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L’analyse féministe a déconstruit le modèle de la famille, notamment comme lieu d’exploitation économique et sexuelle des femmes, et ce, jusque dans la nature des liens et du sexe des partenaires. Pourtant, sous couvert d’un intérêt plus marqué pour les besoins de l’enfant et d’avancées prétendument importantes dans la conquête de l’égalité des droits des parents, les diverses formes contemporaines de parentalité reproduisent subtilement mais sûrement la division sexuelle du travail et des rapports inégalitaires. Dans le présent numéro, le dossier « La polyparentalité : un genre nouveau? », préparé par Denyse Côté, révèle à quel point les normes sociales actuelles maintiennent des modèles aliénants qui influent sur toute la structure familiale, y compris les enfants et les grands-parents.
Abordant un thème connexe, Virginie Rozée décrit « La problématique de l’avortement en Bolivie ». Dans l’ensemble des pays de la région latino-américaine et caribéenne, à l’exception de Cuba et de la Guyane, l’avortement est encore illégal et pénalisé, sauf en cas de viol ou pour des raisons thérapeutiques. Octroyer aux femmes le droit de décider de leur vie reproductive et sexuelle est toujours vu comme une menace à la domination masculine séculaire. L’étude sociologique menée par l’auteure, de 2001 à 2006, en Bolivie, a eu recours au dialogue des savoirs comme méthode qualitative et interculturelle pour réaliser des entretiens individuels et collectifs auprès de plus de 180 femmes hospitalisées ou consultantes dans les services gynécologiques et obstétricaux de trois hôpitaux publics. Les résultats montrent que l’avortement est de nos jours en Bolivie un thème au centre des revendications féministes et féminines et au coeur des débats politiques et sociaux.
Si la domination masculine n’est plus contestée par les sciences sociales, il n’en va pas de même dans la société, comme en témoigne le mouvement masculiniste. Francis Dupuis-Déri, dans « Le « masculinisme » : une histoire politique du mot (en anglais et en français) », en expose les différents emplois de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. Le terme masculinisme est l’objet de luttes politiques. Des définitions euphémisantes voulant en faire l’équivalent masculin du féminisme tentent de légitimer ce mouvement né du ressac antiféministe.
Enfin, ce numéro se termine par un texte sur l’insertion professionnelle des femmes en France. Biljana Stevanovic utilise les statistiques officielles pour montrer les inégalités de condition d’entrée sur le marché du travail entre les hommes et les femmes que leur diplôme provienne de l’enseignement supérieur ou d’un autre ordre d’enseignement.
Des problématiques aussi diverses que la parentalité, l’avortement, le masculinisme et l’insertion professionnelle sont autant de facettes qui mettent en exergue le jeu subtil qui se trame dans les rapports sociaux de sexe dans les différentes sphères de la société et la nécessité de leur jeter un regard critique sans cesse renouvelé. Fidèle à elle-même, la revue Recherches féministes se nourrit de l’interdisciplinarité pour scruter en nomade ces diverses réalités. Elle se bat pour des valeurs et se donne des méthodes de travail qui assurent la poursuite de son voyage; ainsi, elle fait de la nécessité de ce nomadisme sa principale vertu.