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Ce présent numéro, qu’il nous fait plaisir de présenter, regroupe quatre articles dont les sujets prennent appui sur les changements du monde du travail des dernières années et qui touchent autant les travailleurs, les syndicats que les entreprises.
Dans un double contexte de diversification des formes d’emploi et de mutations socioéconomiques, l’inspection au travail s’avère plus que jamais nécessaire pour Gesualdi-Fecteau et Vallée. Après avoir fait la genèse de la particularité du modèle québécois d’inspection du travail en matière de normes du travail, de sa première mesure législative à la création récente de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), les auteures redoutent, d’une part, que les ressources de l’ancienne Commission des normes du travail (CNT) n’aient pas été améliorées depuis sa fusion le 1er janvier 2016 avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et la Commission de l’équité salariale (CES). D’autre part, que l’expertise et l’autonomie de l’organisme chargé d’appliquer les normes du travail n’aient pas suivi au sein de la CNESST, compte tenu de la nouvelle composition moins diversifiée de son conseil d’administration et d’un mandat plus large que l’était celui de la CNT. Les deux études de cas réalisées entre 2012 et 2015 par les auteures sur la mise en oeuvre des normes du travail chez des personnes occupant de nouvelles formes d’emploi (travailleurs agricoles étrangers et salariés principalement sur appel) démontrent qu’au-delà des caractéristiques institutionnelles de la CNT, notamment son autonomie et son expertise spécialisée, des facteurs organisationnels liés à son fonctionnement interne ont également influencé le déroulement de son mandat quant à l’application des normes du travail. Les auteures proposent que les ressources tant institutionnelles qu’organisationnelles dont disposait la CNT soient maintenues, car l’efficacité de l’inspection au travail s’appuie sur ses moyens d’interventions, son autonomie par rapport au pouvoir administratif et son expertise spécialisée.
Toujours dans cet esprit de transformations du monde du travail, l’article de Malhaire, Castracani et Henley s’intéresse aux enjeux et aux défis de deux campagnes de mobilisation d’immigrants en agence de placement et de travailleurs migrants temporaires réalisées par le Centre de travailleuses et travailleurs immigrants (CTI). Au Canada, les personnes immigrantes apparaissent comptent parmi les groupes les plus vulnérables et exposés sur le marché de l’emploi à la pauvreté et à la déqualification. Cette précarité va de pair avec une fragmentation de la relation d’emploi et du contrôle de la mobilité des personnes qui se caractérisent alors par un affaiblissement des capacités d’organisation et de défense des travailleurs. Les deux campagnes de mobilisation d’immigrants en agence de placement et de travailleurs migrants temporaires ont montré une action alternative et complémentaire à celle des organisations syndicales, partiellement inopérantes à rejoindre la main d’oeuvre immigrante et précaire. Les auteurs s’appuient sur données collectées lors leur implication active au CTI de 2012 à 2014 et sur des entretiens réalisés dans le cadre de leurs recherches respectives sur la défense des travailleurs immigrants. Leurs observations témoignent que ces mobilisations, liées à l’évolution des situations d’emplois, révèlent des enjeux, des difficultés et des conditions de possibilité comparables. Elles ont permis de déceler, notamment, une relation étroite entre la défense individuelle et la défense collective qui se retrouve dans les deux mobilisations alors que l’initiative syndicale demeure limitée quant aux résultats concrets des actions collectives. Enfin, l’isolement social et géographique des travailleuses et travailleurs immigrants oblige le réseautage communautaire, religieux ou culturel, accentuant ainsi le caractère informel des moyens de lutte et d’organisation.
L’article de Hennerbert et Faulkner part du constat que l’activité de grève a connu une baisse depuis le tournant des années 1970-1980 dans la plupart des pays industrialisés. Même si plusieurs recherches ont tenté d’expliquer ce déclin en analysant les transformations économique, politique, institutionnelle et organisationnelle des syndicats, rares sont celles qui ont porté sur les effets que ces transformations produisent sur les perceptions des représentants syndicaux quant au choix de ce moyen de pression. Pour expliquer la conflictualité sociale autour de l’enjeu de grève, l’approche des auteurs s’appuie sur la perception des acteurs afin de savoir si celle des représentants syndicaux a été influencée par les changements survenus dans l’environnement des organisations syndicales et si leur rapport face à ce moyen de pression s’en est trouvé modifié. Quarante-cinq entretiens semi-structurés auprès de conseillers syndicaux d’une grande centrale syndicale québécoise ont ainsi été réalisées entre avril 2013 et juin 2015. Après avoir brossé un survol des perspectives d’analyse reliées au phénomène de la grève, les auteurs présentent leurs résultats, à l’effet que désormais les conseillers syndicaux sont sensibles aux contraintes entourant l’activité de grève, qui devient dès lors un choix plus difficile. Bien que les répondants ne forment pas un bloc homogène, le rapport entretenu face à la grève est plus ambigu et marqué par la particularité de chaque situation analysée. Si une décision de faire la grève est toujours d’actualité, le contexte appelle à plus de prudence avant de la déclencher et relève moins d’un automatisme qu’auparavant. Des actions symboliques peuvent parfois la précéder.
Du côté des entreprises, Jbara nous introduit au concept de leur responsabilité sociale (RSE) selon une perspective historique. Cette notion de la responsabilité sociale des entreprises, répandue à l’international aussi bien dans les pays développés que sous-développés, a fait son apparition aux États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Depuis, trois vagues de conception de la RSE se sont succédées : une conception éthique dans les années 1950 et une conception utilitariste dans les années 1970-1990 aux États-Unis, alors que depuis 1990 on parle plutôt d’une conception fondée sur la soutenabilité dans les pays européens. Selon l’auteure, cette dernière notion n’est, à ce jour, toujours pas arrivée à maturité alors que des impératifs environnementaux se sont introduits dans les discours et les pratiques à cet effet. L’entreprise n’est pas que sur le marché, elle évolue aussi en société. Elle doit donc rencontrer les grands enjeux sociaux en adoptant des comportements responsables. Cette conception suppose que l’intérêt économique ne saurait primer sur des objectifs sociaux et environnementaux. Dans le cas d’un pays comme le Maroc, pays où l’analyse de la RSE est transposée dans la suite de l’article, l’auteure avance que la mondialisation de l’économie a ordonné aux entreprises marocaines un nouvel ordre par l’ouverture des marchés et l'arrivée de concurrents internationaux. En outre, le Maroc apparaît être un terrain fertile d’intégration de la RSE dans les pays en développement et son étude historique permet de comprendre qu’elle y est maintenant incontournable.
Sur ce, nous vous souhaitons une bonne lecture!