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Plan d’action de l’ACI pour une décennie coopérative

L’Alliance coopérative internationale (ACI) a publié une version préliminaire de son plan d’action pour une décennie coopérative, qui sera discuté lors de l’assemblée générale extraordinaire à Manchester le 31 octobre [1]. Ce plan « Défi 2020 », rédigé par un groupe de travail international piloté par Cliff Mills et Will Davies, entend faire fructifier les acquis politico-médiatiques de cette année internationale pour que les coopératives soient reconnues en matière de durabilité économique, sociale et environnementale comme le modèle de croissance de l’entreprise en 2020. Le document de 32 pages, après une introduction sur l’année internationale, les coopérateurs dans le monde et les sept principes coopératifs, détaille les cinq grandes orientations que l’ACI souhaite mettre en oeuvre. Chaque idée est développée du point de vue de l’entreprise coopérative, de l’individu coopérateur, avec un objectif défini et des moyens pour l’atteindre, puis mise en relation avec les autres orientations. Un document bien réalisé formellement et qui ne manquera pas de faire réagir sur le fond.

Elever le niveau de participation (adhésion-gouvernance)

« La participation démocratique des membres » (utilisateurs ou travailleurs) recoupe à la fois la notion de gouvernance (propriété collective et démocratique des membres) et le droit à l’information et à l’expression individuelle de chacun. L’ACI lie ces questions à « l’émergence mondiale d’une classe moyenne interconnectée » et à « la pression accrue de la société civile pour une participation politique directe » (Indignés…). L’objectif est de mettre les coopératives en possibilité de faire face à des remises en question par une jeunesse critique des cinquième (formation des membres) et septième (engagement envers la communauté) principes. Il s’agit donc de favoriser les formes d’expression des membres, notamment via les médias sociaux, et de penser une participation différente pour les investisseurs « qui ne compromette pas » la nature coopérative des entreprises. Une table ronde des hauts dirigeants des coopératives du Global 300 sera mise en place.

Positionner les coopératives comme les architectes du développement durable

Malgré les nombreuses initiatives locales, le développement durable n’est pas encore associé à la coopération. Economiquement, le thème de « la valeur pour l’usager » primant « la valeur pour l’actionnaire » est le gage d’un développement pérenne des structures, notamment financières. Le mode de propriété spécifique de la coopérative favorise la « biodiversité économique ». Socialement, les coopératives permettent de corriger les inégalités générées par le capitalisme actuel. Elles offrent des services sociaux aux plus démunis et sauvegardent le « capital social » des Etats en leur offrant des services que ceux-ci ne peuvent plus assumer ou que les entreprises privées assureraient à un coût économique et social supérieur. Ecologiquement enfin, ces organisations participatives discutent démocratiquement des impacts de leurs activités sur l’environnement, sans le seul tropisme du retour sur investissement, a fortiori dans les coopératives multisociétaires. L’ACI préconise la généralisation d’innovations en matière comptables pour mesurer leurs performances extra-financières comme « la comptabilité triple bilan », « les rapports sur l’impact social » et « les mesures du bien-être ». Etre pérennes rendra les « coopératives plus attrayantes pour les porteurs de capitaux ».

Protéger l’identité coopérative, adapter nationalement leurs messages

Où se situent les coopératives à l’heure des « entreprises éthiques » et de la « responsabilité sociale des entreprises » ? Les sept principes coopératifs sont inégalement appliqués et appréciés de par le monde, les législations qui encadrent les coopératives variant considérablement d’une nation à l’autre. L’objectif consiste donc à distinguer l’« identité » du « message » coopératif. La première est à protéger autant que faire se peut et à préciser, notamment, par des « directives » qui explicitent les « minimum requis » lorsque le principe 2 évoque le « contrôle par les membres ». Le second doit insister sur la participation et le développement durable, avec un logo commun et l’usage généralisé du .coop.

Garantir des cadres légaux favorisant la croissance des coopératives

L’Organisation internationale du travail (OIT, recommandation 193) et l’Organisation des Nations unies (ONU, résolution 56/114 du 19 décembre 2001) invitent les Etats à faire converger leurs politiques en faveur des coopératives vers un cadre cohérent. Car si les coopératives ont longtemps prospéré sans cadre légal spécifique, cette absence constitue localement un frein évident au développement du secteur. Convaincre les législateurs nationaux que les coopératives sont plus efficaces que les entreprises de capitaux, une fois leur valeur « sociale » prise en compte, devrait permettre de justifier une différence de traitement en matière de fiscalité ou dans l’application des règles de la concurrence. Cela suppose la mise en place d’un réseau international pour les bureaux d’enregistrement semblable au Competition Network pour les législateurs anti-trust, de renforcer les groupes de travail existant sur le droit européen des coopératives (voir « Actualité », Recma, n° 325), d’intégrer le programme coopératif dans les institutions mondiales de développement (G8, G20, Banque mondiale…).

