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À propos d’une société de tradition orale, il est souvent dit que lorsqu’une personne âgée s’éteint, c’est une bibliothèque qui se perd. La grande connaissance de sa culture fait de Johnny Watt un bel exemple de cet aphorisme. Riche en information, cette biographie suscite aussi des dizaines de questions que plusieurs Inuit et chercheurs voudraient bien poser à cet homme qui a vu son peuple passer d’un mode de vie semi-nomade à la sédentarité. En effet, au Nunavik, les décennies 1940, 1950, 1960 et 1970 furent des moments cruciaux, des années charnières pour les Inuit de cette région. Les changements économiques et sociaux furent rapides, parfois brutaux, sans merci et certainement sans retour en arrière.

On y voit pourtant un Johnny Watt calme et serein devant la tempête. Témoin-participant de la transition qui s’opère inexorablement, il analyse sagement la situation, s’adapte à cette nouvelle réalité tout en gardant et en transmettant à ses enfants les valeurs chères aux Inuit. Né en 1926 à Atsaasijuuq (False River), une rivière un peu à l’est du Kuujjuaq d’aujourd’hui, il a été élevé par sa mère à Kuujjuatuqaq (le Vieux Fort Chimo), situé à quelques kilomètres en aval de Kuujjuaq sur la rive opposée de la rivière Koksoak.

Larry Watt, son fils, et Robyn Bryant, écrivaine et éditrice de cette biographie ont conduit une série d’entrevues de type questions et réponses avec Johnny Watt d’abord à l’été 2005 puis en 2019. En dix chapitres, le livre couvre de manière chronologique la vie de Johnny Watt, de son enfance à Kuujjuatuqaq à sa mort en 2021 à Kuujjuaq. Les auteurs nous présentent un aperçu de ce qu’était la vie autour d’un poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, laquelle était, selon Johnny Watt, presque un gouvernement. Le poste établi en 1830 tenait une grande place dans la vie des Inuit et des Naskapis par l’achat de fourrures, l’aide financière accordée aux femmes dans le besoin, la gestion de la livraison du courrier, la création d’emplois pour quelques Inuit et évidemment par la vente de produits de base comme la farine, le thé, les fusils, les pièges et autres nécessités de l’époque. Au sujet de la livraison du courrier, Johnny Watt mentionne que les Naskapis transportaient, en raquettes, le courrier de Sept-Îles à Kuujjuatuqaq. De là, la Compagnie livrait, par traîneux à chiens, le courrier aux Inuit habitant les rives de la Baie d’Ungava ainsi qu’aux autres postes de traite comme celui de Kangiqsujuaq.

Johnny Watt s’est joint à la Compagnie à l’âge de 14 ans, ce qui lui a permis d’acquérir une petite maison, que les auteurs nomment une maison de modèle « t-shirt ». Puis il y a eu la famine de l’hiver 1940-1941 et l’arrivée des Américains à l’été 1941 pour la construction d’une base militaire qui « employa des familles inuites dans le besoin de Kangirsualujjuaq, Kangirsuk, Aupaluk et Tasiujaq » (p. 41). Ici, il apprécie l’aide des Américains, mais il déplore que les Inuit « perdent leur régime alimentaire qui les a soutenus durant des siècles » (p. 44). En 1947, le gouvernement fédéral introduit les allocations familiales, venant ainsi en aide aux Inuit, et en 1950, le fédéral se charge de toutes les responsabilités jusque-là assumées par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Johnny Watt déplore toutefois que cette prise en charge eût des répercussions négatives pour la société inuite : « L’érosion des valeurs inuites, et parce que les familles recevaient de l’argent en fonction du nombre de personnes au lieu de vivre des ressources du territoire et de gagner de l’argent par la chasse et le piégeage. » (p. 46) Il ajoute que le gouvernement fédéral disait : « Si vous voulez obtenir ces allocations familiales, vos enfants doivent fréquenter l’école. » (p. 47)

Selon lui, l’année 1960 a été la plus difficile. L’abattage des chiens par la police provinciale a été le moment décisif, le coup fatal qui a irrémédiablement mis fin au mode de vie semi-nomade. Sans moyens de transport, le territoire devenait inaccessible. L’acquisition d’une motoneige, une nouveauté au Nunavik en 1960, était hors de portée pour la grande majorité des gens.

Par la suite, Johnny Watt nous entretient des valeurs inuites, de l’évolution rapide de la communauté de Kuujjuaq, de son élection à titre de premier maire en 1980 et de sa réélection jusqu’en 1991, et enfin de son rôle dans la création de la Northern Quebec Inuit Association ainsi que dans les négociations de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Pour les férus d’histoire du Nunavik, que vous soyez Inuk, Qallunaq, ou encore chercheurs en sciences sociales s’intéressant tout particulièrement au processus de sédentarisation, cette biographie, rédigée en anglais et en inuktitut, est un incontournable. On y retrouve de précieux renseignements au sujet de cette transition du semi-nomadisme à la sédentarité par un homme qui l’a vécue. Pour lui, ce n’étaient pas des concepts, mais son quotidien. Il nous décrit très bien ce passage et nous fait voir comment lui, en tant qu’individu, s’est adapté aux changements. Il n’en a pas été de même pour tous.