté. De fait, la Suisse découvre « sa » minorité musulmane autour de laquelle se construisent des débats publics[7] visant en grande partie à définir la forme que doivent prendre les rapports de l’État suisse avec elle.
Lors de notre analyse exploratoire, nous avons classé le contenu des articles selon les principales thématiques abordées et nous avons constaté que, parmi les thématiques traitées, seulement 8 % ont pour objet central les questions de genre. À première vue, donc, ce résultat semble aller à l’encontre de l’idée que les rapports sociaux de sexe sont un sujet prépondérant dans le débat public sur l’intégration des musulmans. Poussant l’aspect quantitatif plus loin, nous avons mené une analyse de contenu qui s’appuie sur des données recueillies de 2004 à 2006 dans des médias suisses (voir la note 4). Le corpus a été construit en sélectionnant huit stories significatives pour notre question :
l’« affaire des caricatures », à savoir la publication de caricatures du prophète Mahomet par un journal danois (118 articles);
l’« affaire Achraf », relative à l’arrestation en Suisse d’un terroriste présumé qui, selon les autorités espagnoles, aurait planifié une attaque terroriste contre des tribunaux pénaux espagnols (33 articles);
l’« affaire de la procédure de naturalisation accélérée », à savoir le débat sur l’initiative populaire qui proposait l’octroi aux étrangères et aux étrangers de deuxième et de troisième génération nés en Suisse un accès facilité à la citoyenneté (36 articles);
l’« affaire Tariq Ramadan », professeur d’études islamiques, qui a été accusé de fondamentalisme (78 articles);
l’« affaire des minarets », concernant la demande de deux associations musulmanes locales de construire deux minarets à Langenthal et à Soleure. La controverse soulevée par cette demande a conduit à une initiative populaire sur l’interdiction de la construction de minarets en Suisse (33 articles);
l’« affaire du foulard », concernant l’interdiction ou l’autorisation du port du foulard islamique dans un contexte professionnel (17 articles);
l’« affaire Enbiro », au sujet de l’introduction dans les écoles publiques en Suisse romande d’une nouvelle méthode d’enseignement de la religion (enseignement biblique romand) ayant soulevé des controverses sur la place et la représentation de l’islam dans le livre (7 articles);
l’« affaire de l’imam de Sion », concernant les accusations contre l’iman de la ville de Sion pour ses (supposés) sermons radicaux et racistes au Centre islamique de Sion (14 articles).
Le tableau ci-dessous présente la répartition des occurrences sur des questions de genre dans les articles relatifs aux stories choisies[8].
On peut constater que les questions de genre sont présentes avec plus ou moins d’importance dans toutes les narrations, y compris dans celles qui, en principe, ne s’y rapportent pas directement. Nous pouvons ainsi affirmer que, si les questions de genre ne sont pas prépondérantes, elles sont tout de même transversales et elles illustrent ainsi la « transversalité du genre ». Par cette expression, nous entendons le fait que, dans les débats médiatiques sur l’islam ou les musulmans, les questions de genre traversent les sujets abordés, même ceux qui n’ont en principe rien à voir avec les rapports sociaux de sexe. D’un point de vue féministe, cet état de choses pose problème sur le plan de l’usage politique du genre et de la constitution du sujet politique. Ce sont ces deux pistes que nous allons explorer dans la suite de notre article.
La transversalité du genre et la métonymie[9]
Constater que le genre traverse l’ensemble de notre corpus nous a incités à passer par une analyse plus qualitative de nos données. Celle-ci nous a permis de dégager un ensemble de thématiques traitées dans les différents articles entrant dans ce cas de figure. D’une manière générale, le discours qui ressort des analyses des articles de presse[10] que nous avons effectuées présente les musulmanes comme soumises (ou victimes consentantes) au diktat de leur époux ou père, diktat qui est principalement illustré par le port du voile et l’interdiction de la fréquentation mixte des piscines[11]. Nous considérons ces deux éléments comme des « marqueurs d’incompatibilité » constituant la métonymie du rapport prétendument problématique entre les musulmans (ou l’islam) et la Suisse. Or si la première thématique est assez classique parmi celles qui constituent la question de la compatibilité de la culture musulmane avec les valeurs démocratiques, la seconde nous a fortement étonnés par sa récurrence et par son apparente banalité. En effet, en Suisse, la question de la mixité dans les piscines ne fait pas l’objet de polémiques récentes et importantes, y compris dans des villes où certaines piscines proposent depuis de longues années des espaces séparés pour les femmes à côté d’espaces mixtes[12].
