Abstracts
Résumé
Des élections expérimentales faites à Montréal, Paris et Bruxelles permettent de comparer l’influence directe du mode de scrutin sur la décision des électeurs de voter ou non, et de voter pour leur parti préféré ou non. En tout, 16 groupes de 21 électeurs votent sous différents systèmes électoraux, soit le système uninominal à un tour et la représentation proportionnelle. Les préférences sont attribuées aléatoirement et connues de tous les participants. Nos résultats indiquent que le vote n’est pas globalement plus sincère et que la participation électorale n’est pas plus élevée lorsque le nombre de sièges pouvant être remportés augmente. Toutefois, nous observons moins de désertion d’un petit parti sous le système proportionnel.
Abstract
Experimental elections made in Montreal, Paris and Brussels compare the direct influence of the voting system on the voters’ decision whether to vote or not, and vote for their preferred party or another party. In all, 16 groups of 21 voters take part in elections under different electoral systems, that is: simple plurality and proportional representation. Preferences are randomly assigned and known by all participants. Our results indicate that voting is globally not more sincere and that voter turnout is not higher when the number of seats liable to be obtained increases. However, we observe less desertion of small parties under the proportional system.
Article body
Un des critères permettant de juger de la qualité d’un mode de scrutin est de connaître l’influence de ce dernier sur certains comportements des électeurs considérés souhaitables au sein d’une démocratie. Il est avancé dans la littérature que le système de représentation proportionnelle (RP) diminue la tendance à voter de façon stratégique (Cox, 1997 : 270-274) et qu’il augmente la participation électorale (Blais, 2006 : 113-114). En contrepartie, le scrutin pluralitaire à un tour (UT) produirait les effets inverses. Utilisant la méthode expérimentale, l’objectif de cet article est de vérifier quatre hypothèses concernant la relation entre ces systèmes électoraux et deux comportements politiques : la participation aux élections et le vote dit sincère. Testées à l’aide de données originales provenant d’expérimentations, nos hypothèses permettront de vérifier si la RP a des effets plus vertueux que le UT par sa capacité à inciter les électeurs à voter davantage pour leur préférence sincère – c’est-à-dire pour le parti le plus proche de leur position politique personnelle – et à participer davantage au processus démocratique[1].
Nos expériences permettent de vérifier quelles différences existent entre le UT et la RP quant à la propension au vote sincère et à la participation dans des conditions où la seule variable qui est modifiée est le mode de scrutin[2]. Nos attentes théoriques sont les suivantes : le système RP devrait traduire davantage les préférences réelles des participants, c’est-à-dire qu’il devrait favoriser un vote plus sincère et susciter une participation plus élevée. Une forte participation d’électeurs qui de surcroît votent pour leur premier choix permet d’affirmer de manière plus crédible que le Parlement (et le gouvernement) représente la population. Ces effets vertueux s’expliquent généralement par une représentativité plus « juste » des préférences de l’électorat par le mode de scrutin RP qui fait en sorte qu’un plus vaste spectre politique est représenté au gouvernement. Au contraire, sous le UT, la proportion de sièges au Parlement ne représente pas la proportion de votes obtenus par un parti (Duverger, 1954 ; Cox, 1997 : 13-14). En théorie, cette disproportion mécanique dans l’agrégation des votes influence le comportement des électeurs en les encourageant à la désertion stratégique s’ils anticipent cet effet.
Notons que cette étude ne s’intéresse pas à décrire le niveau de désertion ou d’abstention, mais bien de comparer l’effet du système UT à celui du système RP sur les choix des électeurs dans un contexte plus épuré. Cette épuration comporte des désavantages, par exemple celui d’exclure certains facteurs influents de nos analyses ; toutefois, la méthode la plus couramment employée – le sondage – comporte d’autres problèmes[3].
L’objectif premier de nos expériences n’est pas de reproduire un environnement qui ressemble le plus possible à de « vraies » élections hors laboratoire. La théorie des choix rationnels sert de fondement aux expériences que nous réalisons et les différentes hypothèses que nous testons en découlent. L’idée générale est de construire des modèles théoriques permettant d’expliquer les interactions entre différents acteurs. Ces modèles sont jugés valides ou non par une vérification empirique des prédictions qu’ils permettent de mettre de l’avant. Cette vérification se fait à l’aide de données empiriques provenant idéalement de sondages ou d’expériences conçus sur mesure. L’efficacité d’un modèle donné s’évalue par sa capacité à prédire le comportement des acteurs en employant un modèle parcimonieux de la structure sociale. Cette théorie formule un certain nombre de prédictions au niveau micro sur le lien qui devrait exister entre les perceptions des électeurs et leurs comportements. Le lien de causalité que l’on retrouve dans le laboratoire entre les perceptions et les comportements, dans un contexte épuré, devrait aussi se retrouver hors laboratoire, puisque les électeurs y forment également des croyances concernant la viabilité des partis et l’estimation des chances qu’un vote change le résultat. Le contexte est toutefois plus riche et plus complexe hors laboratoire. Nos expériences sont basées sur les principes de la théorie de l’électeur rationnel et notre devis expérimental est construit en conséquence. Notre postulat principal est celui de l’acteur rationnel qui poursuit des buts à la lumière de certaines croyances (Cox, 2004 : 170). L’atteinte de ce but est motivée par l’appât d’un gain personnel à court terme. Par ce postulat, les modèles provenant de la théorie des choix rationnels proposent une simplification radicale de l’individu : on fait « comme si » l’individu se comportait de manière strictement rationnelle dans un sens très étroit du terme. Dans cette perspective, les individus calculent leur bénéfice pour toutes les stratégies à leur portée. Ils adoptent un comportement uniquement si le bénéfice égoïste et instrumental anticipé dépasse les coûts anticipés. Nous nous attendons à ce que les citoyens qui sont calculateurs et égocentriques cherchent à maximiser leur utilité en laboratoire et aussi hors laboratoire, et que ceux qui ne le sont pas aient d’autres motivations dans les deux situations.
Voter de façon sincère ou non ?
Every insincere vote is a blank cheque issued to a winner, or a false form of encouragement for a high-ranking loser. It’s not a politically sustainable practice, for the voter or for our democracy.
Chris Bradshaw (2001 : 79), candidat du Parti vert
Contrairement aux études classiques, ce qui nous intéresse spécifiquement pour répondre à notre question sur les vertus de la RP est le vote sincère, alors que la littérature porte surtout sur le vote stratégique. Par définition, le vote est sincère lorsque l’électeur vote pour le parti qui est plus près de sa position politique personnelle que tous les autres partis politiques[4]. Cette définition est courante dans la littérature (Farquharson, 1969 ; Westholm, 1997 ; Camerer, 2002). Nous cherchons à savoir si un mode de scrutin particulier incite davantage le citoyen à révéler son choix favori plutôt que de voter pour un quelconque autre parti, toutes choses étant égales par ailleurs. Un vote non sincère brouille l’information sur les préférences réelles de l’électorat. Ce type particulier de comportement est problématique en démocratie lorsqu’il devient commun et qu’un résultat électoral ne reflétant pas les préférences sincères de la population sert d’argument pour donner de la légitimité à certaines décisions controversées des élus.
Un vote est qualifié de stratégique lorsqu’un électeur vote en considérant les préférences et les stratégies des autres électeurs, et qu’il vise ainsi à optimiser son bénéfice personnel. Déserter le premier choix est un comportement pouvant être considéré rationnel si l’électeur anticipe un plus fort gain en agissant de la sorte[5], par exemple s’il croit que son premier choix ne parviendra pas à obtenir suffisamment de votes pour être élu et qu’un parti autre que son pire choix a des chances d’être élu. Dans ce cas, l’électeur donne son appui à un autre parti que son favori et risque ainsi de ne pas faire le gain maximal. En effet, s’il se trompe dans ses prévisions du comportement des autres électeurs et qu’il avait effectivement pu donner la victoire à son premier choix par son seul vote – un événement peu probable –, sa désertion stratégique est un échec, car ce vote lui nuit au final.
Il nous semble plus clair d’employer le terme « désertion stratégique » lorsque l’électeur vote pour un autre parti que son préféré. Une désertion stratégique est définie comme un vote stratégique pour un parti différent du premier choix[6]. Nous utilisons les concepts de « vote sincère » et de « désertion stratégique », puisque ces deux concepts sont mutuellement exclusifs, contrairement au terme plus ambigu de « vote stratégique » qui peut s’appliquer à un vote pour tout parti. L’intérêt de cette définition vient du fait que si nous observons la désertion du premier choix, nous pouvons affirmer sans aucune ambiguïté que le vote n’est pas strictement sincère. Nous savons toujours si un vote est sincère ou non, mais il n’est jamais clair si un vote est stratégique ou non ; conséquemment, puisque le vote sincère est plus facile à identifier que le vote stratégique, nous préférons ce premier concept et c’est pour cette raison que l’étude se concentre sur le vote sincère plutôt que sur le vote stratégique. Cela étant dit, on peut généralement supposer que ce qui encourage le vote stratégique tend généralement à défavoriser le vote sincère (Abramson et al., 2010). Notre approche vise donc à évaluer empiriquement la tendance au vote sincère par une identification des votes qui sont spécifiquement attribués au premier choix de l’électeur, peu importe sa motivation.
