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Voilà bien le problème avec les événements inexplicables : on finit immanquablement par conclure à la prédestination, au réalisme magique ou au complot gouvernemental.

(Nicolas Dickner 2005)

L’armée avait maintenant encerclé l’ensemble de la communauté, restreignant considérablement l’accès à tout et à quiconque chercherait à traverser encore une ligne imaginaire imposée aux peuples autochtones par les représentants du gouvernement. Et ce cercle imaginaire devenait de plus en plus petit, étranglant peu à peu la communauté, tel un noeud coulant.

(Drew Hayden Taylor 2004)

Les conflits, les débats et les négociations qui accompagnent les revendications territoriales des premières nations font ressortir avec acuité la complexité des différends qui mettent aux prises des communautés amenées à coexister en territoire partagé dans les suites d’un processus de colonisation. En plus de remettre en question le statut quo, les revendications territoriales circonscrivent une zone sensible à l’intérieur de laquelle les avancées des promoteurs se heurtent à une résistance particulièrement vive, surtout dans la mesure où il devient particulièrement difficile de se réapproprier des terres qui ont fait l’objet de ventes successives et d’exploitation par des intérêts privés. Ce sont de tels enjeux qui se sont trouvés au coeur des conflits territoriaux qui ont eu lieu récemment à Caledonia, en Ontario, ainsi qu’il y a vingt ans à Oka/Kanesatake[2], au Québec.

En 1990, les premières nations font sentir le poids de leur opposition dans les discussions constitutionnelles du lac Meech, puis les Mohawks se tiennent fermement au coeur d’une crise qui concentre sur elle l’attention médiatique et vient ébranler le mythe de la nation au Canada et au Québec (Kalant 2004). La crise d’Oka, qui découle d’un projet controversé de développement municipal sur des terres revendiquées par les Mohawks, constitue la scénographie d’identités antagonistes quant à la territorialité. En ce sens, il est pertinent d’envisager le conflit à partir des différentes représentations spatiales et imaginaires qui en sont issues et, plus particulièrement, d’analyser la manière dont l’événement, qui a profondément marqué les premières nations, les Québécois et les Canadiens, a trouvé forme et a été symbolisé dans les récits littéraires autochtones et non autochtones. De manière générale, les textes littéraires d’auteurs québécois et canadiens envisagent l’événement dans une posture d’extériorité à partir de laquelle ils mettent en scène l’irruption d’une altérité autochtone à la fois ignorée et rapprochée, dont la présence soudainement visible entraîne une reconfiguration des perspectives et suscite une grande part d’indétermination. Le conflit armé et la figure du warrior alimentent également un imaginaire où les Mohawks qui soutiennent le siège sont associés à des univers marginaux comme la piraterie et la criminalité, mais suscitent à la fois une certaine fascination (Dickner 2005 ; Boisvert 1992 ; Farrow 2001 ; Bouthillette 2005). Considérant la force des antagonismes qui ont été ravivés lors de la crise d’Oka, il n’est guère étonnant de constater que les mises en récit du conflit se dessinent fort différemment dans les littératures autochtones de langue française et anglaise au Québec et au Canada. De manière générale, en effet, les récits littéraires autochtones appréhendent le conflit comme un événement vécu du dedans, même lorsqu’il est vécu hors de la communauté mohawk. Située dans la perspective d’une historiographie autochtone, la crise d’Oka est généralement mise en scène au coeur d’une dynamique de reterritorialisation et d’affirmation identitaire qui exprime clairement un aspect positif du siège soutenu par les Mohawks. Tout en mettant en récit la colère et l’indignation suscitées par l’intervention de l’armée canadienne dans une « affaire de terrain de golf » projetée au détriment des terres et d’un cimetière mohawks, plusieurs auteurs insistent sur les liens qui unissent les différentes nations autochtones, notamment en ce qui a trait à l’opposition à la dépossession territoriale et aux luttes menées pour la survivance culturelle (Cree 1990 et 1995 ; Dennis 2005 ; Goodleaf 1995 ; Maracle 1992 ; Taylor 2004 ; Keeshig-Tobias 2005).

À l’instar d’autres récits qui mentionnent la crise d’Oka, les écrits de l’auteure et animatrice mohawk Myra Cree et du poète québécois Yves Boisvert abordent la question de la spatialisation des antagonismes, de la délimitation des perspectives, des conceptions divergentes des revendications territoriales et du conflit armé, ainsi que des répercussions du conflit dans l’espace social, culturel et politique dans lequel s’inscrivent leurs poétiques. Considérant que le champ, le statut et les objets de la vision sont définis non seulement par les médias, la publicité et la représentation politique mais également par la fiction (Certeau 1990), il s’agira ici de mettre en relief les configurations narratives qui se dessinent dans les récits des deux auteurs.