Voici quelques exemples tirés de notre corpus qui illustrent la mobilisation récurrente de ces deux éléments dans le discours médiatique. Nous rappelons que les thématiques principales de ces articles ne concernent pas des questions de genre à proprement parler, ce qui nous incite à analyser la manière dont se tisse la transversalité du genre.
Dans un article du Matin du 12 février 2006 consacré à une manifestation de musulmanes et de musulmans devant le Palais fédéral pour protester contre la publication des caricatures de Mahomet (story 1), le journaliste précise ceci : « La foule était composée en grande majorité d’hommes. Les femmes principalement voilées sont restées groupées entre elles. » Le journaliste décrit ici non seulement la manifestation, mais aussi les rapports sociaux de sexe au sein de la communauté musulmane (les femmes sont voilées et elles restent entre elles) supposés les distinguer de l’habitus suisse;
Dans la polémique qui s’est créée autour de l’affaire Achraf (story 2) le quotidien Le Temps publie le 16 novembre 2004 un article qui relate les propositions de certains partis gouvernementaux pour « lutter contre l’islamisme radical ». L’article mentionne que des discussions ont eu lieu au sein du groupe des femmes socialistes sur la question de la « condition des musulmanes ». La seule thématique de ces discussions relatée par le journaliste est celle du port du voile et l’on ne sait pas si le groupe des femmes socialistes a aussi discuté d’autres questions. L’évocation de cette unique question sous l’égide d’une thématique qui fait référence à l’islamisme radical et au terrorisme, de surcroît par des femmes socialistes, oriente clairement l’interprétation que le lecteur ou la lectrice peut faire du port du voile[13];
Dans un article du journal Le Temps paru le 2 février 2006 et consacré aux caricatures de Mahomet (story 1) et à la liberté d’expression, le dessinateur du même journal, Chappatte, affirme que, « de même qu’ils voilent leurs femmes, les islamistes radicaux veulent voiler les dessins de presse ». On voit ici l’utilisation métonymique du voile comme symbole de l’avancée de l’islamisme radical mais aussi l’interprétation univoque du voile comme instrument d’oppression. L’emploi du pronom « ils » (ils voilent leurs femmes) se réfère aux hommes qui voilent les femmes;
Dans un article du quotidien Le Temps publié le 9 mars 2006, qui titre sur l’affaire des caricatures de Mahomet (story 1), le journaliste rapporte les déclarations de différents membres de partis gouvernementaux concernant leur vision sur la manière de contrôler l’extrémisme musulman et plus généralement « l’influence croissante des cultures et religions étrangères ». Le Parti radical exige une extrême fermeté du gouvernement pour « éviter que le voile islamique fasse irruption dans les écoles. Que filles et garçons soient séparés pendant les cours de natation ». Ici encore les exemples soulevés à partir d’une affaire qui n’est pas explicitement liée aux questions de genre portent sur la question du voile et de la mixité dans les piscines;
Le Temps du 15 février 2006, sous un titre consacré à l’affaire des caricatures de Mahomet (story 1), relate les questions posées à la ministre des Affaires étrangères, Calmy-Rey, par différents parlementaires qui, tous et toutes se préoccupent de la manière de prévenir ou d’endiguer l’islamisme radical ou le terrorisme islamique. Un député socialiste exprime ses craintes que « l’on finisse par avoir des jours réservés aux femmes dans les piscines et le voile à l’école ». Une fois de plus, l’inacceptable est défini par le port du voile et la non-mixité dans les piscines;
Dans Le Temps du 28 août 2004 paraît un compte rendu de la réunion de l’UDC (section Valais) à propos de la naturalisation facilitée (story 3), réunion durant laquelle son porte-parole a énuméré les dangers de cette politique : « Nous fabriquerions des Suissesses portant le voile islamique, refusant de se baigner à la piscine avec les garçons de leur âge, et des Suisses refusant de se faire enterrer dans les mêmes cimetières que les infidèles que nous sommes »;
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Le texte qui illustre le mieux ce procédé rhétorique est celui de J.S. Eggly sous forme de chronique publiée dans Le Temps du 14 février 2006 : « Vivre ensemble? » La chronique démarre comme un commentaire de l’affaire des caricatures de Mahomet (story 1) et poursuit en s’interrogeant sur ce qu’il faudra bientôt accepter de contraire à nos conquêtes politiques :
Devoir des piscines publiques d’offrir des moments pour les bains réservés aux hommes puis aux femmes? De laisser des enseignantes venir voilées et des élèves aussi? À l’hôpital également, maris toujours présents? Et offrir des classes non mixtes? Et, naturellement, sous des pressions telles qu’on les a déjà connues, interdire toute pièce de théâtre, tout film qui froisserait ladite sensibilité?
