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À ce jour[1], un nombre important de recherches empiriques ont tenté de montrer si les médias socionumériques[2] transforment l’exercice de la démocratie. Par exemple, en France, au Québec et au Canada, plusieurs recherches portent sur l’utilisation que font les formations politiques et les politicien·ne·s d’Internet (Small 2008 ; Bastien et Greffet 2009) et des médias sociaux (Verville et Giasson 2011 ; Verville 2012 ; Giasson, Le Bars et Dubois 2019). À ce chapitre, Twitter semble avoir retenu une attention particulière (Small 2010 ; Eyries et Poirier 2013 ; Giasson et al. 2013 ; Sullivan et Bélanger 2016). Les pratiques en ligne des institutions publiques et gouvernementales ont également fait l’objet d’études (Piron 2012 ; Small 2012 ; Yates et Arbour 2013 ; Boudreau et Caron 2016), sans oublier l’utilisation des médias socionumériques par les autorités municipales (Riarh et Roy 2014 ; Gruzd et Roy 2016). Des conclusions de ces travaux, il est possible de relever deux constantes. D’une part, la délivrance d’une information de type unidirectionnel, du haut vers le bas (top-down) – ce que l’on nomme généralement de l’information pushing –, semble être la norme chez les acteur·rice·s politiques ayant une présence en ligne, y compris sur les médias sociaux. D’autre part, l’interaction entre les citoyen·ne·s et les gouvernant·e·s, facilitée par les possibilités qu’offrirait le Web social[3], demeure l’exception plutôt que la norme. Des études réalisées dans d’autres contextes nationaux montrent des conclusions semblables, venant ainsi renforcer la thèse « cyberpessimiste[4] » portant sur les conséquences démocratiques réelles des technologies de l’information et de la communication (TIC) (voir Norris et Reddick 2013, 166).

Jusqu’ici, un nombre limité de recherches portant sur les initiatives citoyennes de participation politique a été publié (Freeman et Quirke 2013, 151). Qui plus est, on sait encore peu de choses sur leurs pratiques communicationnelles en ligne. Les scènes politiques locales, voire microlocales, offrent toutefois un terrain de recherche tout aussi pertinent qu’intéressant pour pallier ce manque. C’est pourquoi cet article s’intéresse aux publications mises en ligne sur les pages Facebook des conseils de quartier de la ville de Québec, organismes autonomes dirigés par des citoyen·ne·s ayant pour mission de favoriser la participation des résident·e·s à la gouverne de leur quartier. Il s’agit aussi d’organismes en quête de reconnaissance et de légitimé, à la fois auprès des citoyen·ne·s et des élu·e·s. Ainsi, en tenant compte de ce contexte particulier, la présente étude a pour but d’analyser quelles sont les approches et les fonctions communicationnelles mises de l’avant sur les médias sociaux par les conseils de quartier. Plus largement, cette contribution s’inscrit dans une volonté de documenter l’exercice de la démocratie municipale dans une perspective de communication politique, sachant notamment que ce palier de gouvernance demeure encore largement ignoré par les chercheur·euse·s québécois·es et canadien·ne·s en science politique (Taylor et Eidelman 2010).

Internet, médias socionumériques et démocratie

Cyberdémocratie et sphère publique

Les médias sociaux ont souvent été associés aux changements technologiques qui rendent la cyberdémocratie possible. Mais qu’entendons-nous exactement par ce terme souvent évoqué pour vanter les mérites démocratiques des TIC ? Des exercices de définition ont été tentés jusqu’ici, notamment par The Hansard Society qui y associe les initiatives en ligne visant à « élargir la participation politique en permettant aux citoyens de communiquer entre eux et avec leurs représentants via les nouvelles technologies de l’information et de la communication[5] » (cité dans Chadwick 2006, 84). Cette définition a d’ailleurs été utilisée dans divers travaux, y compris en contexte québécois (Verville 2012 ; Sullivan et Bélanger 2016). Pour clarifier et pour différencier la cyberdémocratie d’autres concepts similaires, comme celui de cybergouvernement (e-gouvernement), ou de démarches ponctuelles de cyberconsultation (e-consultation), Julie Freeman et Sharna Quirke (2013, 143) affirment que ces initiatives doivent inclure des « activités de participation civique numériques en continu qui ont pour effet de disperser partiellement le pouvoir gouvernemental afin de permettre au public d’influencer activement le processus décisionnel ». Ainsi, pour conclure en la présence d’une action ou d’une mesure qui s’inscrit dans cette conception de la cyberdémocratie, celle-ci doit permettre une participation soutenue des citoyen·e·s au-delà du simple engagement isolé (ex. la participation électorale) et doit avoir pour conséquence de donner une réelle voix aux participant·e·s, qui se trouvent ainsi à « partager » le processus de prise de décision avec l’administration et les élu·e·s.

Cette conception de ce que constitue la cyberdémocratie peut aisément être associée à la sphère publique habermassienne (Habermas 1989). Internet et les médias sociaux permettraient la création d’espaces communs où peuvent se former au fil de discussions logiques l’opinion publique et la volonté populaire. Pour certains « optimistes » – chercheur·e·s, observateur·rice·s et entrepreneur·e·s –, les TIC rendent possible cet exercice démocratique en créant de nouvelles possibilités de discussions publiques, le tout étant favorisé par la culture de transparence, de libre circulation de l’information et de participation[6]. Pourtant, tous ne sont pas de cet avis.