La crise d’Oka qui éclate à l’été 1990 met à l’avant-scène un différend territorial dont les origines remontent à la naissance même de la municipalité d’Oka, à la fin du xixe siècle, issue des suites directes d’un conflit territorial opposant les Sulpiciens et les Mohawks. Les tensions qui refont sporadiquement surface au cours des décennies suivantes s’aggravent les mois précédant le déclenchement de la crise, sans toutefois que l’on puisse imaginer l’ampleur que prendrait le conflit. Dans ce contexte, la crise d’Oka fait événement parce qu’elle surgit de manière inattendue, possède un devenir inconnu et appelle une réponse (Soussana, Nouss et Derrida 2001).

Le 11 juillet 1990, la Sûreté du Québec tente de démanteler les barricades érigées quatre mois plus tôt par des Mohawks qui, ayant épuisé tous les recours légaux, demeurent déterminés à faire obstacle à l’agrandissement d’un terrain de golf sur des terres qu’ils considèrent comme leurs et sur lesquelles repose un cimetière ancestral. L’intervention policière dans la pinède entraîne une fusillade désordonnée qui se solde par la mort tragique d’un policier. C’est au coeur de cette altercation violente que l’événement fait irruption, marquant le début d’un long suspens. Contre toute attente, les policiers se retirent alors, et les Mohawks renforcent les barricades en bloquant cette fois la route principale à l’aide des véhicules abandonnés sur les lieux. Des Mohawks de la communauté de Kahnawake manifestent aussitôt leur appui en bloquant le pont Mercier, artère importante reliant Montréal à sa périphérie. La Sûreté du Québec encercle alors Kanesatake et la municipalité d’Oka, puis revient dresser ses propres barricades face à celles des Mohawks. Les deux camps sont armés et la tension est extrême. Le siège, qui se soldera à la fin de l’été par l’intervention de l’armée canadienne, pousse chacun à se demander ce qui se passe et à interroger son rapport à l’autre qui lui fait face. Objet d’une médiatisation intense, le conflit n’est pas circonscrit aux lieux du siège mais prend également place dans l’espace public, où se heurtent des concepts divergents du lien au territoire. Les configurations narratives alors mises de l’avant par les parties visent entre autres à déterminer à qui revient l’occupation légitime du territoire et, de ce fait, incitent à définir de quoi est faite cette légitimité.

Myra Cree fut longtemps animatrice à la radio et à la télévision de Radio-Canada. Personnalité politique et médiatique, Cree était reconnue pour sa maîtrise exceptionnelle de la parole : « Quand elle était au micro, note André Dudemaine, fondateur du festival de film Présence autochtone, la radio devenait un des beaux-arts » (Lamarche 2005). En plus d’avoir été porte-parole du festival Présence autochtone, Cree fut membre du Conseil d’administration de l’organisme culturel autochtone Terres en vues, coprésida la campagne du 25e anniversaire de Recherches amérindiennes au Québec et collabora à l’ouvrage Les Langues autochtones du Québec. Elle fut l’un des membres fondateurs du Mouvement pour la justice et la paix à Oka/Kanesatake créé à l’été 1990. Dans un témoignage intitulé « Miroir, miroir, dis-moi... », paru dans la revue Relations, Cree fait le point sur « ce douloureux été » vécu par sa communauté (Cree 1990 : 304[3]). Avec force et ironie, elle fait la critique des politiques gouvernementales, du traitement médiatique et des préjugés véhiculés à l’endroit des Mohawks lors du siège, qu’elle situe dans la perspective d’une historiographie mohawk à partir notamment de son histoire familiale. Dans son poème « Mon pays rêvé ou la PAX KANATA », paru dans la revue Terres en vues, elle exploite plutôt la liberté que confère la poésie dans ce qu’elle met en scène comme contenu imaginaire (Cree 1995 : 23[4]). Faisant disparaître l’objet du litige, le poème donne à imaginer une coexistence paisible et amicale, marquée par des interactions politiques et culturelles réalisées dans le respect et l’égalité.

Yves Boisvert, qui se consacre entièrement à la poésie depuis les années soixante, est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, ainsi que de quelques manifestes, nouvelles et contes aux titres évocateurs, tels Le Gros Brodeur, La Pensée niaiseuse, ou, Les Aventures du Comte d’Hydro et Écritures des territoires de l’écriture. Inspirés par la colère, les poèmes de cet « artificier authentique du verbe » (Landry 2003 : 189) sont marqués par l’oralité, comme le fait remarquer Gabriel Landry : « De la parole ils ont gardé l’emportement, l’injure hyperbolique, l’appel à l’interlocuteur, le rythme impatient. » (Landry 2003 : 189) Son recueil de poésie Voleurs de cause, qui porte entièrement sur la crise d’Oka, ouvre un espace dialogique où se font entendre les voix discordantes qui ont marqué le conflit (Boisvert 1992[5]). Sans se soucier de la conformité avec les interprétations factuelles, le poète invente à partir des images du siège une épopée chaotique qui multiplie les attaques contre la société dominante et qui finit, à force de retournements, par brouiller les repères du lecteur.

