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Cet ouvrage en espagnol, fruit d’un colloque organisé en octobre 2013 à l’occasion du 125e anniversaire de l’Union General de los Trabajadores (UGT), réunit une dizaine de contributions [2] traitant de l’évolution des formes associatives dans le monde du travail en Espagne, depuis les collegia de l’Hispanie romaine jusqu’aux mutations des trente dernières années. Remontant aux origines corporatives des syndicats et des mutuelles, il fait la part belle aux ruptures survenues durant l’Ancien Régime et le franquisme, puis à la reconstruction avec le retour de la démocratie. Cette recension évoque plus spécifiquement les chapitres ayant trait à la genèse du mutualisme.
L’ouvrage déconstruit certains poncifs historiens, tout en suggérant de nouvelles pistes de recherche. Ainsi les gremios, réseaux corporatifs que les historiens ibériques considèrent comme une institution éminemment urbaine, ont regroupé des travailleurs ruraux de façon ponctuelle et localisée. En outre, ils ont rempli une fonction de défense des consommateurs, tant sur la qualité des produits que sur la fixation de leur prix, qui mériterait d’être mieux étudiée. Les corporations espagnoles se sont sclérosées à partir du moment où elles ont pactisé avec les oligarchies urbaines pour maintenir leur influence. Cette mutation interne a été le début d’une déchéance progressive du grémialisme à partir du milieu du xviiie siècle. Au même moment, la montée en puissance du libéralisme se concrétisait par des mesures législatives restrictives – tour à tour supprimées et rétablies – à l’encontre des ces organisations corporatives, jusqu’à leur abolition définitive en 1836. Ainsi, il apparaît que la suppression des corporations en 1791 dans la France révolutionnaire, dont on souligne la radicalité, s’inscrit dans un contexte européen globalement favorable à la libéralisation de l’industrie et du marché du travail.
Dès le Moyen Age, les corporations ont entretenu des liens étroits avec les confréries ou « fraternités de secours mutuel » d’origine religieuse. Contrairement aux premières, qui étaient exclusivement masculines, ces dernières accueillaient des femmes en leur permettant d’y jouer un rôle important. Nombre de ces fraternités, qui remplissaient des fonctions d’assistance en cas de maladie ou de deuil, sont devenues des mutuelles au xixe siècle, au terme d’un processus continu de sécularisation et d’autonomisation à l’égard de la puissance religieuse.
Santiago Castillo établit une classification typologique des sociétés mutuelles du xixe siècle : les mutuelles ouvrières (avec une appartenance socio-professionnelle) ; les mutuelles populaires (interclassistes), qui sont les plus nombreuses ; et les mutuelles « assistancielles », encadrées par des notables. Si certaines mutuelles ouvrières se sont illustrées par une attitude de résistance à l’égard du pouvoir ou du patronat, comme celles des ouvriers du textile en Catalogne ou des typographes de Bilbao en 1868, le phénomène reste marginal. Majoritairement, ces sociétés se chargent de couvrir les risques sociaux traditionnels (maladie, vieillesse, chômage, accident, invalidité, obsèques) ou de l’assurance patrimoniale (maison, récoltes, bétail).
En 1887, une loi adoptée par le gouvernement libéral autorise la constitution d’associations et, partant, celle des syndicats. Avant même cette légalisation, dès 1880 les typographes madrilènes ont développé une forme de syndicalisme à bases multiples, c’est-à-dire offrant des services de type mutualiste (maladie, invalidité, chômage, viatique pour la recherche d’un emploi…) en plus du secours en cas de grève. Au sein même de l’UGT (née en 1888), la Fédération graphique nationale fonctionne sur ce modèle dès sa création, en 1918. La prise en main d’une partie des questions sociales par l’Etat, avec la création de l’Institut national de prévoyance (INP) en 1908, puis celle d’un régime de retraite ouvrière en 1919-1921, amène à une redéfinition des fonctions syndicales et mutualistes. Plus brutale sera la rupture provoquée par l’instauration de la dictature franquiste au terme des trois années de guerre civile (1936-1939). La reconstruction du syndicalisme, amorcée par l’émergence d’une culture de conflit dans les entreprises dès la fin des années 60, fait l’objet des quatre dernières contributions. Il semble que l’historiographie n’ait pas encore pris la mesure de l’impact durable du traumatisme de la guerre civile sur l’évolution des formes associatives, y compris après le retour de la démocratie.
L’ouvrage est coordonné par l’historien Santiago Castillo, spécialiste de ces questions en Espagne et fondateur en 1989 de l’Association d’histoire sociale, qui a marqué le renouveau d’un champ d’étude déserté pendant la dictature franquiste. Les travaux de cette association ont considérablement fait avancer la connaissance historique sur le mutualisme dans la péninsule ibérique. Citons, parmi diverses publications d’actes de colloques, Solidaridad desde abajo. Trabajadores y socorros mutuos en la España contemporánea, Santiago Castillo (dir.), Madrid, 1994 ; La previsión social en la historia, Santiago Castillo et Rafael Rusafa (coord.), Madrid, 2009.
Appendices
Notes
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[1]
« Le monde du travail et l’associationnisme en Espagne. Collegia, corporations, mutuelles, syndicats… »
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[2]
Par ordre d’apparition dans l’ouvrage : contributions d’Almudena Orejas Saco del Valle, d’Isabel del Val, de Cristina Segura, de Janire Castrillo, de Fernando Diez Rodríguez, de Genís Barnosell, de Pere Gabriel, de Santiago Castillo, de Carme Molinero, de Pere Ysás, de José Babiano, de Rubén Vega, de Candido Méndez.