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Ce livre collectif issu d’un colloque sur le travail associatif organisé en 2008, qui réunissait principalement des sociologues, présente les qualités et les défauts inhérents à ce type d’ouvrage. Du côté des qualités, il faut noter l’apport souvent très riche de jeunes doctorants ou chercheurs qui ont un questionnement critique à l’égard de leur objet et une réelle démarche de recherche dans la plupart des contributions. Mais les défauts existent aussi : inégalité qualitative et hétérogénéité des chapitres en dépit des efforts des deux coordonnateurs pour trouver une unité dans l’introduction. Enfin, la publication tardive de l’ouvrage explique que les conséquences de la crise de 2008 ne soient pas mentionnées. L’introduction, rédigée plus récemment par Matthieu Hély et Maud Simonet, part de la grève des salariés d’Emmaüs en 2010 (mais sont-ils des salariés ou des bénéficiaires ? La jurisprudence a tranché en 2002 et il n’y est pas fait allusion) pour juger que le monde associatif ne peut plus être pensé comme un monde d’engagement et de citoyenneté, mais comme un marché du travail. Pour justifier le plan élégant de l’ouvrage (trois parties de quatre chapitres), les auteurs soulignent que le travail associatif (partie 1) doit être étudié à ses frontières avec l’entreprise (partie 2) et l’Etat (partie 3).

Des salariés motivés

La première partie, inégalement intéressante, colle au titre du livre et porte sur les travailleurs associatifs de toute nature. Dans un style différent des autres contributions, Mathieu Narcy considère, à partir d’un travail économétrique sur la riche banque de données des enquêtes Emploi, que les salariés des associations sont intrinsèquement motivés, puisqu’ils acceptent une diminution de salaire de 14 % par rapport aux autres salariés du privé tout en ayant un moindre absentéisme. La seule incitation monétaire ne permet donc pas d’expliquer leur forte implication au travail, ce qui est confirmé par leur plus grande satisfaction pour leurs conditions de travail (pour treize caractéristiques d’emploi). Francis Lebon et Emmanuel de Lescure traitent de « l’incertaine professionnalisation des animateurs socioculturels et des formateurs d’adultes », métiers précaires et peu rémunérateurs, mais très répandus : 120 000 animateurs et 180 000 formateurs en 2002. Entre 1983 et 2002, la précarité a augmenté pour l’animation (contractuels et vacataires) et baissé pour la formation, et les critères de professionnalisation sont clairement discutés.

A côté de ces contributions solides, deux chapitres plus légers. Rebecca Taylor, dans un chapitre en anglais qui aurait pu être traduit, intitulé pompeusement « Repenser le travail bénévole : dimensions de classe, genre et culture », étudie en fait quatre cas très caricaturaux et sans doute peu représentatifs du monde associatif britannique : deux cas de salariées, deux cas de femmes bénévoles, dans une charity traditionnelle britannique et une association communautaire d’immigrants récente. Elle veut montrer comment le bénévolat est encastré dans l’habitus, mais ne convainc guère. La phrase finale, que je partage, n’est absolument pas étayée : « La compréhension du travail bénévole n’est pas une activité périphérique. Bien au contraire, elle est centrale pour comprendre la nature du travail dans la société contemporaine. » Enfin, Julien Bayou et Fanny Castel, dans « Sois stage et tais-toi : le sous-salariat démasqué », reprennent en style pamphlétaire les arguments de Génération précaire et les témoignages du forum Internet de ce mouvement pour donner du stage, en association comme en entreprise, une image de servitude volontaire.

L’entreprise associative

La deuxième partie, consacrée à l’entreprise associative au service de l’entreprise citoyenne, est la plus cohérente et la plus originale. Dans « Les bonnes volontés à l’épreuve de l’efficience dans le champ de l’aide alimentaire », Jean-Pierre Le Crom et Jean-Noël Retière étudient les résistances à la rationalisation et à la rhétorique managériales à Nantes. Soumis à la logistique de l’approvisionnement, trois grands réseaux d’aide alimentaire, le Secours populaire, les Restaurants du coeur et leur grossiste la Banque alimentaire, constatent une métamorphose du don. La continuité du service qu’ils doivent assurer est peu compatible avec la temporalité du bénévolat classique et l’on assiste à une segmentation des forces bénévoles selon les compétences qui recrée des hiérarchies sociales. Jusqu’où la rationalité managériale reste-t-elle compatible avec la démocratie associative ? Anne Bory et Maud Simonet étudient sous plusieurs facettes « le prix de la citoyenneté », à partir de l’expérience américaine de City Year qui envoie des jeunes volontaires dans divers lieux publics, dont les écoles des zones défavorisées, pour assurer éducation civique et soutien scolaire, tout en leur permettant d’affiner leur projet professionnel. La citoyenneté serait une valeur lucrative (ou marchande ? car la lucrativité n’est pas définie) pour City Year, puisque les entreprises mécènes offrent une contribution souvent très importante contre un retour d’image d’« entreprise citoyenne » et un choix de jeunes volontaires parmi lesquels certains seront embauchés par ces entreprises. Le bénévolat de leurs propres salariés devient aussi un produit vendu aux entreprises mécènes avec l’organisation par City Year des « days of service », qui assurent les menus travaux dont les associations ont besoin. Le prix de la citoyenneté, c’est encore le volontariat comme travail, indemnisé 100 dollars net pour cinq jours par semaine sur contrat City Year, c’est-à-dire la fourniture lucrative d’une prestation basée sur un travail sous-payé. Ce sacrifice du droit du travail est interprété différemment selon l’origine sociale des volontaires.