Les textes de Cree et de Boisvert ne peuvent faire l’objet d’une comparaison formelle tant ils sont de nature et de longueur différentes. Il demeure néanmoins intéressant de mettre en lumière les différentes perspectives qui se dessinent dans ces textes. Alors que les écrits de Cree délimitent une perspective politique définie et communiquent une prise de position sans équivoque, les poèmes de Boisvert tiennent davantage d’une déstabilisation du langage et du sens, tout en étant caractérisés par une certaine esthétisation de la révolte contre l’ordre établi. Chez Cree comme chez Boisvert, le territoire est placé au coeur d’un conflit où des parties antagonistes s’efforcent de légitimer leur droit à l’occupation.

La délimitation des perspectives : la crise d’Oka et ses origines

N’étant issu de nulle part, le conflit territorial à Oka pose la question de l’invisibilité liée au contexte historique entourant l’événementialité. Tout comme le paradigme oculaire suppose la position d’un corps dans l’espace, lequel est censé être délimité par rapport à un point de vue, les prises de position dans l’espace du siège, de même que les différentes perspectives qui en délimitent la représentation comportent une importante dimension d’ocularisation. En plus de porter à la visibilité un différend de longue date, le siège témoigne d’une longue histoire de résistance des Mohawks et des premières nations aux entreprises de conversion, aux empiétements territoriaux et aux politiques d’assimilation qui visaient et prévoyaient leur disparition (Erasmus 1992 : 14). La société eurocanadienne, ayant établi sa souveraineté sur le territoire, cherche à résoudre les difficultés posées par la coexistence en tentant de faire disparaître les traces de l’altérité (Dupuis 2001). Dans un tout autre contexte, Shoshana Felman parle d’une « attaque historique contre l’acte de vision » pour désigner la volonté de rendre invisible non seulement la présence que l’on cherche à effacer, mais également les actes à l’origine de cet effacement et la partie qui en est responsable (Felman 1990 : 55-133). En mettant en lumière les violences perpétrées dans l’ombre par les nations colonisatrices à l’endroit des peuples autochtones, la rupture événementielle contribue à transformer momentanément le champ de visibilité.

En dessinant les contours du contexte historique où l’événement a pu surgir, le texte « Miroir, miroir, dis-moi... » de Cree attire l’attention du lecteur sur les profondeurs du non-événementiel qui remontent à la surface lors de l’événement (Nora 1974 : 205-308). « La “crise d’Oka” ne date pas d’hier », écrit Cree, mais remonte plutôt à l’année 1890, « à la suite d’une longue dispute entre les Sulpiciens et les Mohawks d’Oka » (MM), lorsque le gouvernement canadien décide unilatéralement de déplacer la communauté mohawk dans une réserve en Ontario. Le refus alors opposé est clair et effectif : « Mon grand-père, le Grand Chef iroquois Timothy Arirhon, s’objecta à cette décision et lui et la grande majorité des siens sont demeurés à Oka. » (MM) En soulignant le caractère unilatéral de cette première tentative d’empiètement, Cree met implicitement en lumière le caractère répétitif de l’expropriation projetée un siècle plus tard par la municipalité d’Oka. De plus, elle inscrit l’événement dans un processus historique qui met en relief le rôle joué par le gouvernement fédéral au fil des siècles dans la dépossession territoriale des premières nations. D’autre part, l’évocation du lien familial singulier de l’auteure avec le Grand Chef mohawk Arirhon contribue à communiquer au lecteur québécois, alors souvent peu au fait de la présence autochtone actuelle, la réalité même de l’existence de la communauté mohawk et, par conséquent, à apporter un gain de légitimité à l’opposition qu’elle manifeste face à cette tentative d’empiètement qui se répète à la fin du xxe siècle. En situant l’événement dans la perspective d’une historiographie mohawk, Cree trace clairement les délimitations temporelles de la crise : « Pour nous, Mohawks d’Oka/Kanesatake, la crise n’est pas terminée loin de là. » (MM) La perspective de Cree sur la signification du conflit territorial à Oka/Kanesatake rejoint celle exprimée dans l’anthologie historique de la communauté de Kanesatake At the Wood’s Edge, qui souligne que le conflit de l’été 1990 représente les luttes menées par les peuples autochtones confrontés aux politiques inéquitables des gouvernements :

Espérons que l’essence de l’été 1990 restera intacte dans nos souvenirs. Qu’il représente les luttes menées par tous les peuples autochtones au nom de la terre, la langue et la culture. Qu’il représente la réticence des gouvernements à participer à la recherche de solutions justes et équitables quant aux droits et à la liberté de notre peuple.

Gabriel-Doxtater et Van den Hende 1995 : 263

Dans cette perspective, qui fait écho aux déclarations de plusieurs auteurs et porte-parole autochtones, la crise ne saurait trouver d’issue tant et aussi longtemps que les revendications territoriales resteront en suspens. Il apparaît également que la question territoriale demeure étroitement liée aux questions de la langue, de la culture et des droits, lesquelles dépendent en partie des conditions qui prévalent dans le cadre politique dominant.

