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Récits de vie, récits de langues et mobilités : nouveaux territoires intimes, nouveaux passages vers l’altérité est une oeuvre novatrice et enrichissante dans la compréhension et l’analyse des phénomènes migratoires. Sous la direction d’Aline Gohard-Radenkovic et de Lilyane Rachédi, plusieurs auteurs démontrent l’importance du récit de vie comme moyen d’intégration et comme outil d’intervention. Le livre se divise en quatre parties comportant chacune plusieurs chapitres.
La première partie, écrite avec la collaboration d’Edith Cognigni, de Renata Coray et de Marie-France Pungier, traite du récit de vie en tant qu’espace de renégociation de soi avec l’autre. Les auteures cherchent à démontrer les éléments bénéfiques du récit de vie, entre autres, les processus d’adaptation langagière et culturelle qui amènent la personne immigrante à se construire une identité renouvelée et à prendre contrôle de son expérience migratoire.
Grâce à la contribution de Lucille Guilbert, de Catherine Montgomery, de Flor Osario Perez et d’Iman Humaydan, la seconde partie traite du récit de vie sous l’angle d’un espace de réparation et de projection de soi. Ici, le récit met en valeur les stratégies de survie adoptées par des réfugiés ou des immigrants en contexte d’hostilité, et ce, dans une optique de reconstruction de leur identité. Dans cette perspective, le récit de vie permet aux demandeurs d’asile, souvent marginalisés dans leur société d’accueil, de dialoguer avec autrui ou avec un intervenant dans un contexte « d’honnêteté » et ainsi contester les stéréotypes circulant à leur sujet.
Aline Gohard-Randenkovic, Drita Veshi et Perrine Obonsawin collaborent à la rédaction de la troisième partie. Il y est question du récit de vie comme espace de déplacement de soi. Pour le migrant en transition, le récit de vie sert à façonner sa vie et à définir son futur ainsi que sa trame narrative.
Monica Salvan, Colette Boucher, Lilyane Rachédi et Alessandra Gerber signent la quatrième partie qui porte sur le récit de vie envisagé selon un espace de fiction de soi. Cette dimension a pour but de démystifier la représentation fictive que le migrant — ou futur migrant — se fait de son expérience migratoire, puisque celle-ci est souvent liée à des attentes prémigratoires ou postmigratoires appartenant au monde du fantasme et de l’imaginaire.
Les auteurs de l’ouvrage préfèrent le terme « mobilité » à celui de « migration », puisque ce dernier est trop souvent, et uniquement, associé à l’immigrant. En fait, les mobilités peuvent être régionales, nationales ou même internationales et elles incluent les déplacements temporaires, sporadiques ou permanents. L’immigrant peut alors être qualifié d’« agent de la mobilité ».
Dans l’intervention auprès de cet « agent de la mobilité », les auteurs promeuvent donc l’approche autobiographique qui l’amène à raconter son histoire personnelle de migration. Cette forme d’intervention semble libératrice et il en tire plusieurs bénéfices. Elle lui permet, entre autres, de prendre conscience de sa stratégie d’adaptation, d’apaiser sa crise identitaire, de cerner les ressources et compétences acquises à l’étranger, d’analyser son expérience migratoire et de renouer avec sa vie prémigratoire.
Le processus de mondialisation est incontournable dans le phénomène étudié. Récits de vie, récits de langues et mobilités : nouveaux territoires intimes, nouveaux passages vers l’altérité permet de comprendre comment les déplacements, qu’ils soient imposés ou choisis, ont un impact définitif sur la vie et, surtout, sur l’identité du migrant. Par de nombreux exemples et études de cas, l’ouvrage applique concrètement le récit de vie à différents contextes d’intervention, tels que celui des femmes réfugiées en contexte de guerre, des étudiants étrangers et des migrants en quête identitaire.
Pour conclure, nous pouvons dire que l’ouvrage de Gohard-Radenkovic et de Rachédi est des plus pertinents. L’utilisation du terme « mobilité » en lieu et place de « migration » n’est pas que sémantique : il permet un réexamen du concept de migration. Par ailleurs, en introduisant le récit de vie comme outil d’intervention, ce livre permet aux intervenants d’adopter de nouvelles pratiques. En lien avec le service social, le récit de vie rejoint le concept d’empowerment qui consiste à redonner du pouvoir à l’individu. Il amène en effet la personne à faire une narration de son parcours migratoire et prémigratoire, lui permettant ainsi de reprendre potentiellement contrôle de son histoire à travers ses expériences passées.