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À la mémoire de Joseph Dominique[2]

Depuis quelques années est apparu un concept qui empoisonne les relations entre nations et entre communautés autochtones. Il s’agit de ce qui est appelé « chevauchement » (territorial). L’idée qui est à la base de ce concept est que les territoires, que ce soient ceux des familles, des communautés ou des nations, ne sont pas délimités avec précision, si bien qu’ils comportent des zones floues sur leurs pourtours. Le terme « chevauchement » vient à la rescousse de ceux qui veulent gérer cette situation soi-disant approximative. Il signifie que les détenteurs du territoire A peuvent exercer leurs activités sur une partie du territoire B de leur voisin et vice-versa, ce qui laisse entendre que chacun possède des droits identiques aux siens propres sur des territoires autres que le sien. D’où les difficultés que l’on peut imaginer lorsqu’il s’agit de négocier avec les gouvernements ou de revendiquer des droits devant les tribunaux.

Ayant travaillé avec des Innus de plusieurs communautés sur l’histoire de leur occupation territoriale (itinéraires, portages, campements de base, zones de chasse, sites de pêche et de cueillette, sentiers de piégeage, lieux de naissance, de décès et de sépulture, lieux de rendez-vous et de séparation, lieux de rencontre d’autres familles, innues ou non, etc.)[3], et l’idée de possibles chevauchements n’étant pas apparue au cours des entrevues auxquelles j’ai participé, il m’a semblé utile d’essayer d’en débusquer l’origine dans la documentation écrite. Dès le départ, j’aimerais cependant préciser les limites de ma démarche. En premier lieu, il ne sera question ici que des cultures des Algonquiens du Québec vivant actuellement au nord du Saint-Laurent (Innus, Cris, Naskapis, Atikamekw, Algonquins), ce qui signifie que je ne préjuge en rien de ce qui se passait, ou se passe toujours, chez les nations non algonquiennes du Québec non plus que chez les autres nations algonquiennes du Nord-Est ou même de l’ensemble de l’Amérique du Nord. En second lieu, je ne tiendrai compte pour l’instant que des informations portant sur la période allant du xviie siècle jusqu’au milieu du xxe, soit avant que surviennent les grands bouleversements de la deuxième moitié de ce siècle (pensionnats, affermissement de la sédentarisation, construction de nouvelles voies de communication, travail salarié…) et avant que ne prennent effet les diverses mesures gouvernementales (système des réserves à castors, politique de négociation des revendications territoriales, Convention de la Baie James et du Nord québécois et Convention du Nord-Est québécois…), autant de changements qui ont marqué les liens des Algonquiens avec leurs territoires. Enfin, je ne prétends pas, ici, définir ou cartographier les territoires des uns et des autres tels qu’ils se présentaient au cours des siècles passés. Certains l’ont tenté et continuent à le faire en se basant, notamment, sur les écrits du Régime français, mais je suis d’accord sur ce point avec Paul Charest qui spécifie que ces écrits sont généralement assez vagues quant à la localisation des groupes mentionnés et que les cartes anciennes ne font que situer des gentilés de façon approximative (et j’ajouterais souvent contradictoire) sans délimiter les territoires de ces groupes. « Dans ce contexte, écrit-il, tracer des frontières précises entre des groupes relève d’une certaine haute voltige cartographique » (Charest 2001 : 40).

Sans chercher à situer ces limites elles-mêmes, ma préoccupation est de savoir si les sources écrites dont nous disposons indiquent que les Algonquiens ont conçu leurs territoires comme étant bien délimités ou comme pouvant empiéter les uns sur les autres. Dans un deuxième temps, j’examinerai les modalités d’un système qui aurait supposé, ou non, des frontières claires entre les groupes. Et je conclurai sur l’origine appréhendée du concept de « chevauchement ».

Des limites territoriales connues de tous[4]

Péages sur les voies commerciales

Au début du xviie siècle, les écrits de Gabriel Sagard, récollet, puis ceux des pères jésuites nous informent sur la pratique de différents peuples qui consiste à exiger des droits de passage de ceux qui traversent leurs territoires. Le cas le plus connu est sans doute celui des Kichesipirinis, un groupe algonquin de l’île aux Allumettes qui, à partir d’une petite île voisine (l’île Morrison), contrôlait la rivière des Outaouais.

Le voyage de 1613 [de Champlain chez les Algonquins de la rivière des Outaouais] nous révèle […] que Tessoüat et son groupe défendent jalousement l’accès à leur territoire. Champlain en prend d’ailleurs pleinement conscience puisque Tessoüat lui refuse sournoisement le droit de passage et l’oblige à retourner sur ses pas.

Parent 1985 : 181

Tessouat mit en effet tout en oeuvre pour dissuader Champlain de rejoindre les Nipissingues qui auraient pu lui donner accès à la région de la baie James et à d’autres producteurs de fourrures. Il s’agissait, pour les Kichesipirinis, de prendre appui sur la situation de leur territoire pour contrôler la circulation sur la rivière des Outaouais. Ils s’attachaient non seulement à empêcher les Français de la remonter, mais aussi à empêcher les Hurons de la descendre et d’ainsi rejoindre le fleuve Saint-Laurent (Parent 1985 : 182) pour aller commercer à Québec. Chamberland et ses co-auteurs écrivent :

Le récit de ces événements prouve à quel point le contrôle des voies fluviales avait de l’importance sur l’échiquier du commerce et des alliances entre les peuples algonquins et leurs voisins.

Chamberland et al. 2004 : 24 ; pour le récit de ces événements, voir aussi Trigger 1991 : 276-281

On se rappellera que Jacques Cartier se heurta, lui aussi, à de fortes tentatives de dissuasion de la part de Donnacona lorsqu’il annonça qu’il voulait remonter le Saint-Laurent et se rendre à Hochelaga (Cartier 1981 [1545] : 185-189). Comme l’écrivent Roland Tremblay et Claude Chapdelaine, les Iroquoiens de Stadaconé comptaient vraisemblablement conserver le contrôle qu’ils exerçaient sur cette voie d’eau :

Cartier laisse […] entendre qu’il partira bientôt visiter cet Hochelaga où ses deux guides ont promis de l’amener. Sa déclaration indispose les Stadaconiens, qui doivent craindre de perdre leur positionavantageuse d’intermédiaires économiques et politiques auprès des autres groupes. […] ils signalent à plusieurs reprises leur mécontentement […].

Tremblay et Chapdelaine 2006 : 105

De la même façon, les écrits du début du xviie siècle relatent que les Montagnais[5] de Tadoussac verrouillèrent l’accès au Saguenay pendant une cinquantaine d’années au moins, empêchant tant les autres nations amérindiennes que les Français de circuler sur cette rivière qui pouvait « conduire, par le lac Mistassini et la rivière Rupert, jusqu’à la baie James » (Parent 1985 : 243). Dans le cas des Montagnais aussi, cette façon de faire est interprétée comme indiquant leur volonté de rester, sur leur territoire, les maîtres du commerce avec les Français et de conserver leur rôle d’intermédiaires entre ceux-ci et les nations amérindiennes de l’intérieur des terres.

