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Principalement versée dans la description des pensionnats, l’historiographie récente de l’éducation autochtone n’a accordé que peu d’attention à la période précédant leur avènement dans les années 1880. Dans ce contexte, l’histoire du Dartmouth College, école accueillant des autochtones depuis plus de deux cent quarante ans, permet de faire le pont entre l’époque coloniale et les enjeux plus contemporains. The Indian History of an American Institution. Native Americans and Dartmouth ne s’intéresse toutefois pas seulement à la présence des autochtones au Dartmouth College. Pour Colin Calloway, l’histoire amérindienne de Dartmouth n’engage pas seulement les étudiants autochtones, mais aussi les non-autochtones en relation avec le collège qui ont travaillé en territoire amérindien ou dans l’administration de la politique indienne (p. xix). Remontant aux origines de la fondation du Dartmouth College, l’ouvrage s’articule autour des relations entre les étudiants du collège, autochtones et américains, et les communautés amérindiennes. À travers ces pages, le lecteur ne trouvera pas de thèse saisissante ou novatrice, notamment en ce qui a trait à l’influence des étudiants américains sur le développement de l’histoire autochtone. Il aura néanmoins droit à une synthèse cohérente et accessible qui montre bien la diversité des réactions autochtones face à l’éducation.
Les deux premiers chapitres de l’ouvrage relatent les événements ayant mené le révérend congrégationaliste Eleazar Wheelock à fonder le Dartmouth College en 1769. Convaincu des bienfaits de l’éducation, Wheelock avait créé la Moor’s Indian Charity School en 1754, une école élémentaire qui visait à former des missionnaires amérindiens familiers avec les langues et traditions autochtones et ayant une influence auprès de leurs communautés. À l’instar des travaux de Margaret Connell-Szasz (1988) et de James Axtell (1981), Calloway soutient que le projet d’éducation d’Eleazar Wheelock avait pour but principal d’éradiquer la culture amérindienne.
Les élèves dans les écoles de Wheelock représentaient ainsi des « captives in the process of cultural conversion » (p. 13). Calloway prend tout de même soin de montrer que le projet éducatif servait certains objectifs secondaires. Par exemple, la formation de jeunes autochtones dans les écoles de Wheelock permettait au gouvernement américain de tisser des alliances avec certaines nations autochtones. Pour les communautés protestantes, il s’agissait surtout d’un moyen de former des missionnaires adaptés au mode de vie amérindien et donc de concurrencer l’expansion catholique en Amérique. Pour Calloway, les autochtones aussi retiraient des bénéfices de l’éducation. À une époque où les Amérindiens se voyaient constamment repoussés de leurs terres, l’alphabétisation permettait de comprendre les accords légaux conclus avec les Britanniques. D’ailleurs, le premier étudiant de Wheelock, Samson Occom, a été élu chef des Mohegans à 19 ans, afin de défendre les droits de sa nation. Respecté pour son talent, Occom a été choisi par Wheelock pour aller recueillir des fonds en Angleterre en vue de la construction d’un collège. Cette expédition, qui a été la plus fructueuse de l’histoire coloniale américaine, a permis d’amasser plus de £12 000, somme qui a servi à fonder le Dartmouth College au New Hampshire.