Sur le plan individuel, Thierry Vedel (2003) souligne que la cyberdémocratie telle qu’énoncée ci-haut sous-tend une conception particulière du citoyen, à savoir que la majorité d’entre eux·elles seraient intéressé·e·s à participer intensément à la vie politique. Or, ce postulat implicite du « citoyen hyperactif » peut évidemment être remis en cause ; toutes et tous ne sont pas des « hypercitoyens », selon la formule de Thierry Giasson, Vincent Raynauld et Cyntia Darisse (2011), même chez les personnes les plus actives. À titre d’exemple, dans une étude récente, Mireille Lalancette et Frédérick Bastien (2019) concluent que les internautes fortement politisé·e·s accordent plus d’importance à la fonction d’information qu’à celles de l’interaction et de la mobilisation lorsqu’il·elle·s consultent les comptes de médias sociaux des candidat·e·s. Ainsi, même les personnes plus actives en ligne ne cherchent pas nécessairement à être parties prenantes de l’action. Certain·e·s avancent aussi que les internautes aborderaient le Web davantage à titre d’individus ou de consommateur·rice·s qu’en tant que citoyen·ne·s (Rasmussen 2014, 1316), ce qui peut en définitive constituer un frein important aux initiatives numériques d’expression de la citoyenneté démocratique.

D’un point de vue plus global, plusieurs auteur·e·s remettent en question la capacité des TIC à incarner la sphère publique habermassienne. Pour Zizi Papacharissi (2002), Internet ne constitue pas une sphère publique, mais plutôt un nouvel espace public. Si le réseau permet une plus grande participation de toutes et tous, elle ne garantit pas « une plus grande participation à la discussion politique [qui n’est d’ailleurs] pas le seul facteur déterminant de la démocratie » (ibid. :18). Lincoln Dahlberg (2001) remet lui aussi en question la transposition de la sphère publique dans l’espace numérique. Son analyse d’initiatives de participation citoyenne en ligne montre que ces dernières échouent à rassembler un échantillon représentatif de la population en plus d’être marginalisées par d’autres joueurs commerciaux, des communautés d’intérêts précis et, plus généralement, par les « pratiques individualistes libérales ». Du reste, Papacharissi (2002) affirme que pour des raisons capitalistes, il est fort à parier que les TIC s’adaptent davantage à la culture politique ambiante qu’elles ne la transforment.

Potentialités du Web social

Même si l’on ne peut conclure en la présence d’une réelle sphère publique en ligne, force est de constater que les nouveaux « espaces publics » offerts par Internet, dont les médias socionumériques, représentent des lieux offrant des possibilités communicationnelles intéressantes, autant pour les citoyen·ne·s, les acteur·rice·s politiques, que les administrations publiques. Si les TIC ne semblent pas avoir transformé l’exercice de la démocratie, elles offrent toutefois des possibilités additionnelles.

Espace d’échange entre les citoyen·ne·s et avec leurs représentant·e·s (Papacharissi 2002), Internet représente aussi un lieu de revendications et de mobilisations, comme l’ont montré les contestations étudiantes en 2012 au Québec (Raynauld, Lalancette et Tourigny-Koné 2016) ou encore le mouvement Idle No More (Raynauld, Richez et Boudreau Morris 2018). Du point de vue des organisations, sachant qu’être absentes des plateformes sociales peut être plus risqué que de les intégrer (Bonsón et al. 2012, 131), les médias sociaux peuvent aussi assurer le contrôle de leur image institutionnelle en ligne et ainsi éviter que d’autres publient des informations fausses ou erronées en leur nom (Agostino 2013 ; Yates et Arbour 2013). Cela peut faire contrepoids à la peur de perte de contrôle souvent mentionnée par les administrations publiques pour justifier leur absence ou leur stratégie d’intervention « prudente » sur les médias sociaux (voir Boudreau et Caron 2016 ; Sobaci 2016, 5).

Comme le soulignent Enrique Bonsón, Lourdes Torres, Sonia Royo et Francisco Flores (2012), les administrations publiques peuvent aussi tirer parti de la nouvelle culture participative émanant des médias socionumériques. Par exemple, en faisant appel aux citoyen·ne·s et en les intégrant dans la prise de décision, ils peuvent attirer leur attention sur la gestion municipale et favoriser les relations entre gouvernant·e·s et gouverné·e·s. L’expérience québécoise montre que lorsque ces outils sont convenablement utilisés et adaptés aux besoins de la population, les TIC peuvent même consolider les outils traditionnels de consultation publique (Piron 2012 ; Boudreau et Caron 2016). Elles peuvent aussi permettre de rejoindre d’autres personnes, puisque les participant·e·s aux initiatives en ligne sont différent·e·s de ceux·elles qui fréquentent les initiatives traditionnelles, hors ligne (Stern, Gudes et Svoray 2009).

Lieu de promotion pour les actions et les événements des organisations (Hofmann et al. 2013 ; Campbell, Lambright et Wells 2014), les médias socionumériques sont aussi devenus un élément central de la stratégie électorale des partis, favorisant une hybridation des technologies de communication traditionnelles et émergentes ainsi que d’anciens et de nouveaux types de principes organisationnels (Giasson, Greffet et Chacon 2018 ; Giasson, Le Bars et Dubois 2019). Cela peut se traduire, entre autres, par la coordination des militant·e·s, la génération de ressources, la promotion du parti ou encore le ciblage de clientèles précises.