Etablir un capital fiable tout en garantissant le contrôle par les membres

Le capital des coopératives provient des membres ou des excédents de gestion mis en réserve. Ce capital social est souvent insuffisant pour financer le développement. Les membres n’en perçoivent qu’une « rémunération limitée » (troisième principe), ce qui n’encourage pas l’entrée de financeurs. L’objectif consiste à se désintoxiquer de cette « drogue » de la maximisation des bénéfices qui transforment les individus en investisseurs. Il s’agit donc de formuler une « proposition financière qui prévoit un retour sur investissement, mais sans détruire l’identité coopérative, et qui permette aux gens d’accéder à leurs fonds quand ils en ont besoin », autrement dit un « instrument générique moderne qui soit catalogué comme capital-risque ». Le développement du commerce mondial entre coopératives devrait également permettre de renforcer les capitaux des entreprises.

Le plan d’action de l’ACI ne précise pas davantage à ce stade. L’assemblée générale aura donc à se prononcer sur ces ambitieuses (et parfois contradictoires) pistes de travail. La quadrature du cercle coopératif fera encore couler beaucoup d’encre.

Jordane Legleye

Le droit coopératif au sein de la zone Ohada

Les colonnes de la Recma se sont déjà fait l’écho de l’adoption, le 10 décembre 2010, d’une législation coopérative uniforme par l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) [voir « Actualité », Recma, n° 320]. Cette dernière, créée en 1993, comprend aujourd’hui dix-sept pays d’Afrique centrale et de l’Ouest et a pour objet de produire des normes communes (nommées « actes uniformes ») à tous les Etats membres afin de faciliter le développement de leurs activités économiques. Ces actes uniformes introduisent des règles applicables dans tous les Etats signataires et font disparaître les dispositions nationales qui régissaient les matières ainsi uniformisées. Les premiers ont concerné les activités économiques les plus liées aux entreprises multinationales (sociétés commerciales, commerce général, sûretés…), et on leur a reproché de ne pas être en prise directe avec les besoins des peuples africains.

C’est en partie pour répondre à cette critique qu’un acte uniforme sur les sociétés coopératives a été adopté. Il se compose de 397 articles – beaucoup plus que n’importe laquelle des lois nationales qu’il remplace. Il est entré en vigueur le 16 mai 2011 et les coopératives créées antérieurement doivent s’y conformer avant le 16 mai 2013. Son contenu est globalement proche des standards internationaux et ne doit pas susciter de rejet massif. Des changements étant toutefois perceptibles pour chaque pays, toutes les coopératives devront procéder à des adaptations statutaires. Je ne mentionnerai ici que trois points qui soulèvent des difficultés particulières.

Trois difficultés particulières

Le premier concerne l’établissement d’un registre des sociétés coopératives, sur le modèle du registre du commerce et du crédit mobilier, « tenu au niveau local par l’autorité administrative chargée de la tenue dudit registre ». Dans les pays que je connais le mieux, j’ai pu constater que les luttes entre ministères retardaient le choix de l’autorité compétente. En conséquence, le registre n’est bien souvent toujours pas en place.

Le deuxième point a trait au domaine d’application du nouvel acte uniforme et donc au nombre des dispositions nationales abrogées. La question centrale porte sur les groupes d’initiative commune (GIC) ou les autres groupements dits « pré-coopératifs » que certaines lois nationales réglementent. L’acte uniforme ne les mentionne nulle part et il n’est pas évident de savoir si elles doivent être considérées comme des coopératives et si les dispositions nationales qui les concernent doivent donc disparaître.

La troisième remarque se rapporte au cumul des fonctions de direction au sein des coopératives et de leurs faîtières. A la suite d’une copie abusive du droit des sociétés commerciales, il est interdit aux administrateurs d’une coopérative d’être administrateurs d’une autre coopérative, y compris d’une faîtière, puisque celles-ci sont tenues d’adopter la forme coopérative.

Heureusement, l’acte uniforme est aussi une chance, dont les coopératives ne pourront cependant se saisir qu’autant qu’elles en maîtrisent le contenu.

Présentation synthétique et statuts types

Willy Tadjudje (chercheur en formation doctorale) et moi-même avons réalisé, au sein de l’université du Luxembourg et avec le soutien de celle-ci, un projet de recherche sur le nouveau droit des coopératives dans l’espace Ohada. Cela nous a déjà conduits à une publication scientifique (à paraître dans International cooperative law, Vrognac, Fici and Henry, Sringers). Parallèlement, nous avons élaboré un document de présentation synthétique du nouveau droit Ohada, destiné aux coopérateurs africains afin de les aider à se familiariser avec cette législation. Dans le même esprit, et de façon plus concrète, nous proposons des modèles de statuts dont les coopératives africaines peuvent s’inspirer. Finalement, pour accompagner les coopérateurs dans le choix qu’ils doivent effectuer entre les deux types de coopérative offerts par l’acte uniforme sur les sociétés coopératives (coopérative simplifiée et coopérative à conseil d’administration), nous avons rédigé une petite synthèse des différences entre les deux types.