Le coeur de l’ouvrage (chap. 3 à 7) se compose d’une suite d’expériences personnelles vécues par les étudiants du Dartmouth College entre 1775 et 1900. Ces histoires courtes traitent majoritairement des élèves autochtones, mais aussi des étudiants américains qui ont été actifs dans la politique indienne. Calloway mentionne que le rôle du Dartmouth College « was far greater than the rather paltry numbers of Native who actually graduated from the College in its early years » (p. xv). Il souligne en effet que plusieurs des autochtones qui ont fréquenté Dartmouth sont devenus d’importants acteurs de changement dans leur communauté. Certains Amérindiens ont profité de leurs connaissances pour résister ou combattre les politiques du gouvernement, tandis qu’elles ont permis à d’autres d’obtenir un poste administratif au sein des Affaires indiennes. Calloway accorde une grande place aux individus et rend ainsi compte de la diversité de l’utilisation des connaissances scolaires, de même que des réactions des autochtones face à l’éducation. Un chapitre complet (chap. 7) est notamment consacré à Charles Eastman (gradué de Dartmouth en 1887, puis de la Boston University School of Medicine en 1890) qui a servi comme médecin dans la réserve de Pine Ridge au Dakota du Sud et a occupé plusieurs postes politiques. Cet élève représentait, selon Calloway, l’urgent besoin de changement ressenti par certains autochtones à l’égard de leurs communautés : « Eastman was convinced that Indian people must change if they were to have a chance of surviving. » (p. 125)
L’auteur accorde aussi une place importante aux anciens élèves américains de Dartmouth qui ont été en relation ou au coeur de débats sur la politique autochtone. Si certains de ces étudiants ont parfois pris la défense des Amérindiens, plusieurs, en contrepartie, « played key roles in the campaign to transform Indian ways of life, in dispossessing Indians of their homelands, and in reshaping the Native American West » (p. 55). Calloway souligne entre autres les agissements de James Dean et Samuel Kirkland qui, à titre d’interprètes des Oneidas, s’affairaient davantage à acquérir des terres pour eux-mêmes et pour certaines compagnies de spéculateurs qu’à défendre les droits des autochtones. La principale lacune de cette section découle de la structure chronologique qui multiplie les histoires personnelles sans toutefois relier l’apport du Dartmouth College à l’expérience des élèves. Par exemple, Calloway ne démontre pas ce qui rendait les étudiants américains de Dartmouth différents des autres élèves des États-Unis ayant joué un rôle dans la politique indienne.
La dernière partie du livre porte sur le xxe siècle. En accord avec l’historiographie récente sur l’éducation autochtone, Calloway explique la quasi-absence d’Amérindiens au Dartmouth College par le fait que les « educators had developed increasingly pessimistic views of Indians’ abilities and more limited objective for themselves » (p. 131). Durant plusieurs années, la scolarisation des Amérindiens ne faisait pas partie des priorités de l’institution. Les changements des années 1960 ont toutefois poussé le collège à renouer avec sa mission fondatrice d’éducation des autochtones. Ce renouveau a entraîné la création d’un American Indian Program qui a permis à plus de sept cents autochtones d’étudier à Dartmouth, de 1970 à aujourd’hui. Malgré cela, jusqu’à tout récemment, des conflits entre les autochtones et les étudiants américains perduraient au sein de l’établissement. Ces querelles étaient généralement le résultat de l’opposition entre, d’une part, les étudiants autochtones qui souhaitaient retirer tous les symboles et mascottes faisant référence aux Amérindiens, et, d’autre part, les étudiants américains fortement attachés à leurs traditions. Ces conflits ne se déroulaient pas uniquement à ce collège, mais bien dans l’ensemble des États-Unis. En ce sens, Dartmouth constituait, selon Calloway, un microcosme de la situation globale du pays.
Beaucoup plus descriptif qu’analytique, The Indian History of an American Institution laisse plusieurs questions sans réponse. Calloway souligne par exemple que la provenance des étudiants autochtones au Dartmouth College a changé au fil du temps, mais n’explique pas les causes de cette évolution. Aucune interprétation ne permet de saisir pourquoi le groupe majoritaire d’étudiants des Six Nations, considéré comme une « better breed » (p. 8), a ensuite cédé sa place à des Amérindiens en provenance du Bas-Canada. On n’explique pas non plus pourquoi, au milieu du xixe siècle, la plupart des élèves ont plutôt été recrutés parmi les five civilized tribes (Cherokees, Creeks, Chickasaws, Choctaws et Seminoles). N’apportant pas de précisions à ces questions, l’opinion de Calloway selon laquelle l’éducation servait à éradiquer la culture autochtone doit être nuancée ou remise en question. En effet, comment concilier cette opinion avec le fait que les élèves de Dartmouth provenaient principalement des nations dites « civilisées », qu’ils étaient encouragés à préserver leur langue et que l’institution gardait en son sein seulement quelques autochtones talentueux.
L’ouvrage de Colin Calloway offre tout de même un bon survol du passé du Dartmouth College et fournit d’intéressantes pistes de recherche. L’habile mise en contexte de l’auteur permettra en outre au lecteur de se familiariser avec les différents enjeux de l’histoire de l’éducation autochtone. De plus, l’approche chronologique met bien en valeur la vie et le passé des élèves. Cependant, cette même approche nuit au raccord des différentes thématiques du livre, ce qui ne permet ni d’approfondir l’analyse ni de comprendre l’apport particulier de Dartmouth à l’histoire autochtone. En somme, d’autres travaux devront être réalisés pour montrer comment ce collège a eu un impact unique sur l’éducation des premières nations.