Deux hypothèses (H1 et H2) concernant le vote sincère sont avancées. La première porte sur l’effet du mode de scrutin :
H1 : Le système proportionnel augmente la propension à voter de façon sincère
Sous la RP, le pouvoir politique étant généralement partagé par différents partis formant une coalition, il est donc moins concentré que sous le UT. On peut en effet soutenir qu’une plus grande diversité de préférences est représentée puisque la distribution des sièges est plus étendue sur l’axe politique, et donc que le résultat est plus équitable que sous le UT. Cela reflète l’idée que la RP est plus « juste » que le UT. L’incitatif à s’engager dans une désertion stratégique sous la RP est plus faible du fait que le nombre de partis obtenant des sièges est supérieur à ce que l’on retrouve sous le UT. Les électeurs sont davantage incités à appuyer leur favori par leur voix puisque cette dernière a plus de chances de compter dans le résultat (Cox, 1997 : 271). Ainsi, une plus large représentation du spectre politique favoriserait le vote sincère.
Sous le UT, un seul parti obtient le pouvoir, faisant en sorte que l’impact potentiel d’un vote individuel sur le résultat est différent. La probabilité théorique pour un seul individu d’influencer le résultat est plus grande sous la RP que sous le système UT. Toutefois, la conséquence sur l’utilité individuelle d’une modification du résultat est plus grande sous le UT. Cette règle électorale fait en sorte qu’un seul parti remporte tout, comparativement à la RP où la victoire d’un parti supplémentaire a un impact moindre sur les gains individuels. Autrement dit, sous la RP la probabilité qu’un seul vote change le résultat est plus forte, mais au final l’impact de ce vote est moins important que sous le UT. Cette influence plus grande d’un seul vote induit par un nombre de sièges plus élevé inciterait les électeurs à être plus sincères sous la RP.
H2 : Plus la taille du parti préféré est faible, moins l’électeur est sincère
Francisco Flores-Macias (2009) tout comme André Blais et Thomas Gschwend (2011)[7] ont estimé empiriquement la propension de partisans à déserter de manière stratégique lors d’élections employant le UT. Selon Flores-Macias (2009 : 8), la proportion de votes sincères se situe approximativement entre 86 et 97 % de l’ensemble des électeurs et entre 36 et 75 % chez les électeurs dont le premier choix est un parti faible[8]. Les petits partis sont désertés plus que les grands. Malheureusement, ces attentes sont basées seulement sur des élections conduites sous le système UT. La recherche de Blais et Gschwend (2011 : tab. 7.2), où la majorité des élections se déroulent sous la RP, propose quant à elle que la proportion moyenne de votes sincères est de 78 %, soit de 66 % chez les partisans de petits partis et de 89 % chez ceux de partis de forte taille. Cette différence importante d’au moins 23 points de pourcentage permet d’énoncer l’hypothèse H2.
La tendance à déserter vers un parti majeur est fréquemment présumée chez les partisans modérés de petits partis perçus comme non viables sous des règles électorales UT où un mécanisme bien connu fait en sorte que la proportion de sièges ne représente pas la proportion de votes obtenus par un parti (Duverger, 1954 ; McKelvey et Ordeshook, 1972 ; Cox, 1997). En théorie, cette disproportion influence un comportement de désertion stratégique chez les électeurs anticipant cet effet négatif envers leur parti favori de petite taille qui voit sa probabilité d’élection diminuée par ce mécanisme. La viabilité peut être déduite a priori par le nombre d’électeurs ayant chaque parti comme premier choix. Le raisonnement des déserteurs serait donc le suivant : « puisque mon vote pour un petit parti est un vote perdu d’avance, il vaut mieux l’abandonner et appuyer un autre parti qui peut gagner et pour qui mon vote à plus de chances de compter ». L’étude empirique de Blais et Gschwend (2011 : 14) conclut d’ailleurs que les électeurs désertent davantage les petits partis sous le UT que sous la RP[9].
Voter ou non ?
La démocratie canadienne est menacée de crise depuis que la participation aux élections fédérales a chuté à un niveau inquiétant […] il nous faut aussi changer le système électoral pour permettre aux Canadiens de voter selon leurs préférences en sachant que le Parlement reflètera leur choix.
Lorne Nystrom (2001 : 73), ex-parlementaire du Nouveau Parti démocratique
Avant la publication de l’ouvrage d’Antony Downs, An Economic Theory of Democracy (1957), les politologues tenaient pour acquis que tout citoyen désire voter et que l’abstention relève d’une certaine pathologie civique. Cette conception est maintenant révolue. Downs modélise un électorat rationnel pour qui la volonté de participer dépend d’un bilan tenant compte des avantages et des inconvénients du vote. Il propose l’équation suivante pour prédire le comportement des électeurs : d’un côté se trouve le bénéfice lié au résultat anticipé du vote multiplié par la probabilité que le vote compte, de l’autre, le coût du vote. L’idée est qu’il existe un coût d’opportunité à voter. Plusieurs citoyens retirent plus de plaisir à faire autre chose qu’à prendre le temps de rechercher les informations nécessaires à un choix éclairé et se déplacer pour aller voter. Si le coût de voter est supérieur au bénéfice anticipé, l’individu rationnel s’abstient[10]. Puisque la probabilité que son seul vote compte est négligeable, le moindre coût devrait selon cette logique rendre irrationnel l’acte de voter, même si l’élection a des conséquences importantes.
André Blais (2000) propose que même si le fait de voter n’est pas un acte rationnel dans le sens de la théorie du choix rationnel, cette théorie contribue tout de même à expliquer la décision des électeurs. En effet, le modèle de calcul coût-bénéfice fonctionne assez bien pour prédire la participation chez les électeurs qui ont un sens du devoir faible. Il y a ainsi certains contextes qui peuvent favoriser une réflexion et des comportements calculateurs.
Les études classiques s’inspirant de la théorie des choix rationnels – mais qui ne se limitent pas à sa définition stricte – font ressortir bon nombre de facteurs environnementaux, institutionnels et sociaux comme déterminants importants du vote. Ces déterminants ont fait l’objet de nombreuses études portant sur l’effet plus ou moins direct du système électoral (Powell, 1982 ; Blais, 2000 ; Franklin, 2004 ; Geys, 2006) ainsi que sur d’autres effets plus indirects tels que l’hétérogénéité des préférences (Wolfinger et Rosenstone, 1980), le degré de compétition entre les partis (Campbell et al., 1960 ; Blais, 2000 ; Franklin, 2004), le nombre de partis (Jackman, 1987 ; Blais, 2006), l’importance de l’élection (Campbell et al., 1960 ; Franklin, 2004) et l’habitude ou l’historique du vote (Franklin, 2004). Toutefois, nous limitons notre étude au modèle classique plus épuré inspiré de la théorie des choix rationnels et aux effets directs du système électoral.
Nous proposons deux hypothèses (H3 et H4) concernant la participation aux élections. La logique sous-jacente aux hypothèses proposées pour la participation électorale implique que les individus adoptent la stratégie de ne pas voter lorsqu’ils prévoient obtenir le gain maximal en évitant de payer le coût nécessaire pour faire valoir leur voix. L’électeur s’abstient s’il perçoit que son bénéfice à voter est nul ou négatif et s’il croit que son vote ne changera pas le résultat final.
H3 : Le système proportionnel augmente la propension à participer
L’idée est généralement répandue que les citoyens participent davantage sous la RP que sous le UT. Un peu plus du tiers des pays démocratiques emploient pour leurs élections législatives le système UT et un autre tiers utilisent une des nombreuses versions du système RP (Blais et Massicotte, 1997 : 111 ; Farrell, 2001 : tab. 1.2).
Le taux de participation pour l’ensemble des pays démocratiques durant les années 1990 est d’environ 65 % (IDEA, 2005). La moyenne avoisine 60 % pour le système UT contre 68 % pour le système RP (IDEA, 2009). On arrive au même constat en ajoutant plusieurs contrôles socioéconomiques, soit une différence peu marquée avantageant la RP (Blais et Dobrzynska, 1998 : 251).