En somme, comme le souligne Kathleen McNutt (2014, 67), utiliser les médias socionumériques n’est pas une approche « fast food » de l’engagement public : cela ne crée pas de facto un dialogue favorisant la participation citoyenne à la gouvernance. Cela dit, il serait incorrect d’ignorer les possibilités qu’offrent tout de même ces technologies autant pour les individus que pour les organisations. Si cela ne permet pas de créer une sphère publique commune, cela n’empêche pas certains publics de communiquer, de s’organiser et de se mobiliser.

Les conseils de quartier de Québec : un organe participatif en quête de reconnaissance

Créés au début des années 1990 et standardisés à l’ensemble de la ville en 1996, les conseils de quartier sont nés de la volonté de politiser et de démocratiser la gouvernance municipale à Québec. Cette instance consultative tire son origine d’une longue lutte citoyenne débutée dans les années 1960 à la suite d’une large et difficile entreprise de « rénovation urbaine » dans la Capitale[7] (Bherer 2006a ; 2006b). Souvent mentionnés comme un cas d’école en matière de participation citoyenne à la gouvernance locale, et même de « dispositif participatif emblématique de la politique québécoise » (Bherer 2006a : 30), ils sont décrits comme « un interlocuteur privilégié de la Ville » permettant aux citoyen·ne·s « d’exprimer leurs opinions et leurs besoins concernant leur quartier, notamment en matière d’aménagement du territoire, de développement des propriétés municipales, de vie associative et de sécurité publique » (Ville de Québec 2018).

Concrètement, chacun de ces conseils est une entité juridiquement autonome dirigée par un conseil d’administration composé de citoyen·ne·s élu·e·s en assemblée générale où tous les résident·e·s du quartier peuvent participer et voter. Les conseils de quartier agissent en tant qu’expert·e·s-citoyen·ne·s pour conseiller l’administration municipale. Ce rôle est renforcé par un accès privilégié à l’information et à un réseau de contacts favorisé par l’implication régulière et soutenue des administrateur·rice·s dans la gouvernance locale. L’essentiel de leur travail est de répondre aux demandes d’opinion[8] de l’administration municipale, d’organiser des consultations publiques sur les projets majeurs[9] et de formuler des recommandations aux autorités (Bherer 2006a ; 2006b ; 2011). Le statut d’organisme sans but lucratif (OSBL), le petit budget dont ils disposent et les pouvoirs qui leur sont conférés par la Charte de la Ville de Québec ainsi que par diverses politiques municipales leur assurent une autonomie et un pouvoir d’initiative, particulièrement dans l’organisation de consultations publiques et d’autres activités participatives (Bherer 2006b ; 2011).

Or, les années récentes ont été témoins d’un bon nombre de difficultés pour les conseils de quartier. En 2015, deux anciennes présidentes d’un conseil de quartier de l’arrondissement Beauport (en périphérie du centre-ville) avaient dénoncé le manque de considération de l’administration municipale pour l’organisme, en plus de se désoler du peu de participation des citoyen·ne·s (Mathieu 2015). Les tensions avec les autorités municipales ne semblent d’ailleurs pas anecdotiques. En 2011, le maire Régis Labeaume avait annoncé sa volonté de réformer l’instance, lui reprochant de ne rejoindre qu’un nombre restreint de citoyen·ne·s tout en agissant comme défouloir envers son administration (Porter 2011). Si ce projet ne vit jamais le jour, les relations sont demeurées tumultueuses entre le comité exécutif de la Ville et les conseils de quartier. En 2012, tous les membres du conseil d’administration du conseil de quartier du Vieux-Québec–Cap-Blanc–Colline Parlementaire ont quitté leur poste, reprochant aux élu·e·s d’Équipe Labeaume de vouloir « affaiblir le pouvoir des citoyens » (Morin 2012). De plus, peu après le dernier scrutin local de 2017, le maire tenta de geler unilatéralement le budget d’initiative des conseils de quartier, avant de faire volte-face devant la colère de ces derniers (Fabriès 2017).

Le manque d’intérêt des résident·e·s pour l’organisme représente lui aussi un défi. En 2015, le conseil de quartier du Vieux-Moulin a été dissous faute de volontaires pour siéger à son conseil d’administration (Mathieu 2015). Plus récemment, celui des quartiers de l’Aéroport (2018) et de Saint-Sacrement (2019) étaient menacé de l’être pour des raisons similaires (Cattapan 2018 ; Demers 2019). Soulignons aussi que la participation aux séances publiques est généralement faible. Si les données à cet effet ne sont pas systématiquement rendues accessibles, l’exemple du conseil de quartier du Vieux-Limoilou (un quartier connu à Québec pour son dynamisme et sa vie communautaire) est éloquent : la participation aux séances publiques n’a été en moyenne que de 24 personnes en 2018 (Conseil de quartier du Vieux-Limoilou 2019, 4). Mentionnons au passage que la relation des conseils de quartier avec d’autres groupes citoyens est parfois marquée par la tiédeur. À titre d’exemple, Caroline Patsias (2016, 198-200) a documenté la méfiance des membres du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur envers le conseil de quartier du même secteur, essentiellement parce qu’il·elle·s doutaient à la fois de la pertinence et des motivations de cet organisme municipal autonome. Les membres du comité des citoyens hésitèrent même à accorder un espace au conseil de quartier lors d’une fête populaire qu’il·elle·s organisaient…

Ainsi, force est de constater que les conseils de quartier de Québec se retrouvent dans une position inconfortable entre une administration municipale défiante, des citoyen·ne·s peut intéressé·e·s et des vis-à-vis sceptiques. Ils sont donc contraints de jouer plusieurs rôles. D’une part, le conseil de quartier représente un organe de consultation et de participation publique. Ses administrateur·rice·s doivent ainsi créer les conditions adéquates pour inciter les résident·e·s à s’impliquer dans la vie de leur quartier. D’autre part, les conseils de quartier peuvent être perçus comme des acteurs politiques devant justifier leur pertinence, voire leur existence, devant l’apathie des citoyen·ne·s et des élu·e·s.