Ces prises de parole citées ou relatées par les journalistes des différents quotidiens ci-dessus n’accordent pratiquement jamais de place à la parole directe des musulmanes (voilées ou non), ce qui, de fait, les exclut du statut de sujet politique. Par contre, l’utilisation de la figure de la musulmane voilée et empêchée de se rendre à la piscine prend une importance cruciale comme objet séparateur entre les deux communautés. Le voile et la non-mixité dans les piscines constituent des symboles de cette séparation (séparation des sexes au sein de la communauté musulmane, séparation entre population musulmane et population suisse-occidentale[14]). Surtout, ce sont des symboles de la non-accessibilité des musulmanes aux hommes suisses/occidentaux. La visibilité et l’accessibilité des femmes « de l’autre » s’invitent ainsi dans le discours public, à propos de questions qui ne concernent pas d’emblée les rapports sociaux de sexe, comme un signe clair que les hommes suisses-occidentaux veulent donner aux hommes musulmans : « Tant que nous n’aurons pas accès à vos femmes, nous n’accepterons aucune négociation sur d’autres revendications. » Le fait même que ces femmes ne sont pas les sujets des discours qui les concernent les constitue en « objet d’échange ». L’ensemble des signifiants qui forment des « marqueurs de l’incompatibilité » construisent un signifié univoque qui précise que, étant donné l’inaccessibilité de « ses » femmes, la culture musulmane demeure incompatible avec la culture suisse-occidentale.
Cette logique métonymique a atteint son paroxysme lors de la campagne qui a précédé la votation populaire du 27 novembre 2009 sur l’« initiative anti-minarets[15] ». L’affiche ci-dessous résume en un seul lieu le sens qui se déploie par l’utilisation de l’image de la femme voilée.
Rappelons que l’objet de la votation portait sur la construction de nouveaux minarets sur le sol suisse et que, par conséquent, il ne portait pas sur une question de genre. Grâce à l’iconographie de l’affiche, ceux et celles qui sont à l’origine de la campagne (proches de l’UDC) cherchent à convaincre les citoyens et les citoyennes que la construction de minarets fait partie d’une stratégie d’ensemble des musulmans pour prendre place sur le territoire (les minarets sont dispersés sur l’ensemble du drapeau suisse) en utilisant la force (les minarets, par leur couleur[16] et leur forme, rappellent des armes). La présence d’une femme voilée dans cette iconographie du danger peut signifier deux choses : premièrement, étant donné l’accroissement démographique de la population musulmane en Suisse, les musulmanes voilées vont-elles « coloniser », comme les minarets, l’espace public suisse? Deuxièmement, les femmes suisses seront-elles obligées de se voiler lorsque les musulmans radicaux seront assez forts pour l’imposer? Encore une fois, le voile est ici utilisé pour signifier la domination que l’islam impose sur le corps des femmes et l’interdiction de l’accès des musulmanes aux hommes occidentaux[17].
Le visible et l’invisible, l’interdit et l’accessible
Les interprétations que nous avons pu avancer après analyse du corpus médiatique de notre recherche concordent avec un ensemble de positions qui ont été exprimées par bon nombre de chercheuses et de chercheurs, sur l’islamophobie, qui s’est emparée du monde occidental depuis le début des années 2000, et sur le rôle que les femmes et le genre y jouent (Razak 2004; Mishra 2007; Delphy 2006; Tévanian 2005; Stabile et Kumar 2005). Comme l’écrit Fernandez (2009 : 271), les médias ont relaté une sorte de « croisade pour sauver les femmes musulmanes des hommes musulmans »[18] qui s’incarne dans un souci autour du dévoilement du corps des femmes et d’un féminisme que d’aucuns qualifient « de circonstance[19] ». Un ensemble de travaux tant théoriques qu’empiriques ont mis en exergue les mécanismes d’exploitation des images du féminin et du masculin musulmans comme révélatrices de la supposée incompatibilité entre les deux cultures. À titre d’exemple, l’analyse de Mishra (2007), effectuée à partir d’articles du New York Times, a pour objet de comparer les représentations médiatiques des femmes et des hommes musulmans du 11 septembre 2001 au 11 septembre 2003, période durant laquelle a été déclenchée la guerre en Afghanistan et entamée la guerre en Irak. Mishra constate que l’une des justifications les plus utilisées pour le déclenchement de ces deux guerres a été l’idée qu’il fallait « sauver les femmes musulmanes et lutter contre les hommes musulmans ». Les résultats de la recherche menée par Mishra montrent que la majeure partie des articles analysés dépeignent les musulmanes comme des victimes de la violence politique et des pratiques de l’islam et très peu comme des agentes de résistance ou de changement. Les voies de leur libération décrites par les rédacteurs et les rédactrices des articles passent par l’abandon du port du voile et l’accès au consumérisme occidental.