Ces documents (présentation du nouveau droit Ohada, modèles de statuts Scop, modèles de statuts Scopca, analyse des différences Scop-Scopca) vous sont proposés en français et en anglais, en libre téléchargement, en vertu d’un partenariat avec la Recma [2], qui en est remerciée. Aucun usage commercial n’est autorisé et tout manquement à cette stricte prohibition pourra donner lieu à des poursuites judiciaires. Ces documents sont toujours susceptibles d’amélioration ou de complément ; toutes vos remarques sont donc les bienvenues.

David Hiez

Chypre : une conférence sur la société coopérative européenne

La conférence organisée à Chypre les 28 et 29 septembre 2012 sous les auspices de la présidence chypriote de l’Union européenne et de la Commission portait, à l’occasion de l’Année internationale des coopératives, sur le processus de révision du règlement relatif à la société coopérative européenne (SCE). Aux termes du règlement européen n° 1435-2003 du 22 juillet 2003, qui a créé la SCE, la Commission devait établir un rapport sur une éventuelle révision. Elle a ainsi commandé et subsidié une étude sur la SCE. Réalisée sous la houlette d’Euricse, celle-ci a été remise à la Commission en 2010 [3]. On y trouve une présentation des sociétés coopératives européennes créées à cette date et un exposé des législations de transposition nationale, mais également un survol des droits coopératifs proprement nationaux des divers Etats membres, ainsi que des tentatives d’explication du faible nombre de créations de SCE. A la suite de cette étude, la Commission a publié, le 23 février 2012, un rapport sur le processus de révision du règlement de 2003 [4]. Dans cette perspective, deux conférences ont été organisées : la première pour recueillir les avis des mouvements coopératifs, la seconde davantage orientée vers les Etats membres. C’est cette dernière qui s’est déroulée à Chypre.

Les novations coopératives en Europe

Le colloque s’est structuré en trois demi-journées : la première était consacrée à la place des coopératives dans l’économie européenne, la deuxième aux innovations des coopératives et à l’illustration de leur rôle à Chypre et, enfin, la troisième était spécialement dédiée au rassemblement des réactions des Etats membres. La première journée a donc été plus généraliste et n’a pas échappé à la réitération des antiennes coopératives, dont le caractère immuable fatigue les connaisseurs tout en fournissant une formation, mâtinée de publicité, pour les néophytes. Cela a néanmoins été l’occasion de découvrir la coopération chypriote, née au début du XXe siècle et toujours significative dans l’agriculture et le domaine bancaire (40 % du secteur national). Ont également été évoquées des expériences originales, comme le récent développement des coopératives d’énergie renouvelable en Allemagne ou le réseau des coopératives médicales, conçues comme une alternative à la fermeture de petits hôpitaux, en Italie. La Commission a également présenté son action autour de l’innovation sociale. Les ambiguïtés ne semblent toutefois pas levées, ni du côté coopératif ni du côté de la Commission, sur le périmètre de ces innovations.

C’est sur la dernière matinée que nous nous arrêterons quelques instants, avec pour justification qu’elle constituait la première raison d’être du colloque. Formellement, elle s’est découpée en deux temps : d’abord des communications sur l’histoire de l’élaboration du règlement de 2003, la diversité des législations nationales, l’utilité d’amplifier les études de droit comparé et d’élaborer des principes européens de droit des coopératives et une communication de la Commission qui tâchait de faire le point de la réflexion sur la révision du règlement ; puis des échanges avec les représentants des Etats membres et des mouvements coopératifs.

Vingt-cinq SCE, mais une avancée juridiquement essentielle

Sans reprendre le détail des observations faites, je vais subjectivement rapporter ce qui m’a paru le plus frappant. Le point de vue des coopératives et celui des Etats membres se rejoignent dans leur désaccord général. Le constat est pourtant simple : il n’y a eu que vingt-cinq sociétés coopératives européennes créées, ce qui n’est pas précisément glorieux. Un accord de base s’est toutefois dégagé, qui me semble de bon sens : le règlement européen a été une étape positive pour le monde coopératif. Il a été souligné que celui-ci avait participé au soutien de mouvements nationaux en difficulté et constitué une consécration politique du coopératisme. De même, et plus juridiquement, il a été un fondement de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 septembre 2011 qui a reconnu la légitimité de soumettre les coopératives à un régime fiscal spécifique lorsqu’elles se trouvent dans une situation juridique particulière.