L’irruption de l’événement dans le champ de visibilité

Si le conflit territorial à Oka fait l’effet d’une répétition pour les premières nations, il produit un autre effet dans les sociétés québécoise et canadienne qui voient tout à coup se manifester un acteur politique bien concret là où elles imaginaient une figure associée à un ailleurs lointain. Évoquant la figure de l’Indien bien ancrée dans l’imaginaire québécois (Simard 1990 : 333-369 ; Thérien 1988), le recueil Voleurs de cause de Boisvert s’ouvre sur les propos d’un narrateur qui fait état d’une altérité maintenue en position de marginalité absolue. Désigné par le « nous », l’ordre référentiel de la communauté du narrateur semble se concevoir en faisant l’économie du rapport à l’autre :

Avant ça nous touchait pas

ça nous faisait rien

[…]

tassement – déconnexion – rejet

part manquante exhumée des livres d’école

limitrophe aux Conquérants, Colons et Nègres

tu surgis du mauvais coin des repères compressés

VC, 9

Reléguée aux marges ineffectives de l’histoire, du politique et de l’imaginaire, la figure autochtone qui se dessine dans le poème ne semble ni toucher, ni intéresser la communauté du narrateur[6]. Toutefois, ainsi que le laissent entendre le mot « Avant » et les verbes à l’imparfait, la situation a changé. En faisant soudainement irruption dans le champ de visibilité, des Mohawks mettent en pratique une forme de résistance qui suscite chez le dominant un étonnement indiscutable. Ainsi, le refus tenace de céder le passage et la mise en avant des revendications territoriales font l’effet d’un « cri qui mord » (VC, 9). Confronté à la mort tragique du policier lors de la fusillade dans la pinède, « l’homme à la caméra n’en revient pas » (VC, 13) et « le monde ne peut contenir sa stupéfaction morbide » (VC, 14). Sur les lieux du siège qui se met en place apparaît une figure inédite :

inconnu, étranger, rétif, pirate

concentrationnaire retranché de l’histoire

un guerrier masqué

majestueusement se lève parmi les annonces de Coke

VC, 16

Issue d’un ailleurs inconnu, la figure de l’autre anhistorique surgit solennellement parmi les annonces publicitaires qui invitent à la consommation, signe évident du monde contemporain. Interloqués par cette résistance qu’ils n’imaginaient pas possible et que, bien souvent, ils n’arrivent pas à comprendre, les Québécois et les Canadiens tendent à éprouver le conflit comme l’irruption d’une altérité perturbatrice au sein d’un ordre sensible et politique qu’ils imaginaient intouchable. C’est précisément ce qui se redessine dans Voleurs de cause, ainsi que dans d’autres récits littéraires québécois et canadiens qui font état d’un étonnement mêlé d’une certaine perplexité.

La reconfiguration des limites réelles et symboliques

Lors de la crise d’Oka, les Mohawks arrivent à s’imposer dans l’espace public au Québec et au Canada selon des termes qui n’étaient pas prévus. La municipalité d’Oka se voit ainsi confrontée à une résistance qu’elle croyait pouvoir outrepasser, et les gouvernements provincial et fédéral doivent composer avec une crise qui les force à se positionner dans le conflit territorial. Des rapports de force qui semblaient définitivement établis sont alors mis en jeu et réapparaissent sous un angle nouveau dans la singularité de l’événement (Foucault 2003). Plus particulièrement, des rapports qu’on croyait jusqu’alors harmonieux, pour ne pas dire inexistants, se voient tout à coup dévoilés dans toute leur conflictualité, ce qui crée de profonds bouleversements. George E. Sioui constate à ce propos que la crise d’Oka

a heurté si rudement les sentiments du public en soulevant la possibilité que nous pourrions, effectivement, exister réellement, qu’elle a déclenché une réaction extrêmement négative de la part des sociétés québécoise et canadienne.

Kalant 2004 : 239

De fait, la reconfiguration des limites réelles et symboliques lors de la crise suscite un certain ressentiment parmi les populations non autochtones dans l’ensemble du Canada, en particulier dans la région touchée par le siège, où l’on assiste à de troublantes manifestations d’hostilité et de racisme. Une foule non autochtone locale se rassemble tous les soirs devant les barricades pour protester violemment contre les Mohawks et les policiers, réclamant à grands cris l’intervention de l’armée canadienne ; une effigie à l’image d’un autochtone suspendue à un lampadaire est brûlée sous les acclamations ; un convoi de voitures où prennent place des femmes, des enfants et des vieillards mohawks est littéralement lapidé par un groupe de résidants québécois (Obomsawin 1993 et 2000 ; Commission des droits de la personne du Québec 1991). De plus, de nombreuses personnes des communautés mohawks subissent des insultes, des arrestations et des interrogatoires musclés tout au long du conflit ainsi que par la suite (Fédération internationale des droits de l’homme 1990 ; Goodleaf 1995 ; York et Pindera 1991). La crise d’Oka éprouve ainsi durement les communautés autochtones qui font l’objet de ces violences.