André Blais et Kees Aarts (2006) ont recensé les raisons de cette différence[11]. Une des explications qu’ils avancent est que le système RP augmente le degré de compétition entre les partis et accroît ainsi la perception des chances qu’un seul vote compte. Cependant, dans un autre article qu’il a écrit avec Ignacio Lago (2009), Blais démontre qu’il n’est pas clair que la compétitivité soit effectivement plus grande sous la RP. En somme, comme le concluent Blais et Aarts (2006 : 41), la recherche n’a pas permis d’établir comment et pourquoi la RP pourrait contribuer à une participation électorale plus élevée. Nous posons toutefois l’hypothèse classique que plus l’appui à son parti préféré est faible, moins l’électeur participe (H3). Le devis expérimental exposé plus loin nous permettra d’établir de façon plus claire si la propension à voter est effectivement plus grande sous la RP.
H4 : Plus l’appui à son parti préféré est faible, moins l’électeur participe
La perception d’un électeur que son parti favori n’a que très peu de chances de gagner influence sa décision. Le partisan d’un parti faiblement appuyé peut présumer que ce dernier a perdu d’avance l’élection. Dans ce type de situation, l’électeur peut s’abstenir rationnellement de voter puisqu’il sait qu’un vote pour ce parti est un vote gaspillé (Cox, 1997 : 13). Ce raisonnement découle de la logique de l’électeur calculateur de Downs (1957). Si l’électeur considère qu’il ne peut modifier d’aucune façon le résultat de l’élection par son vote, il ne sera pas prêt à s’investir dans le processus électoral puisqu’il ne peut en tirer aucun bénéfice à court terme. Dans ce calcul, deux considérations sont importantes : le bénéfice attendu de la victoire d’un parti et la probabilité qu’un seul vote compte. Moins le parti préféré est viable, moins grande est la probabilité que l’électeur puisse donner la victoire à ce premier choix, à moins que l’élection ne soit très serrée entre les différents partis. En calculant quel est l’impact sur son bénéfice personnel de voter ou non, il peut conclure qu’il est perdant en votant. Par ce raisonnement, l’électeur rationnel n’a pas intérêt à voter pour son parti favori s’il est petit ; il préfère s’abstenir plutôt que de faire un effort vain. Cette logique s’applique aussi bien au RP qu’à l’UT.
Les expériences[12]
Le principal avantage des élections expérimentales par rapport aux études empiriques classiques est que les électeurs font des choix politiques dans un environnement contrôlé[13]. La possibilité de modifier et de mesurer certains paramètres permet d’évaluer l’impact direct d’éléments ciblés sur le comportement des participants. Cette démarche offre des résultats précis dont le lien de causalité est fort convaincant (Morton et Williams, 2008). Ce contrôle permet à l’expérimentateur de conduire des analyses comparatives impraticables lors d’élections démocratiques où le contexte varie sous de nombreux aspects d’une région et d’une élection à l’autre. Ainsi, il est possible d’évaluer en laboratoire l’impact d’une modification au système électoral. Par exemple, il est possible de tenir constants le nombre et les positions idéologiques des partis – deux éléments qui sont généralement déterminés par les partis eux-mêmes –, afin de comparer l’effet direct du mode de scrutin sur la participation et sur le vote sincère.
Nos élections expérimentales ont eu lieu dans des laboratoires à Montréal (Canada), Paris (France) et Bruxelles (Belgique)[14]. Dans chaque ville, l’expérience procède avec au moins quatre groupes ayant chacun un système électoral différent : un groupe vote sous le système uninominal à un tour (UT) et les trois autres sous différentes versions du système de représentation proportionnelle (RP). À Montréal il y a huit groupes, deux pour chacun des systèmes.
Le but premier de ces expériences est de comparer l’effet direct du mode de scrutin sur les décisions des électeurs. L’expérience se déroule de la même façon pour chaque groupe : dans un premier temps, des instructions détaillées du déroulement de l’expérience sont lues par l’expérimentateur. Ces instructions peuvent être consultées à l’annexe A[15]. Les participants répondent ensuite à quelques questions qui permettent à l’expérimentateur de s’assurer de leur compréhension du système de comptabilisation des votes propre à leur groupe. L’étape suivante est le vote. Quand les participants ont tous voté, ils sont informés du résultat de l’élection ainsi que de leur gain et lorsque les 20 élections sont complétées, ils répondent à un questionnaire portant sur leurs caractéristiques sociodémographiques et certaines attitudes politiques.
Dans chacun des 16 groupes, le nombre de partis est fixé à quatre et le nombre d’électeurs est de 21[16]. Les partis politiques pour lesquels les participants doivent voter sont dénommés A, B, C et D. Ils sont toujours positionnés de la même manière sur un axe politique gauche/droite allant de 1 à 10 (voir fig. 1). Le coeur de l’expérience consiste en quatre séries de cinq élections où la distribution des électeurs varie d’une série à l’autre. La figure 2 présente les quatre distributions exposées aux participants avant chaque série dans l’ordre indiqué. Cet ordre de présentation des distributions est le même pour 12 des 16 groupes[17]. À toutes les cinq élections, la distribution des électeurs change et une nouvelle position (de 1 à 10) est attribuée aléatoirement à chaque participant sur le même axe politique gauche/droit que les partis[18]. L’électeur conserve cette position pour toutes les élections sous une même distribution. Lors des trois premières élections de chaque série, les participants doivent impérativement voter pour un parti. Pour les deux dernières, un coût à voter est introduit et ils peuvent à ce moment s’abstenir. Au total, chaque électeur participe à 20 élections.
Les positions des partis et des électeurs sont cruciales. Nous dédommageons les volontaires pour leur participation. La compensation moyenne est de 30 dollars canadiens ou 20 euros pour une session d’une durée maximale de 2 heures. Une partie de ce montant dépend du résultat des élections, puisque chaque participant est assuré d’obtenir 15 dollars ou 3 euros. Le gain marginal à chaque élection est calculé en fonction de la position de l’électeur et de celle du(des) parti(s) élu(s). Ce gain monétaire a l’avantage d’induire des préférences claires et connues pour chaque participant à chaque élection. Chaque électeur a un seul et unique parti préféré. Au moment de voter, nous présentons aux volontaires les différents résultats possibles ainsi que les gains liés à ceux-ci. Lors des élections où un coût au vote est imposé, un point est déduit du gain de l’électeur qui choisit de voter. Ainsi, l’attention des électeurs est portée sur une récompense individuelle liée au résultat de l’élection, ce qui permet de créer des conditions où la plus forte raison de participer (ou non) est rationnelle. Ils ont intérêt à ce que le parti qui est le plus près (éloigné) de leur propre position soit (ne soit pas) élu. Connaître les préférences des électeurs permet d’affirmer avec une forte certitude que leur vote est sincère ou qu’il ne l’est pas. De plus, tous les électeurs ont le même niveau d’information au sujet des préférences et du fonctionnement du système électoral. Toutefois, nous ne contrôlons pas le niveau de sophistication des participants. Il est toutefois raisonnable de penser que les participants plus et moins sophistiqués sont répartis de façon similaire d’un groupe expérimental à l’autre puisqu’ils sont assignés aléatoirement à un de ces groupes.
Comment pouvons-nous ne pas tenir compte de certains facteurs importants influençant les comportements électoraux et toutefois soutenir que nos résultats sont adéquats ? Prenons en exemple des phénomènes qui peuvent se retrouver hors laboratoire, mais que nous ne devrions peut-être pas retrouver dans nos expériences : le vote partisan et le vote sociotropique.
Un avantage de nos expériences est d’imposer aux participants leurs préférences politiques, ce qui permet de comprendre comment ces préférences influencent le vote. En ce qui concerne l’étude du vote stratégique, cette information est cruciale puisque l’ordre de préférence des partis est déterminant dans le raisonnement stratégique. Toutefois, il faut être conscient que ces positions imposées éliminent toute forme d’attachement émotif ou historique à un parti. Le fait de présenter des partis abstraits désignés seulement par les lettres A, B, C ou D et une position sur un axe représentant la gauche et la droite politique – sans en préciser le sens – rend pratiquement impossible l’attachement partisan. Nous étudions en laboratoire des électeurs non partisans[19]. On peut s’attendre à ce que l’attachement à un parti politique fasse en sorte que l’électeur déserte moins (Niemi et al., 1992 : 235 ; Blais et Gschwend, 2011) et vote davantage (Powell, 1986 : tab. 1). Il est donc possible que les niveaux de désertion et d’abstention soient plus élevés dans les élections en laboratoire. Toutefois, il ne faut pas négliger que, dans la majorité des pays, la majorité des électeurs ne sont pas partisans (Norris, 2004 : 132, fig. 6.1) et que l’on compte de moins en moins de partisans dans la plupart des pays (Dalton et Wattenberg, 2000). Mais, surtout, il n’y a aucune raison de croire que les différences observées entre la RP et le UT ne s’appliquent qu’aux non-partisans puisqu’en théorie un partisan vote pour son parti, peu importe le système électoral en place.