Pascale Moulévrier s’intéresse aux « banquiers solidaires » (microcrédit, Nef, Cigales…), qu’elle situe entre la banque et le travail social dans leur lutte contre l’exclusion bancaire. Elle estime à 80 % leur temps de travail administratif et financier et à 20 % leur temps d’accompagnement, mais ce dernier est toujours mis en valeur par les intervenants comme banquiers éthiques. L’examen de leurs cursus d’accès à la banque solidaire montre qu’ils sont souvent issus d’une reconversion professionnelle avec un passage en formation continue. Dans le dernier chapitre, « Les générosités obligées : mutations des politiques sociales et mécénat des entreprises dans la France des années 90 », Sabine Rosier voit ces années comme celles du désamour pour les entreprises et de l’apparition du mécénat d’entreprise. Ce mécénat social répond à la quête de légitimité par les grandes entreprises et aux sollicitations des pouvoirs publics de « générosités obligées » envers les victimes de la compétition économique, les chômeurs de longue durée, par appel à l’esprit citoyen des entreprises. Le mécénat d’entreprise se déplace alors de la culture vers l’insertion et constitue une forme externalisée de l’action publique. Les associations créées à cet effet, comme Agir pour l’emploi ou Agir contre l’exclusion, sélectionnent plus sur le mérite de la personne en voie d’insertion que sur l’intérêt du projet. Ainsi l’exigence de professionnalisme par les entreprises mécènes fait-elle écho aux politiques d’activation de la dépense sociale des pouvoirs publics.

Associations et services publics

La dernière partie du livre, « Le travail associatif : renouvellement ou remise en cause du service public », reprend la thèse fondamentale de Matthieu Hély en optant pour la deuxième branche de l’alternative. Elle débute par « L’association, un monde à part ? », d’Yves Lochard. Ce chapitre oppose le discours axiologique de valorisation des associations et leur rhétorique du dépassement aux dénonciations pamphlétaires des Bériot, de Closets et autres Kaltenbach, sorties de la naphtaline. Pour l’auteur, ces deux postures sont analogues et surdéterminées par la morale. Les « spécificités méritoires » des associations (Bloch-Lainé) doivent en effet être évaluées. Eric Cheynis, ensuite, s’intéresse dans un registre plus positif aux « mobilisations en faveur d’une loi contre les exclusions : comment faire reconnaître les savoirs associatifs sur la pauvreté ». A partir de la loi de 1998, établie en quatre ans de partenariat avec les pouvoirs publics et en concurrence avec les syndicats, deux collectifs (Alerte et Collectif contre la précarisation et l’exclusion) ont constitué un espace d’expertise-contre-expertise et exprimé la porosité des associations avec l’administration. L’auteur montre aussi la construction des savoirs sur la pauvreté par ATD-Quart Monde.

« Les Enfants de Don Quichotte face au travail de relogement des SDF du canal Saint-Martin : une politisation ambiguë », d’Olivier Loual, étudie la confrontation entre l’ethos du profane médiatisé, les Don Quichotte, et celui des professionnels du social face à une procédure de relogement dérogatoire au droit commun. Les Enfants de Don Quichotte, tombés dans l’oubli, représentent-ils vraiment les usagers, comme le soutient l’auteur ? Enfin, le dernier chapitre, de Matthieu Hély et Marie Loison-Leruste, intitulé « Les entreprises associatives en concurrence : le cas de la lutte contre les exclusions », constate que cette lutte est passée de la responsabilité de l’Etat à celle des départements, qui délèguent aux associations l’accompagnement des exclus. Cette délégation se fait selon la norme de l’utilité sociale, intérêt général désétatisé, définie en principe par l’Etat ou, par défaut, par l’administration fiscale. Le changement du financement associatif de l’Etat aux collectivités territoriales et la diversité des acteurs dans la prise en charge de la précarité aboutissent à une forte concurrence entre associations et à des injonctions contradictoires, car la lutte contre la précarité menace la pérennité de l’association qui est amenée à discriminer entre bons et mauvais SDF : le réseau d’aide aux précaires segmenté s’oppose ainsi à l’égalité de traitement des usagers du service public.

En résumé, cet ouvrage inégal est intéressant et traduit la vitalité des jeunes chercheurs en sociologie des associations et le renouvellement de leur méthodologie. Face au discours trop souvent autosatisfait des associations de solidarité, il apporte une réflexion critique salutaire, même si elle apparaît parfois excessive. On aimerait que celle-ci soit prolongée sur la période la plus récente et étendue à d’autres types d’associations que ceux de l’humanitaire et de l’action sociale.