Le voile cache les attributs féminins sensuels (les cheveux ou, dans certains cas, les formes du corps), mais tout en les cachant il rend la présence musulmane visible et annonce la « non-accessibilité » des femmes aux hommes de l’autre communauté[20]. La même logique peut être mobilisée pour les piscines non mixtes, polémique dans laquelle on trouve deux éléments : l’un est l’exposition du corps féminin au regard des hommes et l’autre se réfère aux activités sportives proposées aux élèves par l’école. Ces deux éléments constituent une chaîne de signifiants appuyant un message politique implicite sur les conditions à partir desquelles une négociation sur la diversité culturelle pourrait avoir lieu.
Les analyses de Al-Saji (2008) sur le cas français portent précisément sur la dimension raciale de l’utilisation du voile et du corps des femmes dans le discours politique. S’inspirant des écrits de Fanon (1959) sur la guerre d’Algérie, elle met en lumière le caractère « racialisant » du regard occidental sur les femmes voilées. Cela indique une essentialisation de la culture de l’autre à partir d’un regard ethnocentré qui considère que le vêtement de l’autre émane d’une contrainte culturelle, alors que les choix vestimentaires occidentaux sont le fruit de choix individuels. Ces discours se déroulant en dehors de la parole directe des femmes, ils amènent l’auteure à affirmer que le tabou n’est pas la femme voilée, mais la parole de la femme voilée.
De l’invocation de la démocratie au déni de démocratie
Il faut rappeler que les discours publics que nous avons analysés dans notre recherche se déroulent à partir d’une toile de fond sur laquelle sont projetées en permanence les valeurs démocratiques; paradoxalement, ils consacrent un ensemble de dénis de démocratie. Nous voudrions aborder ces questions dans la troisième et dernière partie du texte à travers trois thèmes : 1) l’interprétation univoque du voile et de la non-mixité dans les piscines; 2) le déni de la capacité d’agir (agency) des femmes et de leur capacité à être un sujet politique; et 3) l’utilisation des femmes comme objets d’échange.
L’interprétation univoque du voile et de la non-mixité dans les piscines, comme une imposition venant des hommes et non comme un choix, constitue un déni de démocratie. Si l’on ne peut pas exclure que, dans certains cas, il puisse y avoir contrainte, cette signification univoque est un déni de la capacité d’agir des femmes et de leur liberté de choix. Le discours sur le voile et la non-mixité dans les piscines que nous avons analysé suit fondamentalement la même logique qui a été mise en lumière dans d’autres contextes, à savoir l’idée que les femmes qui portent le voile le font sous la contrainte (patriarcale ou religieuse, ou les deux à la fois). Comme l’écrit Fernandez, à juste titre, « le postulat sous-jacent de l’existence d’un élément de coercition entraîne la négation de la possibilité du libre choix, mettant ainsi un voile sur des cadres d’oppression analogues dans la société occidentale » (Fernandez 2009 : 273-274). En effet, le voile n’est presque jamais représenté comme un libre choix des femmes qui le portent, ou du moins il n’est jamais contextualisé dans une époque et dans une situation sociale concrète vécue par les musulmanes et les musulmans qui vivent en Occident. De ce fait, la culture ou la religion sont vues comme des éléments essentialisés, immuables et comme des propriétés intrinsèques des individus.
