Abstracts
Résumé
40 % des personnes sans domicile fixe de Montréal souffrent d’un trouble mental grave. Cette situation alarmante a des causes complexes. Prises isolément, aucune ne peut prétendre tout expliquer. Parmi elles, l’état actuel du droit interpelle plus particulièrement les psychiatres et les juristes dans leur devoir de protéger les personnes les plus démunies. En effet, on ne peut plus se contenter d’invoquer la désinstitutionnalisation pour expliquer la forte proportion de malades mentaux parmi les itinérants. Il faut aussi considérer le fait que les soins sont désormais donnés en tenant compte du choix des personnes qui les reçoivent. Ce respect de l’autonomie des patients est le plus souvent bénéfique mais il a aussi pour conséquence de laisser à elles-mêmes, dans un état d’extrême indigence, sans même la capacité de crier au secours, des personnes gravement malades et en rupture de soins. Il est urgent d’opposer à ce nouveau visage de l’exclusion, un devoir d’ingérence envers les personnes bafouant, bien malgré elles, leur propre droit à recevoir soins et protection. Cliniciens et juristes doivent travailler ensemble pour définir les contours de ce devoir d’intervention. Il devront trouver un nouvel équilibre entre le besoin de soins et le respect des libertés.
Mots-clés:
- sans-abri,
- sans domicile fixe,
- itinérance,
- trouble mental grave,
- toxicomanie,
- loi,
- autonomie,
- ingérence
Abstract
40 % of the homeless in Montreal suffer from severe mental disorder. Most of the time, deinstitutionalization is pointed out as the main cause of this situation. In fact, a closer survey of the problem proves there are much more complex causes to it than this only explanation. As a matter of fact, the modification of the law in order to take into account the rights and autonomy of the mentally ill patients is to be considered as one of the possible factors leading to homelessness because of the risk of health care interruptions. However, clinical commitment along with legal interventions and humanitarian interference could reduce the risk of homelessness and offer the most vulnerable patients good health care and new opportunities to find a place within the community. Clinicians and lawyers have to cooperate to define a fine balance between the patients’ rights and their needs for care.
Keywords:
- homeless,
- homelessness,
- severe mental disorder,
- subtance use disorder,
- law,
- autonomy,
- interference
Article body
« (…)Je n’ai jamais très bien su comment ces choses-là se décidaient. Je ne connais personne en particulier, je suis un peu isolé. Et à moins qu’une grande chance ne m’atteigne, je ne vois pas comment je changerais (…) »
Marguerite Duras
Le phénomène des sans-abri n’est pas récent et il y avait déjà parmi les personnes itinérantes, avant l’ère de la désinstitutionnalisation, des malades mentaux ou des personnes ayant des troubles causés par l’alcool et la drogue. Ainsi, en 1963 dans les quartiers fréquentés par les itinérants américains, on estimait qu’il y avait 20 % de malades mentaux (Burt, 1992). En revanche, ce qui est nouveau depuis le début des années 80, c’est l’augmentation importante de la proportion des malades mentaux qui deviennent sans domicile fixe. Entre 1980 et 1987, on note aux États-Unis une augmentation de 500 à 900 % des sans-abri parmi les patients psychiatriques et de et de 500 % parmi les patients alcooliques (Burt, 1992). Que s’est-il passé durant la même période ? La désinstitutionnalisation est la raison la plus souvent invoquée. Elle est depuis des années un bouc-émissaire commode pour éviter les désagréments d’un examen plus approfondi du phénomène de l’itinérance. Les patients autrefois hospitalisés au long cours en psychiatrie n’ont pourtant pas été jetés à la rue par les équipes traitantes. Au contraire, ils ont patiemment été réinsérés dans la communauté et ils sont le plus souvent bien suivis. En revanche, la désinstitutionnalisation s’est accompagnée de trois modifications profondes dans la façon de donner les soins psychiatriques. D’abord, on tient davantage compte du choix des personnes dans les décisions les concernant. Le respect de l’autonomie est devenu au cours des cinquante dernières années la valeur incontestée d’une psychiatrie humaniste, enfin dégagée du rôle de contrôle social dans lequel l’avait confinée l’absence de moyens thérapeutiques efficaces. De son côté, soucieux de protéger les patients des anciennes dérives de la psychiatrie asilaire, le législateur a rendu plus difficile les possibilités d’hospitaliser et de traiter des patients contre le gré. Enfin, les indications d’hospitalisation en psychiatrie sont beaucoup plus restrictives aujourd’hui que dans les années 70 en raison d’une réduction importante du nombre de lits (on est passé au Québec de 20 000 lits en 1965 à 3440 lits en 2004, soit presque 6 fois moins!) (Lesage, Morissette, Fortier, Reinharz, Contandriopoulos, 2000) (Éco-santé Québec). L’essentiel des soins psychiatriques se donne maintenant sur une base ambulatoire.
Ces modifications sont bénéfiques pour la plupart des patients mais elles précipitent un nombre croissant d’individus fragilisés par la maladie mentale dans la misère. Ces personnes, parfois dérangeantes mais non dangereuses selon les critères usuels, choisissent la « liberté » plutôt que les soins sans toutefois avoir les capacités d’assumer les conséquences de leur choix. Le manque de logements à prix modique et la quasi disparition des emplois journaliers n’exigeant aucune qualification particulière ne font qu’aggraver les risques de grande précarité. La rue devient pour un bon nombre de patients la seule option disponible. Est-ce vraiment un choix ?
