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Comment saisir les subtilités de la régulation du comportement des élus, d’autant plus qu’ils proviennent souvent de multiples horizons professionnels, culturels et socioéconomiques ? Comment aborder les représentations de l’éthique dans cet univers administratif et politique où l’éthique et la déontologie parlementaire se trouvent au carrefour des normativités ? Autrement dit, si le discours normatif de l’État émane traditionnellement du législateur, qu’en est-il de l’encadrement rationnel et éthique de ses représentants démocratiquement élus ?
Les auteurs Steve Jacob et Éric Montigny proposent justement d’aborder ces interrogations. L’ouvrage est d’abord né d’un partenariat avec le Commissaire à l’éthique et à la déontologie (ci-après « Commissaire »), institution récente du paysage parlementaire québécois. Il se veut une analyse axée sur les cadeaux offerts aux élus dans le cadre de leurs fonctions. Le Commissaire, depuis plus de dix ans, est une institution indépendante chargée de la mise en application du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale (ci-après « Code »).
Cette tâche paraît de prime abord ardue. Le manque relatif de littérature et de repères conceptuels sur les cadeaux offerts aux élus, jumelé aux frontières encore floues du champ d’études qu’est l’éthique parlementaire, complexifie l’analyse de l’objet d’étude. Or, Jacob et Montigny parviennent à combler ces lacunes méthodologiques en mobilisant autant des techniques d’analyse qualitative que quantitative. Ils font appel aux sujets eux-mêmes désignés par l’éthique parlementaire, c’est-à-dire les députés et les anciens députés. Cette perspective est originale autant que nécessaire, car une étude sur les représentations de l’éthique pour les parlementaires québécois remonte à notre connaissance à l’époque précédant l’adoption du Code.
Ce livre est divisé en huit chapitres. Le premier s’intéresse à la récolte des données quantitatives et qualitatives auprès de trois sources différentes, soit le registre des déclarations du Commissaire, les données d’un sondage réalisé auprès des 125 députés québécois et de leurs prédécesseurs, de même que les propos d’entrevues semi-dirigées conduites avec des élus et des anciens élus. Les auteurs semblent avoir instauré un climat de confiance avec les élus dans l’ensemble, tout en reconnaissant les limites concernant la sincérité et la fiabilité des résultats obtenus (p. 26).
Le deuxième chapitre traite des finalités poursuivies par les donateurs ainsi que des types de cadeaux offerts aux élus. Puisque « dans la vie, rien n’est gratuit » (p. 29), l’intérêt de la distinction réside dans la délimitation d’une signification de ce qu’est un cadeau en contexte parlementaire québécois. Jacob et Montigny discutent des finalités selon un ordre décroissant, c’est-à-dire de la finalité la plus mentionnée par les élus à la moins mentionnée. Cette échelle correspond également à une hiérarchisation des comportements les plus moralement répréhensibles à ceux les moins répréhensibles, soit de la corruption aux simples remerciements.
Le troisième chapitre aborde l’épineuse question de la relation des parlementaires avec l’éthique. Afin de répondre aux problèmes de la perte de confiance du public envers ses institutions démocratiques et de la perte de légitimité qui en découle, les élus conçoivent des politiques de la confiance. Les auteurs explorent les facettes de ces enjeux sur la scène québécoise en identifiant les différentes lois composant un système d’intégrité publique, les éléments déclencheurs de l’adoption de telles politiques de la confiance, et les fonctions des codes d’éthique. Ils distinguent également les parlementaires selon quatre profils, allant notamment des puritains qui ont une vision claire et restrictive de l’éthique, aux intrépides qui ne considèrent pas l’éthique comme un enjeu (p. 64-65).
Le quatrième chapitre retrace l’adoption du Code et les débats entourant l’encadrement des dons et des avantages. Loin d’être une tâche simple, cet encadrement législatif a été témoin de vigoureux échanges, notamment sur les questions de la valeur acceptable des cadeaux de même que la mise en application du Code par un tiers, soit par un Commissaire.
Le chapitre cinq tente de définir les caractéristiques des élus qui reçoivent davantage de cadeaux. Les caractéristiques dépassent le simple fait d’appartenir au parti politique formant le gouvernement, entre autres le nombre de mandats, la nature de la fonction parlementaire ou le type de ministère dirigé, le cas échéant. Il établit ainsi de façon novatrice un portrait-robot des élus qui reçoivent des cadeaux.
Les sixième et septième chapitres constituent le coeur de l’analyse de l’ouvrage, d’une part en présentant les pratiques et les représentations relatives aux cadeaux offerts aux élus et d’autre part en exposant le rapport à l’éthique des parlementaires. La connaissance et la compréhension d’un code de déontologie et d’éthique varient d’une personne à l’autre. Le défi réside alors dans l’application et la mise en oeuvre de ce type d’instrument normatif. Les auteurs mobilisent de façon pertinente les résultats des entrevues afin de brosser un portrait riche quant aux raisons, aux finalités, aux attentes et aux représentations des élus vis-à-vis l’éthique parlementaire.
Le huitième chapitre propose enfin des recommandations sur l’encadrement des cadeaux offerts aux élus. Plus qu’une simple discussion sur le Code, ce chapitre s’intéresse à un ensemble de mesures pouvant améliorer les pratiques en matière de réception et de gestion des cadeaux selon une perspective évolutive de l’éthique. En conclusion, les auteurs dressent un état des lieux de leur recherche tout en invitant le lecteur à se questionner sur l’efficacité des codes d’éthique et de déontologie.
Sans être un historique détaillé de l’implantation du Code ni un traité sur l’éthique parlementaire en contexte québécois, l’ouvrage combine à la fois une analyse précise de l’encadrement des cadeaux offerts aux élus et une réflexion sous-jacente et plus large axée sur le rôle, les fonctions et les effets de l’implantation d’un code d’éthique et de déontologie dans un contexte parlementaire où la politique n’est jamais bien loin.
Ce livre s’inscrit plus largement dans le grand champ de recherche de l’éthique appliquée, plus particulièrement l’éthique publique. Dans ce contexte, les politiques de la confiance participent à la reconfiguration du processus démocratique en remettant en doute le comportement même des élus et leur régulation par le recours à l’éthique et à la déontologie.
Certes, le faible échantillon recueilli, notamment par le biais des sondages, ne permet pas de généraliser les résultats obtenus à l’ensemble des députés actuellement en fonction (p. 20). Cette faiblesse est toutefois contrebalancée par la diversité des parlementaires interrogés (p. 20 et 22). Les auteurs exploitent également l’échantillonnage en dressant un profil précis des élus qui reçoivent des cadeaux ainsi que les facteurs qui influencent la réception de ceux-ci (chap. 5).
Enfin, Steve Jacob et Éric Montigny captent avec grande acuité le changement de culture « éthique » du milieu parlementaire, surtout depuis la toute récente adoption du Code. Ce changement de culture évoque en trame de fond les enjeux d’importance auxquels notre société fait face relativement à la perte de légitimité des institutions démocratiques.
C’est pas un cadeau ! s’avère particulièrement intéressant, autant par sa richesse discursive que sa percée dans un univers somme toute encore méconnu. Par sa visée pédagogique, il sera probablement un fidèle compagnon à tout·e chercheur·e ou étudiant·e s’interrogeant sur la régulation du comportement des parlementaires.