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Mémoire de maîtrise remanié, l’ouvrage de Maxime Gohier, Onontio le médiateur, porte sur les alliances franco-amérindiennes aux xviie et xviiie siècles. Renouvelant brillamment l’historiographie, Gohier aborde les relations franco-amérindiennes sous l’angle de la médiation. Selon lui, cette pratique est au coeur des relations et représente un enjeu fondamental lors des négociations de la Grande Paix de 1701. Dans le premier chapitre, il retrace l’existence de la pratique de la médiation au sein des deux cultures. En étudiant les alliances du xviie siècle, il prouve que la médiation revêt une forme syncrétique en Amérique après le contact. Dans le chapitre suivant, il expose les aspirations similaires des Français et des Iroquois à occuper le rôle de médiateur entre les nations du nord-est de l’Amérique. Enjeu hégémonique, la médiation est, selon Gohier, une source de tensions expliquant les conflits franco-iroquois. Nuançant les interprétations sur la Grande Paix de 1701, il pose, dans le troisième chapitre, la signature de ce traité comme un « compromis franco-iroquois » rendu possible par l’ambiguïté entourant la clause de la médiation. Thèse qu’il confirme dans la dernière partie de son ouvrage, en étudiant les tensions franco-iroquoises jusqu’en 1717. Au passage, soulignons la périodisation hétérodoxe (1603 à 1717) qui délaisse les repères temporels européens au profit d’une division plus significative et adaptée à l’étude des conflits amérindiens.

En utilisant la littérature secondaire européenne, il retrace les origines de la médiation française dans le droit international et dans la culture diplomatique française. Au xviie siècle, des théoriciens, comme Grotius, développent des idées pacifistes et des méthodes diplomatiques qui s’inscrivent dans le prolongement de la pensée humaniste. Sous l’impulsion des guerres incessantes en Europe, une élite intellectuelle influencée par ces théories juridiques consacre l’idéal de la paix au nom de la stabilité économique et étatique. La médiation se pose comme un outil diplomatique privilégié afin de vider pacifiquement un différend. Elle trouve une résonance chez les souverains français qui veulent instaurer la Pax Gallica. De plus, elle inscrit les belligérants dans un processus de clientélisation ; par conséquent elle octroie une position avantageuse au médiateur. Gohier montre ensuite le rôle de la médiation dans les confédérations amérindiennes créées avant le contact. Ritualisée et basée sur les principes de réparation et d’apaisement des conflits, la médiation amérindienne confère, comme dans la pratique française, un rôle hégémonique au médiateur.

Le contact donne une forme syncrétique à la médiation, présente au sein des deux cultures diplomatiques et à la fois teintée des rituels autochtones et de l’ambition hégémonique française. Pour l’illustrer, Gohier retrace les relations entre les Français et leurs alliés amérindiens traditionnels au cours du xviie siècle. Les alliances répondent à la fois aux impératifs coloniaux et aux besoins des autochtones. Placés dans une position de dominés, les alliés acceptent l’autorité du gouverneur, Onontio[1], afin d’obtenir notamment une protection face aux Iroquois et un accès aux marchandises européennes.

Ensuite, Gohier étudie le rôle et la portée de l’enjeu de la médiation dans les relations franco-iroquoises au xviie siècle pour l’inscrire comme une source de conflit. Il quitte ainsi les sentiers battus de l’historiographie où les motifs économiques et démographiques sont admis comme les principales causes des conflits franco-iroquois[2]. Sans nier ces facteurs, il les complète avec la médiation.

En se référant au mythe fondateur de la Ligue iroquoise, Gohier expose le désir hégémonique des Iroquois de soumettre les peuples du Nord-Est à leur projet de Pax Iroquoia dès le xvie siècle. Ensuite, il dresse l’évolution des conflits et des négociations entre les Iroquois et les Français au cours du xviie siècle, afin de montrer que le projet iroquois rencontre avec tensions le dessein semblable des Français. Les Iroquois sont enclins à s’allier avec les Français, mais à condition qu’ils demeurent les maîtres d’une alliance nouée à Onontagué. Pour le gouverneur français, se soumettre aux conditions de la Ligue est inadmissible et il veut se maintenir tel l’arbitre incontestable, sans quoi il perdrait toute légitimité, tant face à ses alliés amérindiens qu’aux yeux de la métropole. Campées dans leurs positions respectives, la Confédération iroquoise et l’administration coloniale ne parviennent à conclure aucune entente viable avant la fin du siècle. À l’aube du xviiie siècle, affaiblis par les épidémies et les raids des nations ennemies, les Iroquois prennent conscience de leur incapacité à s’imposer. L’idée d’une alliance stratégique avec la France gagne du terrain, et les Iroquois, sans vouloir se soumettre, cherchent à mettre à profit les rivalités intercoloniales et veulent élaborer une entente conçue sur le modèle de la chaîne du Covenant[3].