Cette première analyse montre d’emblée que psychiatres et juristes sont à priori concernés par le phénomène de l’itinérance puisque les réformes qu’ils ont appelées de leurs voeux pour protéger les droits des patients créent malheureusement des dommages « collatéraux ».
Beaucoup d’indices permettent de penser que l’organisation des soins et les contraintes actuelles de la loi concernant les malades mentaux contribuent à jeter dans l’errance urbaine des personnes vulnérables. Contribuer ne signifie pas être l’unique cause du problème. Il est clair que des facteurs sociaux et individuels participent aussi aux situations de grande précarité.
Cet article rapporte d’abord quelques données provenant du ministère de la santé du Québec (Fournier, Chevalier, 1998) et de l’Institut de la Statistique du Québec (Fournier, 1998-1999, 2001, 2003) concernant la santé mentale des sans-abri de Montréal. Ces informations sont ensuite situées au sein d’une théorie explicative plus large de manière à éviter de trahir la complexité de l’itinérance. Puis, après l’exposé des principes de prise en charge de ces patients et de quelques difficultés rencontrées par les équipes traitantes avec le cadre légal au Québec, une réflexion sur la nécessité de concevoir un devoir d’ingérence est proposée pour mieux contrer le risque d’exclusion. Face à la disparition de certaines personnes dans l’inexistence sociale, le recours aux soins sous contrainte doit être envisagée au cas par cas. Faute de données probantes, seuls le jugement clinique, l’éthique et le droit peuvent éclairer le chemin à emprunter. Susciter un débat au sein des équipes de psychiatrie sur les conditions et les exigences du soin envers les patients les plus vulnérables est l’unique ambition de ce travail.
La rue, un asile à ciel ouvert
Le ministère de la santé du Québec estime qu’il y a 28000 itinérants à Montréal. Il s’agit du nombre de personnes en situation de grande précarité qui sollicitent l’aide des soupes populaires, des centres de jours pour démunis ou des refuges. Parmi elles, 12000 sont effectivement sans domicile fixe (SDF), c’est à dire sans logement depuis un an au moment de l’étude (Fournier, Chevalier, 1996-1997, 1998). Selon l’enquête réalisée par l’Institut de la statistique du Québec, le niveau de détresse psychologique des itinérants est élevée puisque 35 % de ces personnes ont déjà fait une tentative de suicide alors que la prévalence n’est que de 0,7 % dans la population générale (Fournier, 1998-1999, 2001). Près de 70 % des itinérants et 80 % des SDF présentent au moins un trouble psychiatrique si on inclut les troubles reliés à l’usage d’alcool ou de drogues. À elles seules, les pathologies psychiatriques graves (schizophrénie et autres troubles psychotiques, dépression majeure et troubles bipolaires) affectent 35 % de l’ensemble des itinérants et plus de 40 % des personnes actuellement SDF, alors qu’elles ne touchent que 5 % de la population générale. Le fait d’avoir une maladie psychiatrique grave peut modifier de façon significative la pensée, les émotions, les perceptions et la motivation. Sans traitement, toutes les dimensions de la vie quotidienne sont susceptibles d’être perturbées : travail, études, famille, relations sociales, gestion financières et capacité de prendre soin de soi.
D’après la même enquête (Fournier, 1998-1999, 2001), on trouve la présence de troubles liés à l’usage d’alcool ou de drogues chez 45 % de l’ensemble des personnes fréquentant les ressources pour itinérants et chez 60 % des SDF. En ce qui concerne les troubles de personnalité, ils sont présents chez un peu plus de 20% des itinérants. À lui seul, le trouble de personnalité antisociale se trouve chez 17 % des sans-abri.
Par ailleurs, plus de 30 % des sans-abri cumulent un trouble psychiatrique grave et un problème lié à l’usage d’une substance ; environ 10 % des SDF ont en plus un trouble de personnalité et cumulent ainsi trois types de problèmes mentaux.
Ces associations de pathologies rendent particulièrement difficile la relation thérapeutique et elles exposent davantage les patients à une fin prématurée des soins en raison de l’importance des conflits avec l’équipe traitante (Caton, 1995) (Hall, Popkin, Devaul, Stickney, 1977).
Selon l’enquête de l’Institut de la statistique du Québec, l'itinérant souffrant d’une maladie mentale se distingue de ses compagnons d’infortune sur bien des points: il a une moins bonne santé physique, une plus longue histoire d’itinérance, une rupture plus fréquente des liens familiaux, une plus grande incapacité vis-à-vis du marché du travail, une méfiance plus importante envers le milieu de la santé et un recours plus fréquent à la criminalité. Par ailleurs, il est lui-même plus souvent victime de violence.
La fréquence des gestes violents posés par les patients itinérants n'est pas évaluée. Toutefois. le fait d’avoir une maladie psychiatrique grave multiplie environ par quatre le risque d’agression comparativement à la population générale (Swanson, Holzer, 1991) (Dubreucq, Joyal, Millaud, 2005). De plus, différents travaux montrent que le risque de violence des malades mentaux est surdéterminé par la présence d’antécédents d’agressions physiques et par l’abus d’alcool ou de drogues (Swanson, Holzer, 1991). On comprend dès lors que les itinérants souffrant d’une maladie mentale devraient constituer un groupe particulièrement à risque de violence compte tenu de la fréquence de l’association à la toxicomanie.
