Abstracts
Résumé
Depuis les années 1980, le néo-institutionnalisme historique occupe une place centrale dans les débats théoriques concernant l’histoire et les transformations contemporaines de l’État-providence. Le présent article montre l’intérêt heuristique de cette approche tout en traçant de nouvelles pistes de réflexion susceptibles de combler ses principales lacunes théoriques, notamment son incapacité de rendre compte de la teneur spécifique des choix techniques et idéologiques qui façonnent les politiques sociales. Afin de dépasser ces lacunes, il convient de prendre en considération deux facteurs socio-économiques dans le cadre théorique général du néo-institutionnalisme historique : pour circonscrire l’impact des intérêts économiques sur les décisions politiques, il faut mettre l’accent sur la protection sociale offerte par le secteur privé ; pour circonscrire l’influence des idées sur l’élaboration des politiques sociales, il faut analyser les paradigmes véhiculés par les experts, les réformateurs et les politiciens. Les notions de champ et d’habitus formulées par Pierre Bourdieu pourraient également contribuer à cette intégration théorique en soulignant à la fois l’autonomie et le haut degré de structuration institutionnelle et idéologique de l’arène politique.
Abstract
Since the 1980s, new historical institutionalism has played a central role in the theoretical debates concerning the history and the current transformations of the welfare state. This article demonstrates the intellectual value of this approach while offering new theoretical insights aimed at moving beyond its current limits, notably the incapacity to throw light on the specific content of the technical and ideological choices that shape social policies. In order to move beyond these limitations, it is appropriate to take into account two socio-economic factors in the general context of new historical institutionalism : in order to take into account the impact of economic interests on policy-making, put the emphasis on the social protection offered by the private sector ; in order to understand how ideas shape policy outcomes, analyze the paradigms framed by policy experts, social reformers and politicians. Bourdieu’s concepts of field and habitus could contribute to this theoretical integration by showing the autonomy and the great level of institutional and ideological structuration of the political arena.
Article body
Bien que le débat théorique au sujet du développement historique et des transformations contemporaines de l’État-providence fasse rage depuis quelques décennies, aucun consensus n’est encore apparu au sujet des facteurs les plus à même de jeter une lumière sur ces phénomènes. À partir du milieu des années 1980, le néo-institutionnalisme historique est cependant devenu l’approche théorique dominante ou, à tout le moins, celle qui a suscité le plus d’intérêt parmi les spécialistes de la protection sociale[1]. Aux États-Unis, les nombreux prix attribués à Theda Skocpol, auteure du désormais classique Protecting Soldiers and Mothers, attestent du rayonnement de cette approche. Qui plus est, la multiplication des ouvrages et des articles inspirés du néo-institutionnalisme historique reflète l’influence grandissante de ce courant théorique en Amérique du Nord comme en Europe occidentale[2].
Forgé en réaction aux approches socio-économiques traditionnelles, le néo-institutionnalisme historique repose essentiellement sur le postulat suivant : les règles politiques formelles et les politiques publiques établies sont la source de contraintes institutionnelles qui infléchissent les stratégies et les décisions des acteurs politiques. Le présent article montre l’intérêt heuristique de ce postulat tout en offrant des pistes théoriques susceptibles de combler les lacunes de cette approche, qui s’avère généralement incapable de rendre compte de la teneur spécifique des choix techniques et idéologiques qui façonnent les politiques sociales. Pour combler ces lacunes, il convient d’intégrer deux facteurs socio-économiques à l’armature théorique du néo-institutionnalisme historique : pour circonscrire l’impact des intérêts économiques sur les décisions politiques, il faut mettre l’accent sur la protection sociale offerte par le secteur privé (assurances, épargne individuelle, pensions d’entreprise) ; pour cerner l’influence des idées sur l’élaboration des politiques sociales, il faut analyser les paradigmes véhiculés par les réformateurs, les experts et la classe politique. L’articulation de ces deux facteurs dans le cadre général du néo-institutionnalisme historique pourrait favoriser une réflexion sur les liens étroits qui unissent les idées, les intérêts et les institutions (les trois « I ») dans l’histoire et les transformations présentes de l’État-providence[3]. Les notions de champ et d’habitus, d’abord formulées par Pierre Bourdieu, pourraient d’ailleurs contribuer à cette articulation et ce, en montrant à la fois l’autonomie et le haut degré de structuration institutionnelle de l'arène politique. Sans proposer de synthèse théorique définitive, le présent article propose des pistes de réflexion susceptibles d’enrichir le néo-institutionnalisme historique et, à terme, de mieux saisir l’imbrication des logiques économiques, institutionnelles et idéologiques dans l’élaboration des politiques sociales.