Un autre exemple du phénomène de verrou à l’entrée des territoires est signalé dans la région de Québec que les ancêtres des Innus considéraient comme la limite occidentale de leur pays (Parent 1985 : 239). Les jésuites Le Jeune et Vimont constatent que Québec est en territoire montagnais et que ce fait permet aux détenteurs du lieu d’exiger un droit de passage des nations qui veulent commercer avec les Français. Sagard, déjà, avait relaté comment, alors qu’il arrivait avec des Hurons à proximité de Québec (en juillet 1624), ses compagnons et lui furent arrêtés à deux reprises par les Montagnais qui « voulaient à toute force [les] contraindre […] de leur donner une partie de leur blé et farine, comme étant dû, disaient-ils, à leur capitaine, pour le passage et entrée dans leurs terres » (Sagard 1990 [1632] : 353 ; voir aussi 350-351).

C’est aussi en raison du fait que les Montagnais étaient chez eux à Québec que le gouverneur Montmagny leur demande, en 1637, d’intervenir pour empêcher la venue à Québec des Abénaquis qui faisaient des échanges commerciaux avec les Anglais (Relations des Jésuites 1972 [1637 : 86]). Il est donc question qu’un chef montagnais « bouche » la rivière Chaudière qui était la voie empruntée par les Abénaquis pour se rendre à Québec (Parent 1985 : 241).

Ces exemples, qui nous informent sur le contrôle que pouvaient exercer différentes nations sur les voies fluviales par lesquelles circulaient les biens vendus et obtenus des Français, indiquent bien la capacité de ces nations à imposer leurs règles à l’entrée de leurs territoires. On peut donc affirmer qu’il existait autrefois des bornes de péage ou des postes frontaliers entre les territoires nationaux.

Preuves de l’existence de limites territoriales

xviie siècle

Ces bornes n’étaient pas installées seulement sur les grandes voies fluviales et commerciales (Saguenay, Chaudière, Saint-Laurent, rivière des Outaouais…) mais plus généralement sur tout chemin qui permettait de pénétrer dans le territoire reconnu comme étant celui d’un groupe spécifique. Les pères jésuites racontent comment ils devaient changer de guides pour passer du territoire d’une nation à celui d’une autre. C’est ce qui arrive au père Albanel en 1672 tandis qu’il tente d’atteindre la baie James. Étant parvenus à la limite entre le territoire des Montagnais et celui des Mistassins, ses guides montagnais refusent d’aller plus loin. Le jésuite réussit à recruter des guides mistassins et continue son voyage avec eux, mais bientôt il se fait dire d’attendre car, pour aller plus avant, il doit obtenir l’autorisation du maître de la région. Celui-ci doit donc être consulté. Et le père Albanel – impatienté, mais qui se résout à offrir des présents tout en indiquant bien aux Mistassins qu’il s’agit de cadeaux et non de l’acquittement d’un péage – de remarquer :

Ce n’est pas d’aujourd’huy que les Sauvages, par une maxime de leur politique ou de leur avarice, sont extremement réservez à donner passage par leurs rivieres aux estrangers, pour aller aux Nations éloignées. Les rivieres leur sont ce que sont aux François leurs champs, dont ils tirent toute leur subsistance, soit pour la pesche et la chasse, soit pour le trafic.

Relations des Jésuites 1972 [1672] : 47

Déjà, trente-cinq ans plus tôt, le père Le Jeune écrivait que les Montagnais

[…] ont une coustume assez remarquable : quand quelques autres nations arrivent en leur pays, elles n’oseroient passer outre sans la permission du Capitaine du lieu, autrement on briseroit leurs canots. Cette permission de passer se demande les presens à la main ; si le Capitaine n’agrée pas leurs presens, n’aiant pas envie de les laisser passer, il leur dit qu’il a bouché les chemins, et qu’ils ne sçauroient passer. A ces paroles, il faut rebrousser chemin ou se mettre en danger de guerre.

Relations des Jésuites 1972 [1637] : 86

Sagard, de son côté avait expliqué que, chez les Hurons, tous les biens obtenus, que ce soit à la guerre, lors de traités de paix, par le rachat de prisonniers, par les « péages des nations qui passent sur leurs terres » ou autrement, sont mis de côté et confiés à l’un des chefs. Ainsi, lorsqu’il est nécessaire de faire des présents pour éviter la guerre ou pour tout autre « service du public », le conseil des chefs peut puiser dans ces réserves (Sagard 1990 [1632] : 351). D’après lui, le péage était donc une taxe dont le produit servait au bien de la collectivité.

Ces quelques informations permettent de dire qu’il existait au xviie siècle un principe de géopolitique et d’économie fondamental, et accepté par tous, selon lequel, comme l’écrit Bruce Trigger, nul n’avait le droit de circuler sans autorisation sur le territoire d’autrui (Trigger 1991 : 205). Encore fallait-il que chacun sache quelles étaient les frontières de son propre territoire et de celui de son voisin. Ce qui m’amène à conclure qu’aux premières heures du contact, et probablement bien avant, les nations du nord-est de l’Amérique du Nord convenaient entre elles des limites de leurs territoires et veillaient à ce qu’elles soient respectées. Ces limites étaient reconnues par chacune des nations et connues des Français.

[…] le respect de l’intégrité du territoire national demeure un des fondements politiques d’une nation de nomades amérindiens. Sur ce sujet, même si les Français s’arrogent le droit de circuler sur l’ensemble du territoire, les Amérindiens continuent de respecter l’intégrité du territoire de leurs voisins.

Parent 1985 : 923 ; en partie cité dans Charest 2011 : 52

Cela, bien sûr, ne signifie pas que ces frontières n’étaient jamais transgressées, mais elles ne pouvaient l’être sans justification. De plus, cette règle s’appliquait aussi aux territoires fréquentés par des groupes de familles. Scrutant de près les Relations des Jésuites, Speck et Eiseley (1939 : 274) repèrent des indications sur l’existence du concept de limite territoriale dans les écrits du père Le Jeune. On trouve en effet, dans la relation de 1634, les expressions « jusque sur nos marches[6] », « sur nos limites » (Le Jeune 1999 [1634] : 218, 221). Plus de vingt ans auparavant, Speck (1917 : 90), cherchant des preuves de l’existence de territoires familiaux, avait aussi fait référence à la relation de 1648. Dans celle-ci, le père Druilletes (aussi écrit Drouilletes) utilise l’expression « courir sur les marches d’autrui ». Dans ces deux cas, les pères jésuites s’étonnaient que des familles montagnaises puissent se permettre de pénétrer dans les aires de chasse de leurs voisins et, surtout, que ceux-ci les accueillent et leur offrent de la nourriture au risque de se priver eux-mêmes de leurs maigres ressources. En fait la famille hôte respectait, à l’égard de voisins affamés, la coutume de l’hospitalité et du partage et ce, quel que soit son propre dénuement. Quoique minces, ces indications laissent entendre qu’au xviie siècle l’idée d’aires de chasse délimitées et attribuées à des familles existait chez les Montagnais. Pour ces nations amérindiennes pourtant dites « nomades », la transgression des limites du territoire de l’autre relevait de l’appel au secours et non de la normalité.