Question de recherche

Cet article s’intéresse à la communication en ligne des conseils de quartier de Québec au regard de leur situation délicate. L’objectif est de comprendre comment cet organisme citoyen utilise la plateforme Facebook. Les médias sociaux sont-ils utilisés en complémentarité avec sa mission première, c’est-à-dire pour stimuler la participation des citoyen·ne·s à la gouverne de leur quartier, ou encore dans un objectif de publicisation de ses actions ou de légitimation de son rôle ? Dans le premier cas, on devrait observer une communication davantage bidirectionnelle, invitant à l’échange et à la rétroaction. Dans le second, ce sont des publications plus informatives, à sens unique de l’émetteur vers le récepteur, qui devraient constituer la majorité des messages mis en ligne.

Le choix de ne s’intéresser qu’à la plateforme Facebook n’est pas anodin. En plus d’être le média social le plus populaire auprès de la population québécoise et canadienne (CEFRIO 2018 ; Gruzd et al. 2018), c’est aussi par l’entremise de cette plateforme que les populations urbaines seraient le plus susceptibles de contacter leurs autorités locales (Lev-On et Steinfeld 2015 ; Haro-de-Rosario, Sáez-Martin et Caba-Pérez, 2018). Facebook se prête aussi mieux au contenu politique que d’autres plateformes (Mossberger, Wu et Crawford 2013). Finalement, concentrer l’analyse sur une seule plateforme permet de mieux cerner les dynamiques qui lui sont propres. Il ne faut effectivement pas considérer à tort le Web social comme quelque chose d’homogène (Oliveira, Maultasch et Welch 2013, 397).

Cadre d’analyse

Si plusieurs cadres analytiques ont été proposés pour étudier les stratégies de communication en ligne, il est possible d’identifier deux éléments généralement relevés dans les études sur le sujet : l’approche de la communication et sa fonction. Tout d’abord, on tend à déterminer si l’approche communicationnelle s’inscrit dans une logique unidirectionnelle, ou encore dans une logique d’échange (bidirectionnelle, voire multidirectionnelle) favorisant la participation des récepteur·rice·s. Par ailleurs, il est convenu de catégoriser les messages émis selon la fonction, c’est-à-dire son objectif principal. À ce propos, plusieurs études portant sur la communication politique en ligne en contexte québécois et français (Verville et Giasson 2011 ; Verville 2012 ; Eyries et Poirier 2013) utilisent les mêmes catégories relatives à la fonction communicationnelle, lesquelles ont été développées à partir des travaux de Rachel Gibson et Stephen Ward (2000), de Tamara A. Small (2006 ; 2008) et de Darren G. Lilleker et Casilda Malagón (2010). Le tableau 1 présente ces différentes fonctions selon l’approche à laquelle elles correspondent.

Tableau 1

Approches et fonctions communicationnelles

Approches et fonctions communicationnelles

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Figure 1

Les quatre modèles de relations publiques selon Grunig, Grunig et Dozier (2002), par approche communicationnelle

Les quatre modèles de relations publiques selon Grunig, Grunig et Dozier (2002), par approche communicationnelle

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Aux fins de la présente étude, un cadre d’analyse s’inscrivant dans cette logique est utilisé, en mobilisant les quatre modèles de relations publiques développés par Larissa A. Grunig, James E. Grunig et David M. Dozier (2002) (voir figure 1). Bien que ce modèle théorique, développé avant l’apparition des médias sociaux, soit critiqué par certain·e·s auteur·e·s, il n’en demeure pas moins qu’il s’est avéré utile pour analyser la communication en ligne d’organismes sans but lucratif (Waters et Jamal 2011 ; Cho, Schweickart et Haase 2014). Il a d’ailleurs été mobilisé dans l’étude de Stéphanie Yates et Myriam Arbour (2013) portant sur l’usage des médias socionumériques par les organismes publics au Québec. Ainsi, en reprenant ce cadre d’analyse, nous nous assurons d’une certaine cohérence et d’une continuité dans la recherche sur les approches communicationnelles en ligne des organismes de consultation et de participation publiques au Québec.