La question de l’opportunité de détacher le règlement de ses attaches nationales, qu’elles se situent du côté du droit coopératif ou du droit des sociétés, reste en revanche en suspens. L’une des explications possibles du peu d’engouement pour la SCE réside en effet dans les renvois fréquents que le règlement communautaire opère aux lois nationales. Afin de résoudre les désaccords entre Etats membres au moment de l’élaboration du règlement, cela est apparu une solution efficace pour dépasser les blocages et parvenir à un résultat. La conséquence est l’absence d’un régime juridique unique pour la société coopérative européenne, mais l’élaboration d’autant de régimes que de lois nationales. L’abandon de ces renvois semble une voie rationnelle, et les résistances nationales ou coopératives s’expliquent mal si l’on veut bien se souvenir qu’il ne s’agit que de réglementer la société coopérative européenne, sans aucune incidence sur le droit applicable aux coopératives nationales. Les propos de représentants de certains Etats ou de certains mouvements coopératifs ne sont toutefois pas rassurants à cet égard. Par réalisme peut-être, il a été relevé que l’unanimité requise pour la révision du réglement la paralyserait irrémédiablement. Avec courage ou cynisme, on a aussi fait remarquer que la création de coopératives européennes n’avait aucune importance et ne répondait finalement à aucun besoin pratique. A dire vrai, je suis curieux de voir ce que la Commission fera de tout cela : la lecture assidue et attentive de la Recma vous l’apprendra.

David Hiez

La journée ESS à l’université de Marne-la-Vallée

Le vendredi 28 septembre a eu lieu, à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV), la Journée de l’ESS autour de quatre temps forts. Le premier fut consacré à l’ESS au Québec. Marie Bouchard en retraça l’histoire depuis les sociétés de secours mutuels au milieu du xixe jusqu’à l’émergence du concept d’économie sociale dans les années 90, en passant par le rôle central du mouvement coopératif comme véhicule d’un projet de société, en fort lien avec la France et sa langue. Puis, elle nous fit part des enjeux actuels de la mesure statistique de l’ESS à laquelle elle a travaillé.

Le deuxième temps fort fut la visite des stands des huit partenaires de la chaire mobilisés pour l’événement et celle de l’exposition Casden BP sur les coopératives. En fil rouge de la journée s’est tenu le festival Vidéos solidaires sur le thème « Nul n’est inemployable ». Quatre des vidéos en concours avaient été réalisées par les étudiants du master Management de l’insertion dans l’économie sociale et solidaire (Miess) de l’UPEMLV, et la remise du prix au lauréat 2012 a été assurée par le président de l’université.

Enfin, vint le temps de la table ronde, animée par Emmanuel Domergue (Alternatives économiques), sur les enjeux de l’ESS dans l’enseignement supérieur et la recherche. V. Defauquet, pour l’Usgeres, a exprimé les attentes des employeurs en termes de formation, notamment pour faire face au besoin de renouvellement des cadres. M. Bouchard pour la chaire du Québec, B. Faivre-Tavignot pour la chaire HEC et H. Defalvard pour la chaire de l’UPEMLV sont intervenus pour donner des éclairages différents quant à ces enjeux : une théorie à construire, le rôle des grandes entreprises et celui des territoires ont été, entre autres, évoqués. Enfin, P. Bourrat-Housni a témoigné de l’importance de ce sujet pour le conseil régional d’Ile-de-France, se traduisant notamment par des financements élevés. Elle s’est aussi interrogée sur le rôle joué par les formations de l’ESS dans la réussite de tous les étudiants.

Tout au long de cette journée, de nombreux étudiants, chercheurs, acteurs économiques et politiques de l’ESS ont ainsi pu se rencontrer, échanger et débattre au sein d’une université ouverte sur son territoire.

Jordane Legleye

L’économie sociale au péril du désengagement de la puissance publique…

… et de la tentation du modèle capitalistique » : l’intitulé du colloque organisé par la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) le 25 septembre 2012 méritait d’être repris intégralement. Une bonne centaine de personnes, principalement des militants syndicaux de la France entière, se sont réunies au siège du syndicat pour échanger avec leurs secrétaires confédéraux, des responsables du secteur, des chercheurs et des acteurs de l’économie sociale. Cette manifestation consacre cinq années de réinvestissement de la CGT-FO dans l’économie sociale (elle se refuse toujours à y adjoindre le terme « solidaire »), sous l’impulsion de René Valladon, puis d’Anne Baltazar, qui vient de lui succéder après avoir été secrétaire générale de la Fédération des fonctionnaires. Après une première édition plutôt décevante au début de 2011 [5], une journée d’étude et de réflexion sur les mutuelles santé à la fin de l’année et l’organisation d’une semaine de formation interne au printemps 2012, l’expérience et le travail paient : la journée fut riche et stimulante.

Quel désengagement public ?

Après une succincte mais très concrète présentation des conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP) par Pascal Pavageau, auteur d’un Livre noir de la RGPP, l’essentiel des discussions de la matinée a précisé cette notion de « désengagement de la puissance publique ». Jean-Louis Cabrespines, président du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges), a ainsi rappelé que si l’économie sociale a toujours été complémentaire de la puissance publique, ce partenariat évolue vers une relation de commanditaire à prestataire. Pour Nadine Richez-Battesti, ce désengagement de l’Etat peut aussi constituer une « opportunité de sortir de la logique d’instrumentalisation » d’une économie sociale qui s’est historiquement développée « dans les trous de l’Etat », là où les hommes et les femmes se sont auto-organisés : une forme de retour aux origines.