xviiie et xixe siècles

Il faudrait faire une recherche plus approfondie pour suivre l’évolution du concept de limites territoriales et traquer celui de chevauchement au cours des siècles. Mentionnons brièvement les remarques de Toby Morantz qui, en signalant de rares exemples d’empiétement sur des territoires voisins au xviiie siècle, confirme l’existence de frontières entre les territoires. Ces transgressions, dont la plus ancienne, à sa connaissance, est rapportée en 1745, concernent des territoires familiaux de Cris de la Baie James et sont relatées dans les livres de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Elles soulèvent l’indignation de ceux qui les subissent, ce qui prouve bien que les limites de leurs territoires étaient précises et connues et qu’en les transgressant leurs voisins les frustraient de leurs droits. Cependant, ce qui était considéré alors comme un crime était un phénomène relativement rare. L’un des commis de la Compagnie de la Baie d’Hudson cité par Morantz affirme que c’est la première fois, en vingt ans passés à Moose et à Albany, qu’il entend parler d’un tel empiétement et de vol sur le territoire d’un autre (Morantz 1986 : 71-72). Et Morantz conclut ainsi sa section sur ce type de transgression :

Ce qui est relaté en 1745 dans le rapport du poste d’Eastmain indique que, pour les Cris de cette époque, le fait qu’il puisse y avoir intrusion illégale supposait qu’il existait des droits exclusifs de chasser ou de faire du piégeage sur un territoire déterminé et ce, même si un étranger traversant ce territoire avait le droit, en cas de nécessité, d’y prélever un animal pour se nourrir. Tous les extraits cités indiquent que les concepts de propriété [property] et de violation de celle-ci par intrusion existaient chez les Cris au xviiie siècle. Si cela n’avait pas été le cas, les chasseurs ne se seraient pas plaints d’avoir subi empiètements et vols. Le fait qu’ils manquaient de moyens pour empêcher ces violations de leurs droits ne signifie pas que ceux-ci n’existaient pas ni qu’ils n’étaient pas [généralement] observés.

Morantz 1986 : 72 ; ma traduction

De la même façon, un récit de voyage de 1761 cité par John Cooper indique que, chez les Algonquins du lac des Deux Montagnes, les familles exploitaient des territoires qui leur étaient propres et considéraient comme une offense grave le fait de franchir les limites du territoire d’une autre famille pour y chasser :

Ces terres sont subdivisées et partagées entre leurs différentes familles à qui elles sont dévolues par héritage. J’ai aussi appris qu’ils sont extrêmement stricts quant aux droits de propriété [property]. À cet égard, ils considèrent toute intrusion dans leurs territoires comme une infraction suffisamment grave pour justifier la mort du fautif.

Cooper 1939 : 73, citant Alexander Henry ; ma traduction

Jacques Leroux, et ses coauteurs, quant à eux, citent un premier chroniqueur de la fin du xixe siècle selon qui les Algonquins du lac Abitibi « sont familiers avec les limites de leurs domaines respectifs » et un second qui, en 1902, écrit que, pour les Algonquins du lac Barrière et du Grand lac Victoria, chasser des animaux à fourrure sur le territoire de son voisin serait considéré comme un vol (Leroux et al. 2004 : 17).

Si les écrits du xviie siècle font essentiellement référence aux territoires des nations, nous voyons qu’il est question, dans ces textes des xviiie et xixe siècles, de territoires familiaux. Cependant Lucien Turner, qui écrit à la fin du xixe siècle, remarque à propos des Naskapis, des Cris et des Montagnais :

Ces trois tribus ont des frontières précises qui ne sont franchies que rarement. Récemment pourtant une migration progressive s’est faite [sic] sentir vers l’Ungava à cause de la diminution des ressources sur la côte de la baie d’Hudson.

Turner 1979 [1894] : 125

Turner expose donc un principe (l’existence des limites territoriales) et souligne aussitôt que, lors de circonstances extraordinaires, celui-ci peut ne pas être respecté. Dans son mémoire sur les relations économiques entre les Naskapis et la Compagnie de la Baie d’Hudson entre 1830 et 1870, Sigfrid Tremblay permet de mieux comprendre cette question. Il remarque que, si les membres des trois bandes naskapies qui furent identifiées au xixe siècle pouvaient circuler sur les territoires les unes des autres, il n’en allait pas de même des autres nations :

[…] lorsqu’une bande de l’est de la baie James vint chasser dans l’Ungava pendant l’hiver 1843-1844, la population locale afficha son désaccord. Pour atténuer les tensions, le commis [… de la Compagnie de la Baie d’Hudson] proposa d’organiser un festin et de fumer la pipe « not of peace but of Friendship ». Le territoire était donc commun aux trois bandes mais néanmoins exclusif, en principe, aux Naskapis.

Tremblay 2007 : 76 ; les soulignés sont dans le texte cité par l’auteur

Revenons aux territoires familiaux brièvement évoqués dans les écrits des xviiie et xixe siècles, car c’est à eux que s’intéresseront surtout les anthropologues de la première moitié du xxe siècle.

xxe siècle

Je n’ai pas l’intention de m’inscrire dans un débat qui a commencé en 1915 à propos de l’origine – pré ou post commerce des fourrures – des territoires de chasse. Cependant, les observations de ceux qui ont visité les Algonquiens du Québec et du Labrador dans la première moitié du xxe siècle peuvent fournir quelques informations sur la question des limites des territoires de chasse familiaux et des territoires de bandes.

Speck, en 1915, touche à la question que nous posons ici en s’élevant contre l’idée que les Autochtones n’ont pas de liens avec les terres qu’ils habitent et ne s’intéressent pas à la notion de délimitation du territoire. Pour lui, au contraire, chez les Algonquiens,

Il est certainement très significatif que ces terres aient été transmises par héritage familial depuis longtemps et que leurs limites précises aient été bien connues non seulement de leurs possesseurs mais aussi des groupes voisins.

Speck 1915 : 289 ; ma traduction

Dans sa définition classique du groupe de chasse algonquien en tant que gestionnaire du territoire familial, il indique :

Les limites quasiment précises de ces territoires étaient connues et admises par tous, et leur violation qui, à vrai dire, se produisait rarement, pouvait faire l’objet d’une sanction sommaire.

Speck 1915 : 290, voir aussi Deschênes 1981 : 210 ; ma traduction

Les limites, chez les Innus comme chez les autres Algonquiens, sont déterminées par une rivière, un lac, la ligne de crête d’une région montagneuse… (Speck 1915 : 293 ; Lips 1947 : 427). Quelques années plus tard, Speck travaillera de plus près avec les Innus et remarquera que les chasseurs ont des connaissances géographiques considérables, ce qui sera également observé par Leacock dans les années 1950 (1969 : 5-8) et que j’ai largement pu constater à mon tour en travaillant sur la question territoriale innue. Speck remarquera, d’autre part, que les Innus peuvent situer les limites des territoires des différentes bandes ainsi que celles des territoires familiaux (Speck 1931 : 573 ; Speck et Eiseley 1942 : 217), observation que j’ai également pu faire au cours des dernières années. Ces savoirs des Innus et autres peuples algonquiens sont à la base des cartes produites par Speck et qui sont encore largement utilisées.

