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Introduction

Comment se définit la gouvernance communautaire? Quelles sont ses particularités au sein des communautés franco-ontarienne et franco-néobrunswickoise? Qu’est-ce qui distingue cette gouvernance de celle des autres communautés canadiennes, et comment s’orchestre-t-elle? L’ouvrage collectif Gouvernance communautaire et innovations au sein de la francophonie néobrunswickoise et ontarienne, dirigé par Linda Cardinal, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, et Éric Forgues, de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, à Moncton, propose d’aborder les différents défis liés à la gouvernance communautaire, et ce, en tirant des exemples spécifiques du contexte francophone minoritaire. En analysant de nouveaux enjeux et en présentant des idées captivantes, les auteures et auteurs donnent aux lecteurs de nouvelles pistes de réflexion sur les défis auxquels sont confrontés les groupes linguistiques minoritaires, leurs organisations et leurs communautés. Pour ce faire, l’ouvrage est divisé en deux parties. La première cherche à thématiser la gouvernance communautaire et ses particularités au sein des communautés franco-néobrunswickoise et franco-ontarienne, et la deuxième tente d’explorer l’innovation dans différents secteurs de la gouvernance communautaire dont : l’immigration, la gestion d’organisations de représentation jeunesse, la justice, le secteur forestier et le développement économique communautaire. Plusieurs rapports sociologiques de la gouvernance communautaire sont étudiés au fil de l’ouvrage, notamment le rapport entre l’État et les minorités francophones. Ainsi, les auteures et auteurs proposent qu’en situant la gouvernance comme vecteur des relations entre les organisations et l’État, il est possible de rendre compte des nombreux changements qu’ont subis les communautés francophones dans l’histoire.

Puisqu’il s’agit d’un ouvrage collectif, ce résumé aura pour but de déterminer si l’ouvrage atteint bel et bien son objectif d’offrir un aperçu global de la gouvernance communautaire franco-ontarienne et franco-néobrunswickoise et des innovations à cet égard. Conséquemment, je propose de faire un survol de la définition que les auteures et auteurs ont donnée de la gouvernance communautaire et d’illustrer à l’aide de quelques sections de l’ouvrage comment la gouvernance communautaire est effectivement innovante au sein des communautés de langue minoritaire. En conclusion, une courte réflexion critique cherchera à situer la place éventuelle du travail social au sein des réflexions sur la gouvernance communautaire en contexte minoritaire.

La gouvernance communautaire : définition, collaboration et réalisations

La définition de la gouvernance communautaire est abordée brièvement dans l’introduction, mais elle est approfondie dans le chapitre de Léger. L’auteur donne un aperçu de ce qu’on entend par la gouvernance communautaire de la francophonie minoritaire au Canada, en plus de dresser un portrait des changements constitutionnels au Canada, dont la mise en place de la Charte canadienne des droits et libertés, et ses conséquences pour la gouvernance communautaire. L’auteur affirme que c’est grâce à la gouvernance communautaire que les francophones hors Québec peuvent assurer la gestion de plusieurs aspects de leur vie, notamment par le contrôle de leurs institutions scolaires et l’évaluation de l’impact des engagements de l’État en matière de langues officielles. En ce qui a trait à l’engagement du gouvernement fédéral, Léger identifie les institutions qui ont découlé de l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi les nouveaux rapports que le gouvernement a privilégiés, après 1990, avec les communautés en matière de gouvernance. Par exemple, les ententes de financement entre le ministère du Patrimoine canadien et les communautés francophones minoritaires, fondées sur des consultations et des accords financiers avec l’État, ont incité les organisations communautaires à établir des priorités pour le développement de la francophonie dans toutes les provinces et les territoires. Étant donné l’influence de ces ententes, Léger souligne l’importance pour les chercheures et chercheurs de se pencher sur la question de la gouvernance afin de documenter de façon plus tangible les enjeux et les défis auxquels sont confrontées les communautés francophones en situation minoritaire.