En s’interrogeant sur l’alternative à l’économie capitaliste qu’une partie du secteur revendique d’être, l’économiste d’Aix-Marseille conclut sur la tierce place de l’économie sociale, entre l’Etat et le marché. Ce positionnement ne convient pas à François Soulage : l’économie sociale et solidaire (ESS) « n’est pas tierce voie entre l’Etat et le marché. Elle est de plain-pied dans le marché, mais le marché, ce n’est pas le règne sans partage du capitalisme et de la concurrence : le marché est à réguler, l’Etat y joue son rôle, l’ESS aussi ». Dans cette perspective (exclure de la concurrence une partie du marché), l’ancien délégué interministériel à l’économie sociale rappelle que l’Europe est un acteur important… et un excellent bouc émissaire. Si l’actuel président du Secours catholique ne goûte guère la construction européenne autour du dogme libéral de la « concurrence libre et non faussée », il tient à préciser que les Etats membres de l’Union restent seuls maîtres de la définition de l’intérêt général. Or la France ne s’en est pas saisie, livrant des pans entiers, comme les services à la personne, la petite enfance, à la concurrence des « appels d’offres » et ôtant toute initiative associative dans les réponses à donner aux besoins sociaux. En d’autres termes, la puissance publique continue de financer ces secteurs via des marchés définis par les élus locaux, mais également au bénéfice de sociétés de capitaux. « On passe d’une économie de marché régulée où chacun a sa place à une société de marché généralisé où nous ne sommes plus que des clients. »

L’économie sociale « dépossédée »

Béatrice Delpech, déléguée générale de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), a largement illustré cette problématique des outils de financement qui laisse l’initiative aux responsables politiques (voir « En bref » de ce numéro). Pour accorder son soutien, la puissance publique exige des associations qu’elles développent leurs ressources propres : cotisations, dons (moins de 5 % des financements associatifs…), mais surtout produits d’activité. Il importe donc de faire attention à ce que « l’économie associative, longtemps vue comme une économie pour les pauvres, ne se transforme en une nouvelle économie pour les [un peu plus] riches ».

Agnès Gramain, enseignante chercheur à Paris-I et spécialiste de la dépendance, a rappelé que si désengagement de l’Etat il y avait, il fallait préciser de « l’Etat central ». Les collectivités territoriales financent toujours très largement le secteur de la dépendance. En réduisant la focale sur les associations d’aide à la personne et leurs relations avec les conseils généraux, l’universitaire permet un salutaire recul : les « associations autorisées » qui ont contractualisé avec les collectivités sont de quasi « services publics », les élus contrôlant leur gestion. De sorte que la vraie question reste celle de la dépossession par les pratiques d’appel d’offres. Il est nécessaire de former les responsables associatifs et donc de sensibiliser les élus locaux à valoriser le coût social de leurs activités. Il faut expliquer les différences de tarifs pouvant exister avec les sociétés de capitaux qui n’appliquent sans doute pas les mêmes conditions salariales et ne mettent pas en oeuvre les mêmes pratiques environnementales.

La décentralisation représente une chance pour les associations, qui seront certainement mieux à même d’argumenter avec leurs élus locaux qu’avec l’Etat central, à condition toutefois de pouvoir peser dans les négociations. Le « vrai danger, même si les déséquilibres territoriaux sont problématiques, c’est la disparité entre les petites associations, qui n’ont aucune marge de manoeuvre, et les grosses ».

La « course à la taille »

La question au coeur du dossier de ce numéro 326 est souvent revenue dans les échanges. Patrick Sagon, président de la Mutuelle générale, interroge ainsi le secteur mutualiste dans lequel une quinzaine de groupes multi-activités affichent plus de 5 milliards de chiffre d’affaires ; ceux-ci disposent d’une efficience redoutable en matière de publicité et de distribution, au regard des quelque 600 autres mutuelles qui ne couvrent que 20 % du marché. Jean-Manuel Kupiec, directeur général adjoint d’Orcip, s’interroge également sur cette notion « infinie de taille critique, car on sera toujours le gros ou le petit d’un autre ». Et le directeur général d’illustrer cette course à la taille par la multiplication des prix récompensant les actions en faveur des personnes souffrant de handicap : dix-sept autres organismes ont suivi le pionnier Orcip en la matière, aussi « trop de prix tue les prix, c’est devenu un élément marchand, un élément de distinction ».

La place manque pour rendre compte des autres interventions, comme celle de Brigitte Lesot pour Cides-Chorum illustrant le danger du « détournement de dispositifs » existants qui pourraient profiter au secteur, mais servent d’autres fins. Ainsi, le mal nommé « Action logement » (ex « 1 % logement ») ne finance pas l’accès des salariés à la propriété, mais la rénovation urbaine. Espérons que le site de la CGT-FO mettra en ligne les nombreuses contributions écrites (sur l’hôpital, l’histoire de FO au regard de l’ESS, etc.) fournies dans la mallette des congressistes. Concluons avec Nadine Richez-Battesti, qui soulignait combien ces rencontres entre syndicalistes, universitaires, acteurs de l’ESS sont indispensables pour permettre de construire une alternative au « désengagement de la puissance publique » et « à la tentation du modèle capitalistique ».