Contrairement à cette vision essentialisée, les significations et les motivations du port du voile sont très différentes selon les contextes, et cette pluralité d’interprétations incarne différentes modalités d’action des femmes (Gaspard et Khosrokhavar 1995; Göle 1996; Killian 2003; Scott 2007). En d’autres termes, le voile, qui est intrinsèquement polysémique et, par conséquent, un signifiant instable (Scott 2005), est transformé par le discours dominant en marqueur de quelque chose d’univoque et d’indiscutable. Cette stabilisation discursive du sens négatif du voile entraîne une logique performative plus générale d’essentialisation :
La pensée en bloc amalgame une réalité très variée avec une unité indissoluble, et ce sur deux dimensions : premièrement, les différentes manifestations de la piété islamique ou de la culture sont perçues comme des moyens alternatifs d’exprimer les mêmes significations fondamentales; et, deuxièmement, tous les membres de cette religion/culture sont considérés comme approuvant ces significations fondamentales.
Taylor 2009 : xv
Dans cette perspective, une des fonctions de l’utilisation transversale des discours sur les questions de genre à propos du débat global sur la population musulmane et l’islam est de constituer un levier qui permet de reproduire le discours dominant de l’altérité essentialisée.
Sans aucune profondeur historique, les médias analysés ici discutent de la visibilité et de l’accessibilité des musulmanes, de façon totalement décontextualisée. Pourtant, dans l’histoire coloniale française, par exemple, le dévoilement des femmes a été une stratégie de « pénétration » de la culture locale que des historiennes et des historiens ont bien décrite. Le fantasme du dévoilement (au sens propre et figuré) des femmes fait partie de l’entreprise coloniale (Al-Saji 2008; Delphy 2006; Sheppard 2004; Scott 2007), car, selon la vision coloniale, c’est l’un des principaux moyens d’entrer et de changer « la culture de l’Autre » (Fanon 1959). En général, dans la doxa occidentale, le dévoilement et l’exposition du corps nu des femmes sont présentés comme un signe de libération, d’émancipation et d’autodétermination[21]. L’incapacité à reconnaître l’existence d’espaces d’autonomie et de la capacité d’agir des musulmanes implique qu’elles sont vues uniquement comme un groupe homogène et victime (Kapur 2002 : 27). Cela aboutit à un récit univoque sur le manque de pouvoir social et politique de celles qui sont directement visées par le port du voile, à savoir les musulmanes. Pour certains chercheurs ou chercheuses, les traits constitutifs de cette logique discursive sont très proches de la pensée orientaliste et coloniale analysée et dénoncée par Said (1978, 1997).
Cette interprétation univoque et décontextualisée du port du voile, et plus généralement de la bonne manière d’exposer son corps, sert un deuxième déni de démocratie qui consiste à parler à la place des musulmanes. En effet, étant considérées comme soumises, donc incapables de prononcer un discours autonome et libre de toute contrainte, elles ne sont pas dignes du statut de sujet politique. Le fait que les musulmanes ne sont pas considérées comme des sujets autorise les différents locuteurs et locutrices de notre corpus à parler en leur nom et donc à constituer ces femmes en objets du discours. Cette négation de parole a été mise en lumière par des travaux effectués en France, comme celui de Tévanian (2005). À travers l’analyse du traitement médiatique de l’« affaire du port du voile » à l’école en France, il met en avant la représentation biaisée des musulmanes et des musulmans dans les médias qui « sélectionnent les locuteurs légitimes, éliminent les autres, et contribuent finalement à extorquer à l’opinion publique un consentement majoritaire » (Tévanian 2005 : 33). En effet, son étude sur la répartition des personnes qui sont invitées au débat médiatique est éloquente : dans la majorité des interventions on soutient l’interdiction du voile à l’école, les personnes qui s’y opposent étant souvent acculées voire interrompues dans leurs interventions; les filles touchées par cette interdiction sont totalement réduites au silence et ignorées. Tévanian propose une typologie des intervenants et des intervenantes dans les débats télévisuels : « l’homme musulman revendiqué » et « la femme voilée », pour ceux et celles qui refusent la loi, ainsi que « la femme d’origine arabe ou orientale mais sans référence musulmane visible » et « l’homme français » pour ceux et celles qui acceptent la loi. Par ce choix des personnes invitées à se faire entendre, les médias font passer le message que « seules les femmes voilées ou des musulmans pratiquants de sexe masculin peuvent être hostiles à l’interdiction du voile à l’école; en revanche, dès lors qu’on est athée, non pratiquant ou adepte d’une autre religion, et a fortiori si l’on est une femme, on ne peut qu’être favorable à l’interdiction du voile » (Tévanian 2005 : 54). Par ces choix, le média télévisuel analysé par Tévanian propose des images du féminin et du masculin musulman-occidental en opposant à travers la thématique du port du voile deux idéaux types : la musulmane voilée vs celle qui est intégrée (et donc non voilée) et le musulman pratiquant vs l’homme français. Il est intéressant de constater que le pendant du musulman pratiquant n’est pas un homme musulman non pratiquant mais un homme français[22].