Les quatre modèles de relations publiques permettent de porter une attention particulière au caractère unidirectionnel ou bidirectionnel de la communication. Ainsi, comme l’illustre la figure 1, les deux premiers se caractérisent par un message unidirectionnel, de l’émetteur vers ses publics. La promotion, ou press agentry, est habituellement associé à de la publicité – voire de la propagande (Yates et Arbour 2013, 57). L’information constitue du contenu qui n’est généralement pas négatif envers l’organisation qui la communique. On conçoit clairement que ces deux premiers modèles laissent très peu d’occasions réelles – parfois aucune – aux récepteur·rice·s d’apporter une rétroaction sous forme de contribution. La visée est avant tout de livrer un message, sans chercher à stimuler un échange. Le troisième modèle – la communication bidirectionnelle asymétrique – permet une certaine forme d’interaction entre les récepteurs et l’émetteur, qui reste cependant contrôlée et souvent sans influence, étant parfois même qualifiée de faux dialogue (Waters et Jamal 2011). L’ultime modèle, celui de la communication bidirectionnelle symétrique, désigne une communication qui sollicite les récepteur·rice·s dans un dessein participatif, parfois de cocréation (voir Grunig, Grunig et Dozier 2002, 306 et suiv. ; Yates et Arbour 2013, 57-58). Si la persuasion reste l’objectif des trois premiers modèles, la communication bidirectionnelle symétrique nécessite un dialogue qui entraîne des changements « dans les idées, les attitudes et les comportements à la fois de l’organisation et de ses publics » (Grunig, Grunig et Dozier 2002, 308). Une analyse de la communication en ligne d’organismes sans but lucratif a d’ailleurs montré qu’il s’agit du modèle le plus efficace pour stimuler les échanges avec les autres utilisateur·rice·s de Facebook dans une optique de développement d’une relation mutuellement bénéfique (Cho, Schweickart et Haase 2014).

En lien avec l’objectif de cet article, on comprend la pertinence de cette approche théorique pour l’étude de l’utilisation des médias sociaux par les conseils de quartier. D’une part, les deux premiers modèles peuvent facilement être associés aux fonctions (voir tableau 1) d’autopromotion/personnalisation, alors que le lien entre le modèle d’information et sa fonction homonyme est évident. Quant à la fonction de mobilisation, elle s’apparente au modèle de communication asymétrique : la visée est de « faire faire » quelque chose de précis aux récepteur·rice·s, leur laissant ainsi un degré de liberté moindre que lorsque l’on cherche à interagir avec eux. Cette dernière fonction, l’interaction, qui s’inscrit dans une logique de symétrie, peut donc être associée au quatrième modèle.

En somme, pour que la communication des conseils de quartier de Québec s’inscrive en complémentarité avec leur mission première, elle doit se présenter comme étant bidirectionnelle et davantage symétrique, permettant ainsi un échange continu et réel. A contrario, une communication s’inscrivant dans une stratégie de promotion et de quête de reconnaissance présenterait les caractéristiques d’une approche unidirectionnelle. Ainsi, logiquement, les fonctions d’interaction et de mobilisation devraient être plus mobilisées dans les communications à des fins « cyberdémocratiques » que les fonctions d’information et d’autopromotion/personnalisation.

Méthodologie

Cette analyse s’inscrit dans les études portant sur l’« offre » (supply), en opposition à la recherche portant sur la « demande » (demand) qui s’intéresse aux réponses des usager·ère·s au contenu disponible en ligne (Small 2010, 39, Vaccari 2013, 4-5). L’unité d’analyse est donc ici la publication mise en ligne par le conseil de quartier sur sa page Facebook (en opposition à celles d’autres utilisateur·rice·s de la plateforme). L’analyse de contenu quantitative a été choisie comme principale stratégie de recherche parce qu’elle permet de porter un regard sur le discours des acteur·rice·s en fonction de « leurs intentions manifestes ou [de] leurs motivations » (Mace et Petry 2000, 114).

Pour procéder à la collecte de données, une liste des pages Facebook[10] des conseils de quartier a été constituée à l’aide du moteur de recherche intégré à la plateforme. Lorsqu’il était impossible de déterminer la présence ou l’absence du conseil sur Facebook, nous avons communiqué avec le·a conseiller·ère en consultations publiques attitré·e[11].

Notre corpus final, détaillé au tableau 2, compte 17 pages Facebook. Pour faire partie du corpus, une page devait avoir été mise en ligne avant le début de la période temporelle étudiée et avoir publié au moins un message au cours de celle-ci. Ainsi, toutes les publications mises en ligne entre septembre 2016 et septembre 2017 sur chacune des pages du corpus ont été collectées. Cela permet de concentrer l’analyse sur des données récentes, tout en évitant les changements d’approches ou de stratégies possibles dans la communication des conseils de quartier attribuables à la dernière campagne électorale municipale (du 22 septembre au 5 novembre 2017). De plus, selon Stéphanie Yates et Myriam Arbour (2013, 71), « le développement graduel des habiletés organisationnelles en matière de gestion de compte amènera éventuellement les organisations à privilégier des approches permettant davantage d’interactions ». De ce fait, l’étude de publications plus récentes permet potentiellement de limiter l’inclusion des « premiers pas » sur Facebook et de se concentrer sur l’étude d’une communication éventuellement plus « mature » et probablement mieux adaptée à la plateforme et à son esprit collaboratif. En d’autres mots, les chances d’inclure dans l’analyse des données aberrantes sont ainsi minimisées.

La collecte de données a été effectuée en octobre 2017 en utilisant l’application Netvizz (Rieder 2013)[12]. Une base de données contenant tous les messages publiés sur les pages du corpus a été créée. Par la suite, un échantillon de 25 % de toutes les publications des conseils de quartier (n = 311) a été sélectionné aléatoirement. Pour compléter l’analyse de l’échantillon, une grille de codage inspirée d’études antérieures similaires (Verville et Giasson 2011 ; Lovejoy et Saxton 2012 ; Verville 2012 ; Hou et Lampe 2015 ; Bellström et al. 2016) a été créée. Cette dernière, disponible sur demande auprès de l’auteur, permet de déterminer la fonction dominante de chacune des publications (voir tableau 1). La grille a été testée deux fois (en octobre 2017 et en février 2018), puis des modifications y ont été apportées en fonction des résultats préliminaires, avant la codification finale faite en mars 2018. Afin d’éviter les biais d’analyse, et à la lumière des résultats de nos tests, nous avons utilisé la définition de la fonction d’information offerte par Kristen Lovejoy et Gregory D. Saxton (2012) : une communication à sens unique aux citoyen·ne·s dont le but principal est strictement informatif, c’est-à-dire libre d’objectifs secondaires tels que la promotion d’un événement, l’appel à l’action, l’appel au dialogue, etc. Cela, couplé à la classification selon la fonction dominante en catégories mutuellement exclusives, permet de limiter la surreprésentation de cette fonction (présente pendant les phases de test). L’ensemble de l’analyse a été effectué par un seul codeur, manuellement.