Enfin, l’enquête réalisée au Québec montre que 30 % des SDF ont déjà été hospitalisés en psychiatrie avec en moyenne 4 hospitalisations. La première a duré un peu plus de 4 mois et la plus longue presque 6 mois (Fournier, 1998-1999, 2001, 2003). À titre comparatif, la durée moyenne des hospitalisations pour la population générale admise en psychiatrie est de quatre semaines au Québec (Éco-santé Québec). Cette donnée confirme la sévérité et la chronicité des troubles psychiatriques présentés par près de 3 itinérants sur 10. De plus, et cela est troublant pour toute personne interpellée par la protection des personnes vulnérables, l’enquête québécoise révèle que les deux tiers des personnes ayant été hospitalisées en psychiatrie n’étaient pas SDF au moment de leur dernière hospitalisation. Cela laisse espérer qu’une meilleure prise en charge de certains malades pourrait leur éviter de sombrer dans ce mode de vie. On connaît d’ailleurs le profil des patients particulièrement à risque d’itinérance : ils ont souvent des antécédents judiciaires, ils cumulent 2 ou 3 diagnostics de troubles mentaux, ils ont été hospitalisés à plusieurs reprises et ils ne suivent pas leur traitement (Fournier, 1998-1999, 2001, 2003) (Swanson, Holzer, 1991) (Dubreucq, Joyal, Millaud, 2005).
Comprendre l’itinérance
Ce portrait de la santé mentale des itinérants de Montréal fait frémir. On peut se questionner sur les raisons de l’impuissance de la psychiatrie à rejoindre ces patients. Cependant, même si les problèmes psychiatriques et de dépendance à une substance de ces personnes pèsent dans le processus qui mène à l’itinérance, ils ne peuvent le résumer. Il n’est ni nécessaire ni suffisant d’être malade mental, alcoolique ou toxicomane pour devenir un itinérant. En revanche, 2 à 15 % des malades mentaux deviennent des sans-abri (Martell, 1991) (Folson, Hawthorne, Lindamer, 2005). Si le manque de ressources ou de logements peut être un facteur précipitant évident, il ne rend pas compte non plus de toutes les situations. De la même façon, on ne peut pas se réfugier uniquement derrière les dysfonctionnements du système de santé ou des insuffisances de l’appareil législatif pour expliquer l’itinérance. En fait, une multitude de facteurs peuvent jouer selon les particularités de chaque personne et il n’est guère possible de se contenter d’un seul niveau d’explication. La difficulté est de pouvoir penser la complexité.
Comment conceptualiser dans le même temps la combinaison de facteurs structuraux (situation économique, mesures sociales de protection, organisation du système de santé, lois), personnels (enfance douloureuse, maladie mentale, toxicomanie, incapacité à tolérer les règles et les frustrations, capacités limitées face aux demandes de la vie) et situationnels (perte d’emploi, perte d’un logement, rupture amoureuse) (Fournier, 1998-1999, 2001, 2003) ? L’esprit humain a de la difficulté à s’acquitter d’une telle tâche sans avoir un modèle de compréhension pour mieux penser mais surtout pour mieux aider.
Ruptures et impasses
La réflexion de Michel Simard (Simard, 2000) est sur ce plan tout à fait remarquable. Cet auteur montre que depuis le début des années 1980, les sans-abri ne sont plus comme par le passé seulement des démunis de tout bien matériel ; désormais, ce sont aussi des exclus, des êtres en rupture sociale. C’est à dire qu’ils sont dépourvus de tout lien d’appartenance et de tout ancrage. Or, ces liens relationnels sont nécessaires pour construire et maintenir une identité. Ils sont donc privés de cette part des autres si essentielle pour s’estimer et vivre en société. Ils errent dans un monde vide, sans repère et sans projet. Ainsi, l’itinérance apparaît comme l’aboutissement d’un processus de désengagement relationnel qui se greffe sur des vulnérabilités, des ruptures de liens et des impasses institutionnelles tant sur le plan relationnel que des services.
Par impasse institutionnelle, il faut entendre que l’institution (hôpital, justice, prison, etc.) n’est plus en mesure de répondre aux besoins d’assistance et de réinsertion sociale d’individus vulnérables. Dans une telle situation, la fonction de réinsertion sociale de l’institution est souvent mise en échec par les bénéficiaires. Cependant, il n’est pas rare que l’institution elle-même considère cette fonction d’ « instituer » un sujet social comme n’étant pas de son ressort ou comme dépassant ses capacités habituelles. Voici quelques exemples d’impasses institutionnelles : des individus sont jugés de façon répétitive par défaut et conduits en prison pour des amendes impayées sans aucun questionnement sur leur état mental, d’autres sortent de prison sans pièce d’identité ni de lieu où aller, des personnes quittent l’hôpital sans logement et sans ressources financières mais aussi différentes opportunités, tels les soins, sont refusées par libre-choix par les personnes elles-mêmes…Les solidarités s’effritent puis un jour se brisent, sans que la personne concernée en ait vraiment mesuré les enjeux...