Évoquant ces comportements haineux, Voleurs de cause met en scène des bagarres confuses et violentes, où les personnages autochtones – « un inflammable aborigène » (VC, 44), « l’authentique rebelle » (VC, 45), « le révolté le banni l’exécré le pas banal / le pas facile à faire asseoir / le pas facile à maîtriser » (VC, 58) – se défendent avec courage des attaques perpétrées par d’infâmes agresseurs tels un « soldat Canadian Tire » (VC, 63), un « fantassin repoussant » (VC, 14) et une « troupe populacière » (VC, 19) qui compte dans ses rangs le « chef de file du Ku Klux Klan à Montréal » (VC, 54). En transposant des événements douloureux de la crise d’Oka dans d’étranges scènes de bagarres, le poème invite le lecteur à se ranger derrière la figure du guerrier qui défend héroïquement sa communauté contre les violences et les intrusions. Toutefois, les perspectives se déplacent constamment, ce qui oblige le lecteur à se demander sans cesse d’où pleuvent les coups s’il veut savoir de quel côté se situe le héros, ce qui rend instable l’identification au personnage.

De son côté, le texte « Miroir, miroir, dis-moi… » de Cree fait une critique à la fois sévère et détachée des propos racistes et haineux énoncés dans l’espace public lors de la crise.

Les poncifs au sujet des Mohawks qu’ont servis, à partir de la confrontation tragique du 11 juillet, médias, politiques, politicards, quidams interviewés ou participant à des tribunes téléphoniques, étaient parfois si énormes qu’ils inciteraient certes Flaubert, s’il revenait parmi nous, à faire un ajout à son Dictionnaire des idées reçues.

MM

Cree fait référence au romancier français Gustave Flaubert qui, à son époque, s’était allègrement moqué des formules toutes faites et des préjugés véhiculés par ses contemporains en rassemblant leurs propos dans un dictionnaire de lieux communs accompagnés de définitions ironiques. En comparant les insultes proférées lors de la crise d’Oka au dictionnaire de Flaubert, Cree désamorce leur caractère outrageux et attire à la fois l’attention sur la bêtise qui les imprègne. Le texte affirme également que les jugements péremptoires de la majorité québécoise lors de la crise témoignent « d’une ignorance crasse des us et coutumes des Iroquois dont fait partie la Nation Mohawk » (MM). De manière générale, les présupposés contenus dans les discours qui circulent lors du siège trahissent une grande méconnaissance des peuples autochtones. Ce véritable défaut de vision a pour effet de renforcer le désir que demeure dans l’ombre l’existence politique et culturelle des premières nations.

La symbolique du terrain de golf et du cimetière mohawk

Souhaitée par la municipalité d’Oka, approuvée par le tribunal et soutenue par les forces de l’ordre, la réalisation d’un projet de développement récréatif au détriment d’un cimetière ancestral mohawk constitue un violent conflit sur le plan symbolique. De ce fait, la profanation d’un lieu de culte pour faire place à un terrain de golf parvient à rejoindre dans une certaine mesure l’entendement de la population non autochtone, et ce, malgré la perception souvent négative qu’elle a des revendications territoriales. Ici, c’est la reconnaissance de la valeur symbolique du cimetière qui rend difficile de persuader la population du bien-fondé d’un projet qui entraînerait sa destruction.

Plutôt que de faire mention de ce conflit symbolique, le texte « Miroir, miroir, dis-moi… » de Cree met de l’avant la question du territoire mohawk, alors que le poème « Mon pays rêvé ou la PAX KANATA », pour sa part, efface dans la mise en scène l’objet même du litige. Ce poème, qui se construit comme un portrait inversé des relations tendues entre non-autochtones et autochtones, communique un souhait de voir advenir des relations non déterminées par l’antagonisme.

À Kanesatake, où j’habite,
y’a du bouleau et du pin pour tout le monde
Le terrain de golf a disparu
et tous, Blancs et Peaux-Rouges (je rêve en couleurs)
peuvent, tel qu’autrefois, profiter de ce site enchanteur (PK)

Représenté comme un espace partagé, le territoire se dessine comme un lieu d’abondance où la cohabitation aux abords de la pinède se fait dans l’harmonie. Le golf ainsi que tout ce qu’il représente ayant disparu, les conflits n’ont plus de raison d’éclater. Ce rêve éveillé, qui se termine lorsque la narratrice se pince, car c’est « trop beau pour y croire » (PK), évoque par son contraire le conflit et sa cause. Dans le même temps, le poème exprime un désir de voir cesser le conflit.

