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Dans son ouvrage Relations internationales : Une perspective européenne, Mario Telò, professeur à la Libera Università Internazionale degli Studi Sociali Guido Carli (LUISS) de Rome et à l’Université Libre de Bruxelles, s’interroge sur la possibilité que la construction européenne constitue le premier pas vers un nouveau paradigme théorique des relations internationales (RI). Auteur et éditeur de 29 livres et de plus de 100 articles scientifiques en études européennes, Telò envisage la transition d’un paradigme westphalien dominé par des visions centrées sur les entités souveraines vers un nouveau paradigme, dans lequel le principe de la souveraineté des États et de leur égalité légale internationale coexiste avec l’amalgamation de la souveraineté ainsi que la coopération internationale et transnationale. Dans ce monde de transition paradigmatique, l’Europe joue le rôle d’avant-coureur et de laboratoire.
La nouvelle perspective européenne des RI refuse de reconnaître l’incompatibilité de différentes théories telles que le réalisme, l’institutionnalisme et le constructivisme, parce qu’elle les considère comme différentes approches pour éclaircir des aspects de la même réalité complexe de la politique mondiale, un point partagé par Robert Keohane dans sa préface. Néanmoins, la construction européenne pose des défis de taille à la science politique et aux théories des RI en les obligeant de redéfinir les concepts clés de puissance et de souveraineté.
Outre la préface par Robert Keohane, l’introduction et les conclusions, le livre est divisé en dix chapitres, suivis d’une annexe rédigée par Sebastian Santander. Les chapitres un à neuf présentent les approches théoriques traditionnelles au sein de la discipline. Le premier chapitre montre les origines des RI et l’affirmation de l’école réaliste. Selon l’auteur, le réalisme met l’accent sur les États comme les plus importants acteurs internationaux qui opèrent dans un contexte d’anarchie pour maximiser leurs pouvoirs. Cette approche est demeurée pendant longtemps le cadre de référence traditionnel malgré l’apparition des approches alternatives. Le deuxième chapitre explique l’apparition des approches systémiques et le néo-réalisme aux États-Unis avec l’opposition globale bipolaire entre ce pays et l’Union soviétique après 1945. L’analyse systémique a aussi contribué à aider l’évolution d’idées en Europe après la guerre, une guerre qui a provoqué des questionnements des théories liées à la balance du pouvoir. Le chapitre trois expose l’économie politique internationale comme sous-discipline des RI. Telò voit dans ce développement à partir des années 1970 une rupture radicale avec le réductionnisme de la discipline qui ne s’intéressait auparavant qu’à la dialectique entre la paix et la guerre en évacuant complètement les variables économiques de la recherche. Le quatrième chapitre analyse l’influence des travaux de Karl Marx sur les théories des RI. Les deux avenues principales de cette influence, l’École de l’hégémonie d’Antonio Gramsci et la théorie de la dépendance d’Immanuel Wallerstein, mettent en relief les dimensions internationales de la lutte des classes sociales. Cette lutte est considérée comme primordiale pour comprendre la nature et la dynamique du système international capitaliste. Le chapitre cinq présente des théories développées après les années 1960 qui critiquent le réalisme et le néo-réalisme. L’auteur met l’accent sur l’approche multivariable de Stanley Hoffmann, sur les régimes internationaux et sur le trans-nationalisme et l’interdépendance complexe de Robert Keohane et Joseph Nye. Le chapitre six examine les théories institutionnalistes développées en Europe et aux États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale, comme l’École anglaise de Hudley Bull, le fonctionnalisme de David Mitrany et le néo-fonctionnalisme d’Ernst Haas. Une place spéciale est accordée à la présentation des trois approches néo-institutionnelles : l’institutionnalisme du choix rationnel, l’institutionnalisme historique et l’institutionnalisme sociologique. Le chapitre sept met en lumière des théories associées aux RI après la fin de la guerre froide et la montée du concept de la mondialisation au sein de la discipline. Telò s’arrête ici sur les travaux de James Rosenau et sur son concept de la gouvernance mondiale, sur les théories critiques et postmodernes inspirées par l’École de Francfort et sur les études féministes. Le chapitre huit montre l’influence des approches constructivistes à partir des années 1980, selon lesquelles les RI reposent non seulement sur les intérêts matériels, mais aussi sur les idées, les perceptions subjectives et les significations données aux faits. Le chapitre neuf présente les théories de la politique étrangère et l’impact des facteurs internes sur les RI. Ces théories largement anti-systémiques s’intéressent généralement aux dynamiques économiques, politiques et sociales au sein des unités de la politique internationale, les États.
Le dernier chapitre (dix), le plus long et sans doute le plus intéressant, introduit la question des études européennes au renouvellement des théories des RI. Ces recherches, loin d’être des études de cas isolées, lancent le pont entre la politique comparée et les RI. En plus, l’Union européenne devient un laboratoire pour étudier le nouveau régionalisme et le multilatéralisme. Le système politique européen se réclame comme modèle de la souveraineté partagée, un concept difficile à digérer par les théories qui prennent la souveraineté comme point central des RI. Les études européennes défient la séparation rigide entre la politique nationale et internationale. Finalement, l’intégration européenne met en question le concept traditionnel du pouvoir comme ressource. À sa place, l’Europe avance le concept relatif du pouvoir, la capacité des acteurs politiques d’influencer le comportement des autres. Les conclusions du livre réitèrent que ces nouveautés conceptuelles liées aux études européennes justifient le besoin d’une approche distincte européenne, approche qui ne suit pas automatiquement les théories développées aux États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale. L’ouvrage se termine par une annexe comportant la liste des organisations multilatérales régionales, interrégionales et globales.
Malgré les apparences, Relations internationales. Une perspective européenne de Mario Telò n’est pas un simple manuel de la discipline des RI. Bien au contraire, sa raison d’être est de mettre en question la discipline et ses modalités en la déconstruisant à partir du contexte historique et intellectuel spécifique des États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale. Au lieu de s’attaquer surtout aux éléments des théories dominantes ou d’opposer la validité de certaines approches par rapport aux autres, l’auteur ne perd jamais la ligne conductrice de mettre en contexte les paradigmes courants pour montrer leur relativité heuristique.
Le lancement de l’idée que les RI ont besoin d’un nouveau paradigme centré sur le développement européen est à la fois une force et une faiblesse. La possibilité d’aller au-delà des paradigmes traditionnels, une possibilité basée sur la souveraineté partagée, n’équivaut pas à la nécessité de faire un tel pas. La domination intellectuelle américaine au sein des RI après la Deuxième Guerre mondiale est incontestable. Sans aller en confrontation directe avec l’auteur, Keohane dans sa préface montre sa confiance quant au fait que la combinaison des approches traditionnelles serait suffisante pour expliquer les nouveaux développements.