Ainsi, voir l’itinérance comme une décision purement délibérée relève, sauf exception, du mythe. Derrière chaque SDF, il y a le nom d’une personne qui s’efface, une histoire humaine qui s’arrête. Même si l’ultime fanfaronnade pour survivre psychiquement est de revendiquer le choix de ce mode de vie, l’itinérant est d’ordinaire dans l’impossibilité de changer quoique ce soit dans sa vie sans le secours d’une aide extérieure. L’itinérance, c’est l’expérience de l’impuissance et de l’échec de la liberté. Pour cette raison, elle a une dimension subversive.
L’autonomie interpellée
En effet, l’itinérance interroge douloureusement un des fondements de notre société : l’autonomie des personnes. En vertu de ce principe, le respect du choix que chacun peut faire est devenu un droit que la loi protège et délimite en fonction de la capacité de discernement de la personne. À priori, tout adulte est considéré autonome jusqu’à preuve du contraire. Or l’expérience clinique, contrairement à la loi, indique que l’autonomie est un processus et non un état nécessairement présent ou absent. Fragilisées par leur propre histoire et la gravité de leur maladie mentale, des personnes ne parviennent tout simplement pas à se maintenir à l’intérieur d’un cheminement vers l’autonomie. Au contraire, elles s’enlisent dans l’exclusion comme dans des sables mouvants en raison de leurs difficultés à établir ou à maintenir des liens relationnels significatifs.
La pertinence du principe d’autonomie ne doit pas pour autant être remise en cause. Il est plus réaliste et plus constructif de considérer les ruptures sociales comme inhérentes à une société fondée sur le respect des libertés individuelles. Faute de solutions adaptées, de telles ruptures vont se multiplier. Le phénomène est déjà observable. Ainsi, le nombre de lits à Old Brewery Mission (Simard, 2005), une ressource pour des sans-abri à Montréal, est passé de 140 lits en 1990 à 500 lits en 2005… Plus troublant, 60 % de ces lits sont occupés à long terme par des personnes qui s’emmurent dans l’itinérance sans projet ni aide pour en sortir.
Du refuge à l’hébergement d’urgence sociale
Puisque ces ruptures sociales sont inévitables, le défi pour une société démocratique est de les considérer comme des risques à assumer de façon responsable. Combler les besoins matériels immédiats des SDF n’est plus suffisant. Il est nécessaire d’offrir également des occasions de retisser des liens significatifs pour retrouver la part d’humanité qui commande le respect mutuel et que toute société doit à ses membres. Cette forme d’aide, que Michel Simard appelle l’hébergement d’urgence sociale, va bien au-delà de la fonction traditionnelle des refuges puisqu’elle offre, en plus de l’hébergement de secours, des passerelles pour sortir de la spirale de l’enfermement dans l’errance (Simard, 2000).
Interventions cliniques et difficultés légales
Parce que ces personnes sont en rupture sociale, elles ne parviennent plus à bénéficier des soins et des services traditionnels si elles en ont besoin. Comment, par exemple, espérer qu’un itinérant puisse téléphoner pour obtenir un premier rendez-vous en clinique externe de psychiatrie et être en mesure d’accepter par la suite un suivi régulier? Comment penser qu’une personne sans-abri depuis plusieurs années puisse adhérer à une demande de cesser de consommer de l’alcool et des drogues alors que ces substances l’aident aussi à supporter son mode de vie ?
Les différents intervenants institutionnels (police, municipalité, justice, santé, services correctionnels) font face à au moins 3 défis lorsqu’ils sont en contact avec une personne sans-abri. Le premier défi est de comprendre la réalité du quotidien des itinérants et du phénomène de la rupture sociale afin de les accueillir adéquatement et d’être réalistes dans les objectifs à poursuivre. Le deuxième est de réaliser qu’il n’y a ni spécialiste ni solution miracle pour régler le problème de l’itinérance ; en revanche, chacun peut à sa mesure jouer un rôle déterminant. Enfin, le troisième, plus facile à écrire qu’à concrétiser, est d’accepter de sortir des fonctions traditionnelles de chaque institution pour définir une approche concertée à partir des impasses réelles rencontrées sur le terrain.
Beaucoup d’intervenants communautaires travaillent directement avec les itinérants mais ils ne peuvent pas répondre de façon satisfaisante aux besoins de réinsertion de ces personnes sans le support des partenaires institutionnels. Certains de ces intervenants offrent des services de survie (refuge, nourriture, etc…) tandis que des équipes médico-sociales vont au-devant des itinérants (outreach). Il s’agit pour ces équipes d’apprivoiser les itinérants les plus à risques pour leur sécurité ou leur santé, de répondre à des besoins de base (par exemple, papiers d’identité, carte d’assurance maladie ou besoin de soins physiques) puis de faire le lien avec les différents services de santé si nécessaire. Toute intervention repose au préalable sur l’établissement d’un lien relationnel et le respect des priorités du patient.
En ce qui concerne la dépendance aux substances, la désintoxication ne peut être proposée de façon réaliste qu’aux nouveaux itinérants. Choqués par leur chute récente dans ce mode de vie, ils incriminent rapidement leur consommation. Ils acceptent alors plus facilement d’aller dans les ressources appropriées. Pour les sans-abri plus anciennement ancrés dans l’itinérance, ils refuseront souvent les approches basées sur l’abstinence mais ils considéreront plus volontiers des propositions pour réduire les conséquences négatives de leur consommation. Ainsi, ils pourront accepter un service d’échange de seringues pour réduire les risques infectieux ou signer une demande de fiducie volontaire pour les aider à gérer un budget et pouvoir consommer sans tout perdre.