Jordane Legleye

Les 20 ans de l’ISTR

Du 10 au 13 juillet 2012 s’est tenue à Sienne la Xe conférence internationale de l’International Society for Third Sector Research (ISTR). Cette manifestation scientifique regroupe tous les deux ans chercheurs et professionnels du tiers secteur, et le millésime 2012, qui fêtait les 20 ans de cette association scientifique, a été un grand cru. Il a bénéficié d’une organisation remarquable et de l’accueil conjoint de l’université de Sienne, l’une des plus anciennes en Europe, et de la Fondation Fortes, qui assure la formation des cadres du tiers secteur en Italie. Il a regroupé 600 participants, venant de 57 pays, sans compter les nombreux accompagnants attirés par l’immuable beauté de la ville ; plus de 480 communications, regroupées par thèmes en 160 sessions parallèles, auxquelles s’ajoutaient une cinquantaine de posters plus rapidement commentés, ont constitué le noyau dur scientifique.

Tiers secteur, capitalisme, socialisme…

La conférence inaugurale était consacrée par un universitaire australien, John Keane, à l’inscription théorique des organisations du tiers secteur dans la mouvance de Capitalisme, socialisme et démocratie de Schumpeter. Une séance plénière remarquable a montré le rôle actuel du tiers secteur dans le scénario de crise en Italie. Enfin, lors de la conférence de clôture, un activiste égyptien, Rami Khoury, a analysé l’intervention de la société civile dans les récentes révoltes citoyennes des pays arabes, non sans masquer les risques inhérents à ces mouvements sociaux.

Outre ces manifestations scientifiques, des sessions spéciales réunissaient les groupes d’affinité et les associations régionales des divers continents, tandis que d’autres s’adressaient aux directeurs de centres de recherche ou aux instances statutaires d’ISTR. Une session particulièrement appréciée a regroupé, sous la houlette de notre ami Bernard Enjolras, rédacteur en chef de la revue Voluntas, jeunes auteurs en quête de publication et membres du comité de lecture de la revue pour confronter et améliorer les critères de choix afin de rendre plus accessible la publication dans une revue internationale [6].

Pour avoir participé à la création de l’ISTR, je peux mesurer le chemin parcouru depuis les origines. Elue par hasard vice-présidente en 1992 à Indianapolis (une Finlandaise m’avait dit : « J’ai voté pour vous pour trois raisons : vous êtes une femme, vous n’êtes pas américaine et vous parlez mal l’anglais »…), j’ai pu voir le petit noyau initial, qui s’est voulu dès le départ ouvert aux pays en développement, passer de membres issus d’une dizaine de pays à la soixantaine actuelle. De conférence en conférence, on a observé une plus grande représentation des pays asiatiques : la Chine continentale est de plus en plus présente aux côtés de Taïwan et de Hong-Kong. A Sienne, la Tunisie et l’Egypte étaient là, alors que le Maroc et l’Algérie étaient absents ; les Brésiliens étaient nombreux, alors que les Espagnols, si proches, étaient rares, effet de la conjoncture politique ou économique sans doute.

Démocratie, citoyenneté, management et gouvernance

On constate également une évolution des thèmes de recherche abordés par les communications : compte tenu de son lieu de naissance et de l’antériorité des recherches outre-Atlantique, le terme oecuménique de tiers secteur a d’abord recouvert la réalité du nonprofit sector américain, puis de conférence en conférence il s’est ouvert à d’autres formes d’organisation. Il est symptomatique qu’à Sienne les deux grands thèmes les plus traités aient été de loin « Entrepreneuriat social, entreprise sociale et économie sociale » et « Société civile, citoyenneté et démocratie ». L’évaluation, la légitimité et la mesure de l’impact, le management et les pratiques organisationnelles et, enfin, la gouvernance des organisations occupent une place croissante dans les recherches, alors que déclinent les travaux sur la philanthropie, le bénévolat, les politiques publiques et les relations avec l’Etat.

La prochaine conférence d’ISTR aura lieu en juillet 2014 à Munster, en Allemagne. Souhaitons que les Français y soient un peu plus nombreux qu’à Sienne, où ils étaient moins d’une dizaine, moins que les Belges… C’est en effet dans ces grands rassemblements que se nouent les plus fécondes interactions entre chercheurs et praticiens.

Edith Archambault

« Cooperativismo y Desarrollo » fête son centième numéro

La revue colombienne Cooperativismo y Desarrollo est l’une des publications les plus importantes d’Amérique latine dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Elle est aussi l’organe de diffusion des travaux de l’université coopérative de Colombie. Fondée en 1972, elle a fêté cette année son quarantième anniversaire ainsi que la sortie de son centième numéro.