D’autres chercheurs comme Davidson chez les Algonquins (1928 : 82-83), Cooper chez les Atikamekw (1939 : 66, 68), Lips chez les Innus du Lac-Saint-Jean et les Cris de Mistissini (1947 : 398) reprennent l’idée que le pourtour du territoire familial et celui de la bande sont généralement bien définis et que les limites sont respectées par les familles et les bandes voisines. Même Leacock, qui pense qu’au xviie siècle les limites entre les territoires des bandes étaient vagues et relevaient tout au plus d’un accord tacite permettant une répartition équilibrée des familles dans une région donnée (Leacock 1954 : 7), constate que, chez les Naskapis chasseurs de caribous, des limites traditionnelles avec les bandes voisines ont été observées au tout début du xxe siècle : « Naturellement, ces limites traditionnelles au territoire de leur bande se seraient désintégrées en présence de famines, mais l’important est le fait que ces limites existaient » (ibid. : 5 ; ma traduction), ce qui peut être mis en parallèle avec les observations mentionnées plus haut, à propos des Naskapis du xixe siècle.

Les anthropologues qui prendront la relève à partir des années 1970 vont raffiner les questions concernant les territoires de chasse et tenter surtout de comprendre comment fonctionne le système de leur répartition et de leur gestion. De nouveau, je ne veux m’inscrire dans un débat qui, cette fois, concerne davantage la nature du territoire de chasse que son origine. Les nouvelles définitions des unités spatiales font la distinction entre un discours idéologique tenu par les Algonquiens et selon lequel ils circulaient librement et pouvaient chasser où bon leur semblait (Tanner 1971 : 79 ; Mailhot 1985 : 11), et la façon dont se concrétisait dans les faits leur répartition sur leurs terres. En ce domaine, deux chercheurs en particulier ont fait avancer la réflexion : Tanner en mettant l’accent sur les relations des chasseurs avec les animaux et Mailhot en démontrant que ce sont plutôt les relations familiales qui sont la clef de l’accès au territoire. Tout en précisant les dimensions religieuses et sociales de la territorialité, ces auteurs doivent aussi faire face à la question de la délimitation des territoires.

Tanner, qui préfère parler de « zones de chasse » peu définies plutôt que de « territoires de chasse », affirme que, l’idéologie des Cris de Mistissini mettant l’accent sur les animaux plutôt que sur la terre, la question de la définition des frontières est éliminée (Tanner 1973 : 112). Pourtant l’auteur parle de la transmission d’un « titre » sur les territoires eux-mêmes :

Si nous examinons la façon dont fonctionne, sur le long terme, le système des territoires de chasse de Mistassini, il nous apparaît comme un mélange d’éléments propres au système des territoires de chasse [familiaux] et au système d’attribution [allotment] des terres. La tenure des terres chez les Cris de Mistassini est double : d’une part c’est un système de possession [ownership] en ce sens qu’il comporte le concept d’un « titre » hérité et, d’autre part, il est similaire à un système d’attribution en ce sens que les maîtres des territoires, lors des rassemblements d’été, discutent de leurs projets pour l’hiver suivant afin que leurs activités n’empiètent pas les unes sur les autres. De plus, chacun n’identifie que la localisation des pièges qui se trouvent à la lisière de ce qu’il considère être son territoire, afin d’avertir ses voisins de sa présence. Ces données suggèrent que les gens ne se représentent pas de façon claire et nette les limites de ces territoires.

Tanner 1979 : 185-186 ; ma traduction

Tanner précise que, chez les Cris de Mistissini, au moins sur le court terme, les chasseurs reconnaissent que chacun possède un territoire et évite d’utiliser ceux de ses voisins (ibid. : 194) ; ils soulignent le fait que, si les ententes conclues entre les chasseurs chaque été ne sont pas respectées, des problèmes s’ensuivent (1973 : 112). En réalité, il semble bien que ces échanges d’informations visaient non pas à rappeler les limites des territoires à des chasseurs qui n’en auraient eu qu’une vague idée, comme le suggère Tanner (1979 : 186), mais plutôt, compte tenu de l’exploitation rotative pratiquée par les Cris, à indiquer les régions de son propre territoire où chacun comptait chasser l’hiver suivant (Scott et Morrison 2005 : 44). Scott et Morrison, qui se sont penchés sur le mode de tenure des terres des Cris de Waskaganish et de leurs voisins, estiment que les Cris de cette région sont retournés régulièrement sur leurs territoires familiaux pendant des siècles et écrivent :

Bien que ce système d’utilisation du territoire ait subi des modifications dans sa relation aux institutions extérieures, il n’y a aucune raison particulière de penser que son ordre interne a beaucoup changé jusqu’aux années 1970.

Scott et Morrison 2004 : 24

Il n’y a donc pas lieu de croire que la question des frontières soit éliminée. Tout au plus pourrait-on penser que les conventions entre familles sont régulièrement actualisées et ce, en tenant compte à la fois de l’appartenance territoriale et des circonstances écologiques. Ce qui paraît clair, en ce qui a trait aux Cris, c’est que, si l’on pense exploitation rationnelle du territoire, le chevauchement est un non-sens. Feit, qui a étudié les conséquences des feux de forêt sur la nécessité d’accueillir sur d’autres territoires les familles qui n’ont plus l’usage des leurs et ce, tant que la végétation n’y a pas repoussé et que la faune n’y est pas revenue, indique que, dans cette situation d’urgence, la préoccupation première est qu’il n’y ait pas de chevauchement entre les aires exploitées par chacun des groupes (Feit 2004 : 16).

Pour ce qui est des Algonquins, Leroux et ses coauteurs remarquent qu’à Kitcisakik,

[…] la plupart des vieux trappeurs se représentent très nettement les limites des territoires de chasse adjacents au leur, et […] certains d’entre eux […] ont une connaissance générale des terrains de chasse de la bande […].

Leroux et al. 2004 : 213

Ces auteurs soulignent la stabilité de ces limites :

Une grande stabilité des frontières ou, à tout le moins, une évolution morphologique respectant un plan d’ensemble […] que l’on pourrait […] faire remonter à un plan préexistant à la fin du xixe siècle, caractérise donc l’occupation territoriale des gens de Kitcisakik durant le xxe siècle.

ibid.

Bien sûr, les règles de la répartition des familles sur le territoire ne sont pas partout les mêmes. Des travaux effectués dans presque toutes les communautés innues au début des années 1980 ont permis de mieux comprendre ce qui avait été indiqué déjà par les chercheurs précédents, c’est-à-dire que l’unité spatiale de base n’est pas toujours gérée par la famille, mais peut l’être par la bande (Vincent 2010 : 141-143) ou par une section de celle-ci (Mailhot 1993 : 148-150). Généralement, les auteurs attribuent au type de gibier principalement chassé dans une région donnée le type de régime foncier qui y prédomine. Les groupes qui vivent essentiellement du castor, de l’orignal ou du caribou forestier et de l’ours, animaux qui sont sédentaires ou du moins ne se déplacent qu’à l’intérieur de territoires relativement restreints, privilégient une gestion familiale des territoires de chasse. Ceux qui vivent essentiellement du caribou de la toundra, animal beaucoup plus nomade, privilégient une gestion plus collective du territoire (voir Mailhot 1993 : 138-139). Entre ces deux modèles, on peut trouver des ajustements qui allient l’un et l’autre selon les saisons (Vincent 2010 : 140-143).