En raison de l’importance du lien relationnel comme préalable à une démarche thérapeutique, on comprend que de simples conditions de suivi par une équipe traitante parfois imposées par la Cour à la suite d’un acte criminel n’auront probablement aucun impact significatif si le patient n’est pas déjà en lien de façon significative avec l’équipe concernée, à moins que le respect de ces conditions soit assuré par un agent de probation pendant une durée suffisamment longue. En effet, sans conséquences cohérentes et prévisibles, la contrainte n’a aucune efficacité. Par ailleurs, sans le temps nécessaire pour nouer une relation solide avec une équipe et intégrer des changements de comportement, la contrainte est sans lendemain. Ainsi, du point de vue clinique, une probation avec suivi de moins de 2 ans change rarement le cours de la vie d’un itinérant ancré depuis longtemps dans l’exclusion et les troubles de santé mentale tels l’abus de substances. Cette observation clinique mériterait toutefois d’être évaluée par une étude scientifique.
Une loi qui décourage trop les soins sous contrainte
Pour les sans-abri les plus malades sur le plan psychiatrique et dont le comportement est de façon évidente dangereux parce qu’ils sont suicidaires ou violents, il n’y a pas trop de difficultés au Québec pour qu’ils soient hospitalisés si nécessaire contre leur gré.
Le problème est parfois d’obtenir une ordonnance de garde en établissement [1] suffisamment longue pour que l’hospitalisation soit profitable. Lorsqu’un patient conteste activement son hospitalisation, il arrive que le tribunal réduise la durée de la garde demandée par le clinicien. Par exemple, une demande de garde pour 4 semaines est réduite à une ou deux semaines. Or, il est très probable que le patient ne retire aucun bénéfice thérapeutique d’une hospitalisation ainsi écourtée. Dans de telles conditions, le malade passe davantage de temps à préparer ses recours légaux qu’à s’investir dans un plan de soins car la loi lui permet de contester sa garde en établissement non seulement devant la Cour du Québec mais aussi auprès du Tribunal Administratif [2]. Compte tenu des délais pour se faire entendre, une personne peut consacrer les deux premières semaines de son hospitalisation à argumenter la mesure prise à son endroit. Si la durée de la garde est trop courte, le cycle « demande de garde/contestation » peut recommencer sans que les soins aient véritablement débuté... Tout effort thérapeutique devient alors caduc et une fin prématurée de l’hospitalisation est prévisible dès que le danger à court terme s’amenuise.
En effet, les psychiatres du Québec sont surchargés de tâches cliniques et ils préfèrent bien sûr traiter des patients en demande de soins. S’ils doivent faire face à trop d’obstacles pour parvenir à soigner un patient difficile, revendicateur et hostile, ils seront naturellement tentés de s’en tenir à une interprétation restrictive de la loi. Une fois le danger physique immédiat écarté, un patient rebelle aux soins pourra d’autant plus rapidement quitter l’hôpital que le psychiatre sait que de nombreux patients, souvent plus faciles à soigner, attendent ses soins depuis déjà plusieurs mois...
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’hospitalisation contre le gré ne s’accompagne pas au Québec d’une obligation de recevoir des soins. Il est clair que le but d’une hospitalisation n’est pas pour le clinicien une simple garde en établissement. La garde n’est que la première étape du processus de rétablissement de la personne malade. De même qu’en cardiologie on ne peut pas soigner un infarctus en se limitant à admettre le patient aux soins intensifs, il est illusoire de croire qu’une psychose se traite uniquement en gardant le patient à l’hôpital… Depuis les années 50, on peut faire plus qu’observer et protéger physiquement les patients : on peut désormais leur offrir des traitements efficaces. Cependant, pour obtenir une ordonnance de traitement [3], le clinicien devra déployer beaucoup d’énergie et de temps (constituer le dossier et se rendre disponible pour comparaître devant le tribunal représente 6 à 10 heures de travail). Le médecin devra également subir les désagréments d’un système judiciaire adversatif. Ce mode de fonctionnement, impliquant un contre-interrogatoire parfois pénible, ne correspond pas à la réalité de la relation patient-médecin. Un psychiatre ne se considère pas contre son patient. Il estime au contraire être avec lui pour l’aider à retrouver son libre arbitre. Le psychiatre se trouve généralement mal préparé à faire face à la logique conflictuelle de la Cour, malheureusement accentuée par certains avocats défendant les droits du patient sans aucun souci pour les soins à venir. Pourtant, une fois le problème juridique réglé, les soins contre le gré devront reposer sur la portion, souvent congrue, de la relation médecin-patient épargnée par le litige...
Dans le contexte actuel de « sur-chauffe » du système de santé, on devine aisément que de telles démarches ne soient entreprises que pour les cas les plus extrêmes.