Les électeurs ont un gain purement individuel lié au résultat de l’élection. C’est le seul bénéfice/intérêt qu’ils ont pour former leur préférence et choisir entre les différents candidats en laboratoire. Ce type d’électeur (intéressé seulement par un gain égoïste défini clairement) cadre parfaitement dans la théorie des choix rationnels et c’est pour cette raison que nous employons cette rémunération simplifiée en laboratoire. Hors laboratoire, une quantité d’autres considérations peuvent entrer en compte dans les préférences des électeurs, dont des bénéfices psychologiques liés au fait même de voter, ou de voter pour un parti plutôt qu’un autre. Le vote peut être basé sur des considérations qui ne sont pas égoïstes, donc être orienté par des considérations altruistes, dont l’intérêt « général » plutôt que l’intérêt « individuel » (Kinder et Kiewiet, 1981), le bien-être national, l’intérêt d’un groupe spécifique et même des citoyens des générations futures[20].
Pour toutes ces raisons, nos expériences sont susceptibles de surestimer les comportements de désertion et d’abstention en fournissant un contexte où certains facteurs qui sont difficiles à reproduire et à contrôler en laboratoire sont éliminés. Nous ne considérons pas que ces facteurs soient de moindre importance dans l’explication des comportements électoraux, ils ne sont tout simplement pas l’objet de notre étude, puisque la méthodologie utilisée n’est pas idéale à leur examen. Notre objectif est de déterminer si le scrutin proportionnel a tendance à produire plus ou moins d’abstention ou de désertion.
La principale variable que nous manipulons dans l’expérience est le mode de scrutin. Il y a quatre systèmes électoraux, le UT et trois variantes de la RP. Chaque groupe n’emploie qu’un seul système électoral.
Le UT. Sous le système à un tour, le parti avec le plus de votes est élu. Le gain d’un électeur est calculé en fonction de la distance qui le sépare du seul parti élu. Plus précisément, le gain pour chaque élection sous le UT est de 10 points moins la distance qui sépare la position de l’électeur de celle du parti élu sur l’axe politique (de 1 à 10)[21]. Les gains sont cumulés d’une élection à l’autre et sont convertis en argent à la fin de l’expérience : 10 points valent 1 dollar ou 1 euro.
Nous avons modélisé trois différentes formes de RP. Dans les élections hors laboratoire, contrairement au UT qui ne prend qu’une seule forme simple, les systèmes électoraux proportionnels sont multiples. En effet, il existe différents procédés électoraux qui prétendent produire des résultats électoraux où le nombre de sièges à la chambre basse est proportionnel au nombre de votes obtenus par les différents compétiteurs lors du scrutin. Les formules les plus connues sont d’Hondt, Droop, Sainte-Laguë, la méthode par quota de Hare et le vote unique transférable[22].
La RP1. Le premier système RP de nos expériences fonctionne de la façon suivante. Dans un premier temps, il faut identifier quel parti décroche le plus de votes. Si ce parti obtient plus de 50 % des votes, il est le seul gagnant (2 sièges) et le gain est identique à ce que l’on retrouve sous le UT[23]. Si le parti qui obtient le plus de votes n’est pas majoritaire, le deuxième parti ayant le plus de votes forme avec lui une coalition[24]. Le gain est de 10 points moins la distance de chaque parti membre de la coalition pondérée par le poids relatif de chaque parti dans la coalition[25]. Cette version de RP a l’avantage de pondérer le gain de l’électeur par le nombre de votes obtenus par chaque parti élu, ce qui produit un résultat mathématiquement proportionnel ; le désavantage est que la règle est assez complexe à expliquer.
La RP2. Les deux partis qui ont le plus de votes obtiennent chacun un siège. Toutefois, si le premier parti cumule au moins le double des votes du deuxième parti, il obtient les deux sièges. En cas d’égalité pour la deuxième place, il y a départage au sort. Le gain sous ce système est de 10 points moins la moitié de la distance entre la position de l’électeur et celle de chaque parti ayant un siège[26]. À noter que si un parti obtient les deux sièges, le gain est identique à ce que l’on retrouve sous le UT. Cette deuxième version de RP est intéressante puisqu’elle procède selon la logique de d’Hondt lorsque deux sièges sont en jeu.
La RP3. Cette règle est identique à RP2 à l’exception qu’il y a toujours deux gagnants. Le premier et le deuxième partis sont toujours élus, peu importe l’écart de votes entre ceux-ci. L’avantage principal de cette règle est qu’elle est relativement simple à expliquer tout en fournissant une représentation plus large que le UT du spectre politique des électeurs.
Nous avons réalisé différentes variantes de la règle RP car ce système prend dans les faits toutes sortes de formes. Les trois versions proposées reprennent l’idée que la formation d’une coalition est possible (mais non impérative) puisque plusieurs partis peuvent prendre part au pouvoir[27]. À noter toutefois que le degré de proportionnalité induit par nos systèmes est relativement faible, un seul siège supplémentaire en moyenne étant ajouté sous la RP en comparaison à UT.
En résumé, notre expérimentation se déroule comme suit : 1) chaque participant connaît la règle d’agrégation des voix, sa position et la position des autres électeurs. 2) Les participants votent simultanément pour un des quatre partis[28]. Le vote est toujours secret. Lors de deux élections sur cinq, voter coûte un point et il est permis de s’abstenir. 3) Selon le mode de scrutin en usage dans le groupe, le ou les partis gagnants sont déterminés par ordinateur. Les participants sont informés du résultat de l’élection ainsi que de leur gain personnel et, le cas échéant, du fait qu’un gagnant a été décidé par tirage au sort. 4) Les participants passent à l’élection suivante.
Puisque nous avons 16 groupes expérimentaux, le nombre total de votes est de 6720, provenant de 336 différents participants à 320 élections distinctes. Il y a 2688 votes avec un coût et 4032 sans coût, soit 1680 votes sous le UT et 5040 sous une forme de RP.
Expériences antérieures
Vote sincère. Aucune étude précédente n’a tenté de comparer directement le comportement de désertion sous la RP et le UT. À notre connaissance, toutes les expériences passées portant sur la désertion stratégique emploient le UT. Et dans celles portant la désertion stratégique, le nombre de partis est souvent de 3 et le nombre de participants de 14 (voir entre autres : Forsythe et al., 1993 ; Rietz, 2008 ; Tyszler, 2008). Ces expériences visent principalement à tester la capacité de coordination, l’effet du niveau d’information et le degré de rationalité chez les électeurs qui décident de déserter de façon stratégique. Les études expérimentales de Robert Forsythe et ses collaborateurs (1993) avancent que les électeurs informés des intentions des autres électeurs se coordonnent plus aisément pour ainsi faire gagner, par une désertion stratégique, un deuxième choix, lorsque c’est dans leur intérêt[29].
Dans l’expérience de Marcelo Tyszler (2008)[30], 15 électeurs doivent choisir entre trois partis (A, B ou C) lors de 80 élections. Il y a trois types d’électeurs qui ont chacun un premier, un deuxième et un troisième choix clairs[31]. Lors des 40 premières élections, les participants ne connaissent pas exactement les préférences des autres électeurs. Le nombre d’électeurs de chaque type n’est pas nécessairement le même lors de chaque vote, puisque ce nombre est sélectionné aléatoirement à chaque nouvelle élection. La probabilité de se voir attribuer chaque type est égale, soit de une sur trois. Les participants ont cette seule information probabiliste. La distribution des électeurs change d’une élection à l’autre. L’auteur note que lors des 40 premières élections, les électeurs votent pour leur favori. L’incertitude est trop grande pour qu’ils soient en mesure d’estimer la taille relative de chaque parti et déserter de façon informée. Lors des 40 élections suivantes, ils sont informés du nombre exact d’électeurs appartenant à chaque type. Dans ce cas, la désertion des électeurs se fait en faveur du parti qui a le plus grand appui. Les anticipations des participants se basent sur le nombre de partisans qui préfèrent chaque parti et sur les élections précédentes. Cette étude nous apprend que le fait de connaître la distribution exacte des électeurs est une information très importante en ce qui concerne la désertion stratégique.