Reconnaissance professionnelle et académique

Au cours de ses premières années, cette revue semestrielle ne publia que des articles sur la coopération, pour un lectorat assez confidentiel, avant de s’ouvrir progressivement à d’autres thèmes de l’économie sociale et solidaire. L’année 2007 marqua le début d’une nouvelle époque : sous la direction de Rymel Serrano, directeur national de Indesco [7], le comité de rédaction et le comité d’orientation international furent renforcés, grâce à la collaboration d’universitaires reconnus et de la plupart des maîtres de la coopération latino-américaine. La revue acquit ainsi une visibilité internationale qui profita également à l’université coopérative de Colombie.

En 2008, Cooperativismo y Desarrollo adopta les critères d’évaluation propres aux publications scientifiques. Le cinquantenaire de l’université coopérative fut accompagné de la sortie du numéro 92 – le plus fourni de l’histoire de la revue –, qui accueillit dans ses pages des articles du Brésil, du Venezuela, d’Espagne, du Canada et de Colombie. Bien que n’étant pas encore référencée, la revue avait reçu pour ce numéro de très nombreuses propositions émanant d’auteurs colombiens ou étrangers. Enfin, après trois numéros publiés conformément aux exigences scientifiques, Cooperativismo y Desarrollo fut indexée dans le catalogue international du Cidec [8], avant d’être référencée par Publindex et Latindex [9]. Reconnue par les principaux centres de recherche de l’ESS en Amérique latine, elle devint également l’organe de diffusion de Ciriec-Colombie.

L’ouverture internationale et plus particulièrement à l’ensemble de l’aire latino-américaine s’est poursuivie avec la publication, en 2011, du premier article en présentation bilingue luso-hispanique. En outre, depuis le numéro 98, la revue est présente sur Internet, grâce à la plate-forme de ressources documentaires en espagnol Dialnet (dialnet.unirioja.es), qui permet un accès universel au contenu éditorial.

Aujourd’hui, 85 % des articles publiés sont signés par des auteurs internationaux. Les 15 % restants correspondent à des contributions colombiennes, dont 10 % émanent de l’université coopérative de Colombie. Le pourcentage des articles refusés est de 60 %. La revue est devenue un outil de référence de la recherche académique. Des réseaux comme Unicosol (réseau d’universités colombiennes travaillant sur le thème de l’ESS), le Ciriec et Rulescoop (réseau universitaire euro-latino-américain en études coopératives et économie sociale) contribuent à sa valorisation.

Un rayonnement international

En juillet 2012, Cooperativismo y Desarrollo a fêté la sortie de son numéro 100. A cette occasion, son directeur, Juan Fernando Alvarez, a invité ses homologues à produire un article et à se rendre à Bogota pour fêter l’événement. Nous ne pouvons citer tous les auteurs ayant contribué à ce numéro exceptionnel ; signalons cependant les articles de Fabienne Fecher et Benoît Levesque (Québec, Canada) sur les annales du Ciriec, de Josefina Fernandez Guadano (Espagne) sur les connaissances coopératives en Espagne, de Mirta Vuotto (Argentine) sur la production de connaissances en Amérique Latine, de Dante Cracogna (Argentine) sur la législation coopérative au xxie siècle, de Juan Fernando Alvarez (Colombie) sur la taille des coopératives, de José Luis Corragio sur l’économie solidaire en Equateur, de Jean-François Draperi « pour une université coopérative internationale », etc.

Celles et ceux qui firent le voyage bénéficièrent d’un accueil très chaleureux et découvrirent l’université coopérative de Colombie au cours d’une semaine très dense : présentations réciproques et visite des environs de Bogota le lundi 2 juillet ; séminaire de droit coopératif le 3 au matin, rencontre officielle célébrant la sortie du numéro 100 l’après-midi dans l’amphithéâtre de la Bibliothèque nationale ; visite de l’université coopérative à Villavicencio et séminaire avec les enseignants et les chercheurs le matin du 4 juillet, visite de coopératives l’après-midi et rencontre et échanges avec les responsables de six coopératives en soirée ; séance de travail avec le directeur d’Indesco le lendemain matin, en vue de développer des partenariats entre l’Indesco, le Cestes (Cnam-France) et l’université de Buenos-Aires (Argentine), visite de Bogota l’après-midi.

La plus grande surprise fut sans doute de découvrir une université coopérative telle que tous les pays du monde peuvent en rêver.

Patricia Toucas-Truyen

L’université coopérative de Colombie

L’université coopérative de Colombie est née en 1958, sous l’impulsion des dirigeants coopératifs Carlos Uribe Garzón et Rymel Serrano Uribe. L’Indesco (Instituto de economía social y cooperativismo) a été reconnu officiellement comme établissement de formation professionnelle et technique par le ministère de l’Education en 1964. Soutenu ensuite par les grandes coopératives colombiennes de deuxième degré, dont Uconal, Coopdesarrollo, Ascoop et Financiacoop, il devient l’organe officiel de formation coopérative, avant d’être reconnu comme université en 1974, puis d’adopter le nom d’université coopérative de Colombie le 20 novembre 1983.