Le troisième chapitre porte sur la question de la Grande Paix de 1701, signée par les Français, par leurs alliés et par les Iroquois. Gohier analyse les pourparlers pour montrer que la médiation est l’élément central des négociations. Il déroge ainsi de l’historiographie qui priorise les clauses de neutralité iroquoise ou des territoires de chasse dans les pourparlers. Contrairement aux diverses interprétations historiques[4], Gohier perçoit la Grande Paix comme un compromis franco-iroquois. Il appuie sa position par la clause de la médiation armée, demande iroquoise à laquelle cède le gouverneur Callière pour parvenir à une entente.

Selon Gohier, l’alliance se scelle en raison d’une ambiguïté ou d’une double compréhension, française et iroquoise, entourant les termes de la Grande Paix. Les Iroquois la voient comme l’extension de la chaîne du Covenant qui concrétise leur position de médiateur et croient obtenir le soutien militaire et commercial des Français. De son côté, Callière expose une version « idyllique » de l’entente auprès de la métropole en vantant l’imposition de la Pax Gallica et la position hégémonique qu’il vient de concrétiser. Gohier explique ce décalage interprétatif par une stratégie de désinformation de la part de Callière ou de Tonantakout, l’ambassadeur iroquois de la fraction francophile, ou peut-être des deux. Les sources demeurent silencieuses sur le sujet, mais pour l’auteur ce silence est significatif, voire délibéré. Il lui semble évident que des aspects de la proposition de Callière aient été volontairement dissimulés aux Iroquois lors des négociations de l’été 1700. La question des prisonniers de guerre, symbole de l’alliance, que seuls les Iroquois ne livrent pas lors de la signature du traité, est la preuve la plus convaincante de l’existence des deux interprétations.

Si, jusqu’à maintenant, Gohier faisait preuve de clarté, son traitement du chassé-croisé diplomatique manque parfois de limpidité. Il est parfois malaisé de faire la part entre ses suggestions hypothétiques et ses assurances. La compréhension divergente du traité, qu’il appuie de son mieux par des échanges diplomatiques souvent équivoques, va enfin se confirmer dans le dernier chapitre où il étudie l’application de la clause de la médiation armée.

Finalement, il relate les différents heurts survenus entre 1701 et 1717, lorsque les Iroquois ont cherché à ce qu’Onontio honore ses engagements. Cette démonstration met efficacement en évidence la signification que le traité revêt pour les Iroquois et rappelle que la Grande Paix, dans son application, est loin d’être ce reluisant succès diplomatique que Callière glorifiait. En fait, ce traité a mis les Français dans un réel embarras jusqu’en 1717, les contraignant à menacer leurs alliés de l’Ouest afin de respecter le pacte défensif qu’ils avaient conclu au sens des Iroquois. Jusqu’à la fin de la colonie française, les Iroquois refusaient de considérer le gouverneur français comme le détenteur légitime du statut de médiateur. Si la diplomatie menée par Vaudreuil après la signature de la Grande Paix a réussi à éviter toute reprise de conflits, il faut admettre que la stratégie iroquoise a néanmoins permis de miner les relations entre les Français et leurs alliés traditionnels, tout en affaiblissant considérablement ces derniers.

Gohier clôt son ouvrage sur une récapitulation exemplaire et prétend que la pratique de la médiation se poursuit au-delà de 1717 sans malheureusement étayer ces brefs propos. Les spécialistes de l’histoire autochtone tout comme les néophytes, y trouveront une analyse fort bien étoffée, s’appuyant sur un appareil méthodologique solide et une utilisation pertinente et aguerrie des sources. Ne négligeant aucune source française pertinente[5], Gohier fait aussi appel à la tradition orale autochtone et aux preuves archéologiques. De plus, il utilise des documents anglais du Commissariat des Affaires indiennes d’Albany, afin de mettre en relief les informations contenues dans les documents coloniaux français. Il a l’intelligence de situer les documents dans leur contexte de production et il confronte sa thèse à l’ensemble des sources existantes, sans omissions volontaires ou oublis dommageables. Par cette étude, Gohier approfondit la compréhension du rôle indispensable joué par les autochtones dans l’histoire coloniale française et vient habilement compléter l’analyse anthropologique de la place d’Onontio et de la conception de l’autorité chez les nations autochtones proposées par Gilles Havard (2003). Son interprétation quant à l’origine de la pratique de médiation et à la place qu’elle a occupée dans la gestion des conflits amérindiens, de même que concernant son rôle central dans les négociations de la Grande Paix, est un apport fondamental à la recherche, que la communauté historienne se doit d’accueillir avec toute la considération qui lui revient.