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Malgré le fait que les technologies de l’information ont radicalement transformé le système international contemporain, le rôle qu’occupent ces technologies demeure encore sous-étudié dans le champ des relations internationales (RI). Bien souvent, les textes abordent la nouvelle dynamique imposée par l’Internet et la révolution des communications en la subordonnant à d’autres thèmes. Ainsi, voir un ouvrage comme Insurgence Online : Web Activism and Global Conflict aborder directement la problématique des technologies de l’information dans les RI est plutôt rare.
Michael Y. Dartnell s’y propose d’étudier la façon dont les technologies de l’information — principalement l’Internet — ont changé la relation de pouvoir entre des groupes considérés comme dissidents et les États. Dans un effort de synthèse honorable — environ 110 pages —, l’auteur démontre comment des organisations non gouvernementales ont réussi à capitaliser et à exploiter le potentiel des technologies de l’information pour mener à bien leurs activités. Il s’agit de comprendre comment les nouvelles méthodes de communication permettent la montée d’un activisme incorporant à la fois culture et technologies. En ce sens, l’auteur soutient que les technologies de l’information ont déterritorialisé les activités humaines, rendant ardue l’application des contrôles sociaux imposés par les États.
Le sujet traité par M.Y. Dartnell n’est pas nouveau. En effet, la cyberdissidence et l’hacktivisme (l’exploitation de l’Internet, dont les attaques informatiques, pour coordonner et perpétrer de l’activisme politique) avaient déjà été traités en 2001 par John Arquilla et David Ronfeldt dans un livre intitulé Networks and Netwars : The Future of Terror, Crime, and Militancy (Santa Monica, RAND Corporation). L’ouvrage de M.Y. Dartnell se concentre sur un des thèmes abordés dans ce livre : la manière dont les mouvements sociaux de résistance profitent des possibilités offertes par les technologies de l’information afin d’améliorer leurs capacités organisatrices.
L’auteur débute de façon plutôt originale, soit en liant les théories des relations internationales et les théories des communications avec le sujet des cyberdissidents. Nous comprenons rapidement qu’il se positionne dans une posture « post-réaliste » : le Web étant ce qu’il est, il est difficile de l’analyser en plaçant l’État comme unité centrale d’analyse. Toutefois, l’analyse théorique tombe malheureusement rapidement à plat. Si l’auteur fait un lien avec ces théories, il ne pousse pas son raisonnement assez loin pour établir un cadre théorique analytique cohérent qui pourrait agrémenter un programme de recherche à venir. Son apport théorique demeure ainsi très superficiel. À titre d’exemple, il mentionne que les théories actuelles — principalement les théories de relations internationales — sont plutôt limitées pour comprendre les effets des technologies de l’information dans les sociétés contemporaines, mais son argumentation n’est pas assez approfondie pour convaincre le lecteur.
En fait, ce n’est pas tant dans le contenu que l’ouvrage tient son originalité — surtout si l’on considère qu’une bonne partie des idées exposées dans ce livre avaient été présentées comme chapitre du livre Bombs and Bandwith édité en 2003 par Robert Latham (New York, New Press) —, mais plutôt dans sa démarche. Utilisant une méthodologie assez rare pour discuter des technologies de l’information et des RI, M.Y. Dartnell présente une étude empirique et comparative de la façon dont trois mouvements de dissidence exploitent les technologies de l’information (p. 5) : le Mouvement socialiste républicain irlandais (MSRI), l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan (ARFA) et le Movimiento Revolucionario Tupac Amaru (MRTA).
Dans le premier cas, l’auteur présente la façon dont le MSRI a exploité ses activités sur la toile à des fins de recrutement et de propagande. L’analyse, très quantitativiste et empirique en substance, offre un panorama intéressant de l’idéologie du MSRI et de la manière dont s’articulent ses activités dans le cyberespace. Elle montre également comment le MSRI a su utiliser les possibilités des technologies de l’information afin de demeurer un acteur dans l’arène politique de l’Irlande.