Facteurs socio-économiques et logiques institutionnelles
Les approches socio-économiques
Durant les années 1960 et 1970, les approches socio-économiques occupaient presque toute la place dans les analyses européennes et nord-américaines consacrées à l’histoire des politiques sociales. À cette époque, certains facteurs socio-économiques — considérés comme largement indépendants des institutions politiques — étaient généralement pris en considération lorsque venait le temps d’expliquer les différences nationales en matière de protection sociale. Certes, aucun consensus n’existait au sujet de l’efficacité heuristique des différentes variables socio-économiques examinées par les spécialistes de l’État-providence. Un débat faisait rage au sujet des facteurs socio-économiques susceptibles d’éclairer les différentes « trajectoires nationales » dans le domaine des politiques sociales. En fait, les principaux protagonistes du débat mettaient généralement l’accent sur l’un des trois facteurs suivants : 1) les « valeurs nationales » ; 2) le développement économique ; 3) la mobilisation des groupes d’intérêts (mouvement ouvrier, milieux d’affaires).
Dans leurs travaux, les auteurs qui se consacrent à l’étude des « valeurs nationales » s’efforcent, par exemple, d’établir un lien de causalité entre les vues socio-économiques de la population d’un pays (mesurées à l’aune des sondages d’opinion) et l’étendue (mais aussi la nature) de la protection offerte par l’État. D’après Daniel Levine, les systèmes de protection sociale refléteraient la « construction de la réalité » propre à chaque société : « les nations perçoivent la réalité de manière distincte et agissent en fonction des relations entre ces perceptions et leur propre histoire[4] ». Dans son ouvrage Continental Divide, Seymour Martin Lipset procède à une analyse de ce type lorsqu’il tente d’éclairer les différences significatives entre les systèmes canadien et américain de protection sociale[5]. Aux États-Unis, Roy Lubove formule également une analyse culturaliste pour rendre compte de l’« exception américaine » en matière de politiques sociales[6].
La deuxième approche socio-économique repose quant à elle sur le postulat suivant : la taille de l’État-providence varie en fonction du degré de développement économique atteint par chaque société. Les partisans de cette approche formulent en fait une vision économiste et déterministe du « progrès social », vision généralement fondée (implicitement ou explicitement) sur l’idée de « convergence ». D’après Harold Wilensky, par exemple, deux pays qui sont à peu près au même stade de développement économique se doteraient d’instruments de protection sociale comparables. Dans ce cadre, les différences institutionnelles entre les États-providence renverraient simplement à une question de timing économique. Le degré d’industrialisation serait donc la « racine causale » de l’État-providence[7].
Enfin, les auteurs associés à la troisième approche soutiennent que les différences nationales dans le domaine de la protection sociale reflètent, directement ou indirectement, les capacités de mobilisation des capitalistes et/ou du mouvement ouvrier. Ce courant de pensée néomarxiste est généralement associé aux pays scandinaves et, plus particulièrement, aux travaux de Walter Korpi et de Gøsta Esping-Andersen. Selon ces auteurs, les États-providence danois et suédois disposeraient de systèmes de protection sociale particulièrement généreux en raison de l’influence sociale et politique exceptionnelle du mouvement ouvrier[8]. À l’opposé, certains auteurs soutiennent que la prééminence idéologique et politique des milieux d’affaires dans la société américaine (inséparable de la faible mobilisation syndicale) rendrait compte du « sous-développement » relatif des politiques sociales aux États-Unis[9].
L’apport du néo-institutionnalisme historique
Depuis une vingtaine d’années, des auteurs néo-institutionnalistes tels que T. Skocpol, Ann Schola Orloff, Paul Pierson, Edwin Amenta et Antonia Maioni critiquent ces approches socio-économiques en raison de l’influence structurante qu’exercent les institutions politiques sur l’élaboration des programmes sociaux. Contre ces approches, les néo-institutionnalistes défendent d’abord le postulat weberien de l’« autonomie de l’État[10] ». Acteur politique qui possède une certaine marge de manoeuvre par rapport aux forces économiques et sociales, ce dernier jouerait un rôle de premier plan dans la formulation des politiques sociales[11]. À partir de la seconde moitié des années 1980, les néo-institutionnalistes soutiennent que les institutions politiques formelles et l’étendue des capacités administratives de l’État ( state capacities ) affectent directement l’histoire des politiques sociales. En fait, ces facteurs permettraient d’expliquer, au moins en partie, les différences entre les systèmes nationaux de protection sociale : les institutions politiques, qui exercent une contrainte incontournable sur les réformateurs et les acteurs sociaux, structureraient leurs stratégies et leurs décisions [12]. Pour démontrer l’intérêt de leur approche, les néo-institutionnalistes se sont penchés sur le cas des États-Unis, pays où il n’existe aucun système universel d’assurance-maladie. En fait, l’influence des institutions dans l’élaboration des politiques sociales serait particulièrement tangible dans le système politique américain, qui se caractérise par une grande fragmentation inséparable du fédéralisme et de l’équilibre des pouvoirs ( checks and balances )[13]. Aux États-Unis, la conception des politiques sociales subirait directement le poids des obstacles constitutionnels du fédéralisme qui se transforment notamment au gré des décisions de la Cour suprême[14].
