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L’ouvrage collectif de Frédéric Boily et Donald Ipperciel présente à travers les discours nationaux un état des lieux du nationalisme de 1960 à nos jours, aux niveaux national, provincial et communautaire. L’objectif est de démontrer que le nationalisme qui repose sur les questions identitaires québécoise, autochtone et acadienne persiste et se manifeste aussi bien sur le terrain culturel que dans le champ médiatique.
La diversité des sources (historiques, politiques et philosophiques), la pluralité des discours et des regards portés sur le nationalisme font l’originalité de l’ouvrage et participent à l’enrichissement des points de vue.
Structuré en trois parties, l’ouvrage expose dans la première une vision des intellectuels canadiens-français et québécois par rapport au nationalisme. Ensuite est décrite celle des intellectuels canadiens-anglais vis-à-vis du même sujet. La troisième partie met en exergue le nationalisme périphérique des Autochtones.
S’il faut reconnaître des divergences dans les approches des acteurs, il faut préciser qu’elles sont la conséquence première de leur origine, leur formation et leurs expériences. L’ironie du sort est que bien des acteurs qui ont consacré leur vie à défendre le nationalisme ont été oubliés des mémoires collectives.
En référence au Ralliement national (RN) de René Jutras, Max Nemni regrette par exemple l’oubli de ce parti dans l’imaginaire collectif. Selon son propos relaté dans son chapitre intitulé « René Jutras et le Ralliement national : un nationalisme de transition », la fragilité du RN tenait au mode de recrutement qui ciblait surtout une population moyennement éduquée, peu encline à écrire et surtout ayant difficilement accès aux médias. Dans de telles circonstances, ils n’ont pu perpétuer les idéaux du RN, un parti indépendantiste d’obédience chrétienne qui n’a duré que quatre ans. Sa disparition a été accélérée par sa difficulté à s’implanter, expliquant son faible suffrage (3,2 %) aux élections de 1966. Durant sa vie éphémère, le RN, s’est dressé contre l’assimilation des francophones et a prôné leur ralliement au Québec. La référence au RN a le mérite d’indiquer que le mouvement souverainiste date bien avant les années charnières de 1970.
Même si la vision du nationalisme selon le RN a été peu suivie, il demeure que la défense du nationalisme québécois fut relayée par Pierre Elliott Trudeau, Fernand Dumont et Gérard Bouchard.
L’approche de Trudeau a été pragmatique. Sa vision a été influencée par son origine canadienne-française et ses études à Harvard et à Paris en sciences politiques. Il a révélé ses idées publiquement lors d’une conférence à Paris sur la promesse du Québec. Si Trudeau s’est inscrit dans la mouvance de l’époque qui exprimait les sentiments identitaires par des termes comme le Canada mon pays ; le Québec, ma patrie, sa particularité est qu’il prônait un fédéralisme et une souveraineté partagée entre les provinces et l’État central. Bien qu’étant un catholique pratiquant, il estimait que le Québec devrait trouver la voie du développement en dehors de l’église. Cette prise de position a engendré certaines difficultés à son égard. C’est ainsi qu’une version de son texte sur La promesse du Québec proposée pour publication dans le journal Le Devoir fut rejetée.
Quant à Fernand Dumont, il s’est érigé en défenseur de la nation québécoise, en préconisant que celle-ci devrait se doter d’une personnalité propre. Sa spécificité est qu’il estimait que les intellectuels au niveau du Québec se doivent de défendre le nationalisme du peuple québécois qui est aphone et handicapé du fait de sa langue reléguée au second plan. Pour cela, il préconisait que les intellectuels soient imprégnés des réalités de leur milieu. Selon Dumont, la nation est un phénomène culturel qui va au-delà du simple partage de la langue. Elle implique le partage d’un sentiment commun, car, dans les faits, le Québec est constitué de plusieurs nations.
Pour clore les différents angles d’analyse du nationalisme québécois, nous ne pouvons occulter celui de Gérard Bouchard. Avec sa production scientifique impressionnante (250 articles et 30 ouvrages), celui-ci a abordé la question du nationalisme sous l’angle de la continuité et de la rupture. Son approche considère le Québec comme un transfuge de la France qui a tout de même connu une rupture à travers la Révolution tranquille. Le point culminant de sa conception suppose la souveraineté du Québec.