L’université a progressivement étendu son activité pour être présente dans toutes les grandes villes de Colombie (dix-huit à ce jour) et s’adresser à 50 000 étudiants, dont 12 000 à Bogota, dans toutes les disciplines : médecine – l’université coopérative disposant d’hôpitaux –, tous arts et métiers, sciences de gestion, économique et sociale, vétérinaire, etc. Elle salarie 6 000 personnes, dont 1 800 personnels de direction et d’administration et 4 200 enseignants et chercheurs.

L’université coopérative a ouvert, en mars 1995, une antenne à Villavicencio (celle où nous nous sommes rendus), grâce à une convention avec le gouvernement. Les premiers enseignements en administration commerciale, en comptabilité publique et en ingénierie des systèmes ont débuté en août de cette même année. En 1998, l’université a signé un accord de coopération universitaire, scientifique et culturelle avec la ville de Villavicencio pour une durée de vingt ans. Elle peut ainsi développer des programmes de sciences de la santé, de soins médicaux et dentaires et fournir un service de soins de santé à la communauté, en particulier pour les populations les plus pauvres. Fin 2008, l’université coopérative de Colombie achète la clinique de la Sécurité sociale à Villavicencio et constitue la Société coopérative Clinique-Université de la Colombie.

L’université coopérative de Colombie publie de nombreuses revues à caractère scientifique aussi bien en gestion (Estrategias, revista nacional de la Facultad de Ciencias Administrativas, Economicas y Contables), en psychologie (Revista nacional de la Facultad de Psichologia Pensando Psichologia), en pédagogie (Revista nacional de la Facultad de Educación Pedagogia y Lenguajes), en ingénierie (Revista nacional de la Facultad de Ingenieria, Ingeniera Soldaria). Bien entendu, elle abrite toujours en son sein ce qui est sa cellule initiale, Indesco, le laboratoire de recherche spécialisé sur les coopératives, qui publie la Revista Cooperativismo y Desarrollo. La présence d’une telle université fait ressentir à quel point la France, comme bien d’autres pays, manque d’un semblable outil de formation et de recherche, qui s’adresse non seulement aux militants et aux salariés des coopératives, mais également à la société dans son ensemble, favorisant ainsi la transmission des pratiques et des idées coopératives dans tout le corps social.

Jean-François Draperi

Les mutuelles apportent de la valeur à l’Europe

« Mutuals add value to Europe », tel était le thème d’une table ronde organisée le 26 septembre 2012 au Parlement européen, à Bruxelles, par Luigi Berlinguer, député européen du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates, en collaboration avec l’Association internationale de la mutualité (AIM) et l’Association des mutuelles européennes (Amice). Il s’agissait de relancer le dossier du statut de mutuelle européenne, enlisé depuis 2006 faute d’avoir pu surmonter l’obstacle de l’hétérogénéité des réglementations nationales. Or, si depuis six ans l’environnement concurrentiel s’est durci, les effets désastreux de la crise de 2008 ont engendré un consensus autour de la reconnaissance de la valeur du modèle mutualiste.

Rappelons que le Parlement européen a publié, en août 2011, une étude sur « le rôle des mutuelles au xxie siècle » (www.recma.org/node/1403) et a entrepris la rédaction d’un rapport d’initiative législatif sur ce statut, qui fera l’objet d’un vote en 2013. Selon les conclusions de l’étude, un statut européen permettrait de pallier les carences réglementaires qui empêchent l’établissement des mutuelles dans certains pays. Les mutuelles italiennes, par exemple, y gagneraient considérablement, car, en l’état actuel, elles ne peuvent pas mener une activité assurantielle ; un organisme tel Fondo Salute a ainsi dû adopter le statut de société coopérative européenne, mais cela apparaît comme une solution insatisfaisante. Notons toutefois, dans le concert des plaidoyers en faveur d’un statut européen (France, Belgique, Slovénie, Suède, Italie, Portugal), la voix discordante des mutuelles allemandes, qui ne voient qu’une redondance inutile dans l’adoption d’une nouvelle forme légale, voire le risque d’une uniformisation préjudiciable à la capacité mutualiste de prendre en compte les besoins locaux spécifiques.

Quoi qu’il en soit, il ressort des témoignages nationaux que l’intérêt d’un statut de mutuelle européenne ne réside pas dans la possibilité offerte aux mutuelles de développer des parts de marché hors frontières, car non seulement le dogme de la libre prestation de services n’est guère compatible avec la philosophie de l’économie sociale, mais il se heurte aux résistances culturelles et linguistiques. Il s’agit plutôt de renforcer la présence mutualiste à l’intérieur même des espaces nationaux et d’établir des partenariats transfrontaliers, afin de développer les activités. A cet égard, le partenariat établi entre le groupe MGEN et la mutualité socialiste belge Solidaris est tout à fait concluant en termes de services rendus aux adhérents.

En conclusion, un statut commun est attendu pour renforcer les systèmes mutualistes européens. Ce qui ne doit pas constituer un prétexte pour dégager les Etats de leurs responsabilités en matière de protection sociale !

Patricia Toucas-Truyen