Somme toute, pour Cardinal, Forgues et les autres auteures et auteurs de l’ouvrage, la gouvernance communautaire est non seulement un travail de collaboration, mais aussi un travail public et politique de la part des communautés francophones minoritaires. Selon Léger, il existe aussi une responsabilité des acteurs politiques, qui doivent assurer un appui financier aux organisations des communautés francophones minoritaires, et ce, en raison de l’histoire constitutionnelle du Canada, qui confère à ces organisations une légitimité certaine. Cette perspective globale sur la gouvernance communautaire minoritaire francophone a permis de rassembler les collaborateurs et d’orienter leurs analyses respectives. Elle est en effet reprise dans plusieurs chapitres afin d’offrir une analyse concrète de la gouvernance au sein des communautés francophones minoritaires.

La collaboration interorganisationnelle

Lorsqu’on cherche à bien comprendre et à définir les principes de la gouvernance communautaire, il est important d’insister sur le besoin de collaboration entre diverses organisations pour faire avancer des projets. La collaboration est d’une importance primordiale et constitue une particularité de la gouvernance communautaire franco-ontarienne et franco-néobrunswickoise. Ces organisations doivent souvent se prêter main-forte et manifester de la solidarité l’une envers l’autre pour réaliser un projet communautaire.

Le chapitre 5 (Forgues et Mouyabi Mampoumbou) du livre est consacré à la collaboration interorganisationnelle dans la gouvernance communautaire acadienne du Nouveau-Brunswick. Ce chapitre cherche, d’une part, à évaluer l’essor de la collaboration et, d’autre part, à identifier les facteurs qui favorisent le travail collaboratif ainsi que les défis qui le marquent. Un des constats des auteurs est que la collaboration permet d’avoir un réseau plus large de partenaires et de mieux en connaître l’ensemble des membres. Qui plus est, la collaboration en réseau structure de meilleurs contacts et une meilleure communication avec la communauté desservie. Puisque le réseau est élargi, il est aussi possible pour les organisations d’y puiser davantage de ressources et, par conséquent, de renforcer l’engagement à collaborer au sein des partenariats.

Par ailleurs, la gouvernance communautaire peut également être un levier d’action collective entre différentes organisations et des individus. Ceci a été le cas de la Place des Arts à Sudbury, un projet en développement qui a exigé un effort de concertation entre plusieurs organismes tant pour sa création que pour sa future gestion (chapitre 3, Champagne et Choinière).

Des exemples porteurs de l’innovation au sein de la gouvernance communautaire

Les auteures et auteurs ont bel et bien réussi à définir la gouvernance communautaire et à décrire des exemples de cette gouvernance qui favorise l’innovation en contexte francophone minoritaire. Les thèmes suivants, incontournables, permettent d’apprécier davantage ce travail.

Le chapitre de Normand traite de la gouvernance comme une forme d’innovation sociale. L’innovation est sociale lorsqu’elle engage de nouvelles façons de faire, de nouveaux concepts et de nouvelles approches dont le succès est attribuable à un jeu de confiance qui doit être maintenue entre des acteurs et des partenaires qui ne travaillent pas normalement ensemble. En matière de gouvernance communautaire, Normand montre que l’innovation fait référence à de nouvelles formes de participation citoyenne, à des avancées en matière de consultation, de concertation et de reconnaissance pour les parties prenantes, et à des apprentissages collectifs permettant de réduire les obstacles et les résistances à un projet d’innovation.

Un exemple de cette innovation est la transmission des savoirs à même les organisations communautaires pour améliorer la gestion, la gouvernance et la continuité des savoir-faire. Le chapitre 11 (Dallaire, Normand, Houle et Prévost) le montre avec force détails en décrivant le cas de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO). Dans un contexte où l’âge des employés fait en sorte que la FESFO ne puisse pas souvent compter sur une présence en emploi de longue durée, l’organisme a développé une stratégie et des mécanismes afin d’assurer une transmission des savoirs aux nouveaux employés. À cette fin, la FESFO encourage ses employés à participer à un « cahier de legs », un outil d’organisation, de préservation et de transmission des connaissances aux nouveaux employés.