Dans le cas de l’ARFA, l’auteur se penche sur la façon dont le groupe a pu se créer un réseau de relations assez puissant pour mobiliser un mouvement de femmes désireuses de résister aux politiques répressives des Talibans. Encore une fois, M.Y. Dartnell aborde la question en analysant principalement le rôle qu’ont joué les technologies de l’information dans l’organisation de ce mouvement de résistance. La conclusion à laquelle en vient l’auteur est assez impressionnante : les technologies de l’information, principalement le Web, comme instrument politique sont assez fortes pour motiver un public qui n’y a pas accès. En effet, l’ARFA vise essentiellement les femmes afghanes qui n’ont que très peu accès au Web. Malgré tout, l’auteur dénote une influence indirecte palpable de l’ARFA sur cette population « non connectée » (p. 72).
Dans son examen du MRTA, la dernière étude de cas présentée dans l’ouvrage, M.Y. Dartnell aborde la façon dont les technologies de l’information ont pu supporter les activités violentes du groupe. Dans cette partie, la dimension « conflit » du titre de l’ouvrage prend tout son sens. À travers une recension des activités cybernétiques du MRTA, l’auteur évalue comment le groupe s’est construit un relais médiatique lui permettant d’effectuer du recrutement. Par la publicisation de sa cause et de ses actes violents — souvent catégorisés comme du terrorisme —, le MRTA a non seulement réussi à gagner un support de l’étranger, mais il a également pu rejoindre plus de gens à l’intérieur même du Pérou, et ce, malgré les campagnes de contre-propagande du gouvernement péruvien. Au-delà de la simple analyse des activités du groupe, M.Y. Dartnell réussit à démontrer comment, au fil du temps, l’Internet est devenu un véritable marché d’idées, offrant ainsi un espace accru aux idéologies qui vont à l’encontre des pensées dominantes.
Si les efforts déployés par l’auteur pour mieux comprendre la place qu’occupe l’Internet dans les relations internationales sont de bon aloi, ils souffrent malheureusement de quelques imprécisions. Ces dernières sont probablement liées à une méconnaissance des acteurs présents sur la toile. Au début de l’ouvrage, l’auteur souligne par exemple que les hackers sont responsables d’actes de Web defacing, forme de vandalisme informatique consistant à modifier l’apparence d’un site Internet. Or, les hackers ne sont que très rarement responsables des actes de Web defacing, pour deux raisons principales. D’une part, leurs connaissances poussées de l’informatique font qu’ils n’ont simplement pas d’intérêt à perpétrer ce genre d’attaques. D’autre part, les hackers se plaisent à dire qu’ils suivent un code d’éthique qui les empêche de faire ces actes. Dans la majorité des cas, ce sont des script kiddies — pirates informatiques ayant des connaissances minimes du Web — qui sont responsables de ce vandalisme cybernétique. Ainsi, sans être véritablement inexact, cet ouvrage tombe parfois dans le domaine de l’approximatif, ce qui nuit quelquefois à la solidité de l’argumentation.
Par ailleurs, la thèse de l’auteur mériterait d’être nuancée. Certes, les technologies de l’information permettent à de nombreux acteurs internationaux d’échapper à bon nombre de contrôles exercés par l’État, mais cela ne fonctionne pas toujours. Pensons simplement au grand mur de feu de la Chine, ce pare-feu informatique qui filtre systématiquement les pages vues par les citoyens chinois, représentant un contrôle puissant des activités se trouvant sur le Web. Plus récemment d’ailleurs, des compagnies comme Google Yahoo signaient des ententes avec le gouvernement de Pékin afin de filtrer les résultats des recherches effectuées par les utilisateurs. Toutes ces mesures sont déployées dans le but d’éviter que les citoyens chinois accèdent à du contenu non toléré par le gouvernement.
Au final, Insurgence Online : Web Activism and Global Conflict ne réussira vraisemblablement pas à accrocher les spécialistes du rôle des technologies de l’information dans les relations internationales. Et ce n’est pas non plus un livre qui révolutionnera la manière de théoriser l’exploitation de l’Internet par les acteurs non étatiques. Non pas que la recherche proposée par l’auteur soit erronée, mais plutôt parce qu’il s’aventure dans un domaine qui est encore sous-étudié dans la discipline des RI. En ce sens, cet ouvrage consiste essentiellement en une recherche exploratoire qui permettra d’ouvrir la voie vers d’autres travaux du genre.