Participation. Des expériences portant sur la participation électorale – notamment celle d’Arthur Schram et Joep Sonnemans (1996) ainsi que celle de John Duffy et Margit Tavits (2008)[32] – ont précédé la nôtre et proposé deux partis à un groupe de 20 participants. Ces derniers sont divisés en deux sous-groupes égaux partisans d’un des deux partis. Le petit nombre de partis est problématique dans l’étude de Schram et Sonnemans, puisqu’ils comparent la RP au UT avec seulement deux partis, dans un design dénué de tout contexte électoral et où le coût sous le UT et la RP est difficilement comparable.
Ces expériences portent sur un modèle bipartite où des partisans doivent décider de payer un coût pour voter pour un des deux partis. Aucune considération de désertion stratégique n’est en jeu puisqu’il n’y a que deux partis. En présentant un contexte électoral spécifique avec quatre partis et un coût comparable du vote sous le UT et la RP, nos expériences comblent certaines lacunes identifiées dans ces études.
Résultats et analyse
Voter de façon sincère ou non ?
Cette première analyse repose sur 4032 votes provenant de 336 individus lors de 768 élections pour lesquelles il n’est pas possible de s’abstenir[33].
Nous testons les deux hypothèses présentées précédemment. La première hypothèse (H1) avance qu’un effet vertueux incitant les gens à ne pas déserter leur premier choix provient directement du système proportionnel. La seconde (H2) propose que les électeurs désertent davantage un favori peu populaire dans l’électorat. D’autres facteurs – dont nous allons tenir compte – pouvant influencer la participation sont la culture nationale de l’électeur et l’apprentissage qu’il peut faire d’une élection à l’autre tout au long de l’expérience. Il est possible de construire un modèle statistique simple comprenant les deux variables principales (le mode de scrutin et la taille du parti préféré) ainsi que des variables de contrôle (la ville où se déroule l’expérience et l’ordre des élections).
La première colonne du tableau 1 présente le modèle 1a : un Probit qui permet de tester conjointement l’impact du système électoral (H1) et l’effet provenant du nombre d’électeurs près des partis (H2) avec les variables de contrôle. Il prend la forme suivante :
La variable dépendante est le vote sincère (Sinc) qui prend la valeur 1 lorsqu’un électeur vote pour son premier choix et 0 lorsqu’il vote pour tout autre parti. Le type de système électoral en vigueur durant cette élection est indiqué par la variable RP. Elle prend la valeur 1 lorsque le système est proportionnel (RP1, RP2 ou RP3) et la valeur 0 lorsque c’est le système uninominal à un tour (UT). La variable Taille reflète la taille du premier choix de l’électeur en fonction du nombre d’électeurs ayant ce parti comme favori. Paris et Bruxelles sont des variables dichotomiques prenant la valeur 1 lorsque l’expérience se déroule respectivement à Paris ou à Bruxelles, et 0 autrement. L’ordre des élections peut être conceptualisé de deux façons différentes. Ce peut être l’ordre de la première à la dernière élection pour l’ensemble de l’expérience (Suite) ou ce peut être l’ordre de la première à la dernière élection sous une même distribution d’électeurs (Ordre). L’argument justifiant le second indicateur est que, puisque les positions des électeurs changent lorsque la distribution change, ces derniers doivent réapprendre à voter en fonction de leur nouvelle position. La Suite S. prend des valeurs de 0 à 11, indiquant l’ordre des élections non nécessairement consécutives sans coût au vote. Enfin, Ordre S. prend des valeurs de 0, 1 ou 2 pour tenir compte de l’ordre des élections sous une même distribution sans coût au vote.
H1. En regardant les données brutes, la proportion de participants votant de façon sincère semble la même sous les deux systèmes, soit 64 % sous le UT contre 65 % sous la RP. Des simulations effectuées sur la base du modèle 1a proposent que le système RP augmente la tendance à voter de façon sincère d’un point de pourcentage, mais le coefficient n’est pas statistiquement significatif. L’hypothèse d’une influence du système sur la sincérité des électeurs n’est donc pas confirmée[34].
L’étude de Blais et Gschwend (2011) aussi conclut que la proportion de votes sincères est similaire entre ces deux systèmes. Elle est de 78 % sous les systèmes proportionnels contre 77 % pour ceux qui ne le sont pas (et de 80 % pour les systèmes mixtes). Il faut noter que dans le cas de nos élections en laboratoire, le taux de vote sincère est plus faible d’environ 10 points en comparaison à ce que l’on retrouve dans cette étude basée sur des sondages. Puisque notre design expérimental favorise la désertion stratégique, ce résultat n’est pas une surprise.
H2. La taille du premier choix varie d’une distribution d’électeurs à l’autre entre 3 et 8, avec une valeur moyenne de 5,9. Cet indicateur diffère d’une série d’élections à l’autre à l’intérieur d’un même groupe et est identique pour tous les électeurs qui sont le plus près d’un même parti. Dans notre cas, un parti préféré peut être considéré minoritaire s’il bénéficie de l’appui de moins du quart des électeurs. Puisqu’il y a quatre partis et 21 électeurs, en deçà de 5,25 appuis, le parti ne peut aisément remporter la victoire lorsque tous les électeurs votent pour leur favori. Un parti qui est le premier choix de 5 électeurs ou moins est ainsi considéré minoritaire. Les données brutes montrent qu’il existe une différence importante entre les participants qui appuient un parti majeur et ceux qui appuient un parti minoritaire, peu importe le système employé. Le taux de vote sincère n’est que de 50 % pour ceux qui préfèrent un parti minoritaire (5 partisans et moins sur 21) contre 75 % pour les autres (t[4032])=16,93). Cette différence de 25 points de pourcentage est très semblable à ce qui a été mesuré (23 points) lors de l’étude empirique mentionnée précédemment (Blais et Gschwend, 2011). Notre modèle 1a confirme que même en ajoutant des contrôles – dont le système électoral –, cette tendance persiste. Une simulation[35] indique que pour chaque électeur supplémentaire appuyant le parti sincère, l’électeur voit sa probabilité de voter de façon sincère augmenter d’environ 9 points de pourcentage. Cela fait ressortir que les électeurs désertent davantage leur premier choix si celui-ci est peu viable. Autrement dit, ils votent davantage pour leur parti sincère si ce dernier bénéficie d’un fort appui dans l’électorat, confirmant par le fait même le phénomène de désertion du plus faible parti.
Le lieu de l’expérience est une variable contrôle intéressante. Tel qu’on pouvait s’y attendre, les Belges votent davantage de façon sincère puisque ce sont eux les plus habitués à voter avec un système RP. Il est toutefois surprenant de constater que les Français votent de façon encore moins sincère que les Canadiens pour qui le système UT est plus familier, ce qui fait en sorte que ces derniers pourraient davantage être socialisés à la désertion stratégique. Ces deux variables ne sont toutefois pas significatives.
Un résultat intéressant est la désertion des partis qui sont manifestement non viables d’une élection à l’autre sous une même distribution. Ce résultat indique qu’il y a un apprentissage favorisant la désertion effectuée par les électeurs au cours de l’expérience. Nous mesurons une différence de 7 points sur le niveau de votes sincères entre la première et la deuxième élection sous chaque distribution. La différence n’est que de 2 points entre la deuxième et la troisième élection. Il n’existe pas d’effet pour l’ensemble de l’expérience comme, nous le verrons plus loin, c’est le cas de la décision de participer. Nous constatons seulement une augmentation du taux de désertion des partis sincères d’une élection à l’autre sous une même distribution.
Un effet seulement pour les petits partis[36] ?
Peut-être avons-nous rejeté trop rapidement les hypothèses concernant l’effet du système électoral sur le vote sincère. Cet effet pourrait être influencé par la viabilité du premier choix. En d’autres termes, il est possible que le système RP induise le vote sincère seulement chez les partisans de petits partis. Ce résultat serait compatible avec les hypothèses (H1 et H2) proposées précédemment.
Afin de tester cette hypothèse alternative, nous introduisons le modèle 1b (tab. 1). Ce dernier est identique au modèle 1a à l’exception d’une variable interactive entre le système proportionnel et la taille du parti sincère qui est ajoutée (RP x Taille). On s’attend à ce que sous la RP le vote pour les partis ayant peu d’appuis soit plus sincère que sous le UT.