Outre l’expérience américaine, plusieurs travaux comparatifs attestent de l’impact structurant des institutions politiques dans l’élaboration des politiques sociales. Dans un ouvrage classique consacré à la politique de la santé, Ellen Immergut démontre, par exemple, l’existence de « points de veto » institutionnels qui façonnent la mobilisation des médecins en France, en Suède et en Suisse. Plus précisément, l’auteure soutient que les médecins suisses jouissent d’une plus grande influence politique que leur collègues français et suédois en raison de l’institution référendaire et de la décentralisation inhérentes au système politique helvétique[15].
Plus près de nous, A. Maioni enrichit cette perspective en soulignant très justement le rôle des systèmes de partis dans l’élaboration des politiques sociales. Dans une analyse comparative consacrée à l’histoire politique de l’assurance-maladie au Canada et aux États-Unis, elle rappelle que les mécanismes institutionnels du système parlementaire canadien favorisent l’émergence de tiers partis, ce qui contraste avec la logique partisane bipolaire propre au modèle institutionnel américain[16]. Dans le contexte institutionnel canadien, l’émergence du CCF puis du NPD durant l’après-guerre a exercé une pression sur les décideurs fédéraux et provinciaux en faveur d’une couverture maladie plus étendue. Alors que le mouvement ouvrier américain se contentait d’intégrer la très modérée coalition électorale démocrate, la gauche syndicale canadienne des années 1950 et 1960 faisait clairement résonner ses revendications sociales par l’entremise du CCF et, plus tard, du NPD. Contrairement au modèle formulé par W. Korpi et G. Esping-Andersen, le facteur « mobilisation de la gauche » apparaît ici comme absolument inséparable des contraintes institutionnelles propres à chaque système politique[17].
En plus de mettre l’accent sur la fonction structurante des institutions politiques (fédéralisme, partis, système parlementaire, capacités administratives), les tenants du néo-institutionnalisme historique prennent également en considération le poids des rétroactions politiques ( policy feedbacks ) dans le développement des politiques sociales. En introduisant un aspect dynamique dans l’analyse des structures institutionnelles, la notion de rétroaction politique explicite l’influence des politiques existantes sur l’élaboration de nouvelles législations sociales. Dans la littérature néo-institutionnaliste, cette notion prend en fait deux sens distincts. De manière précise, elle renvoie au processus d’apprentissage social ( social learning ) par lequel l’évaluation des politiques sociales existantes infléchit les décisions des experts et de la classe politique. Formulée par Hugh Heclo dans les années 1970, l’idée d’apprentissage social est généralement associée au rôle central des experts dans l’évaluation et la conception des politiques publiques[18]. Plus généralement, la notion de rétroaction politique désigne également l’influence structurante des politiques existantes sur l’innovation et les réformes sociales. Dans Protecting Soldiers and Mothers, par exemple, T. Skocpol montre comment l’existence d’un imposant système de pensions militaires, hérité de la Guerre civile américaine, aurait freiné les efforts des réformateurs au début du xxe siècle. Selon elle, l’impact de ce régime sur le débat et les décisions politiques dépasse l’apprentissage social[19]. La protection offerte par ces pensions semble elle-même avoir réduit l’urgence de certaines réformes, car la génération glorieuse des anciens combattants de l’Union était protégée par ce régime, d’ailleurs passablement généreux pour l’époque[20].
