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L’oeuvre poétique d’Alfred DesRochers (1901-1978) a été analysée sous toutes ses coutures grâce à ses archives conservées au Centre d’archives de l’Estrie de BAnQ. Plus de quatre mètres linéaires et demi de documents permettent d’exposer la genèse de son parcours poétique. Citons son extraordinaire et vaste correspondance avec des personnalités littéraires de l’époque (notamment avec Claude-Henri Grignon et Germaine Guèvremont), ses tapuscrits, ses oeuvres publiées et sa multitude de carnets.
Mais le fonds Alfred DesRochers n’a pas encore livré tous ses secrets. À ce jour, la correspondance personnelle de l’auteur reste inexploitée. Parmi celle-ci, notons les lettres de Clémence DesRochers (1933- ) à son père, Alfred, écrites entre 1950 et 1976. Les premières missives témoignent de ses ambitions de carrière, de ses études et de ses débuts dans le milieu artistique montréalais. Tantôt enjouée par ses nouvelles collaborations, tantôt déprimée par un téléphone qui ne sonne pas, Clémence donne à sa correspondance un ton toujours spontané, à l’image même du personnage. La ligne conductrice de toutes ces lettres demeure la profonde tendresse qu’elle voue à son père.
Heureux de cette richesse épistolaire, les chercheurs seront enchantés d’apprendre cette grande nouvelle : le Centre d’archives de Montréal de BAnQ s’est récemment porté acquéreur du fonds d’archives de Clémence DesRochers. Humoriste, poète et artiste, celle-ci a en effet confié à BAnQ ses précieux carnets d’écriture dans lesquels s’entremêlent confidences, réflexions, notes de création, itinéraires de voyage et notes de tournées. Ces 72 cahiers permettent ainsi d’accéder à son processus de création au cours des années 1975 à 2006. On y trouve des textes pour différents projets de spectacles (De retour après la ménopause, J’ai show !, Le derrière d’une étoile, etc.), de chansons (Chanson pour quelqu’un, Fleurs gelées, Vie à part, etc.) et de poèmes (Des rides mon amour, etc.). Dans ces pages, on découvre de nombreux textes inédits enrichis à l’occasion de croquis de l’artiste. De quoi faire plaisir aux amoureux de cette grande dame de l’humour.
Au début des années 1950, Clémence DesRochers étudie à l’école normale Marguerite-Bourgeoys pour devenir « maîtresse » d’école, profession des plus conventionnelles qui ne l’enchante guère. Fort éclairée en ce qui concerne ses aptitudes, elle écrit à son père : « Il y a deux choses que je sais faire : des compositions et jouer de la baseball [1]. » Au recto de la même lettre, elle écrit cette confidence : « Mon rêve à moi, mon grand rêve que j’ai rêvé toute ma vie (je lis Péguy), c’est de devenir actrice un jour. Mais dis-le pas à personne papa, parce qu’ils riraient de moi. » Pourtant, c’est ce qui fera sa renommée : faire rire une nation entière, grâce notamment à ses monologues.
Après l’obtention de son diplôme au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Clémence DesRochers tente sa chance dans le milieu artistique montréalais. Elle construit son réseau de contacts, court les auditions, obtient quelques rôles et quelques passages à la télévision. Mais l’argent se fait rare. En décembre 1956, impatiente de devoir attendre l’appel qui lancera enfin sa carrière, elle prend sa destinée en main et écrit à son père : « Maman t’a sans doute dit que je préparais des numéros pour un cabaret. Parfois je suis pleine de confiance et parfois, surtout quand je vois des grands acteurs au cinéma ou ailleurs, la frousse me prend. Je pense qu’il ne faut pas se comparer aux autres et essayer de dire à sa manière ce que l’on veut absolument dire. »
Depuis près de 50 ans, Clémence DesRochers séduit son public avec des textes à la fois provocateurs et touchants. Après des débuts avec la troupe La Roulotte de Paul Buissonneau, elle obtient quelques rôles à Radio-Canada. Vient ensuite la longue aventure des boîtes à chansons, où elle présente ses monologues. Le fonds d’archives de l’artiste se compose de cahiers dans lesquels les chercheurs peuvent accéder au processus de création de quelques-uns des spectacles, par exemple J’ai show ! (1987). Ces carnets documentent le contenu, l’organisation et la mise en forme des spectacles. On y trouve différentes versions de monologues, des chansons, des textes d’enchaînement, des notes de mise en scène ainsi que des précisions relatives aux décors et aux costumes.
Clémence DesRochers a publié quelques recueils de poèmes, partageant l’amour de la poésie de son père et utilisant, tout comme lui, le carnet pour laisser libre cours à sa passion. Ces carnets dévoilent ainsi un très grand nombre de poèmes, dont plusieurs inédits. Un thème que semble affectionner l’auteure est la nature et la vie autour du lac, tel qu’abordé dans son poème J’ai fait comme si. Quelques rares poèmes sont accompagnés de croquis de l’artiste. Le fonds est également riche d’autres précieux carnets dans lesquels s’entremêlent notes de création, réflexions personnelles, journal de voyage et notes sur ses activités quotidiennes, qui permettent de comprendre ses sources d’inspiration et ses préoccupations.
Appendices
Notes biographiques
Julie Roy
Julie Roy est titulaire d’un baccalauréat en études françaises et d’un certificat en archivistique. Elle travaille dans le domaine de l’archivistique québécoise depuis 1997. Employée de Bibliothèque et Archives nationales du Québec depuis 2006, elle occupe le poste d’archiviste-coordonnatrice au Centre d’archives de l’Estrie. Madame Roy a publié un article dans la Revue d’histoire de la Côte-Nord (2000) et quatre autres articles, portant sur les archives, dans la revue À rayons ouverts (no 74, hiver 2008 ; no 77, automne 2008 ; no 78, hiver 2009 ; no 87, automne 2011).
Hélène Fortier
Hélène Fortier est titulaire d’une maîtrise de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Elle travaille dans le domaine de l’archivistique québécoise depuis près de 10 ans. À l’emploi de Bibliothèque et Archives nationales du Québec depuis 2008, elle occupe un poste d’archiviste-coordonnatrice au sein de la Direction générale des archives. Hélène Fortier a publié deux articles sur des fonds d’archives d’écrivains, le premier dans la revue Littoral (no 5, 2010) et le second dans À rayons ouverts (no 86, printemps-été 2011).
Note
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[1]
Clémence DesRochers, [Lettre à son père, Alfred DesRochers], 1950, verso. BAnQ, Centre d’archives de l’Estrie, fonds Alfred DesRochers (P6).