Tableau 2

Corpus final

Corpus final

*Possède une page Facebook mise en ligne après la période temporelle étudiée.

**Possède une page Facebook mise en ligne après le début de la période temporelle étudiée.

***Possède un groupe Facebook public au moment de la collecte des données.

Note : Seuls les conseils de quartier ayant une page Facebook lors de la période temporelle étudiée sont inclus dans le corpus. Le nombre de publications correspond aux messages publiés durant la période temporelle à l’étude. Le conseil de quartier de Sillery a créé une page Facebook en octobre 2017 ; il est donc exclu du corpus. Le nombre total de conseils de quartier actuellement constitués sur le territoire de la ville de Québec s’élève à 27.

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Résultats et analyses

L’analyse du corpus sans les publications automatiques[13] (n = 305) révèle à première vue qu’il ne semble pas y avoir une approche communicationnelle privilégiée par les conseils de quartier. En effet, 48 % (n = 147) des publications peuvent être qualifiées d’unidirectionnelles, tandis que 52 % (n = 158) correspondent à l’approche bidirectionnelle (voir figure 2). Pour approfondir ces résultats, une analyse détaillée de chacune des fonctions en présence a été effectuée, permettant d’apprécier non seulement les visées générales des publications, mais également leur propos.

Figure 2

Nombre de publications par fonction communicationnelle

Nombre de publications par fonction communicationnelle

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Fonction d’autopromotion/personnalisation

La fonction d’autopromotion/personnalisation, peu utilisée dans les pages à l’étude, semble l’être principalement pour promouvoir les actions et les opinions du conseil, d’un ou plusieurs de ses membres, ou pour transmettre des voeux et autres messages du genre. Par exemple, la figure 3 montre une publication dans laquelle la promotion d’une entrevue accordée par un membre du conseil d’administration du conseil de quartier de Maizerets est faite.

Figure 3

Exemple de publication associée à la fonction d’autopromotion/personnalisation

Exemple de publication associée à la fonction d’autopromotion/personnalisation
Source : Capture d’écran de la page Facebook du conseil de quartier de Maizerets

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Comme l’illustre la figure 4, l’annonce de la participation du conseil de quartier ou de l’un·e de ses administrateur·rice·s à un événement ou encore l’appui à une cause particulière sont généralement peu nombreux dans les pages. Les publications portent principalement sur la promotion des membres-administrateur·rice·s et des actions ou de l’opinion du conseil de quartier. En résumé, cette fonction reste marginale dans le corpus analysé (environ 12 % des 305 publications retenues). On peut donc en conclure que les conseils de quartier semblent très peu enclins à mettre de l’avant des messages d’autopromotion.

Figure 4

Sujets des publications associées à la fonction d’autopromotion/personnalisation

Sujets des publications associées à la fonction d’autopromotion/personnalisation

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Fonction d’information

Une analyse détaillée des publications associées à cette fonction (voir figure 5) révèle que près de 40 % des informations partagées sur les pages Facebook des conseils de quartier concernent directement le quartier ou les enjeux politiques qui y sont associés.

Figure 5

Sujets des publications associées à la fonction d’information

Sujets des publications associées à la fonction d’information

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Généralement, les publications associées à cette fonction sont assez minimalistes quant à leur forme et constituent pour l’essentiel le partage d’un article de presse (voir figure 6). La quantité d’informations sur les divers services offerts par la Ville – comme le partage d’un communiqué de presse annonçant une modification apportée aux horaires du service de transport en commun – est à peu près la même que celle portant sur les autres conseils de quartier et les organisations ou groupes de citoyens. Le contenu éducatif et historique, ainsi que les informations portant sur le conseil de quartier lui-même (comme son fonctionnement), représente une part marginale de l’information relayée sur les pages Facebook.

Figure 6

Exemple de publication associée à la fonction d’information

Exemple de publication associée à la fonction d’information
Source : Capture d’écran de la page Facebook du conseil de quartier de Saint-Roch

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Fonction d’interaction

Selon les données, la fonction d’interaction reste très peu utilisée. Pour les besoins de l’analyse, nous considérons les publications correspondant à cette fonction, celles qui interrogent ou interpellent directement les autres utilisateur·rice·s de la plateforme, notamment en sollicitant des commentaires ou en demandant leur assistance, ou encore qui répondent directement à un message d’un autre utilisateur ou le relaient (voir figure 6). Seules treize publications sur les 305 retenues correspondent à cette définition.