Une étude sur la presse britannique montre que la parole des hommes musulmans occupe près de 59 % de l’espace contre 14 % pour les femmes musulmanes (Poole 2002) et que ces dernières restent confinées dans certains thèmes comme les relations interpersonnelles ou encore l’éducation : « La couverture médiatique des musulmans britanniques marginalise les femmes dans la sphère privée traditionnelle » (Poole 2002 : 92). Ces constatations vont tout à fait dans le sens de Fraser qui observe que les compétences de discours et de participation au débat sont des compétences liées à la masculinité (Fraser 1989 : 126) :
Cela signifie que la citoyenneté, dans cette perspective, dépend de façon cruciale des capacités en matière de consentement et de parole, à savoir de la possibilité de participer au dialogue avec les autres sur un pied d’égalité. Mais ce sont des capacités qui sont liées à la masculinité dans le capitalisme classique dominé par la figure du mâle.
Dans ce cadre, la question de l’accès des musulmanes à l’espace public redouble, en quelque sorte, le problème de l’accès des groupes minoritaires au même espace.
Notre analyse a montré que la transversalité des questions de genre, à savoir le fait qu’elles apparaissent très souvent dans les discours qui ne sont pas censés être directement touchés par des questions de genre, est le reflet d’une conception ethnocentrée et androcentrée de la démocratie. Tout en appelant constamment à respecter ses valeurs, le discours d’une grande partie des médias en Suisse romande est fondé sur l’exclusion d’un certain nombre de paroles considérées comme non légitimes. La délégitimation de la parole des musulmanes peut ainsi ouvrir la voie à une conception antidémocratique du débat politique qui constitue encore la « femme de l’autre » en objet de discours et par conséquent, symboliquement, en objet d’échange. La logique métonymique que nous avons exposée plus haut sert donc à la construction d’une altérité radicale et essentialisée médiée par l’échange des femmes.
Appendices
Notes biographiques
Lorena Parini est maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des études sur le genre de l’Université de Genève. De formation politiste, elle s’intéresse aux questions de théorie féministe et de genre et elle travaille principalement dans les domaines des études postcoloniales, gaies et lesbiennes.
Matteo Gianni est professeur associé au Département de science politique de l’Université de Genève. Il travaille actuellement sur la question de l’intégration de la population musulmane en Suisse et en Europe. Parmi ses dernières publications, il a coédité le livre Musulmans d’aujourd’hui : identités plurielles en Suisse (Labor et Fides, 2009).
Gaëtan Clavien est adjoint scientifique au Département de science politique et chargé d’enseignement à l’Institut des sciences de la communication et des médias de l’Université de Genève. Il a récemment écrit avec Matteo Gianni « Representing Gender, Defining Muslims? Gender and Figures of Otherness in Public Discourse in Switzerland », dans Christopher Flood et autres (dir.), Islam in the Plural : Identities, (Self-) Perceptions and Politics (Amsterdam : Brill, à paraître).
Notes
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[1]
Le présent article s’appuie sur une partie des résultats d’un projet de recherche plus vaste financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) qui a pour titre « Représenter les femmes, définir l’Islam? Constructions de l’altérité et dynamiques multiculturelles en Suisse romande », dirigé par Matteo Gianni, Annick Dubied et Lorena Parini, avec la collaboration de Karine Darbellay et Gaëtan Clavien.
-
[2]
En général, le discours médiatique ne fait pas la distinction entre l’islam, comme religion avec son ensemble de valeurs et principes, et les musulmans en tant que personnes pratiquant cette religion. Pour cette raison, nous employons ces termes comme s’ils étaient des synonymes.
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[3]
Par « questions de genre », nous entendons des discours et des prises de position qui ont trait aux identités féminines et masculines de même qu’aux rapports entre les sexes, qu’ils se rapportent à l’une ou l’autre culture (musulmane ou occidentale).