Un second exemple d’innovation sociale à travers la gouvernance repose plus particulièrement sur la collaboration. Le chapitre 7 (Cardinal, Levert, Manton et Ouellet) illustre l’importance de cette collaboration au sein de la Coalition des intervenantes et intervenants francophones en justice (Coalition). La Coalition a été créée en 2004 par cinq groupes francophones qui oeuvrent dans le secteur de la justice, en vue d’accroître l’offre active de services en français (SEF) et de « participer à la formulation des politiques ainsi qu’à la planification des services [dans le domaine juridique] » (p. 148). La Coalition annonce ainsi de son propre gré la création d’une nouvelle forme de gouvernance des SEF dans le milieu juridique. Cette nouvelle structure de gouvernance est particulière puisqu’elle ne dispose pas d’espaces physiques (édifice, local attitré) ou d’employés. Elle repose uniquement sur la voix et la volonté des présidentes et présidents et directions générales d’associations qui composent la Coalition. Au moyen de rencontres téléphoniques, virtuelles et en situation de co-présence régulières des membres, la Coalition sert de mécanisme informel de consultation et de participation à l’égard des SEF du secteur juridique. L’innovation sociale repose ici sur le fait que la Coalition regroupe informellement plusieurs organisations, sans recourir à des espaces physiques ou à une structure administrative complexe. Elle repose ainsi sur la volonté sans cesse renouvelée de ses organisations membres de travailler sur les SEF dans le domaine juridique.

Quelques pistes de réflexion

Fruit de recherches rigoureuses et renvoyant à des problématiques très diversifiées, l’ouvrage Gouvernance communautaire et innovations au sein de la francophonie néobrunswickoise et ontarienne offre aux lecteurs la possibilité de se familiariser avec les enjeux de la gouvernance communautaire et d’en comprendre les spécificités dans les communautés francophones du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario. L’ouvrage est également conçu de façon à ce qu’on puisse facilement comprendre et distinguer les points de ressemblance et de divergence entre les différents contextes présentés. Par exemple, l’importance de l’innovation sociale et l’enjeu de la gestion de ses propres institutions par la communauté francophone ont été soulignés dans presque tous les chapitres comme des éléments essentiels à la compréhension de la gouvernance communautaire au sein de la francophonie. Pour les étudiantes et étudiants ainsi que les chercheures et chercheurs en travail social, cet ouvrage offre de riches échanges sur les aspects sociaux qui englobent la gouvernance communautaire. Il permet de prendre connaissance d’exemples d’innovation liés à la gouvernance communautaire et invite à l’application éventuelle de ces connaissances dans les pratiques d’intervention communautaire et de recherche.

Cependant, nombre d’étudiantes et étudiants et de chercheures et chercheurs en travail social resteront sans doute sur leur faim puisque l’ouvrage omet d’aborder des enjeux qui m’apparaissent incontournables. Plusieurs milieux d’intervention sociale dans les communautés francophones minoritaires génèrent des innovations sociales grâce à des pratiques de gouvernance qu’il aurait été intéressant de documenter et d’analyser dans cet ouvrage. Il en existe de nombreux exemples, allant d’organisations communautaires qui offrent des services sociaux en français jusqu’à des organisations francophones qui représentent des groupes spécifiques dont les personnes aînées ou les étudiantes et étudiants, en passant par des organismes qui représentent les droits des francophones, des institutions scolaires et des regroupements d’éducation populaire. Bien qu’il faille convenir qu’il n’aurait pas été possible dans ce seul ouvrage d’étudier la gouvernance de toutes les organisations francophones en situation minoritaire, il me semble qu’un chapitre traitant d’une dimension ou l’autre de l’intervention sociale aurait été de mise. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage constitue un appel à d’autres études qui aborderaient la particularité de la gouvernance au sein des organismes francophones en travail social situés en contexte minoritaire.

Somme toute, la lecture de cet ouvrage est à mon avis essentielle pour toute personne qui s’intéresse à la gouvernance communautaire francophone en situation minoritaire. L’ouvrage l’incitera assurément à poursuivre ses réflexions sur les enjeux et thèmes présentés. La lecture de Gouvernance communautaire et innovations au sein de la francophonie néobrunswickoise et ontarienne constitue un exercice passionnant, fort intéressant et très formateur.