Figure 7

Exemple de publication associée à la fonction d’interaction

Exemple de publication associée à la fonction d’interaction
Source : Capture d’écran de la page Facebook du conseil de quartier St-Louis

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Fonction de mobilisation

En ce qui concerne cette fonction, notant que les résultats initiaux de l’analyse semblent montrer un nombre important de publications ayant pour objectif la mobilisation, et sachant qu’il ne s’agit habituellement pas d’une visée principale de la communication en ligne de la classe politique (Giasson, Greffet et Chacon, 2018) et des municipalités (Hofmann et al. 2013 ; Norris et Reddick 2013 ; Riarh et Roy 2014 ; Gruzd et Roy 2016), l’analyse a été raffinée. Le propos des publications a été classé en deux catégories – politique et apolitique – pour cerner la mobilisation étant réellement complémentaire à la mission première des conseils de quartier qui est d’encourager la participation des citoyen·ne·s à la vie démocratique municipale. Également, le rôle – passif (assister à une conférence ou une soirée d’information, par exemple) ou actif (comme participer à une assemblée de consultation publique ou un atelier de cocréation) – réservé aux gens que l’on cherche à mobiliser a été relevé.

Ainsi, comme l’illustre la figure 8, une publication peut viser à mobiliser les citoyen·ne·s vers un rôle actif au sein d’une activité politique (comme c’est le cas ici avec la consultation sur la mobilité durable) ou encore vers un rôle passif à l’occasion d’une activité non politique (assister à une projection de film). À noter que toutes les combinaisons sont possibles, et donc que la publication peut mobiliser les récepteur·rice·s pour jouer un rôle passif lors d’une activité politique (assister à une soirée d’information sur un projet de densification, par exemple), ou encore un rôle actif lors d’une activité non politique (comme participer à une corvée de nettoyage de berges d’une rivière urbaine). Les figures 9 et 10 illustrent le nombre de publications classées par propos et par rôle réservé aux participant·e·s.

Figure 8

Comparatif d’une publication de mobilisation politique avec rôle actif (à gauche) et d’une publication de mobilisation non politique avec rôle passif (à droite)

Comparatif d’une publication de mobilisation politique avec rôle actif (à gauche) et d’une publication de mobilisation non politique avec rôle passif (à droite)
Source : Capture d’écran des pages Facebook des conseils de quartier du Vieux-Limoilou et St-Jean-Baptiste

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Figure 9

Nombre de publications correspondant à la fonction de mobilisation réservant un rôle actif aux récepteurs

Nombre de publications correspondant à la fonction de mobilisation réservant un rôle actif aux récepteurs

Note : Total de 37 messages sur 145 associés à cette fonction.

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Figure 10

Nombre de publications correspondant à la fonction de mobilisation réservant un rôle passif aux récepteurs

Nombre de publications correspondant à la fonction de mobilisation réservant un rôle passif aux récepteurs

Note : Total de 108 messages sur 145 associés à cette fonction.

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Bien qu’initialement la fonction de mobilisation semblait importante par rapport aux pratiques observées en politique partisane et auprès des municipalités, une analyse plus détaillée indique qu’en réalité seulement 25,5 % des messages appartenant à cette fonction (37 sur 145) ont pour but de mobiliser les récepteur·rice·s dans un rôle actif. Lorsque l’on retranche les événements et les actions dits « non politiques », cette proportion chute à moins de 23 % (33 sur 145).

Approche communicationnelle dominante

En définitive, une fois l’analyse des différentes fonctions réalisée en détail, il est possible de modérer les observations initiales. La figure 11 montre en effet que la presque égalité entre les approches unidirectionnelle et bidirectionnelle doit être tempérée en fonction de la nature de la mobilisation telle que décrite à la section précédente.

Lorsque l’on ne considère que les publications qui correspondent à la fonction de mobilisation prévoyant un rôle actif aux récepteurs (n = 37) et les publications associées à la fonction d’interaction (n = 13), seulement 50 publications sur les 305 retenues dans le corpus (un peu plus de 16 %) peuvent être établies comme réellement complémentaires à la mission des conseils de quartiers, et donc potentiellement s’inscrire dans une approche bidirectionnelle symétrique. Les 147 publications à sens unique (autopromotion et information) (48 % du corpus) restent majoritaires.

Figure 11

Nombre final de publications par fonction communicationnelle

Nombre final de publications par fonction communicationnelle

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Quant aux 108 publications dites de mobilisation avec rôle passif (un peu plus de 35 % du corpus), elles peuvent être classées comme une forme de communication bidirectionnelle sans doute plus asymétrique que symétrique, compte tenu du rôle réservé aux citoyen·ne·s. Ces messages ont pour objectif principal de convaincre les récepteurs d’assister à quelque chose plutôt que de participer à un échange afin de prendre en compte leurs points de vue et leurs besoins, bref à les impliquer réellement dans un échange mutuel. Il convient également de noter que ces publications ne sont pas liées à la mission principale des conseils de quartier dans près de 54 % des cas et ne concernent pas les activités du conseil dans près de 53 % des observations.

Conclusion et discussion

Cette étude présente une analyse de contenu d’un échantillon aléatoire de 311 publications mises en ligne sur les pages Facebook des conseils de quartier de Québec entre septembre 2016 et septembre 2017. L’objectif est de comprendre comment un conseil de quartier, organisme citoyen de participation politique microlocale en quête de reconnaissance, utilise les médias sociaux pour communiquer avec les résident·e·s. Nous avons émis l’hypothèse qu’une communication d’ordre bidirectionnelle, axée sur l’interaction et la mobilisation, serait l’indicateur d’une volonté d’utiliser la plateforme sociale en continuité avec la mission participative de l’organisme. À l’inverse, une communication unidirectionnelle, davantage constituée de messages informationnels et promotionnels, peut s’inscrire dans une stratégie visant à publiciser, voire à défendre, le rôle et les actions des conseils de quartier.