Le recueil Voleurs de cause dénonce quant à lui la logique de la propriété privée et la poursuite du profit qui motivent la réalisation de ce projet de développement domiciliaire et récréatif. Mettant en valeur un mode d’occupation du territoire lié à la résistance, le narrateur fait l’éloge de ceux qui ont pris la décision de « saccager le terrain de golf, l’investir autrement qu’en investissant dessus » (VC, 22). De même, le recours aux forces policières pour libérer l’accès au terrain de golf, puis le déploiement de soldats et de chars d’assaut de l’armée canadienne pour mettre fin au siège sont vertement dénoncés, d’autant plus que le « terrain de golf de la minorité amusante » (VC, 22), le « golf comme loisir sport divertissement / affaire secondaire dans la vie » (VC, 14), ne semble pas justifier de telles mesures. Montrant du doigt le caractère élitiste du projet, le narrateur condamne le « fanatisme légaliste des minorités de golfeurs / prompts à décider du sort des marges / de tavernes en clubs privés » (VC, 17). En plus de discréditer l’élite locale en l’accusant de fanatisme, il s’en prend au maire d’Oka qui, « aveuglé par la loi » (VC, 12), persiste à réclamer une injonction pour mettre fin à l’occupation par la force. Le poème rejoint sur ce point une lettre de John Ciaccia envoyée au maire d’Oka peu avant le déclenchement de la crise. Cette lettre, qui incitait fortement le maire à la patience et le mettait en garde contre les risques d’escalade du conflit, soulignait entre autres que le différend dépassait le cadre strictement juridique (Ciaccia 1991 : 98). Le mouvement de sympathie qui s’esquisse en faveur des Mohawks qui veulent empêcher que leur pinède et leur cimetière ancestral ne soit sacrifiés pour un terrain de golf se voit bientôt freiné par les discours des autorités qui condamnent le recours aux armes et associent à la criminalité la lutte politique des Mohawks qui tiennent et soutiennent le siège.

La lutte des représentations

La crise d’Oka, construite en fonction de sa médiation, place l’image au coeur des stratégies et des tactiques employées par les gouvernements et l’armée canadienne, ainsi que par les Mohawks qui portent ainsi le conflit à l’attention de l’opinion internationale. Dans un contexte où la machine médiatique interprète, sélectionne et filme ce qui se passe aux barricades, faisant l’événement plus qu’elle ne le dit, la capacité des gouvernements de construire l’événement par le biais des médias vient jouer sur la perception et l’issue du conflit. La configuration de l’événement par les images donne ainsi lieu à une lutte des représentations d’où surgiront des figures centrales de la confrontation, telles les figures du warrior mohawk et du soldat canadien, ainsi que celles du siège et du face-à-face.

Le texte « Miroir, miroir, dis-moi... » met en relief le rôle stratégique joué par les médias pour faire jouer l’issue du conflit. Pour les autorités gouvernementales et l’armée canadienne, écrit Myra Cree, cette crise « est très vite devenue […] une lutte pour définir qui allait remporter, qui allait gagner la guerre de l’Image » (MM). Dans l’écriture de l’auteure mohawk, le conflit des représentations s’appuie sur la dualité imaginée entre une figure de l’ordre établi, garante d’intégrité et de maîtrise, et une figure du hors-la-loi, porteuse de terreur et de désordres violents.

Il s’agissait donc de créer, et on l’a fait, l’image d’une armée propre, intègre, pacifique. Des soldats-gentlemen (bardés d’armes tout de même), qui allaient, sans tirer un seul coup de feu (n’est-ce pas Paul Morand qui a écrit que « partir, c’est le rêve de tout bon projectile » ?), te-me-mater [sic] ces criminels, ces terroristes, ces monstres, ces moins-que-rien-de Mohawks.

MM

C’est donc par le biais d’une amplification dramatique de représentations stéréotypées que finit par s’imposer une image des Mohawks « déformée jusqu’à la caricature » (MM). L’ironie de l’auteure se fait sentir dans les parenthèses qui mettent en relief les contradictions rattachées au pacifisme de militaires armés. L’effet de contraste entre les figures reprises par Cree et la citation détournée de propos outrageux souvent entendus lors de la crise renforce la performativité du texte en portant le lecteur à juger à son tour – s’il ne l’avait pas déjà fait – l’image trop caricaturale pour être sérieuse.

Pour sa part, le narrateur de Voleurs de cause critique la stratégie médiatique orchestrée par « l’armée [qui] avait tout prévu » (VC, 87), mais n’épargne pas davantage la passivité crédule du public, constatant avec dégoût que « le monde a tout avalé sans broncher » (VC, 87). À propos des configurations narratives qui finissent par prédominer lors de la crise, il déclare que « les Blancs ont encore réussi à diminuer les choses / à travestir les strictes évidences / fourvoyer le sens, embrouiller les faits » (VC, 51). Devant la figure du guerrier mohawk qui se dessine dans le recueil comme la présence d’une altérité qui s’impose, remet en question et suscite une certaine fascination, la figure du Blanc apparaît tel un jeteur d’ombre qui multiplie les manoeuvres pour brimer l’altérité autochtone. À cet égard, Voleurs de cause fait remarquer qu’à la fin du siège, des accusations criminelles sont portées contre les Mohawks derrière les barricades, détournant en quelque sorte le caractère politique de la lutte. Lors de la crise d’Oka, les autorités s’efforcent de réaffirmer la configuration politique établie en traçant une distinction claire entre les « vrais » Mohawks, opposants jugés légitimes du point de vue des lois québécoises et canadiennes, et les warriors, décrits comme des imposteurs armés et masqués qu’elles gagnent à faire basculer publiquement du côté de la criminalité pour mieux les dépolitiser. Les images qui circulent dans l’espace public à l’été 1990 contribuent à ce que les revendications territoriales historiques de l’ensemble de la communauté mohawk de Kanesatake se voient campées dans un contexte d’illégalité.