En amont de l’itinérance : une liberté en souffrance
Toutefois, ce scénario ne se voit pas qu’avec les patients itinérants. D’une façon générale, il est très difficile au Québec de soigner les patients les plus vulnérables dès qu’ils refusent les soins en raison de la nature même de leur maladie. Dans les faits, la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui ne leur offre bien souvent comme protection que son titre, du moins du point de vue du clinicien et de la famille. Si, en rendant particulièrement difficile l’accès aux soins sous contrainte, la loi protège efficacement le patient des abus de pouvoir du psychiatre, elle ne se soucie pas du besoin de soins de la personne trop malade pour formuler une demande.
Comme on l’a vu précédemment, des situations de rupture de soins peuvent survenir lorsque des personnes mises en garde en établissement refusent de s’engager dans un traitement ou si, après avoir préalablement accepté l’hospitalisation, elles demandent à signer un refus de traitement.
Les conséquences sur l’entourage d’une fin prématurée des soins sont rarement évaluées. Ces proches désemparés n’ont pas d’autre choix que de former par défaut une première ligne de soins invisible autour du patient. Malencontreusement, ils en paient le prix. On estime que les aidants naturels ont, par rapport au reste de la population, 50 % de plus de problèmes de santé mentale et 30 % de plus de problèmes physiques, sans compter l’impact sur la vie professionnelle, la vie sentimentale et les loisirs (Cochrane, 2002-2007)(Saunders, 2003)(Ohaeri, 2002, 2003). De plus, il ne faut pas oublier que la famille constitue pour ces patients l’un des derniers remparts avant la disparition sociale.
L’hypothèse que les patients itinérants aient été confrontés à des ruptures de soins bien avant d’avoir glissé dans la rupture sociale et l’itinérance mériterait d’être soigneusement étudiée. En effet, on sait que les schizophrènes sans-abri signent davantage de refus de traitement que leurs homologues disposant d’un domicile (Caton 1995).
Des critères d’hospitalisation inadaptés
La situation n’est guère plus enviable pour les patients itinérants qui ne présentent pas de troubles alarmants du comportement. Faute d’être dangereux, ils ne sont pas amenés en psychiatrie ou s’ils se présentent d’eux-mêmes à l’urgence, ils ne sont généralement pas gardés car ils ne répondent pas aux critères actuels d’hospitalisation. Ces critères reposent le plus souvent sur l’urgence symptomatique sans considération pour le contexte de vie. Un schizophrène itinérant ne partage pourtant pas l’univers sécurisant de celui qui dispose d’un logement. De plus, la toxicomanie est très souvent un obstacle à l’hospitalisation car l’organisation de soins intégrés pour les patients ayant une double ou une triple problématique demeure rudimentaire. Un tel patient est alors invité à se rendre d’abord dans une ressource pour toxicomane puis à se présenter à la clinique externe de psychiatrie une fois désintoxiqué, proposition aussi illusoire qu’inefficace (Drake, Mueser, Brunette, McHugo, 2004). Fréquemment, la visite à l’urgence d’un patient itinérant s’achève par une occasion manquée d’initier une relation d’aide à plus long terme…
Faire face aux risques d’exclusion
À l’évidence, l’organisation des soins en psychiatrie et le dispositif législatif ne répondent pas aux besoins des personnes les plus exposées aux risques de rupture sociale. Il faut avoir assez d’humilité pour le reconnaître. Au-delà des frontières délimitant l’efficacité et l’efficience du système actuel, il existe des exclus vis-à-vis desquels nous avons pourtant des responsabilités. Mieux répondre à leurs besoins de protection est un défi qui concerne autant les cliniciens que les juristes.
Dans son usage actuel, la loi ne tient pas compte des risques de rupture sociale liés à la maladie mentale. Pourtant, avec la réduction massive du nombre de lits en psychiatrie et l’insuffisance des ressources ambulatoires, l’internement abusif n’est plus tant à redouter que l’absence de soins et ses conséquences.
De leur côté, les psychiatres accentuent la dimension de protection des droits individuels du patient contenue dans la loi au détriment de la prise en compte du besoin de soins en n’utilisant pas toutes les possibilités offertes implicitement par le législateur. En effet, on assiste actuellement à un glissement vers une interprétation de plus en plus restrictive de la notion de danger pourtant non définie par la loi. Dans ce contexte, le danger pouvant justifier une garde en établissement tend à se réduire au risque de suicide ou de violence envers autrui, laissant de côté les risques liés à l’incapacité de prendre soin de soi, à la prodigalité ou à la perte de réputation. De la même manière, les psychiatres ont tendance à ne demander une ordonnance de traitement qu’exceptionnellement et seulement si un danger est présent alors que la loi ne l’exige pas.
Plusieurs hypothèses peuvent rendre compte de la réticence des psychiatres à recourir à la contrainte. L’une d’elle tient sûrement au fait que les psychiatres adhèrent aux valeurs contemporaines centrées sur l’autonomie. Cependant, au nom du respect des droits des patients à faire des choix et de la nécessaire tolérance vis-à-vis de la marginalité, le psychiatre peut tomber dans la complaisance lorsqu’il oublie que la psychose n’est pas un choix de vie mais une pathologie compromettant les conditions mêmes de l’exercice de la liberté.