Parmi les auteurs néo-institutionnalistes, P. Pierson est certainement celui qui pousse le plus loin l’idée de rétroaction politique. Dans un article consacré à la « nouvelle politique de l’État-providence », il explore l’impact structurant des décisions passées sur la liberté d’action des décideurs politiques[21]. Les mesures sociales existantes créent de nouvelles contraintes institutionnelles, qui limitent généralement la marge de manoeuvre dont disposent les acteurs politiques. Ces derniers doivent donc composer avec les groupes de pression qui émergent dans le sillage des programmes établis[22]. Face à des armées de bénéficiaires qui défendent le maintien ou réclament l’expansion des programmes sociaux, les élus poursuivent des stratégies d’évitement ( blame-avoidance strategies ) susceptibles de neutraliser les risques électoraux inséparables de la restructuration de l’État-providence. D’après P. Pierson, ces stratégies d’évitement freineraient les tentatives de démantèlement de l’État-providence tout en renforçant la logique institutionnelle propre à chaque système de protection sociale ( path dependence ). Cette inertie institutionnelle constituerait ainsi un sérieux frein à l’innovation politique[23].
Vers une nouvelle articulation théorique?
Le néo-institutionnalisme historique jette une lumière remarquable sur les contraintes institutionnelles qui structurent l’arène politique et, plus particulièrement, l’élaboration des politiques sociales. En reconstruisant les logiques institutionnelles qui encadrent l’action du législateur, des fonctionnaires et des groupes d’intérêts, cette approche permet de mieux comprendre les « règles du jeu » politiques inséparables de toute réforme de l’État-providence. Malgré ses qualités indéniables, le néo-institutionnalisme rend toutefois difficilement compte des choix techniques et idéologiques qui donnent leur forme spécifique aux politiques sociales. Or, ces choix sont largement déterminés par des facteurs socio-économiques qui restent trop souvent à la marge des analyses néo-institutionnalistes. Pour comprendre le contenu des réformes adoptées dans le domaine de la protection sociale, il convient en effet de réintégrer certaines variables socio-économiques dans l’analyse institutionnelle.
Cette réintégration passe d’abord par la reconnaissance explicite des deux principales limites des approches socio-économiques : leur aveuglement théorique par rapport aux indéniables contraintes institutionnelles qui structurent le processus décisionnel et le trop grand degré de généralité des facteurs pris en considération dans l’analyse comparative des politiques sociales. D’abord, à la lumière des analyses néo-institutionnalistes citées précédemment, il apparaît clairement que les forces socio-économiques identifiées par les approches socio-économiques sont médiatisées par les logiques institutionnelles propres à chaque système politique. Qui plus est, le poids des institutions politiques influence les stratégies des acteurs sociaux, notamment le mouvement ouvrier[24]. Ensuite, les approches socio-économiques axées sur le développement économique et les « valeurs nationales » explorent des facteurs généraux qui permettent difficilement de rendre compte de la spécificité des États-providence nationaux. Par exemple, affirmer que des choix politiques précis quant aux des modalités de financement de l’assurance sociale reflètent les « valeurs » d’une nation semble par trop schématique. Comme le montre l’analyse d’Hace Sorel Tishler, les « valeurs nationales » représentent au plus un réservoir idéologique dans lequel les réformateurs et les acteurs politiques puisent afin d’élaborer leurs discours de justification entourant la protection sociale[25]. Quant au développement économique, il ne constitue qu’une condition de possibilité pour l’élaboration des politiques sociales modernes — sans jamais déterminer leur contenu spécifique. L’inscription formelle de variables socio-économiques dans le cadre du néo-institutionnalisme historique passe donc par un double effort d’articulation théorique qui entend circonscrire le rôle précis de certains facteurs socio-économiques dans le processus décisionnel tout en les replaçant dans un contexte institutionnel global.
En fait, un tel effort théorique devrait permettre de combler les deux lacunes principales du néo-institutionnalisme historique : l’étroitesse de la notion de rétroaction politique, qui ne tient généralement pas compte du lien entre l’élaboration des politiques sociales et l’évolution des intérêts économiques liés à la protection offerte par le secteur privé (assurances, épargne individuelle, pensions d’entreprise) ; le manque d’intérêt relatif pour le rôle des idées et des paradigmes dans l’histoire des politiques sociales. En comblant ces lacunes, la méthode proposée ici vise à intégrer des facteurs proprement sociologiques à une théorie politique qui, sous la plume de certains auteurs, se transforme parfois en un structuralisme rigide qui ne tient pas suffisamment compte du fait que les acteurs et les institutions politiques demeurent toujours enracinés dans des rapports sociaux fluctuants[26]. Réconcilier une approche orientée vers l’analyse des institutions politiques et une réflexion sur les transformations économiques et les ruptures paradigmatiques qui infléchissent les interventions de l’État, tel est le principal objectif du présent article. Grâce à cette nouvelle articulation théorique, il est possible d’explorer la relation dialectique entre les contraintes institutionnelles et les choix politiques ( policy choices ).