Afin de situer le conflit dans le contexte d’une lutte politique, les récits de Cree et de Boisvert font appel à l’historiographie des Québécois qu’ils mettent en parallèle avec celle des Mohawks. Voleurs de cause met ainsi en scène un personnage mohawk qui, à propos de la crise d’Oka, exhorte à ce « qu’on s’en rappelle / et qu’on détalle / avec ce souvenir embossé bleu et blanc / sur les plaques d’automobile. » (VC, 40 – en italiques dans le recueil) L’allusion à la devise du Québec vise à créer un rapprochement entre le projet d’affirmation nationale des Québécois, qui apparaît généralement à ceux-ci comme une revendication légitime et raisonnable, et celui des Mohawks, qui se voit généralement nié et discrédité, souvent à l’aide d’arguments de mauvaise foi. Dans son témoignage « Miroir, miroir, dis-moi... », Cree compare l’histoire et les aspirations des Mohawks à celles des Québécois :

Les Mohawks croient aujourd’hui au bien-fondé de leur réclamation et s’opposent, encore aujourd’hui, à violer ou à nier ce qu’ils croient honnêtement être leur droit de propriété. Peut-on les blâmer de leur ténacité, eux qui habitent une province – le Québec – dont la devise officielle est « Je me souviens » ?

MM

Tout en faisant appel à l’expérience et à la sensibilité des Québécois, le texte de Cree montre que la construction d’un récit national peut se faire au détriment d’une autre historiographie. En mettant en parallèle la situation de la minorité mohawk et de la minorité québécoise au sein du Canada, Cree et Boisvert touchent un point particulièrement sensible, c’est-à-dire le malaise des Québécois mis devant leur statut de colonisateurs, eux qui se sont longtemps définis comme un peuple colonisé. À ce sujet, le titre du recueil de Boisvert, Voleurs de cause, est tout à fait évocateur car il joue avec l’idée selon laquelle les luttes nationales des Mohawks feraient concurrence à celles des Québécois, tant et si bien que les souverainistes mohawks viendraient en quelque sorte voler la cause des souverainistes québécois. Lors de la crise d’Oka, qui survient dans les suites immédiates de l’échec de l’accord du Lac Meech, « les concentrationnés / insurgeurs / autonomistes alimentés au réel / libertaires conséquents / méchants, effrontés, offensifs / les offensés défensifs / ceux qu’on hait d’être moins aimés que nous » (VC, 74) apparaissent ainsi à la communauté qui est représentée par le narrateur comme un élément troublant qui lui subtilise son aura de peuple opprimé et renverse de surcroît la situation en le plaçant sans vergogne dans la posture du peuple dominant.

La négociation des termes

L’irruption d’un élément nouveau dans le champ commun de visibilité pousse les parties à renégocier les termes de la répartition des éléments dans l’espace. En unissant les parties sur un même objet contesté de part et d’autre, note Georg Simmel, le conflit contribue pour sa part à effacer les frontières qui séparent les parties. Tout particulièrement, il incite à la création d’un terrain d’entente où peut avoir lieu la confrontation (Simmel 1992). Lors du siège, par exemple, les négociations se trouvent au coeur de pratiques spatialisantes : c’est ainsi que les Mohawks ripostent à un resserrement imprévu du périmètre militaire par une interruption des négociations menaçant de faire durer le conflit. Acculé au compromis par la crise qui fait irruption, le gouvernement fédéral s’engage pour sa part à racheter le terrain qui est au coeur du litige pour le mettre à la disposition des Mohawks, ce qui oblige la municipalité d’Oka à abandonner son projet de développement. En entraînant une « remise en question du territoire symbolique [que constitue] l’espace national » (Delâge 1997 : 299), la crise d’Oka amène les sociétés québécoise et canadienne à constater que le Canada contient manifestement plus de deux solitudes. Lorsque Myra Cree rappelle les mots d’un commentateur qui disait qu’en octobre 1970, les gens avaient peur de l’armée, mais qu’en 1990 ils se sentaient rassurés par sa présence, elle s’exclame : « Allez savoir pourquoi j’ai senti que cela nous excluait. Alors, et nous ? Premières nations ? Eh bien, et nous, rien ! » (MM) Tout en illustrant la polarisation des appartenances suscitée par la crise, l’auteure mohawk fait observer avec cynisme que la présence de l’armée canadienne n’effraie nullement les Québécois lorsqu’elle est déployée pour mettre fin à un conflit politique qui touche les autochtones.