-
[4]
À savoir les journaux quotidiens Le Temps et Le Matin, l’hebdomadaire L’Hebdo, des journaux télévisés et l’émission de la Télévision suisse romande (TSR) intitulée Infrarouge (centrée sur des débats politiques).
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[5]
C’est l’un des principaux quotidiens de la Suisse romande.
-
[6]
L’UDC a pris une grande importance en Suisse depuis une vingtaine d’années. Nous pouvons définir ce parti politique comme étant de tendance « droite populiste ».
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[7]
Par « débats publics » nous entendons les débats aussi bien politiques que médiatiques, ces débats étant en interrelation. Notre objectif n’est pas de distinguer les locuteurs et les locutrices de ce débat, mais d’analyser les thématiques sélectionnées par les médias parmi l’ensemble de « ce qui est dit » à propos des musulmans et de l’islam et la prégnance des questions de genre.
-
[8]
Le total de 100 % correspond à l’ensemble des occurrences des thématiques de genre sur l’ensemble du corpus.
-
[9]
La métonymie se définit ainsi : « Figure d’expression par laquelle on désigne une entité conceptuelle au moyen d’un terme qui, en langue, en signifie une autre, celle-ci étant, au départ, associée à la première par un rapport de contiguïté. », www.cnrtl.fr/definition/métonymie.
-
[10]
Nous avons laissé de côté les émissions de télévision dont l’analyse nécessite d’autres démarches méthodologiques.
-
[11]
D’autres thématiques de genre tout aussi victimisantes, comme celle du libre choix de l’époux par exemple, sont présentes mais dans une moindre mesure. Par conséquent, nous nous concentrerons sur ces deux thématiques qui constituent une sorte de discours public compulsif sur les musulmans et l’islam.
-
[12]
À titre d’exemples, le Bain des Pâquis à Genève et le Marzilibad de Berne proposent des espaces mixtes et des espaces réservés aux femmes depuis de longues années sans qu’il y ait eu publiquement la moindre controverse au sujet de cette pratique.
-
[13]
Nous employons les termes « voile » et « foulard » comme des synonymes en raison du fait que les journalistes et divers émetteurs du discours ne font pas non plus la distinction entre les différents types de voile islamique. Au moment où nous écrivons cet article, la question des différents types de voile (hidjab, niqab) n’est pas à l’ordre du jour en Suisse francophone contrairement aux discussions qui ont eu lieu en France.
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[14]
Nous employons l’expression « suisse-occidentale », car les discours médiatiques analysés considèrent dans un même ensemble les valeurs suisses et les valeurs dites occidentales ou démocratiques.
-
[15]
Cette initiative populaire visait à interdire la construction de minarets en Suisse. Elle a été soumise à votation et acceptée par une majorité le 28 novembre 2009.
-
[16]
NDLR : Comme nous publions en noir et blanc, il faut préciser que les minarets sont en noir sur drapeau suisse, rouge et blanc.
-
[17]
Il n’est pas encore très clair dans quelle mesure la logique de cette affiche a eu un impact sur le résultat de la votation. Les analyses postélectorales effectuées montrent surtout un clivage gauche/droite très net : [En ligne], [www.polittrends.ch/abstimmungen/abstimmungsanalysen/vox-analysen/2009-11-29_VoxF.pdf]. Néanmoins, il faut noter que, bien que pratiquement l’ensemble des partis (à l’exception de l’UDC) ait manifesté son opposition à l’initiative, une majorité significative de citoyennes et de citoyens (57,5 %) l’a acceptée.
-
[18]
Nous avons traduit l’ensemble des citations de publications en anglais.
-
[19]
Rappelons qu’un comité composé de membres de l’UDC, du Parti démocrate chrétien (PDC) et de milieux religieux et nationalistes a récemment déposé une initiative populaire qui a pour objet de supprimer l’interruption volontaire de grossesse (IVG) du catalogue des prestations remboursées par l’assurance maladie de base.
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[20]
À noter le caractère « hétéronormé » de ces discours dont l’analyse approfondie ne peut pas être réalisée dans les limites de notre article.
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[21]
Comme Fadela Amara (femme politique française, ancienne présidente de l’association Ni Putes Ni Soumises) l’affirme clairement : « N’oublions pas que (le voile) est avant tout un outil d’oppression, d’aliénation, de discrimination, un instrument de la puissance des hommes sur les femmes » (citée dans Joppke (2009 : 14)).
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[22]
On fait ici référence à une posture paternaliste de l’homme français à l’égard des musulmanes.
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