Rétroactions politiques et intérêts économiques
La première limite théorique majeure du néo-institutionnalisme concerne l’attention insuffisante accordée aux intérêts économiques dans l’analyse des politiques sociales. Sans nier l’autonomie dont jouissent parfois les acteurs politiques, leurs décisions sont parfois inséparables d’une prise en considération directe de certains intérêts économiques et, plus précisément, des mesures de protection sociale offertes par le secteur privé. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte nord-américain où les entreprises et les compagnies d’assurances jouent un rôle considérable dans le domaine social. Contrairement à ce que prônent généralement les tenants du néo-institutionnalisme historique, l’analyse des rétroactions politiques devrait se soucier non seulement de l’influence des politiques existantes, mais aussi de l’impact de la protection offerte par le secteur privé sur les décisions des experts et de la classe politique. Comme le démontre l’expérience américaine en matière d’assurance-maladie, l’essor massif de ce type de protection crée des contraintes supplémentaires pour les acteurs politiques, qui s’efforcent généralement de ménager les intérêts économiques des employeurs, des hôpitaux privés et des compagnies d’assurances. L’échec du projet d’assurance-maladie du président Truman illustre à merveille ce phénomène : la multiplication des assurances privées dans les années 1940, en l’absence d’un système public d’assurance-maladie, a réduit l’appui syndical en faveur de l’initiative démocrate. Dans le contexte de l’espoir suscité par les assurances privées, l’influente American Medical Association et les compagnies d’assurances ont défendu avec acharnement leurs intérêts économiques immédiats[27]. Loin de simplement refléter de quelconques « valeurs nationales » — les Américains seraient majoritairement en faveur de l’assurance privée —, ce phénomène constitue une forme de rétroaction politique émanant du secteur privé. Comme les politiques publiques, les assurances privées et les pensions d’entreprise peuvent favoriser l’émergence de puissants groupes d’intérêts capables d’infléchir les stratégies des acteurs politiques ou même de freiner des projets de réforme qui iraient à l’encontre de la « division du travail » établie entre les secteurs public et privé[28].
Sans revenir aux considérations vagues concernant le développement économique chères à H. Wilensky, l’élargissement de la notion de rétroaction politique au secteur privé permet d’analyser la structuration institutionnelle des intérêts économiques et l’influence de ceux-ci sur le processus de décision — par l’intermédiaire du principe d’apprentissage politique. Ceci favorise une meilleure compréhension du parcours historique de chaque système de protection sociale. Comme l’affirment Richard M. Titmuss et G. Esping-Andersen, chaque système de protection sociale repose sur une articulation spécifique de la logique du marché et du modèle étatique de sécurité sociale[29]. En élargissant l’étude des rétroactions politiques, il est désormais possible de mieux saisir la logique historique et institutionnelle qui sous-tend cette « division du travail social » entre l’État et le marché.
Idées et paradigmes politiques
Pour mieux comprendre les choix politiques qui reflètent et renforcent cette division du travail, il est toutefois essentiel de se tourner vers les paradigmes politiques véhiculés par les réformateurs et les acteurs politiques. Ceci renvoie à la seconde lacune fondamentale du néo-institutionnalisme historique : la place relativement limitée des idées et des phénomènes idéologiques dans l’analyse institutionnelle des politiques sociales[30]. Comme le souligne François-Xavier Merrien, les auteurs qui s’inspirent de cette approche théorique ne se préoccupent pas suffisamment des idées et des principes généraux véhiculés par les réformateurs, les fonctionnaires et la classe politique. Se bornant trop souvent à circonscrire l’influence des institutions et des rétroactions politiques sur le développement des États-providence, ils s’attardent relativement peu sur la teneur spécifique des débats sociaux et des projets de réforme[31]. Par exemple, si les néo-institutionnalistes accordent une place essentielle aux facteurs politiques susceptibles d’expliquer la réussite ou l’échec de certaines campagnes de réforme, ils analysent rarement en profondeur la substance intellectuelle des débats sociaux. Comme en témoignent, par exemple, les travaux de Michael Freeden, les idées économiques et politiques infléchissent l’élaboration des politiques sociales en limitant le nombre de choix possibles et en justifiant les projets défendus par les réformateurs, les groupes d’intérêts et les partis politiques[32].