Le devoir d’ingérence, une responsabilité collective confiée individuellement
Si au contraire le clinicien veut tenir compte de la maladie qui entrave la capacité de discernement de son patient, il doit opposer au respect du principe de l’autonomie qu’il partage avec ses contemporains et que la loi garantit, l’exigence d’un devoir d’ingérence pour intervenir contre la volonté de son patient en cas de nécessité. Un devoir est une part de responsabilité collective qui est confiée individuellement à chacun. Pour le médecin, faire passer l’intérêt du patient avant le sien est le sens du serment que la plupart des médecins occidentaux ont prêté avant d’entrer dans la vie professionnelle. L’ingérence, quant à elle, est une particularité de l’intervention en psychiatrie. Intervenir signifie étymologiquement surgir pour interrompre un processus. Il s’agit ici d’interrompre un processus compromettant le libre arbitre. Au-delà de cette dimension professionnelle, s’ingérer c’est aussi s’occuper de « ce qui ne nous regarde pas » par souci d’humanité. Le devoir d’ingérence incombe à quiconque est interpellé par l’urgence d’une situation de souffrance psychique dont il est le témoin. C’est un exercice difficile car un devoir ne peut pas justifier à lui seul une action contraignante envers autrui, aussi généreuse soit-elle.
La notion de devoir souligne l’énergie que le clinicien devra déployer pour évaluer la situation clinique et utiliser toutes les possibilités d’intervention offertes par la loi. Hormis les situations à risque vital immédiat, ce devoir d’ingérence ne doit en aucun cas être pour le médecin une obligation légale sous peine de ramener la psychiatrie au temps du contrôle social à travers un paternalisme contraignant. Le cas par cas est ici de rigueur et il est préférable de ne pas donner d’exemples concrets de crainte de rigidifier la démarche par une codification hâtive des situations nécessitant le recours à la contrainte. Il n’est de médecine que du singulier…
Pour réduire les risques de paternalisme et d’abus de pouvoir, certaines conditions sont à prendre en considération :
Le devoir d’ingérence nécessite d’abord une évaluation clinique rigoureuse puis la disponibilité d’une équipe ou d’un réseau de soins prêts à accueillir un patient difficile et à s’engager auprès de lui.
Un bilan des résultats obtenus à l’issue des soins sous contrainte est bien sûr à prévoir avec si possible la participation du patient et de son entourage. À cette occasion, reconnaître les désagréments que la contrainte a pu occasionner au patient peut être l’occasion de convenir des mesures alternatives à mettre en oeuvre pour éviter un tel recours.
Ce devoir ne peut pas reposer uniquement sur l’équipe de soins. Il doit être partagé et encouragé par une organisation des services psychiatriques ayant prévu les ressources et le temps nécessaires pour tenir compte des contraintes liées à une telle pratique.
Enfin, le devoir d’ingérence doit s’exercer dans le cadre de la loi afin de garantir les libertés individuelles.
Plusieurs pistes de réflexion sont envisageables pour rendre plus accessibles, sur le plan légal, les soins sous contrainte. En voici quelques-unes, proposées sous forme de questions dans le but de susciter un débat entre cliniciens et juristes : Devrait-on modifier les critères de la garde préventive en établissement pour tenir compte de l’incapacité à prendre soin de soi d’un patient actuellement sans-abri? Est-il imaginable qu’un tribunal spécialisé puisse se déplacer à l’hôpital pour entendre les requêtes de traitement contre le gré de façon à ce que les cliniciens, faute de temps, ne réservent plus l’usage de cette mesure aux cas les plus extrêmes? Faut-il élargir les critères de l’ordonnance de traitement aux situations de ruptures de soins les plus préoccupantes (hospitalisations répétées suite à l’inobservance des recommandations thérapeutiques) sans qu’il soit nécessaire d’attendre que le patient soit inapte à consentir aux soins entre ses épisodes de décompensation psychiatrique ?
Conclusion
L’importance des problèmes psychiatriques parmi les personnes sans-abri est maintenant bien établie. Deux niveaux de difficulté sont identifiables : d’une part, la complexité des soins à mettre en oeuvre compte tenu de la perte des liens sociaux et de l’association de multiples pathologies chez les sans-abri ; d’autre part, les mesures à adopter en amont par les équipes traitantes pour prévenir la rupture des soins psychiatriques des patients les plus à risque.
Patience, réalisme et engagement sont les attitudes à privilégier pour intervenir auprès de ces personnes. Malgré une réticence compréhensible de la part des équipes soignantes, ces patients questionnent la place que doit occuper le recours à la contrainte au sein de la psychiatrie contemporaine. Le devoir d’ingérence revient à exercer un jugement. Il s’agit pour le psychiatre, à partir de l’expertise clinique, de sous-peser d’un côté les conséquences de l’absence de toute relation avec le patient et de l’autre les effets espérés d’une relation thérapeutique imposée.
Compte tenu des contraintes de temps liées à l’exercice de la psychiatrie et des ressources limitées du système de santé, ce devoir ne peut pas s’exercer au Québec sans un accès plus facile à l’appareil judiciaire. Est-il concevable de penser que le juriste partage le même devoir d’ingérence tout en fondant sa décision sur la loi ? La question ne peut pas être esquivée car l’itinérance ne se résume pas à un problème d’organisation des soins psychiatriques et des services de toxicomanie.
Tout l’art du clinicien est de recourir à la contrainte au moment opportun pour un patient donné. Tout l’art du juriste est de pouvoir témoigner, à travers l’exercice de la loi, du souci de la société à l’endroit de cette personne.