Ajoutons que la recherche sur la notion de territoire effectuée par Mailhot et Vincent en 1980 montre bien l’existence de ces frontières. Ainsi, l’une des personnes dont les dires ont été rapportés indique que Watt, le gérant de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui descendit de Fort Chimo (aujourd’hui Kuujjuaq) à Sept-Îles, fut pris en charge tour à tour par les membres des bandes dont il devait traverser les territoires (Mailhot et Vincent 1980 : 143). Les règles mentionnées par les jésuites au xviie siècle en ce qui a trait à la traversée des territoires existaient donc toujours au début du xxe. Plusieurs citations qui figurent dans cette étude sur la notion de territoire chez les Innus indiquent que les gens de Matamekush–Lac-John ont une idée précise des limites qui séparent leur territoire de celui des Naskapis et que les gens de Mashteuiatsh (autrefois Pointe-Bleue) pouvaient dire que les Cris de Mistissini « ne se rendaient pas plus [loin] à l’intérieur des terres parce que [… ils] savaient que c’était le territoire de chasse des gens de Pointe-Bleue » (ibid. : 144).

Dans mes travaux plus récents, j’ai eu l’occasion de constater que des Aînés, réunis devant des cartes et mettant leurs connaissances en commun, ont pu tracer avec précision le pourtour du territoire de leur communauté. Les Aînés expliquent que, tout en ayant circulé sur les territoires des bandes voisines, qu’elles soient innues, cries ou naskapies, ils n’ont jamais considéré qu’ils y étaient chez eux. Par ailleurs, les Innus racontent comment des Naskapis ou des Cris se perdaient quand ils circulaient en territoire innu. Témoignant devant le Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien[7], Mathieu André disait :

Je vous ai montré sur la carte le territoire que couvraient anciennement les Naskapis. Plus bas sur la carte, vous avez tout le territoire couvert par les Montagnais de Sept-Îles et de Schefferville. Je me pose la question à savoir comment cela se fait-il que les Naskapis de Schefferville se sont perdus justement dans ces territoires-là qui supposément étaient leurs territoires.

Canada 1977 : 25

S’il ne fait aucun doute que les Innus connaissent les limites de leurs territoires et celles des nations et bandes voisines, qu’en est-il des territoires familiaux qui, nous l’avons mentionné plus haut, sont mieux établis au sud et au sud-ouest du territoire innu ?

Placé devant une carte, un Innu de Sept-Îles pouvait dire à propos de son territoire :

[…] voici tout ce qui est à nous, ici tiens, tout cela ici nous appartenait […]. Autrefois tout cela nous appartenait. Et celui-là [ce territoire] est à T.B. [… Le territoire] de T.B. commençait là où se trouve Massekupitan […]. Personne ne l’embêtait ici, sur celui-ci, le sien, jusqu’à la limite exactement ici. À l’endroit exact où finit le nôtre.

Mailhot et Vincent 1980 : 147-148

Citons Patrice Paul, Innu de Pessamit, qui, en 1988, rend compte d’une entrevue qu’il a faite avec un Aîné, alors âgé de 75 ans. Cet Aîné parlait de son grand-père né dans le dernier quart du xixe siècle et avec qui il avait vécu jusqu’à la fin des années 1930. À propos des territoires de chasse et des règles que l’on respectait encore au début du xxe siècle, voici notamment ce que retenait Patrice Paul :

Le territoire de chasse demeure souvent délimité par les cours d’eau ou les accidents géographiques. […] Le respect des limites respectives des territoires de chasse s’avère rigoureusement observé par les Montagnais. On ne se permet pas d’empiéter sur le territoire d’un autre, fut-ce en dépit de l’absence de clôture ou de contrat écrit. Comme les chasseurs montagnais parcourent régulièrement leur territoire de chasse et qu’ils le connaissent judicieusement, on assiste rarement à des ingérences de territoire. Bien sûr, Pierre-André Paul raconte qu’il y a eu parfois des exceptions, mais celles-ci ne s’avèrent pas généralisées.

Paul 1988 : 18

De la même façon que pour les Cris du xviiie siècle ou pour les Algonquiens mentionnés par Speck, le fait qu’une transgression ait été considérée à Pessamit comme un délit indique bien que les territoires de cette communauté étaient clairement délimités.

Mentionnons enfin cet ouvrage du Cree Trappers Committee auquel réfère Paul Charest et qui indique la responsabilité des maîtres de piégeage cris « en ce qui concerne le respect des limites territoriales » : demeurer à l’intérieur de son aire de piégeage ; ne pas piéger dans le territoire d’un autre sans en avoir eu l’autorisation ; si l’on découvre une cabane de castors sur le territoire de son voisin, l’en avertir ; échanger des informations entre voisins... (Charest 2001 : 93).

Dans le résumé des éléments cruciaux de la territorialité algonquienne proposé par Charest, parmi les huit points suggérés figurent en premier lieu les points suivants : « a) les limites des territoires sont identifiées par des limites naturelles ; b) elles sont respectées par les membres des groupes exploitant les territoires adjacents » (ibid. : 94).

Il est donc clair, non seulement que la notion de frontière existait déjà au xviie siècle et a continué d’exister au moins jusque vers 1950, mais aussi que cette notion est la base sur laquelle repose la façon dont les Algonquiens du nord et du nord-est du Québec ainsi que du Labrador se représentent leurs territoires et en gèrent le partage. Ce qui est constaté de façon générale quant aux relations entre les nations et entre les bandes l’est aussi, dans les régions propices à l’établissement de territoires familiaux, quant aux relations entre les familles. Mais encore faut-il savoir en quoi consistent ces frontières, ce qu’elles empêchent et ce qu’elles permettent.

Des frontières de contact et qui comportent des règles

En cette époque de mondialisation, plusieurs auteurs ont réfléchi à la notion de frontière et ils prennent soin de la définir. Dans une conférence prononcée en 2005, Henri Dorion disait :

Tout est question d’attitude. Ce qui importe c’est de considérer les limites imaginées par l’homme pour gérer de façon rationnelle les innombrables territoires qui composent la surface du globe comme des frontières de contact plutôt que comme des frontières de séparation.

Dorion 2006 : 38-39, je souligne

De son côté, Régis Debray expliquait en 2010 que tout système vivant a besoin de séparations, de lignes de démarcation « dont le rôle n’est pas d’interdire, mais de réguler l’échange […] » (Debray 2010 : 37). La frontière, disait-il, n’est pas un mur : « Le mur interdit le passage ; la frontière le régule […] elle est là pour filtrer » (ibid. : 39).

Et ces deux auteurs, qui font l’éloge des frontières, remarquent que, tout en étant nécessaires et omniprésentes, elles peuvent prendre toutes sortes de formes (Dorion 2006 : 14), évoluer dans le temps (Debray 2010 : 44-45), et l’on pourrait dire que, de la même façon que les clôtures (ibid. : 35), elles varient selon les cultures.