Bien qu’il ne concerne pas directement la protection sociale, le travail de Peter Hall au sujet des politiques économiques prouve qu’une prise en compte systématique des idées est possible dans le cadre d’une perspective néo-institutionnaliste élargie. D’après cet auteur, un paradigme politique ( policy paradigm ) constitue un modèle interprétatif, une vision des choses que partagent certains acteurs politiques. Plus précisément, il s’agit d’une « structure d’idées et de normes qui spécifient non seulement les objectifs des politiques et le type d’instruments qui peuvent être mobilisés pour les atteindre, mais aussi la nature même des problèmes qu’ils doivent affronter[33] ». À la fois techniques et philosophiques, les paradigmes politiques orientent les choix et les stratégies à long terme des décideurs et des mouvements sociaux préoccupés par le débat législatif.
Pour enrichir l’analyse des paradigmes politiques, il convient d’explorer les différentes formes d’inscription à l’ordre du jour ( agenda setting ) qui marquent l’histoire des politiques sociales. En règle générale, la notion d’inscription à l’ordre du jour désigne la construction des problèmes sociaux qui sont — ou devraient être — pris en charge par l’État. Fait plus important encore, elle renvoie au processus par lequel les médias, le choc provoqué par des événements dramatiques (crise économique, attaque militaire) ou la mobilisation des réformateurs et des mouvements sociaux placent ces problèmes au coeur du débat politique [34]. D’après John Kingdon, les « entrepreneurs politiques » (journalistes, réformateurs, mouvements sociaux) jouent d’ailleurs un rôle essentiel dans la vie politique en rendant certaines questions inévitables aux yeux du législateur[35]. La multiplication récente des « boîtes à idées » ( think tanks ) en Amérique du Nord ainsi qu’au Royaume-Uni rend compte de ce phénomène. Sans dicter l’ordre du jour à la classe politique, ces organisations à but non lucratif — le plus souvent proches des milieux conservateurs — participent directement à la construction des problèmes sociaux et à l’inscription à l’ordre du jour de certaines questions législatives. De plus, les « boîtes à idées » s’efforcent d’infléchir les choix politiques en préparant des rapports et des propositions susceptibles d’« éclairer le législateur ». Le rôle de ces organisations atteste la place centrale des réseaux d’experts dans la réforme des politiques sociales. Réunis au sein d’organisations nationales et internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international), ces experts fournissent des outils intellectuels aux fonctionnaires et aux différents acteurs politiques engagés dans le débat sur la protection sociale. L’influence de ces réseaux varie toutefois en fonction des institutions politiques nationales. Dans un système politique fragmenté comme celui des États-Unis, par exemple, les « boîtes à idées » ont beau jeu d’influencer directement les membres du Congrès, qui ne sont pas liés par la discipline de parti caractéristique du système parlementaire britannique. Pour cette raison, ces organisations paraissent jouer un rôle plus significatif aux États-Unis qu’au Canada ou au Royaume-Uni[36].
Par rapport à la notion vague de « valeurs nationales », le concept de paradigme favorise une compréhension à la fois plus précise (principes techniques) et plus globale (réseaux internationaux) des choix intellectuels au fondement des politiques sociales. Qui plus est, l’analyse systématique des paradigmes politiques est inséparable de la question de l’influence du secteur privé dans les délibérations politiques. Historiquement, les principes actuariels et les modèles économiques forgés par le secteur privé et, plus particulièrement, les compagnies d’assurances jouent un rôle considérable dans la structuration intellectuelle du monde de l’assurance sociale. Un exemple frappant de la fonction intellectuelle prééminente du secteur privé est la domination, durant le New Deal, du discours actuariel des compagnies d’assurances[37]. Récemment, la logique financière qui accompagne l’essor des marchés boursiers dans les années 1990 apparaît comme l’une des sources premières du mouvement international en faveur de la « privatisation » des pensions de vieillesse — c’est-à-dire le remplacement total ou partiel de l’assurance sociale par des systèmes d’épargne individuelle. L’euphorie financière et la multiplication des régimes d’épargne-retraite (REÉR, etc.) qui caractérisent la présente décennie stimule donc l’émergence d’un paradigme financier qui, notamment grâce aux réseaux internationaux d’experts, se propage à l’échelle planétaire[38]. Mais, sur le plan national, la croisade en faveur de la « privatisation » des pensions de vieillesse connaît de nombreux ratés et ce, en raison des contraintes institutionnelles décrites par P. Pierson : devant la menace d’un passage à l’épargne obligatoire, les bénéficiaires — présents et futurs — des systèmes publics de retraite font souvent barrage à ces projets néolibéraux. Cet exemple illustre les liens qui se font jour entre les paradigmes politiques (idées), les logiques institutionnelles (institutions) et l’influence du secteur privé (intérêts). Cette articulation peut se résumer ainsi : le secteur privé est le vecteur d’intérêts et de principes économiques qui constituent à la fois des obstacles (protection d’entreprise) et des sources d’inspiration (paradigmes) pour des acteurs politiques qui agissent dans un système de pouvoir structuré par les institutions politiques et les programmes sociaux existants. Structures formelles stables et logique historique inhérente aux rétroactions politiques encadrent donc le jeu des acteurs, lesquels mobilisent des paradigmes inséparables de la « division du travail » entre l’État et le marché qu’a analysée par G. Esping-Andersen[39].