Les résultats montrent qu’à l’instar d’autres organisations publiques et politiques, la communication à sens unique, du haut vers le bas, est l’approche privilégiée. Les conseils de quartier publient un contenu qui ne peut contribuer à la création d’un espace « cyberdémocratique » où les visiteurs sont appelés à jouer un rôle – en ligne ou hors ligne – dans la prise de décision politique. Il n’est pas non plus possible de conclure à la présence d’une stratégie de promotion du rôle et des actions. Le contenu des messages diffusés est davantage de l’ordre de ceux qu’on trouve sur un babillard communautaire. Ainsi, la majorité des publications ne concernent pas les activités des conseils de quartier, ne constituent pas une occasion d’échanger ou de participer à la vie démocratique municipale et limitent généralement le public à un rôle passif, même lorsque l’on souhaite les mobiliser.

L’absence de stratégie communicationnelle apparente s’inscrivant en continuité avec la mission de l’organisme, ou encore en réponse au manque d’intérêt manifesté à leur endroit, peut potentiellement s’expliquer par certains facteurs relevés dans la littérature. En ce sens, il a déjà été mentionné que les actions des conseils de quartier sont inégales d’un conseil à un autre (Bherer 2006b). Cela peut être en partie attribuable au fort taux de roulement chez les administrateur·rice·s, du fait que ces derniers sont bénévoles et s’impliquent à temps partiel, étant pour la plupart sur le marché du travail ou ayant des responsabilités familiales (Simard et Landry 2003, 16). De plus, comme le mode de fonctionnement des conseils de quartier est fortement institutionnalisé et met l’accent sur des modes de consultation et de participation hors ligne sous forme présentielle (Bherer 2006b), on peut penser qu’à l’instar d’autres organismes publics québécois (voir Piron 2012, 21 ; Boudreau et Caron 2016), la dépendance aux sentiers rend difficile la transposition de leurs actions en ligne.

Les contributions de cet article à la littérature en communication politique en ligne sont de deux ordres. D’une part, l’étude montre qu’une organisation citoyenne, même si son mandat est d’encourager la consultation et la participation du public à la gouvernance municipale, n’est pas « par nature » plus encline à utiliser les TIC en complémentarité avec sa mission. La réalité documentée par les contributions antérieures s’inscrivant dans une optique « cybersceptique » demeure : les médias sociaux ne semblent pas contribuer à changer significativement l’exercice de la citoyenneté démocratique. Qui plus est, il est intéressant de noter que l’absence d’une stratégie communicationnelle visant à promouvoir l’organisme, ne serait-ce que pour faire contrepoids aux propos de l’administration à son endroit, peut témoigner d’un manque de ressources, de connaissance, voire de professionnalisation. Les conseils de quartier de Québec, d’un point de vue agrégé, ne cherchent pas à intégrer la plateforme Facebook dans leur « arsenal tactique », ni à des fins démocratiques, ni à des fins promotionnelles.

D’autre part, sur le plan méthodologique, l’analyse offre une contribution intéressante en insistant sur l’importance de porter une attention approfondie au propos des publications lors de l’analyse de contenu en ligne. Cela s’applique particulièrement aux travaux qui utilisent le modèle des fonctions communicationnelles. Si les premiers résultats quantitatifs suggéraient une plus grande ouverture au dialogue et à la participation sur les pages des conseils de quartier par rapport à celles des partis politiques et des villes, un regard plus appuyé permet de nuancer cette conclusion. Ainsi, dans l’étude de la communication politique – partisane comme institutionnelle –, nous avançons qu’il est nécessaire de prêter attention au rôle réservé aux citoyen·ne·s. Une organisation cherchant à les mobiliser ne cherche pas toujours à le faire vers un rôle actif, et cette distinction s’avère particulièrement utile pour véritablement comprendre les intentions derrière une communication donnée.

La démarche présentée ici comporte certainement quelques limites. Pour obtenir un portrait complet et mieux comprendre les résultats présentés, sachant que les facteurs institutionnels internes peuvent jouer un rôle fort important dans l’adoption ou non d’outils participatifs en ligne (Chadwick 2011, 35), une approche qualitative s’avère nécessaire. Il semble aussi pertinent qu’une étude s’inscrivant du côté de « la demande », c’est-à-dire des citoyen·ne·s qui suivent ces pages Facebook, soit réalisée afin de comprendre si la communication en ligne des conseils de quartier est adéquate et adaptée. À tire d’exemple, les groupes publics des comités de citoyen·ne·s étant à la fois plus actifs et plus populaires[14], est-il possible que ces derniers viennent combler un « besoin » jusqu’ici ignoré par les conseils de quartier, mais qui serait bénéfique à l’exercice de leur mission ?

En définitive, cette étude contribue à l’état du savoir sur la politique municipale québécoise et son exercice en contexte microlocal. En dépit d’un certain regain d’intérêt pour la chose, notamment du côté des études électorales, beaucoup reste à faire pour comprendre les réalités et les dynamiques spécifiques à ce palier de gouvernance. Pour reprendre l’esprit des propos de Jean-Pierre Collin (2011), c’est en rompant avec l’image d’une scène politique essentiellement technocratique, administrative, voire apolitique, que les chercheurs parviendront peut-être à cesser de faire de la politique municipale un « angle mort des études sur la démocratie ». À ce chapitre, nous plaidons la pertinence des études en communication politique pour améliorer la compréhension de cette scène politique de proximité.