Si nous tardons à trouver un nouvel équilibre entre la nécessité de soigner et celle de protéger les droits individuels des personnes les plus vulnérables, la psychiatrie ouverte et humaniste que nous connaissons actuellement pourrait être remise en question.
Déjà, la prison reçoit un nombre élevé de patients souffrant d’une maladie psychiatrique. Au Québec, près d’un détenu sur quatre souffre ou a souffert d’un trouble mental grave (Côté, Hodgins, 2003). Or, la prison pas plus que la rue n’est une réponse adéquate aux questions cruciales que posent ces personnes en rupture de soins à la société. Il est urgent d’en prendre la mesure et de se garder de toute solution simpliste. Se contenter de contraindre aux soins une personne atteinte d’un trouble mental sévère sans avoir prévu la possibilité de lui offrir les conditions pour exister socialement serait méconnaître la nature réelle de la rupture sociale.
Appendices
Remerciements
Remerciements à Hélène Denoncourt, Johanne Laplante et Dre MC Plante de l’équipe itinérance du CLSC des Faubourgs ainsi qu’à Gilles Côté, directeur du centre de recherche de l’Institut Philippe Pinel et Michel Simard, directeur du Centre Le Havre de Trois-Rivières.
Notes
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[1]
L’hospitalisation d’une personne n’est autorisée que si celle-ci y consent. Cependant, le législateur a prévu les conditions pour imposer, à titre d’exception, une hospitalisation contre le gré de la personne, sous l’appellation d’une garde en établissement. La durée de l’hospitalisation est décidée par le tribunal. Différentes formes de garde sont possibles : la garde régulière, la garde provisoire et la garde préventive. La garde préventive est en pratique la modalité la plus souvent utilisée par les cliniciens pour débuter les démarches en vue d’obtenir une garde régulière en établissement. Elle nécessite, comme condition, la présence d’un danger grave et immédiat. Une autre procédure pouvant éventuellement mener à une hospitalisation contre le gré est possible mais plus rarement utilisée. Elle nécessite la démarche d’un tiers auprès du tribunal, alors que le patient n’est pas hospitalisé. Si le juge est convaincu qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il y a un danger, une ordonnance d’examen psychiatrique assortie d’une garde provisoire sera émise. Le patient aura alors l’obligation de se rendre à l’hôpital pour être examiné et il pourra être hospitalisé contre le gré sans passer au préalable par les critères de gravité et d’immédiateté de la garde préventive, si deux cliniciens établissent devant le tribunal que son état mental représente un danger pour elle-même ou pour autrui. La notion de danger n’est pas définie dans la loi.
-
[2]
La contestation de la garde en établissement par le patient est possible devant deux instances judiciaires :
devant la Cour du Québec, c’est à dire devant le tribunal qui examine la demande d’hospitalisation contre le gré. Cette contestation peut se faire par le patient avec ou sans l’assistance d’un avocat.. Le psychiatre qui a fait la demande, en cas de contestation, est souvent appelé à témoigner au palais de justice et doit alors se libérer sur le champ près d’une demi-journée…
devant le Tribunal administratif du Québec, présidé par un avocat assisté d’un psychiatre et d’un autre professionnel de la santé. Ce tribunal n’intervient que lorsque la garde en établissement a déjà été ordonnée par un juge de la Cour du Québec. Il tient ses auditions dans l’établissement où est hospitalisé le patient. Il peut décider de maintenir ou de lever la garde.
Ces deux recours peuvent être utilisés successivement par le patient. Si à l’échéance de la garde en établissement prévue par le tribunal il est indiqué de poursuivre l’hospitalisation contre le gré, il faut présenter à nouveau une requête à la Cour du Québec. Le patient a droit aux mêmes recours que lors de la première ordonnance de garde.
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[3]
La garde en établissement n’autorise par l’administration d’un traitement contre le gré sauf cas d’urgence immédiate comme un risque de suicide ou une agitation mettant en danger l’intégrité d’autrui. Le clinicien peut alors prendre des mesures afin de contenir à court terme le comportement du patient. Dans tout autre cas, les soins doivent être autorisés par le patient s’il est apte à donner ou à refuser son consentement. Le législateur n’a pas défini l’aptitude ou l’inaptitude à consentir mais la jurisprudence se base sur les 5 critères adoptés en Nouvelle-Écosse : 1-Le patient comprend-il la nature de la maladie pour laquelle on lui propose un traitement ? 2-Comprend-il la nature et les objectifs du traitement proposé ? 3-Comprend-il les risques associés au traitement ? 4-Comprend-il les risques associés au refus du traitement proposé ? 5-Sa capacité d’accepter ou de refuser un traitement est-elle affectée par sa condition clinique ? Pour traiter un patient inapte à consentir, il faut obtenir un consentement substitué d’un proche ou d’un mandataire. Cependant, en cas de refus catégorique du patient inapte à recevoir un traitement, il faut obtenir l’autorisation de la Cour supérieure du Québec. L’inaptitude du patient à consentir ou à refuser les soins devra être démontrée au tribunal de même que la pertinence de recourir à des soins obligatoires. La présence d’un danger peut contribuer à documenter la pertinence de la mesure mais n’est pas requise. D’autres motifs que la présence d’un danger peuvent justifier la demande, par exemple le besoin de soin ou la qualité de vie du patient. Le patient peut être entendu par la Cour, se faire représenter par un avocat et faire appel de la décision.
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