Champ, habitus et institutions
Pour approfondir l’articulation théorique formulée dans cet article, il serait souhaitable à l’avenir de se référer à la notion de champ, d’abord formulée par P. Bourdieu. Malgré l’influence des forces socio-économiques mentionnées précédemment, les acteurs politiques jouissent en effet d’une certaine autonomie, celle-là même du champ politique dans lequel ils agissent. Contrairement au modèle formulé par P. Bourdieu, il faut toutefois reconnaître l’influence prédominante des institutions politiques dans la structuration du champ politique. Espace de compétition féroce, ce dernier repose sur des « règles du jeu » institutionnelles et symboliques qui infléchissent généralement les stratégies des acteurs politiques. Il possède sa logique propre, distincte de celle du champ économique ou du champ littéraire, par exemple. Plus précisément, le champ politique apparaît comme un espace de jeu dans lequel la compétition féroce à laquelle se livrent les élus — et ceux qui souhaitent se faire élire — génère différents biens symboliques offerts à l’approbation des électeurs : analyses, discours, idéologies, programmes, projets de réforme, etc.[40]. Pour occuper une position dominante au sein du champ, les acteurs politiques s’efforcent d’accumuler un maximum de capital politique, le plus souvent en démontrant aux électeurs la qualité supérieure des biens symboliques offerts. Loin de refléter la logique économique du choix rationnel, le champ politique s’enracine dans des règles sociales et institutionnelles historiquement construites.
La notion d’habitus montre à quel point la logique du champ est différente du modèle de l’action rationnelle. Sorte de « programme » susceptible de guider les acteurs, l’habitus cristallise la logique du champ tout en servant d’intermédiaire entre les « règles du jeu » objectives et les stratégies individuelles[41]. En favorisant l’intériorisation de la dynamique institutionnelle du champ politique, il structure au moins partiellement les décisions des différents acteurs politiques. En mettant l’accent sur l’apprentissage par l’acteur des normes implicites et explicites inhérentes au champ politique, la notion d’habitus jette donc une lumière sur les contraintes institutionnelles telles qu’elles sont assimilées par les décideurs. Dans le domaine de la protection sociale, cette notion pourrait permettre d’analyser plus en profondeur la structuration des contraintes et des occasions institutionnelles qui, directement ou indirectement, façonnent les décisions politiques[42].
Les notions de champ et d’habitus pourraient contribuer à l’articulation théorique des logiques institutionnelles, des variables socio-économiques et des stratégies des acteurs politiques en dévoilant le haut degré de structuration qui caractérise l’élaboration des politiques sociales. Tout en renvoyant à l’autonomie du champ et des acteurs politiques, ces notions pourraient rendre compte de la complexité des règles qui entourent les choix et les stratégies des réformateurs et de la classe politique[43]. Inséparable des rétroactions politiques émanant des secteurs public et privé, cette logique institutionnelle est donc historique, changeante, toujours structurée par l’apprentissage social. De plus, le champ politique reste en permanence ouvert sur le monde extérieur, notamment par l’intermédiaire des réseaux internationaux d’experts qui fournissent des « munitions intellectuelles » aux acteurs politiques nationaux. L’influence intellectuelle exercée par le secteur privé, les « boîtes à idées » ou les organisations internationales peut d’ailleurs, dans certains cas, contribuer à la structuration du champ politique en créant des impératifs idéologiques susceptibles d’orienter les stratégies des acteurs. Le choix d’un paradigme politique reflète donc les « règles du jeu » (implicites et explicites) médiatisées par l’habitus de chaque acteur politique. Un exemple de ce type de structuration : l’instauration du régime de retraite fédéral américain durant le New Deal, qui atteste de l’influence indirecte du secteur privé et du modèle de la prévoyance individuelle dans le champ politique américain. Même en cette période de remarquable autonomie institutionnelle que fut le New Deal, la structuration de ce champ — qui renvoie à l’influence intellectuelle du secteur privé médiatisée par l’habitus du Président — a infléchi largement les décisions de l’équipe Roosevelt[44]. Comme le prouve l’étude du paradigme rooseveltien, la reprise de méthodes et de principes chers aux compagnies d’assurances se place au service de stratégies politiques autonomes, qui reflètent les rapports de force à l’intérieur même du champ politique américain. En mobilisant une rhétorique assurancielle mâtinée d’individualisme, l’équipe Roosevelt s’est efforcé en effet de fabriquer des biens symboliques susceptibles de recevoir l’appui massif de la population tout en contrant un projet alternatif jugé trop coûteux (Plan Townsend). Dans le champ politique américain de l’époque, les références à l’efficacité du secteur privé reflètent l’habitus libéral dominant et, fait plus important encore, servent des fins politiques précises. Cette dernière remarque renvoie à la fois à l’autonomie du champ politique (fins et stratégies spécifiques) et à l’influence du secteur privé dans la construction de l’habitus dominant (discours politique sur les vertus des méthodes élaborées par les compagnies d’assurances).
