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La fonction publique, au Québec, ne fait plus parler d’elle aujourd’hui comme elle le faisait de 1960 à l’an 2000. Pourtant, son travail est toujours aussi important pour la vie politique, économique et sociale, comme on le voit lorsque l’on essaie de s’en passer, avec le Brexit ou encore les mouvements populistes obsédés par l’idée de « moins de gouvernement ».
Ainsi, il convient de signaler la parution du livre de Louis Borgeat : Choisir l’administration publique ? 30 lettres pour une jeunesse sceptique. L’auteur est un juriste bien connu, qui a eu une longue carrière en tant que fonctionnaire québécois et professeur à l’École nationale d’administration publique. Avec René Dussault, il est coauteur d’un Traité de droit administratif et québécois en trois volumes. Choisir l’administration publique ? est donc le livre d’un mandarin aussi bien que d’un professeur ; plutôt que des mémoires, ce sont des connaissances et des acquis réunis au cours d’une longue carrière. Cependant, pour ne pas omettre l’expérience vécue, Borgeat ajoute à la plupart des chapitres un post-scriptum où il raconte quelques souvenirs et anecdotes. Aussi, par une idée originale, il s’est fait accompagner par un groupe de jeunes fonctionnaires actuels, qui ont commenté les chapitres au fur et à mesure et rédigé l’introduction du volume.
Ce volume comprend bien plus que des renseignements concernant la carrière. L’auteur y ajoute une défense et une illustration de l’État, de ses fonctions essentielles ainsi que de sa nature singulière. Il y a des développements sur les institutions administratives, sur les finances publiques et sur l’interface avec le monde politique. Comme il se doit, il aborde aussi le droit administratif, l’éthique et les valeurs propres à la fonction publique.
Les exigences font que le travail de fonctionnaire est tempéré, modéré, et cette modération (sauf pour les heures de travail des classes supérieures) a pour conséquence, selon lui, qu’on devrait l’éviter si l’on tient à gagner beaucoup d’argent. Vous ne serez, dit-il, ni riche ni pauvre. Étant donné son genre, il n’est pas surprenant de voir l’auteur manifester ses préférences, par exemple, contre le démantèlement de l’État ou en faveur d’une solide culture générale comme source d’idées innovatrices plus tard dans la carrière. Cependant, fidèle à ses principes, Borgeat ne verse pas dans des formules toutes faites ou des positions extrémistes.
Le texte est clair, concis, abordable. L’originalité du livre tient non pas dans la création de connaissances nouvelles, mais plutôt dans la qualité de la synthèse, parce que c’est une vision complète et cohérente de l’État dans toutes ses dimensions. Il pourrait servir de manuel dans un cours de niveau collégial tout autant qu’universitaire et d’un texte de base pour des activités de perfectionnement de jeunes fonctionnaires comme celles et ceux qui ont rédigé la préface. Il semble avoir été écrit avec un jeune homme en tête, car, sauf erreur, il n’y discute pas de développement consacré aux avantages du secteur public pour les jeunes femmes en matière de recrutement, de carrière et d’équité salariale.
Comme l’administration elle-même, le livre touche à une grande variété de sujets et de matières, allant des inégalités économiques et sociales jusqu’aux phénomènes de dépendance. Sa pertinence peut être jugée par un rappel de sa manière de traiter de l’indépendance des procureurs face au gouvernement, question qui a été longuement débattue à propos de l’administration fédérale à l’hiver de 2019 concernant la possibilité de poursuivre la firme SNC-Lavalin accusée d’avoir offert des pots-de-vin afin d’obtenir des contrats en Libye. De façon générale, et sans se référer à ce cas précis, l’auteur note (p. 108-109) que pour les poursuites criminelles et pénales, les procureurs oeuvrent dans un monde particulier qui a ses règles propres et qui peut fonctionner « sans attirer l’attention des dirigeants », d’où le statut d’organisme détenu par la Direction des poursuites criminelles et pénales. Pourtant, l’auteur note immédiatement que, désormais, de nouveaux enjeux socioéconomiques amènent plusieurs à penser que « la justice appartient à cette génération plus ancienne de missions dont le mandat apparaît aujourd’hui moins important, particulièrement dans un univers hyper-médiatisé ».
C’est le conflit apparent entre ce monde hyper-médiatisé et l’univers systématique, impartial et réservé de la fonction publique qui constitue le défi de Louis Borgeat face à cette « jeunesse sceptique ». Avec Choisir l’administration publique ?, celui-ci a très bien réussi à démontrer qu’il y a de la place dans cet univers pour des jeunes qui désirent servir leur communauté et participer aux grands débats socioéconomiques et politiques de leur époque sans pour autant se tourner vers le militantisme.