Concernant la sincérité du vote, le modèle 1b suggère que les tendances observées sont les mêmes que celles du modèle sans variable interactive, à l’exception de la présence d’un effet significatif du mode de scrutin[37]. Conformément à nos attentes, le modèle nous montre que les électeurs désertent davantage les petits partis sous le UT que sous la RP. La différence de probabilité de vote sincère entre les deux systèmes émerge en tenant compte de l’effet interactif entre la taille du premier choix et le système électoral. Une simulation nous indique que le vote sincère sous la RP est de 10 points de pourcentage de plus que sous le UT lorsque le parti sincère n’est appuyé que par 3 électeurs (le minimum de l’expérience). La figure 3 présente l’effet de la taille du parti préféré sur la tendance à voter de manière sincère sous les différents systèmes. Un élément intéressant à remarquer est que la tendance au vote sincère se renverse lorsque le parti préféré est appuyé par 8 électeurs. Dans un tel cas, le système UT fait augmenter la propension au vote sincère de 5 points de pourcentage par rapport au RP. L’explication la plus plausible est qu’une forme de vote non sincère, potentiellement stratégique, existe sous la RP et non sous le UT. La littérature parle dans ce cas de vote stratégique inverse (par exemple : Cox, 1997 : 121 ; Blais et al., 2004). En effet, lorsque plus d’un siège est en jeu, un électeur peut déserter un parti dont il est certain de la victoire pour tenter de donner un siège supplémentaire à un deuxième choix dont le sort est incertain. Toutefois, la tendance générale est la même : les électeurs désertent davantage les partis ayant objectivement peu d’appuis sous chaque système.
Voter ou non ?
Cette seconde analyse repose sur l’observation de 336 individus, 128 élections et 2688 votes pour lesquels il y a un coût à voter et une possibilité de s’abstenir. Ces élections sont distinctes de celles précédemment analysées pour le vote sincère. Toutefois, les participants sont les mêmes.
La troisième hypothèse (H3) que nous testons propose un effet direct du mode de scrutin sur la participation. La quatrième (H4) avance que la taille du parti préféré influence la décision de participer ou non. Nous proposons le même modèle que pour la participation électorale.
Notre modèle 2 est présenté au tableau 2 ; c’est un Probit qui permet cette fois de tester H3 et H4. Le modèle 2 est identique au modèle 1a, à l’exception de la variable dépendante qui est maintenant la participation (Part), qui prend la valeur 1 lorsqu’un électeur participe et 0 lorsqu’il s’abstient[38].
H3. La participation moyenne pour l’ensemble des expériences avec un coût est de 55 %. Elle est légèrement plus élevée sous la RP (56 %) que sous le UT (53 %). La variable capturant l’effet du système électoral (RP) n’est toutefois pas significative, comme nous le constatons au tableau 2. Nous ne pouvons donc pas confirmer cette hypothèse.
H4. Un électeur préférant un parti fort participe davantage. Sans variable de contrôle, le taux de participation chez les partisans de petits partis (ou partis minoritaires) est de 51 % contre 58 % chez les grands. Au modèle 2, l’effet induit par la taille du parti sincère est significatif. Des simulations de cet effet nous informent que l’électeur dont le parti n’est favori que de 3 électeurs a une probabilité de participer de seulement 50 %, en comparaison à 59 % pour un électeur dont le parti favori en a 8. Il est parfois véhiculé dans la littérature qu’avoir des idées politiques minoritaires ne diminue pas la participation (Wolfinger et Rosenstone, 1980). Toutefois, la relation inverse est mise de l’avant par d’autres auteurs (dont Brody et Page, 1973). Nos expériences montrent que, sous le UT et la RP, les électeurs préférant un parti marginal votent moins que les autres[39].
Le lieu de l’expérience offre un contrôle pour d’éventuelles variations culturelles. L’attente relative au lieu, basée sur des observations empiriques, est que les électeurs de la région européenne votent davantage que les Américains (Blais et Dobrzynska, 1998 : 244). Sans variable de contrôle, la participation est plus faible à Montréal (53 %) qu’en Europe (57 %). Le modèle 2 dévoile toutefois que cette différence n’est pas significative. Il est intéressant de noter que la participation n’est pas plus élevée en Belgique qu’en France, même si le vote est obligatoire dans le premier pays et que les fautifs inscrits sur la liste électorale risquent une amende.
Le deuxième effet le plus fort est sans surprise l’ordre des élections. Une tendance semblable se retrouve également dans l’ensemble des pays démocratiques (Franklin, 2004 : chap. 3). Il est possible que les électeurs aient besoin d’expérimenter la règle pour bien en comprendre les rouages. Un déclin de la participation est prévisible si l’on s’attend à ce que les électeurs comprennent que leur vote ne compte pas. Lors de la première élection où un coût au vote est imposé, 78 % des participants votent, contre seulement 41 % à la dernière[40]. Le déclin moyen est donc de 5 points de pourcentage par élection subséquente. Le modèle 2 inclut le logarithme naturel de l’ordre des élections (Suite P.). Cette variable nous indique que la participation décline fortement dès les premières élections et que ce déclin s’estompe graduellement par la suite. Ce résultat suggère que certains électeurs réalisent très rapidement que leur vote ne compte pas et décident de s’abstenir. La variable Ordre P. montre que les électeurs ne votent pas moins d’une élection à l’autre sous une même distribution, et que seul l’ordre global des élections compte.
La troisième hypothèse (H3) proposant que la participation électorale soit plus grande sous la RP n’est pas confirmée. Toutefois, concernant la quatrième hypothèse (H4), il semble que ceux qui préfèrent un parti avec peu d’appuis sont davantage portés à s’abstenir.
Conclusion
Cet article répond à la question importante qui est de savoir si un système avec plus de sièges en jeu, dans notre cas le système proportionnel, permet de faire ressortir, de la manière la plus complète possible, les préférences de l’électorat. Un système électoral est encore plus révélateur des préférences de l’électorat s’il influence les électeurs à participer encore plus au processus démocratique et s’il fait en sorte que les électeurs expriment davantage leur préférence sincère, c’est-à-dire s’ils votent davantage pour le parti le plus proche de leurs convictions politiques.
Au sujet de l’influence du système électoral sur le vote sincère des électeurs, nos résultats démontrent qu’il y a plus de votes sincères lorsque le parti favori est également le préféré de nombreux électeurs. Les électeurs désertent donc moins les partis dotés d’un grand nombre de partisans potentiels.
En ce qui concerne la décision de voter ou non à une élection, la participation décroît chez les électeurs dont le premier choix est un parti de faible taille. Il semble toutefois que le mode de scrutin n’altère pas la décision de voter (ou non) chez l’électeur. Il n’est ainsi pas possible à partir de nos données de prétendre que la RP favorise la participation électorale. En conséquence, l’argument voulant que des effets indirects des systèmes électoraux expliquent les différences observées empiriquement hors laboratoire – où la participation est légèrement plus forte sous la RP – entre les taux de participation selon le système employé est renforcé par l’absence d’effet direct.
Par ailleurs, les petits partis sont légèrement moins désertés sous la RP que sous le UT, mais les grands partis le sont plus sous la RP. Ces résultats concordent parfaitement avec les observations empiriques de Blais et Gschwend (2011). Globalement, nous ne pouvons affirmer que les électeurs sont plus sincères sous la RP. Nos expériences contribuent à l’accumulation de preuves allant dans le sens que le système RP n’encourage pas le vote sincère (ou ne décourage pas la désertion stratégique). Un résultat intéressant de nos recherches est le suivant : même si le mécanisme disproportionnel bien connu du UT est théoriquement moins fort sous la RP, les électeurs désertent tout de même globalement autant leur premier choix sous les deux systèmes.
Une explication à cette absence d’effet consistante avec nos données, autant pour le vote sincère que pour la participation, serait que sous la proportionnelle un vote semble avoir plus de chances de modifier le résultat. Toutefois, cette modification est de moindre importance que sous le UT où la probabilité d’influencer le résultat est plus petite, mais l’impact d’un changement est potentiellement plus important.
En ce qui concerne la participation, elle est d’un peu moins de 70 % hors laboratoire pour les élections nationales les plus importantes (IDEA, 2005). Toutefois, pour des élections de moindre importance (locales ou complémentaires), le taux de participation est inférieur. Par exemple, Robert L. Morlan (1984 : tab. 1) conclut que la participation est inférieure de 17 points lors d’élections locales en Europe et aux États-Unis. Cela établit un taux de participation plus près de 53 % pour les scrutins de moindre envergure. Le taux de participation que nous avons obtenu dans nos élections est du même ordre de grandeur (55 %), ce qui est surprenant puisque, théoriquement, les incitatifs rationnels à s’abstenir sont plus forts en laboratoire.