Caractériser en détail la façon dont les Algonquiens du Nord-Est définissent et représentent leurs limites territoriales pourrait faire l’objet d’un article en soi. Je ne ferai que rappeler brièvement les règles généralement retenues et que l’on a pu percevoir dans la première partie de ce texte.

  • Tout d’abord, la frontière d’un territoire peut être ouverte en certaines circonstances. Nombre d’auteurs ont expliqué que, si une famille se trouve dans l’incapacité de trouver de quoi se nourrir à même son propre territoire, elle peut en tout temps pêcher et chasser chez les voisins. Encore récemment, après la création de réservoirs suscitée par des projets hydroélectriques, et donc après l’inondation de certaines régions, des familles de Pessamit en ont accueilli d’autres chez elles, les valeurs d’entraide et de partage ouvrant, si l’on peut dire, les portes des territoires (Mailhot et Vincent 1980 : 157-158 ; à propos de l’accueil de familles sur des territoires voisins à la suite de feux de forêt, voir Feit 2004 : 15-16). Et ce n’est pas parce que les Algonquiens respectent ces règles de partage et d’entraide que l’on peut conclure à l’absence de limites territoriales et à l’acceptation de « chevauchements », contrairement à ce que conclut Charest après la lecture du rapport de Mailhot et Vincent (Charest 2001 : 109).

  • En second lieu, il faut distinguer différents types d’exploitation, c’est-à-dire se demander quelles sont les ressources qui pouvaient être prélevées sur le territoire d’un voisin et à quel rythme. Traditionnellement, toute famille qui traversait le territoire d’une autre pouvait sans problème y cueillir des petits fruits ou des plantes médicinales, y prendre quelques lièvres ou quelques poissons, et même y abattre un orignal ou un caribou. Autrement dit, l’hospitalité et le devoir de protéger la vie des autres êtres humains obligeaient le maître du territoire ou le chef de la bande à accorder à tout passant la possibilité de pêcher et de chasser pour sa subsistance. Cependant, il était interdit de s’installer à long terme sans autorisation sur le territoire d’un autre ou d’y piéger des animaux à fourrure et, si cela se produisait, l’intrus devait faire face à certaines obligations (admettre le fait, remettre la fourrure ou son prix au détenteur du territoire de chasse, ne pas en faire une habitude…)[8]. La transgression répétée du territoire, qu’il soit familial, communautaire ou national, entraînait des conséquences qui, selon les communautés et les nations, pouvaient aller jusqu’à la peine de mort et à la guerre.

  • Outre les circonstances et les produits recueillis, il y a lieu de tenir compte des liens sociaux, ce qui signifie que nul ne peut exploiter le territoire d’un autre s’il n’a pas de liens familiaux ou d’amitié avec le maître du territoire et sans avoir reçu de sa part une invitation et une permission. Mailhot a démontré que, chez les Innus, l’accès à des territoires autres que le sien propre n’est pas le fruit du « hasard » mais vient de ce que chacun peut profiter de ses liens de parenté avec les familles qui détiennent ces autres territoires (Mailhot 1993 : 143). Tanner, de son côté, explique que, chez les Cris de Mistissini, c’est le leader qui invite chaque année certaines familles apparentées ou amies à se joindre à la sienne pour la saison de la chasse (Tanner 1979 : 190). De façon générale, les auteurs soulignent l’obligation pour tous d’obtenir l’autorisation du maître du territoire avant d’y pénétrer et d’en exploiter les ressources (voir, notamment, Mailhot et Vincent 1980 : 155-156). Dans son résumé sur la territorialité des Innus de Pessamit et de Mashteuiatsh ainsi que de leurs voisins cris, Charest fait de la nécessité d’obtenir cette autorisation un élément crucial : « les personnes et groupes qui circulent sur un territoire de chasse qui n’est pas le leur doivent normalement en avertir le responsable et demander la permission d’en exploiter les ressources » (Charest 2001 : 94).

Certes, les règles sur les entrées dans les territoires adjacents ou étrangers ont pu évoluer au cours des siècles et s’ajuster à diverses circonstances. Cependant, nombre de cas que l’on tend à assimiler à des « chevauchements » ou à de possibles preuves de chevauchement sont loin d’en être. Ainsi, il était possible que les membres d’un groupe rencontrent ceux d’un autre groupe sur le territoire de ce dernier et que, invités par les détenteurs de ce territoire, ils voyagent, campent, chassent avec eux. Dans ce cas, tous savaient pertinemment sur quel territoire ils se trouvaient, les uns étant chez eux et les autres bénéficiant de leur hospitalité. Ces activités de bon voisinage ne signifient pas qu’il y avait chevauchement. Il pouvait arriver aussi qu’un territoire non occupé par les membres d’un groupe (en raison, par exemple, du décès du détenteur de ce territoire et de l’absence d’un descendant en âge de prendre la relève) soit temporairement exploité par d’autres et même qu’à la longue, après entente, ce territoire passe d’une famille à une autre ou d’une bande à une autre ou, même, soit exploité en commun selon des règles convenues. Il se pouvait également que, s’étant marié dans une bande limitrophe de la sienne, un chasseur lègue son territoire à ses descendants désormais inclus dans la bande de son épouse. Ces différents types d’entente n’indiquent pas qu’il n’y avait pas de limites connues aux territoires en question et donc « chevauchement », mais plutôt que les Algonquiens géraient l’exploitation de leurs ressources et le partage de leur territoire en suivant des règles connues de tous[9].

Enfin, rappelons que, si des transgressions de limites territoriales ont pu être considérées comme fautives ou criminelles parce que non autorisées, c’est bien la preuve que ces limites existaient.

Au terme de son examen de la période historique (1600-1900 environ), Charest écrit : « Comme on a pu le constater, il n’est jamais directement question de chevauchement dans les données historiques qui ont été exposées » (Charest 2001 : 72). On aura compris qu’à mon avis, le chevauchement territorial ne faisait pas partie du droit coutumier des Algonquiens du Québec dont il est question ici. Leurs territoires comportaient des frontières qui n’étaient ni complètement ouvertes (et donc inexistantes), ni complètement fermées (au risque de figer la vie économique et sociale entre des murs hermétiques). On conviendra que de tels extrêmes auraient été invivables. Pour qu’une frontière soit viable, elle doit être assortie de règles, sortes d’aménagements souples, sur lesquels s’entendent ceux qui sont appelés à la franchir.

Autant la présence de frontières ouvertes selon des règles connues est nécessaire, autant l’absence de ces règles et l’imprécision des frontières peuvent être dangereuse :

Il est facile de voir qu’aux endroits de la mappemonde où il y a du grisé dans l’entre-deux et des pointillés qui se chevauchent, la parole est à la grenade, au plastic et aux machettes.

