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Adieux au capitalisme : Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes est un ouvrage dans lequel Jérôme Baschet synthétise un argumentaire anticapitaliste tout en spéculant sur la forme d’une possible société post-capitaliste. Cet ouvrage opère ce que l’auteur appelle la critique du principal moyen de production de la réalité, à savoir le capitalisme, tout en élaborant des univers alternatifs à partir d’une projection de la théorie dans la pratique. Dans l’introduction, Baschet indique que d’autres choix ont déjà commencé à apparaître. Il s’agit de « possibles » qui dépassent les simples aménagements au sein du capitalisme (social-démocratie par exemple) (p. 10).
Dans le premier chapitre, Baschet s’empresse de définir le caractère délétère du capitalisme (p. 19) ; il en retrace brièvement l’historique. Le capitalisme se constitue entre le milieu du dix-huitième siècle et les premières décennies du dix-neuvième siècle. À partir de cette époque, l’économie émerge comme une sphère d’activité autonome de la vie sociale. Elle a sa propre logique et impose sa propre représentation de l’humanité, dans laquelle l’humain est un être constamment à la recherche d’un gain. Le déploiement de ce système se fait à l’aide des institutions disciplinaires de l’État « et son idéologie de l’intérêt général » (p. 30). Avec l’arrivée du néolibéralisme durant les années 1970, le capitalisme resserre son emprise sur la société. L’État auparavant facilitait le déploiement du capitalisme à partir d’une logique intrinsèque. Son fonctionnement découle désormais d’une logique managériale et d’efficacité qui s’aligne parfaitement à celle du capitalisme. Les conduites sociales, quant à elles, s’ajustent de plus en plus à la logique de l’économie ; autrement dit, l’individu est invité à se concevoir comme une « petite entreprise » condamnée à fructifier son « employabilité » (p. 45). Selon Baschet, dans un tel contexte une recherche d’alternative s’impose. C’est ce qu’il va faire dans les chapitres subséquents.
Au chapitre 2, Baschet met en lumière l’importance qu’a « l’autonomie » dans l’avènement d’une société post-capitaliste. Pour lui, l’expérience zapatiste s’avère révélatrice. Le zapatisme est un mouvement indigéniste mexicain qu’il qualifie comme étant « l’une des plus profondes ‘utopies réelles’ actuellement déployées » (p. 54). Cet intérêt pour l’expérience zapatiste s’explique en partie par une forme d’autogouvernement pratiquée par les zapatistes : les conseils de bon gouvernement (p. 60-61). Baschet s’appuie sur cette expérience pour démontrer que le dépassement du capitalisme implique un dépassement de l’État qui participe à la domination capitaliste, car celui-ci représente faussement les intérêts de la collectivité. Il amplifie la dichotomie entre gouvernants et gouvernés (p. 71). En tant que forme politique, l’autonomie atténue cette distance en s’articulant à partir de la commune locale qui s’autogouverne selon une forme de démocratie participative (p. 77).
Le chapitre qui suit est consacré à la forme que pourrait prendre une société post-capitaliste. Baschet affirme que la base matérielle de celle-ci existe déjà. Cependant, il faut reconsidérer les exigences du régime de production. La production économique doit être assujettie « à la préservation de formes de vie collectivement choisies » (p. 96). Ce changement de régime de production, dont la visée est la libération de l’économie, doit passer par une « révolution du temps » (p. 97). Dans une société libérée de l’économie, le temps libre disponible n’est pas un simple reste, « il est l’essentiel » (p. 105). Au temps spécialisé et déterminé par les nécessités du travail de la société capitaliste, la société libérée de l’économie propose un temps disponible à tous dans lequel la patience et la lenteur sont des vertus cardinales (p. 107). Cette décompression du temps rend possible l’élaboration d’une subjectivité formatée par la coopération et non la compétition. Cet agir coopératif a pour principe l’accès égal de tous à la prise de décision collective et à la définition des tâches productives. Cette autonomie prend des formes diverses en fonction des collectifs et des particularités des lieux (p. 116).