À la lumière des approches présentées, il faut reconnaître que les clivages dans la défense du nationalisme québécois constituent un facteur limitant qui ne facilite pas une compréhension commune du nationalisme. De plus, certains auteurs pensent qu’il faut plutôt défendre le nationalisme à l’échelle du Canada.
À ce sujet, dans la seconde partie de l’ouvrage, les intellectuels canadiens-anglais ont donné de la voix. C’est dans ce sens que George Parkin s’est intéressé au nationalisme de la conservation qui traite le Canada en tant qu’entité. Il s’est inquiété des effets négatifs de la technologie et de la modernité sur l’identité canadienne. Cela parce que le Canada est aux prises avec les forces progressistes de l’Occident qui se traduisent par l’uniformité technique et le libéralisme mondial. Le nationalisme canadien qui était incarné par John Diefenbaker s’est soldé par un échec avec son évincement du pouvoir quelque temps après qu’il ait dénoncé ouvertement l’ingérence américaine dans la conduite de la sécurité du Canada.
À la suite de John Diefenbaker, Preston Manning s’est plutôt intéressé au patriotisme juridique, un courant réformiste. Il oppose la conception juridique à la conception ethnoculturelle du nationalisme. Son approche repose sur une uniformité du Canada qui devrait supprimer les caractéristiques particulières des provinces. Dans cette perspective, il s’insurge contre l’idée de la fondation du Canada par deux peuples (français et anglais) ainsi que les Canadiens à traits d’union, notamment les canadiens-anglais, les canadiens-français et les canadiens-aborigènes.
À cette conception réformiste s’ajoute l’approche évolutive de Michael Ignatieff. Son approche a été influencée par ses 22 ans d’absence du Canada et ses différentes carrières journalistique, universitaire et politique. Il a qualifié d’irrationnelle la séparation du Québec du reste du Canada. Il s’est insurgé contre un nationalisme québécois soutenu par des visées violentes en référence au Front de libération du Québec (FLQ). Par moment, il a aussi estimé que la séparation pouvait être non violente, mais parsemée de visées ethnicistes. Bien qu’Ignatieff ait construit son approche sur des contradictions au gré de sa connaissance du Québec, celui-ci s’est efforcé de distinguer la nation québécoise et l’État québécois. Tout en s’interrogeant sur la pertinence de l’indépendance du Québec en tant qu’État, il s’est opposé à ce projet, compte tenu de la reconnaissance institutionnelle du fait français. Selon lui, le Québec devrait se contenter de cette reconnaissance institutionnelle tout en restant à l’intérieur du Canada.
Si le nationalisme a été défendu au niveau du Canada et au niveau du Québec, quid du nationalisme périphérique ?
Dans la troisième partie de l’ouvrage, les acteurs se sont intéressés au nationalisme des Autochtones et des Acadiens.
Selon Claude Couture, la défense du nationalisme des minorités s’est traduite en une opposition entre les groupes subalternes (minorités) et les élites. La défense des minorités a été faite de manière retentissante par Harold Cardinal dans sa lutte contre l’assimilation imposée aux Indiens. Celui-ci a vivement critiqué la société injuste que représente le Canada. Il a de plus rejeté fermement le concept des deux nations fondatrices, ce qui lui a valu le surnom de word warrior. Dans la perspective de la défense des minorités, le père Clément Cormier a choisi de plaider la cause des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Il a prôné une identité collective acadienne. Au regard des souffrances et des déportations des Acadiens, ceux-ci doivent se réunir autour d’un idéal pour panser les plaies et progresser vers un futur fait de compromis avec le reste du Canada.
Pour finir, nous estimons que cet ouvrage qui présente la problématique du nationalisme au Canada dans une diversité empreinte de divergences est intéressant.
À notre sens, par ailleurs, une des lacunes de l’ouvrage est de ne pas aborder la question du lien entre la Révolution tranquille et le fait québécois. Par exemple comment la Révolution tranquille a-t-elle participé à la préservation du fait québécois ? Une autre source de préoccupation est l’oubli des défenseurs du nationalisme dans les mémoires collectives. Il aurait aussi été intéressant de s’interroger sur la pertinence du nationalisme pour le citoyen lambda. Le nationalisme est-il vraiment une préoccupation pour les citoyens ? Si oui, pourquoi les défenseurs en viennent-ils à être oubliés ? Ce questionnement sous-tend la compréhension des mécanismes de transmission des mémoires collectives sur lesquels se fondent pour partie les nationalismes. Nous aurions apprécié un éclairage sur ces différentes questions.