Debray 2010 : 84

Les règles imposées par les gouvernements

Les gouvernements se sont immiscés de plusieurs façons dans la gestion de leurs terres par les Algonquiens. L’institution des réserves à castors, par exemple, instaurée pour contrôler la population de cet animal, a imposé aux Cris, aux Innus, aux Algonquins, aux Atikamekw, un découpage territorial qui s’est superposé au système traditionnel de tenure des terres. La philosophie qui est à la base du quadrillage en lots de piégeage et les nouvelles limites ainsi déterminées n’ont pas de résonnances dans les cultures algonquiennes (voir, entre autres, Canada 1977 : 18, 19, 46 ; Tanner 1979 : 190-191 ; Mailhot et Vincent 1980 : 152-154 ; Charest 2001 : 98, 102, 170). Elles sont en train de transformer non seulement les liens à la terre mais aussi les relations sociales entre les gestionnaires des territoires. Sans insister sur cette situation déjà bien documentée, je terminerai en donnant deux exemples de ce qui est aujourd’hui considéré comme des cas de « chevauchement », cas qui sont la source des problèmes mentionnés en introduction entre les nations et les communautés.

Le « chevauchement » entre le territoire cri et le territoire innu

Le premier exemple est celui de la situation des territoires, surtout innu mais aussi atikamekw et algonquin, sur lesquels le titre aborigène a été éteint par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Cette convention a été signée en 1975 par les gouvernements fédéral et provincial avec les Cris du Québec et n’aurait donc dû concerner que le territoire cri[10]. Malgré nombre de protestations et de démarches effectuées notamment par les Innus, la situation n’a pas bougé depuis 1975. Il semble que les Cris aient prévenu les gouvernements, avant même la signature de l’entente, que le tracé – qui allait devenir officiel – de leur territoire empiétait sur les territoires d’autres nations. Témoignant devant le Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien en 1977 au sujet du projet de loi qui devait ratifier la Convention de la Baie James et du Nord québécois (Bill C-9), Aurélien Gill, alors président du Conseil Attikamek-Montagnais disait ceci : « Nous tenons d’ailleurs à répéter que les Indiens Cris ont eux-mêmes reconnu devant vous, membres de ce comité, que d’autres groupes avaient des droits dans ce territoire. » (Canada 1977 : 11)

En fin de compte, ni les remarques des Cris ni les revendications des Innus ne servirent à rien et les droits des tiers furent déclarés éteints en l’absence de ces derniers.

Aujourd’hui, avec les projets de développement industriel du gouvernement du Québec, la valeur des terres s’accroît de façon exponentielle. Qui pourra projeter d’installer des champs d’éoliennes autour du réservoir Caniapiscau ? Qui touchera les redevances des compagnies minières, si redevances il y a, dans ces zones dites « de chevauchement » ? Qui gérera les parcs nationaux le jour où il s’en créera dans ces territoires : les Cris ou les Innus ?

Les nations autochtones, qui, en 1975, auraient pu s’entendre, grâce aux témoignages de leurs Aînés, sur le tracé d’une frontière entre leurs territoires et sur les règles à respecter, de part et d’autre, pour la franchir, sont aujourd’hui aux prises avec un problème créé de toutes pièces par des décisions qui ne correspondent pas à leur droit coutumier et qui leur sont imposées. En effet, à ma connaissance, il n’y avait pas de zones de chevauchement autrefois entre les Cris et les Innus. Les Cris chassaient parfois, en visiteurs et en invités, dans le territoire innu. Ils savaient qu’en cas de détresse ils pouvaient venir pêcher dans le lac et la rivière Caniapiscau réputés pour être particulièrement poissonneux. Ils savaient que les Innus venaient parfois chasser chez eux, dans la région du lac Bienville par exemple, ou traversaient certains de leurs territoires pour se rendre au poste de traite de Nichicun de la même façon qu’eux-mêmes pouvaient se rendre, à l’occasion, au comptoir du lac Opiscotéo qui était tenu par un Innu. Mais il n’y avait alors aucune ambiguïté sur les titres et responsabilités des uns et des autres.

La frustration des Innus, qui se sentent dépossédés d’une partie de leur territoire, et sans doute le malaise de certains Cris viennent d’une décision que l’on peut dire colonialiste prise par des gouvernements qui se sont octroyé le droit de dessiner de façon unilatérale les territoires des nations autochtones et qui, ce faisant, ont créé cette zone problématique dite « de chevauchement ».

Les « chevauchements » entre les territoires des communautés innues

Un deuxième exemple est également récent. Lorsque les Premières Nations déposent auprès du gouvernement fédéral une demande de reconnaissance de leurs droits ancestraux, elles doivent fournir une carte indiquant l’étendue de leurs territoires. En ce qui concerne les Innus et les Atikamekw, une première carte globale fut déposée à la fin des années 1970 (voir Conseil Attikamek-Montagnais 1979 : 175 ; Dupuis 1991 : 72-75). Mais il a fallu davantage que la représentation nationale du territoire : chaque bande de la nation innue a dû définir le territoire qu’elle revendique. Au début des années 1980 des recherches furent entreprises à cette fin par le Conseil Attikamek-Montagnais et ce, dans presque toutes les communautés innues.

Aujourd’hui, aucune entente définitive n’a encore été signée entre les gouvernements et les Innus. Par contre, chaque communauté s’est affairée à délimiter son territoire. Les cartes ainsi produites ne respectent pas toujours les limites des territoires traditionnels et peuvent aller jusqu’à englober des régions qui n’ont été que parcourues ou visitées par certains Innus de la communauté en question. Ce faisant, ces cartes ne rendent pas compte du système innu de répartition des terres. Elles sont plutôt des cartes politiques par lesquelles les conseils de bande tentent de se positionner face aux exigences gouvernementales. Si les gouvernements entérinent certaines de ces nouvelles limites territoriales, ce sera forcément au détriment de celles qui sont préconisées par les communautés voisines. Ils donneront ainsi naissance à de soi-disant « chevauchements » qui attiseront les frustrations des uns et des autres. Les problèmes entre nations créés par la Convention de la Baie James et du Nord québécois risquent de se reproduire entre communautés innues et aussi entre les Innus du Québec et les Innus dits « du Labrador ». Dans ce dernier cas, l’entente de principe intervenue entre les Innus du Labrador et les gouvernements de Terre-Neuve–et–Labrador et du Canada n’accorde aucun droit sur le Labrador aux Innus du Québec. Pourtant il est su et prouvé que nombre d’entre eux y ont leurs territoires, qu’ils les ont utilisés bien avant que Terre-Neuve n’entre dans la Confédération canadienne, bien avant donc qu’existe la frontière entre le Québec et le Labrador, et qu’ils continuent à les utiliser régulièrement pour y pratiquer leurs activités traditionnelles. Si elle est signée[11], cette entente risque d’avoir des impacts irrémédiables sur les droits ancestraux des tiers, c’est-à-dire, dans ce cas, sur les droits des Innus du Québec.

Aujourd’hui, tant les gouvernements que les cours de justice demandent aux Premières Nations et aux bandes de régler leurs différends entre elles avant de présenter leurs demandes de négociation ou leurs recours judiciaires. Autrement dit, après avoir suscité artificiellement de sérieux problèmes par des politiques aveugles à l’histoire et au droit coutumier des Premières Nations, les gouvernements exigent d’elles qu’elles démêlent ces imbroglios.