Lors de la présente étude, seules des variables objectives ont été analysées. La prochaine étape sera de regarder les perceptions subjectives sur le plan individuel pour mieux comprendre quels mécanismes psychologiques sous-tendent ces décisions politiques. Le fait de fixer le nombre de partis, le nombre de sièges en jeu et de concentrer deux partis près du centre sont des facteurs pouvant expliquer l’absence de différence entre les systèmes. Nous pourrions pallier cette limite de notre design expérimental par une reproduction de l’expérience où ces paramètres seraient modifiés. Toutefois, le fait que les partis soient fixes fait disparaître le bruit que l’on retrouve généralement dans les études non expérimentales. Par exemple, l’absence de décisions des élites politiques dans nos expériences renforce l’idée que le plus grand nombre de partis sous la RP que sous le UT pourrait être un facteur important expliquant le taux de participation légèrement plus fort que l’on retrouve hors laboratoire (IDEA, 2009)[41]. Par ailleurs, puisqu’il existe de nombreuses versions de RP employées lors des élections démocratiques, les conclusions de notre étude ne peuvent prétendre s’appliquer uniformément à tous ces différents systèmes. En ce qui concerne des expériences futures, reprendre les élections expérimentales en employant de nouvelles versions de la RP avec plus de sièges en jeu, donc plus de proportionnalité (Cox 1997 : chap. 7), pourrait faire ressortir des différences importantes. Par ailleurs, notre protocole permet de comparer des systèmes électoraux dans un contexte politique fortement épuré. Certains facteurs pouvant influencer les comportements politiques pourraient être ajoutés à ce type d’expérience pour raffiner l’analyse.
Nous concluons donc que la proportionnelle ne semble pas avoir les vertus examinées dans cette étude, c’est-à-dire qu’elle ne semble pas produire une participation plus élevée ni un vote plus sincère. Cela suggère que les effets du mode de scrutin sont plus complexes ou indirects qu’on le pense généralement.
Appendices
Note biographique
Simon Labbé St-Vincent poursuit actuellement des recherches postdoctorales en sciences politiques à l’Université de Montréal. Il est membre de la Chaire de recherche du Canada en études électorales (CRCÉÉ) et du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique (CECD). Il a publié entre autres : « An Experimental Test of the Pivotal Voter Model under Plurality and PR Elections », Electoral Studies, 2013 ; « Personality Traits, Political Attitudes and the Propensity To Vote », European Journal of Political, avec André Blais, 2011 ; « Strategic Vote Choice in One-Round and Two-Round Elections », Political Research Quarterly, avec André Blais, Jean-François Laslier, Nicolas Sauger et Karen Van der Straeten, 2011. Ses intérêts de recherche incluent l’usage de la méthode expérimentale, les comportements politiques, la participation électorale, la désertion stratégique, la psychologie politique, les traits de personnalité et l’étude des systèmes électoraux.
Notes
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[1]
Cela n’exclut pas la possibilité que la RP possède d’autres vertus que celles prises en compte dans cette étude. Notre approche compare l’effet direct d’une modification à la mécanique de détermination des vainqueurs qui est établie par le système électoral. Nous ne prétendons pas comparer, par exemple, les effets indirects liés au système partisan qui pourraient en découler. Nous n’employons pas une définition du système électoral RP basée sur le résultat observé, mais plutôt sur la mécanique de distribution des votes. Il existe un consensus parmi les spécialistes des modes de scrutins : le nombre de sièges en jeu dans une circonscription donnée est considéré comme l’élément le plus important pour qu’un système soit qualifié de proportionnel (Farrell, 2001 : 5). Plus il y a de sièges en jeu, plus le système est qualifié de proportionnel.
-
[2]
Une interprétation légèrement différente et complètement valide de nos analyses est de considérer que l’effet recherché ne provient pas à proprement parler d’un mode de scrutin différent, mais plus précisément de l’augmentation du nombre de sièges en jeu d’un système à l’autre. Dans notre cas, le système UT met en jeu un seul siège et le système RP en met en moyenne deux.
-
[3]
Nous présentons ces problèmes plus loin, à la note 13.
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[4]
Il faut noter que c’est bien le vote qui est sincère et non pas la volonté ou le caractère de l’électeur. Un même électeur peut parfois voter de manière sincère, parfois non. Le vote sincère est une façon courte de dire que l’électeur fait un vote qui est compatible avec un comportement de vote sincère. Nous ne connaissons pas la véritable intention de l’électeur et plusieurs motivations peuvent mener à voter pour le premier choix ; toutefois, nous qualifions de sincère tout vote en faveur du parti en tête dans l’ordre des préférences de l’électeur.
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[5]
La décision de voter pour un autre parti que son préféré peut-elle être non stratégique ? Une telle décision sans faire un choix stratégique n’est pas instrumentalement rationnelle. L’électeur rationnel ne votera pas pour un parti qu’il perçoit comme ayant au moins une légère probabilité de le défavoriser. Lorsque cela est observé, l’étude des comportements rationnels a peu à dire à propos de ces choix erratiques.
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[6]
Un vote dit sincère peut être le fruit d’un raisonnement stratégique puisque ces deux concepts ne sont pas mutuellement exclusifs. Il est en effet possible qu’un vote pour le premier choix d’un électeur soit également stratégique : par exemple, c’est le cas si un électeur vote pour son parti préféré parce qu’il considère que son vote peut contribuer à sa victoire étant donné ses attentes concernant le vote des autres électeurs.
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[7]
Le premier s’appuie sur une compilation d’observations empiriques provenant de 17 études de sept différents pays comportant pour la plupart des élections présidentielles et législatives. L’étude des seconds, plus globale, se déroule dans 24 différents pays et comprend 24 080 votes lors de 25 élections, dont 16 RP, 4 UT et 5 systèmes mixtes.
-
[8]
La proportion de votes sincères est déterminée par la proportion de votes qui ne sont pas définis comme stratégiques par les auteurs.
-
[9]
Toutefois, les grands partis sont davantage désertés sous la RP.
-
[10]
B x P > C. Le bénéfice anticipé (B) multiplié par la probabilité que l’acte permette le bénéfice (P) doit être supérieur au coût (C) pour que l’individu agisse rationnellement.
-
[11]
Toutefois, les auteurs notent que les explications théoriques de cette différence ne sont pas convaincantes.
-
[12]
L’expérience est programmée et réalisée à l’aide du logiciel informatique z-Tree (Fischbacher, 2007).
-
[13]
Par exemple, les démocraties employant le UT sont toutes d’anciennes colonies britanniques. Ce facteur historique et culturel pourrait influencer les comportements politiques. Par ailleurs, dans les sondages, la participation est toujours surestimée. Les répondants aux sondages affirment qu’ils vont voter – ou qu’ils ont voté – en proportion plus grande que ce que l’on retrouve dans les résultats de l’électorat (Granberg et Holmberg, 1991). Il n’est généralement pas possible de vérifier qui dit vrai. Un avantage de l’expérience est que la mesure de l’abstention est très fiable, puisque nous observons directement le comportement.
-
[14]
Les organismes ayant collaboré à la réalisation des expériences sont respectivement le laboratoire Cirano, le Laboratoire d’économie expérimentale de Paris (LEEP) et le Centre d’étude de la vie politique (CEVIPOL) de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Le recrutement aux laboratoires de Montréal et de Paris, assisté du logiciel ORSEE (Greiner, 2004), se fait à partir d’une banque de participants. Aucun critère spécifique n’est recherché. À Bruxelles, les participants sont des étudiants de l’ULB et doivent avoir voté au moins une fois à une élection en Belgique (fédérale, régionale, européenne, communale ou provinciale). Les participants à l’étude ne connaissent pas l’objectif précis de la recherche ; ils savent seulement que c’est une expérience sur le vote. Bien que nos expériences se déroulent dans deux régions employant différentes formes de RP, nous n’avons pas l’intention de reproduire spécifiquement ces systèmes. Nous ne cherchons pas à étudier ces cas particuliers, mais nous voulons plutôt capturer l’essentiel des mécanismes de représentation proportionnelle que l’on retrouve dans les démocraties contemporaines. Le choix de la région de provenance de nos cas repose sur des considérations d’ordre pratique, soit l’usage d’une même langue (le français) permettant d’employer exactement le même protocole expérimental. Ce choix permet également une certaine diversité au niveau de la culture politique (usage de la RP en Europe, système UT au Canada, vote obligatoire en Belgique).
-
[15]
L’annexe A est disponible en ligne (http://thedata.harvard.edu/dvn/dv/electoralexperiments).
-
[16]
Le nombre de partis ainsi que ce qui distingue ces partis sont identiques sous chaque système électoral dans nos expériences. Hors laboratoire, le nombre de partis sous la RP est plus élevé que sous le UT. Les stratégies des chefs politiques influencent le nombre de partis présents aux élections. Ces stratégies dépendent aussi, en théorie, des stratégies des électeurs (Cox, 1997). Une littérature portant sur le nombre de partis politiques observés empiriquement permet d’évaluer le nombre type de partis présents. Le nombre de partis politiques obtenant au moins 5 % des votes est en moyenne de 4,3 pour les pays employant le système RP et de 3,0 pour le système UT (Katz, 1997 : 147). En fixant le nombre de partis à quatre, l’expérience propose un nombre de partis qui se rapproche de ce qui est observé dans la réalité.