C’est pour cela qu’il faut, selon Baschet, esquisser un nouvel universalisme, un universalisme qui remet en question la figure occidentale de l’être humain qui est imprégné par l’individualisme. Cette nouvelle figure de l’humanité devra également prendre en compte les rapports humains/environnement (p. 121). À cet égard, le concept du bien vivre que transportent les luttes indigènes d’Amérique latine semble être prometteur : le bien vivre suppose une représentation de l’humanité qui est plus harmonieuse avec l’environnement et beaucoup plus soucieuse du collectif : elle récuse l’individualisme compétitif et l’instrumentalisation de la nature que suppose le capitalisme (p. 126). Pour l’auteur, cela indique que la lutte pour le bien commun dépasse le simple cadre occidental, comme l’atteste l’histoire des peuples du monde qui est « saturée de luttes et de révoltes » (p. 130). Ce point commun rend possible une inter-culturalité des luttes. L’inter-culturalité met en lumière la nature sociale de l’être humain à travers un nombre infini de variables historiques et culturelles (p. 146). Elle remet ainsi en question la dualité entre individu et société que transporte la représentation occidentale de l’homme que l’on retrouve au sein du capitalisme. Elle reconsidère également la séparation de l’homme et de la nature qui n’a rien d’universel et qui est proprement occidentale (p. 146-147).
Baschet constate par la suite que deux scénarios d’émancipation se sont jusqu’alors affrontés. Dans un premier temps, il y a le scénario révolutionnaire classique, qui suppose que la révolution dépend de conditions collectives appropriées. Il y a dans un deuxième temps le scénario du devenir révolutionnaire déjà-là. Ce processus révolutionnaire serait déjà en marche : il se manifesterait entre autres par des choix individuels ou micro-collectifs alternatifs. Toutefois, il acquiesce au fait « que la dynamique révolutionnaire commence ici et maintenant » (p. 157). Elle commence au niveau individuel, avec les amis et la famille, et se transpose peu à peu aux organisations « plus amples ». Sa visée première est l’élaboration de pratiques qui « desserrent l’étau des logiques marchandes » (p. 159). Cela implique une réappropriation des capacités productives qui se concrétise par un détachement progressif du travail et de la consommation marchande (autoproduction alimentaire, échange de services entre voisins, bénévolat de quartier, etc.) (p. 161-162). Ce dépassement du capitalisme doit également s’appuyer sur les limites environnementales de la terre et sur les difficultés croissantes que celui-ci éprouve à surmonter ces contradictions (p. 178). Baschet conclut en affirmant qu’il croit avoir mis en évidence des possibles qui indiquent des « chemins inédits » et des potentiels dignes « pour les humains et les non-humains » (p. 186).
Adieux au capitalisme : Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes synthétise un argumentaire anticapitaliste intéressant, accessible et surtout original. Le premier et le troisième chapitre élaborent une critique du capitalisme qui sort des sentiers battus en mettant l’accent sur le type de subjectivité que le capitalisme engendre : c’est-à-dire une vision strictement utilitaire des rapports humains et entre humains/environnement. On ne peut pas en dire autant du deuxième chapitre qui apparaît un peu limité du point de vue théorique. Baschet élabore une critique de l’État maintes fois entendue : l’État est un fondement de la domination capitaliste parce qu’il représente faussement les intérêts de la collectivité, car celui-ci repose sur une dichotomie entre gouvernants et gouvernés. D’un point de vue théorique, le chapitre portant sur l’inter-culturalité des luttes propose sans aucun doute l’aspect le plus important et le plus intéressant du livre. Baschet y souligne pertinemment que la critique du capitalisme doit découler d’échanges entre les critiques occidentales et non occidentales. Cela implique un dépassement d’une figure faussement universelle de l’humanité : celle de l’Occident. Il a raison de souligner la contribution des mouvements indigénistes. Ils élaborent une critique du capitalisme à partir de concepts originaux (et qui ne proviennent pas de la pensée occidentale). Baschet rappelle ainsi que la lutte contre le capitalisme s’incarne toujours de manière particulière selon les cultures et les contextes collectifs ; elle ne saurait ainsi se réduire à une pure abstraction. Ce rappel est sans aucun doute la contribution la plus importante de l’ouvrage. Bref, l’effort que Jérôme Baschet emploie à dégager des éventuels « possibles » est honorable, malgré que, parfois, ces « possibles » restent un peu flous. L’ouvrage se lit très bien, il est facile d’accès et il s’agit probablement de sa plus grande qualité : le souci de vulgarisation y est omniprésent. Ce livre finalement diffuse des idées alternatives à travers un important effort de synthèse et de projection théorique et cet effort ne peut qu’être salué.