Chez les Innus, les Aînés distinguent clairement entre le territoire traditionnel, c’est-à-dire celui où eux-mêmes, leurs parents et leurs grands-parents ont été élevés, et le territoire parcouru qui, lui, est beaucoup plus vaste puisque les Innus circulaient sur de grandes distances autrefois. Le territoire parcouru peut comprendre de nombreux territoires voisins, mais le territoire revendiqué, le territoire patrimonial, est celui dont tous connaissent les limites. De la même façon que Cris et Innus auraient pu indiquer les frontières de leurs territoires nationaux, si les Aînés des communautés innues dont on dit que les territoires se chevauchent avaient mis leurs savoirs en commun, il y aurait eu moyen d’éviter ce problème de « chevauchement » qui n’apparaît pas dans les données historiques et qui a été artificiellement créé par les gouvernements.

Terminant son témoignage devant le Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord, Aurélien Gill remarquait :

[…] je pense honnêtement que s’il y a toujours eu des problèmes avec les Indiens, c’est parce que les règlements qui sont survenus jusqu’à maintenant ont toujours été faits en fonction des groupes non-indiens pour répondre à des besoins des non-Indiens et jamais aux besoins des Indiens.

Canada 1977 : 63

Et Aurélien Gill donnait en exemple la signature des traités et la création des réserves indiennes, des mesures unilatérales dont les conséquences se répercutent de génération en génération. Les « chevauchements » créés dans l’ignorance des droits coutumiers des Premières Nations sont un autre exemple, au mieux de l’inconscience, au pire du cynisme des gouvernements.

Conclusion

Les chercheurs du projet « Peuples autochtones et gouvernance » ont voulu documenter les effets du colonialisme canadien (et québécois) sur les Premières Nations et, dans le colloque d’avril 2012, suggérer des façons d’en sortir. Dans l’équipe qui s’est plus particulièrement penchée sur les représentations d’espaces, nous avons tenté, à la lumière des travaux d’Étienne Le Roy (voir son article dans ce numéro) de donner une dimension algonquienne à ses réflexions largement issues des recherches qu’il a effectuées en Afrique. Ou du moins avons-nous essayé de voir si le modèle qu’il en a tiré et les représentations d’espaces qu’il a décrites peuvent trouver une résonnance au sein des nations algonquiennes.

Chez les Innus, dont il a plus particulièrement été question ici, l’ensemble du territoire était perçu comme un espace auquel tous, même les membres des nations voisines, avaient accès à la condition toutefois d’en avoir obtenu l’autorisation. Il n’y avait donc pas de « maîtrise minimale » au sens où je comprends que l’entend Étienne Le Roy, soit la possibilité, a priori et pour tous, de circuler sur le territoire[12]. L’histoire et la tradition orale ont retenu le fait que des nations qui n’avaient pas reçu cette autorisation se sont heurtées à la défense armée par laquelle les Innus protégeaient leur territoire, leurs ressources et leurs familles. Que les frontières aient existé n’est plus à démontrer, mais, comme toute frontière, elles pouvaient être ouvertes ou fermées et ce, aux conditions posées par les maîtres du territoire. Rappelons que la permission principale accordée à ceux qui avaient accès au territoire était celle d’y prélever les ressources essentielles à leur survie pendant qu’ils traversaient ce territoire. L’accès et son corollaire, le prélèvement minimal, définis par Étienne Le Roy comme « maîtrise minimale » et « maîtrise prioritaire », allaient donc de pair. À vrai dire, un accès seul n’aurait pas eu beaucoup de sens car nul n’aurait pu vivre très longtemps sans un droit de prélèvement, à moins d’avoir amassé chez lui toute la nourriture dont il aurait besoin le long de son itinéraire. Comme nous l’avons vu plus haut, il ne s’agissait cependant que d’un droit limité, mais l’essentiel me semble être le fait qu’il s’agissait d’un droit accordé, qu’il fallait donc s’assurer d’obtenir. N’en feraient certainement pas partie aujourd’hui le droit d’extraire du minerai pour en tirer des profits ou le droit de détourner des rivières et de construire des barrages à ses propres fins et ce, non pas en premier lieu en raison de l‘ampleur des transformations que ces activités entraînent sur le territoire, mais surtout en raison du fait qu’elles n’ont pas reçu l’accord de ceux qui se considèrent comme les détenteurs légitimes et les responsables de ce territoire.

Au troisième niveau de son modèle, Étienne Le Roy place le droit de gérer certaines ressources, ce qu’il définit comme la « maîtrise spécialisée » des ressources détenue par les ayants droit. On peut penser ici à la gestion des animaux à fourrure dans les territoires familiaux traditionnels, mais également au droit sur les autres ressources qui n’est que temporairement grevé par l’autorisation donnée aux passants de se nourrir en cours de route et qui, le reste du temps, demeure celui des détenteurs du territoire. Ce droit de prélèvement, en effet, n’incluait pas celui de s’installer sans autorisation pendant toute une saison sur le territoire de son voisin même si ce n’était que pour s’y nourrir. La « maîtrise spécialisée » concerne donc l’ensemble des ressources d’un territoire donné. Si l’on peut parler ici de « fonctionnalités de nature analogue » qui s’arrêtent ou s’opposent par une frontière, je ne crois pas que l’on puisse supposer que des fonctionnalités de natures différentes pouvaient se superposer comme c’est le cas dans des régions africaines où agriculteurs et pasteurs occupent le même espace (voir Le Roy dans ce numéro). De plus, comme je l’ai déjà expliqué, chez les Innus, les territoires où s’exerce une « maîtrise spécialisée » des ressources ne peuvent être dits topocentrés[13] (Vincent 2010 : 147-148). Par ailleurs, en territoire innu, la gestion des animaux à fourrure était non seulement une gestion que l’on peut dire spécialisée, mais aussi une gestion exclusive.

Dans l’état actuel des connaissances, je verrais donc, en ce qui concerne les Innus, mais aussi d’autres nations algonquiennes, d’une part un droit minimal, prioritaire et temporaire d’accès et de prélèvement de certaines ressources à certaines conditions (accédant autorisé) et, d’autre part, la gestion spécialisée et presque exclusive d’autres ressources[14]. Quant au cinquième niveau, celui de la « maîtrise absolue » avec droit d’aliénation, comme on le sait et ainsi que le rappelle Le Roy dans ce numéro, il est contraire aux principes des cultures algonquiennes et, ajouterais-je, même si certains, aujourd’hui, auraient tendance à en adopter le principe.

Dans sa conclusion, Étienne Le Roy suggère que la décolonisation suppose « une remise à zéro de tous nos “compteurs conceptuels” ». Cela signifie, à mon avis, que la société coloniale et les gouvernements qu’elle se donne vont devoir accepter de voir qu’ils ont forgé de toutes pièces nombre de problèmes comme celui des soi-disant « chevauchements » et que rien ne pourra les régler sans la connaissance et la reconnaissance du droit coutumier propre à chacune des Premières Nations. Cela nécessite aussi, de la part de celles-ci, la conviction que leurs droits coutumiers offrent des pistes de solution qui, dans certaines situations, pourraient être non seulement valables aujourd’hui mais aussi meilleures que le recours au droit occidental.