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[17]
Quatre groupes, à Montréal, ont fait l’expérience avec les distributions présentées dans l’ordre inverse.
-
[18]
L’axe politique gauche/droite est une simplification de la compétition entre diverses vues politiques. La signification de cet axe peut varier d’un individu à l’autre et d’une nation à l’autre, mais le concept capture les éléments les plus saillants des oppositions politiques clés dans un système donné (Dalton et al., 2011 : 84-86). Ce concept de gauche et de droite perdure dans l’espace et le temps justement parce qu’il est flexible (Noël et Thérien 2008 : 12). Il tend également à apparaître dans chaque société peu de temps après sa démocratisation politique (id : 55).
-
[19]
Il y a 48 % des participants se disent assez ou très proches d’un parti politique hors laboratoire.
-
[20]
Une autre considération sociotropique propre au groupe de Montréal est le financement public des partis qui reçoivent un certain montant par vote (d’environ 85 cents au provincial et 2 dollars au fédéral) s’ils remplissent des critères minimaux de popularité (2 % des votes au niveau local et 5 % au niveau national pour le palier fédéral).
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[21]
Gain UT = 10 - | Position parti gagnant - Position électeur |.
-
[22]
Voir David Farrell (2001 : 71-79) pour une explication simple du mécanisme de transformation des votes en sièges sous ces systèmes.
-
[23]
En cas d’égalité, tous les partis ayant le plus de votes sont gagnants.
-
[24]
En cas d’égalité de votes pour le deuxième parti, tous les membres à égalité joignent la coalition. Lors de nos expériences, le maximum est de trois partis élus sous la RP1 et cela se produit seulement lors de trois élections.
-
[25]
Gain RP1 = dA ∙ vA + dB ∙ vB + dC ∙ vC + dD ∙ vD ; où d (parti) est la distance de l’électeur au parti et v (parti) représente le pourcentage de votes obtenus par ce parti membre de la coalition divisé par le nombre de votes totaux obtenus par tous les membres de la coalition. S’il n’est pas membre de la coalition, la valeur est zéro.
-
[26]
Gain RP2 = [(10 – | Position électeur - position 1er parti|) + (10 – | Position électeur - position 2e parti |)] /2.
-
[27]
Notre processus de formation de coalitions est une simplification de la réalité hors laboratoire puisqu’il comporte beaucoup moins d’incertitudes. Toutefois, une étude montre que les électeurs anticipent généralement bien les formations de coalitions (Meffert et Gschwend, 2007). En outre, nous ne croyons pas que cela soit problématique à l’interprétation de nos résultats ; par ailleurs, Marco Battaglini et ses collègues (2008 : 197) proposent que les électeurs qui ont une attente plus claire de leur bénéfice participent davantage. Cet effet ferait en sorte que les électeurs participent davantage sous la RP en laboratoire, puisque le gain attendu est moins ambigu. S’il y avait un tel biais dans notre expérience, la participation en laboratoire serait plus forte que hors laboratoire sous la RP, et ainsi la distinction entre le UT et la RP – s’il y en avait une – serait encore plus forte en laboratoire.
-
[28]
Au moment de faire son choix, l’électeur révèle à l’expérimentateur la viabilité perçue de chaque parti ainsi que son estimation des chances que son propre vote soit décisif.
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[29]
Ces expériences sont résumées par Thomas Rietz (2008 : 2). Sommairement, 14 électeurs doivent choisir entre trois partis (O, G et B). Ils doivent faire ce choix 24 fois de suite. Huit de ces électeurs préfèrent le parti O ou le parti G au parti B. Quatre d’entre eux préfèrent légèrement O à G et quatre autres G à O. Ces 8 électeurs peuvent se coordonner pour faire gagner un de ces deux partis contre le parti B qui est préféré par les 6 autres électeurs. Les partisans de B sont des perdants selon la méthode Condorcet : c’est-à-dire qu’ils sont donnés perdants si les différentes options sont comparées par paires (Black, 1948 : 57). Ils ne sont ni intéressés ni assez nombreux pour se coordonner avec un autre parti que B. Si tous les électeurs votent de manière sincère, B remporte avec 6 voix contre 4 voix pour chacun des autres partis. Les auteurs mettent en place des manipulations expérimentales pour établir dans quelles conditions les partisans de O et de G parviennent à se coordonner pour faire gagner O ou G. Les sondages et les élections précédentes sont des facteurs clés pour expliquer ce type de désertion stratégique.
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[30]
Ce mémoire porte sur deux sessions pilotes de 80 élections consécutives se déroulant à São Paulo.
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[31]
Pour le premier type, A > B > C ; pour le deuxième, B > C > A ; et pour le troisième, C > A > B.
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[32]
Il faut noter que ces expériences ne font jamais référence à un contexte électoral. Il s’agit en fait de deux groupes de participants qui doivent décider individuellement de participer (ou non) à la victoire de leur groupe en achetant (ou non) un jeton. Ils répètent 20 fois ce jeu. Sous le UT, les membres du groupe avec le plus de jetons remportent un gain et les membres de l’autre groupe ne gagnent rien (ils perdent donc de l’argent s’ils ont participé). Sous la RP, le gain de chaque membre de chaque groupe est proportionnel au nombre de jetons achetés par ce groupe.
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[33]
À noter également que les tendances reportées dans cette section ont été retrouvées dans des modèles qui tiennent compte des élections où voter est facultatif et coûteux et qui excluent de l’analyse les abstentionnistes.
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[34]
Gary W. Cox (1997) propose que, sous le UT, les votes stratégiques se concentrent sur les deux partis les plus viables, alors que sous la RP, ce serait plutôt sur les trois partis les plus viables. Nous avons comparé la tendance à voter pour le troisième choix sous le UT et la RP et nous ne trouvons pas de différences significatives. Lors des élections sous la distribution asymétrique, le parti B est le troisième parti viable. Sous la RP, ce troisième parti reçoit 23 % des votes (t[1008] = -0,78) et il en reçoit 21 % sous le UT. D’autres analyses estimant la viabilité des partis par la proportion de votes reçus concluent également qu’il n’y a aucune différence entre le UT et la RP.
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[35]
Toutes les simulations présentées dans le présent article sont produites, dans un modèle donné, par l’extrapolation de la prédiction de l’effet des variables indépendantes sur la variable dépendante. Afin d’établir les probabilités prédites de participer ou de voter pour un premier choix, la variable indépendante est fixée à une certaine valeur pour tous les individus, alors que toutes les autres variables sont maintenues à leur valeur observée chez chaque individu, ce qui permet de simuler l’effet spécifique de cette variable, tout étant égal par ailleurs.
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[36]
D’autres modèles ont été testés pour valider la robustesse des résultats. Ils ne sont pas présentés ici, mais en voici les points saillants : 1) Aucun des trois systèmes RP ne se démarque de l’UT de façon significative. 2) Des modèles non linéaires incluant la Taille au carré et la Taille au cube produisent les mêmes tendances que ce qui est présenté dans nos tableaux. 3) Les tendances générales sont les mêmes lorsque les analyses sont faites avec seulement la première élection (avec ou sans coût) sous chacune des distributions d’électeurs.
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[37]
Cette relation n’est plus significative qu’au seuil de 0,1 lorsque les groupes expérimentaux servent à tenir compte de la non-indépendance des données (cluster) à la place des participants. C’est toutefois la seule différence notable par rapport aux tendances reportées dans nos modèles.
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[38]
La variable Suite P. est de 0 à 7 et la variable Ordre P. prend les valeurs de 0 ou 1 pour les élections avec coût au vote.
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[39]
L’effet interactif entre la taille du premier choix et le système électoral n’est pas significatif dans une analyse dont la variable dépendante est la décision de participer ou non (résultat non présenté).
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[40]
Dans l’étude de John Duffy et Margit Tavits (2008), les volontaires participent à 20 élections consécutives sous le UT où voter est facultatif et coûteux. Notons que le taux de participation est de 40 % en moyenne lors du dernier vote dans chaque groupe. Cela nous permet d’être relativement certain que ce taux n’est pas causé par la manipulation qui introduit le coût au vote et qui pourrait attirer l’attention des électeurs sur la question de participation et influencer ainsi leur décision.
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[41]
Toutefois, puisque ces partis supplémentaires sous la RP sont généralement petits, la désertion d’un grand parti vers un petit parti pourrait encore être plus grande, ce qui mènerait à encore moins de votes sincères sous la RP que dans les présentes expériences.
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