Évoquant la conflictualité d’une coexistence définie du point de vue de la majorité, Boisvert met en scène un personnage autochtone qui rappelle sa présence à cette dernière : « car nous sommes deux, paraît-il, l’un jugeant l’autre en trop » (VC). Le poème évoque ici le défaut de reconnaissance qui se trouve à la base des politiques qui repoussent les premières nations à la périphérie. Lorsque Cree conclut son témoignage en disant que les rapports à Oka/Kanesatake demeureront conflictuels tant et aussi longtemps que « paix ne rime[ra] pas avec justice, légalité avec légitimité », elle touche au coeur même de la difficulté, c’est-à-dire la définition que se font les parties de ce qui constitue une situation juste et une loi légitime. Il en va de même pour les différents concepts de territoire : d’un côté, la majorité québécoise conçoit le territoire comme sa propriété légitime et juge les revendications de la minorité déraisonnables ; de l’autre côté, la minorité mohawk considère que son territoire a été usurpé, et qu’à ce titre, il doit lui être retourné, ainsi que le pouvoir de gouvernance. À ce sujet, il est important de constater que la méconnaissance et la distorsion de l’histoire des peuples autochtones viennent forcément alimenter l’incompréhension et l’intolérance des populations québécoise et canadienne, qui ont longtemps imaginé leur pays sans la présence autochtone. Comme les identités se confrontent avec d’autant plus d’acharnement qu’elles possèdent des qualités communes et appartiennent à un seul contexte social commun (Simmel 1992), force est toutefois de constater que la forte animosité entre les identités autochtones et non autochtones vient de leur inévitable coexistence sur un territoire partagé, et tout particulièrement d’une situation façonnée par les inégalités et les dépossessions causées par la colonisation.

Conclusion

Les textes de Myra Cree et d’Yves Boisvert font ressortir à quel point le lien entre le visible et la signification se modifie selon les appartenances et les positions occupées au coeur d’un conflit. Les représentations de la crise d’Oka mettent ainsi en relief le différend qui se trouve au coeur de la construction des événements et de la définition du lien au territoire, que chaque partie veut inscrire dans son cadre de référence. Si les écrits des deux auteurs reprennent des thèmes similaires, ils reflètent à la fois des perspectives et des expériences différentes. Le témoignage « Miroir, miroir, dis-moi... » apporte un éclairage critique sur la crise d’Oka à partir de l’expérience personnelle de l’auteure, qui est elle-même mohawk. Formulant un point de vue politisé sur l’événement, le texte situe clairement le conflit dans la perspective d’une historiographie mohawk. Il s’en prend ironiquement à l’image déformée de la communauté mohawk alors véhiculée dans les médias et dévoile l’ignorance flagrante qui se cache derrière les stéréotypes grossiers entendus au sujet des Mohawks lors de la crise. Tout en valorisant l’insoumission face à l’injustice, le texte se veut crédible dans sa volonté de rectifier les faits. Le poème « Mon pays rêvé ou la PAX KANATA » imagine pour sa part un monde idyllique où les antagonismes ont disparu. Dans un tout autre registre, Boisvert prend la parole pour troubler la bonne conscience du citoyen, dénoncer l’empiètement territorial et dénigrer tour à tour militaires, politiciens, élites locales et médias. Son recueil donne à voir le surgissement d’une présence autochtone dans le champ de visibilité contemporain, ainsi que les réactions d’hostilité qui accompagnent le siège. En mettant en scène la figure du guerrier mohawk qui se défend des attaques d’un monde corrompu, le poète fait par la bande une vive critique de la société québécoise. Tout en prenant position en faveur des communautés autochtones, le poète brouille sans cesse les perspectives, complexifiant les rapports à la territorialité et les découpages identitaires.

Les récits sont d’un intérêt particulier dans l’étude d’un événement politique, car ils constituent l’un des lieux privilégiés pour l’observation et l’interprétation des mutations politiques profondes, c’est-à-dire des changements qui se produisent dans la manière d’être ensemble. Par leur singularité et par la perspective qu’ils délimitent, ils contribuent à leur manière à contrer l’invisibilité et à transformer les imaginaires, ce qui n’est pas sans importance dans un contexte où la reconnaissance pose problème. À cet égard, André Dudemaine rappelle ceci : « Myra partageait avec nous l’idée que c’est d’abord par la culture, le dialogue et les arts qu’une sensibilité se modifie et rend le changement possible. » (Lamarche 2005 : A10) Dans la mesure où la prise de pouvoir par les premières nations s’accompagne nécessairement d’une redéfinition du sens pour toutes les parties, il est intéressant d’observer comment les différences et le sens des conflits sont mis en forme dans les récits d’auteurs autochtones et non autochtones. Enfin, si l’on considère que les formes culturelles comme les romans ont joué un rôle important dans la formation des attitudes, des références et des expériences coloniales (Iser 2006 ; Churchill 1992), il apparaît pertinent de mettre de l’avant les perspectives d’auteurs autochtones qui mentionnent la crise d’Oka dans leurs récits littéraires, surtout dans un contexte où les voix autochtones ont longtemps été reléguées à la périphérie des sociétés québécoise et canadienne.