Les concepts de champ et d’habitus permettent ainsi d’élargir le spectre heuristique du néo-institutionnalisme historique en soulignant le caractère systématique des logiques idéologiques et institutionnelles qui structurent l’élaboration des politiques publiques. En plus de tenir compte des règles institutionnelles formelles et de l’impact des politiques établies, les acteurs politiques forgent des stratégies — et prennent des décisions — qui reflètent moins une rationalité de type économique que les contraintes idéologiques inhérentes au champ politique[45]. Ces contraintes changeantes, qui façonnent leurs choix intellectuels, s’incarnent de manière souple dans leur habitus, véritable médiation entre les choix individuels et les principaux éléments structurants du champ (intérêts, paradigmes et logiques institutionnelles). Au lieu de procéder à un quelconque « choix rationnel », l’acteur mobilise donc les ressources intellectuelles et stratégiques de son habitus pour manoeuvrer au sein d’un champ politique largement structuré par des rétroactions institutionnelles.
Conclusion
Les pistes de réflexion tracées dans cet article enrichissent la perspective néo-institutionnaliste au sujet du développement des politiques sociales. Pour rendre compte du contenu des choix politiques opérés par les décideurs, il paraît en effet nécessaire d’explorer les liens entre les institutions politiques et les deux facteurs socio-économiques suivants : la structuration historique d’intérêts économiques inséparables des mesures de protection sociales offertes par le secteur privé ; la diffusion d’idées et de paradigmes politiques par l’entremise des réseaux d’experts. Pour montrer l’articulation entre les idées, les institutions et les intérêts économiques, il serait toutefois injuste et faux de nier l’autonomie des dynamiques politiques et institutionnelles. Dans cette perspective, les notions de champ et d’habitus pourraient favoriser une lecture plus fine des processus décisionnels à l’origine des grands programmes sociaux européens et nord-américains. Au-delà d’un modèle purement institutionnel, il est en fait primordial d’étudier systématiquement l’imbrication des forces socio-économiques et des logiques institutionnelles dans l’histoire comparée des politiques sociales.
Certes, des efforts d’articulation théorique supplémentaires seront nécessaires pour enrichir et clarifier l’approche néo-institutionnelle élargie proposée ici. Des recherches empiriques devront également tester les hypothèses théoriques esquissées précédemment. À ce stade du travail d’élaboration théorique, on peut toutefois affirmer que l’intégration des variables socio-économiques dans le cadre élargi du néo-institutionnalisme historique est non seulement souhaitable mais aussi nécessaire à l’étude comparée des États-providence.
Appendices
Note sur l’auteur
Daniel Béland
Professeur adjoint au département de sociologie de l’Université de Calgary (Alberta). Il a publié Une sécurité libérale? La politique des retraites aux États-Unis, Paris, LGDJ, 2001 et de nombreux articles sur la protection sociale dans : Cahiers de recherche sociologique, Droit social, Esprit, Futuribles, Journal of Public Policy, L’Année de la régulation, Policy and Politics, Political Quarterly, Revista Mexicana de Sociología, Revue canadienne d’études américaines, Revue française de science politique, Revue française des affaires sociales et West European Politics. Il poursuit actuellement des recherches sur l’histoire et les transformations contemporaines de la protection sociale.
Notes
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La problématique exposée dans le présent article se trouve esquissée dans Daniel Béland, Une sécurité libérale? La politique des retraites aux États-Unis, Paris, L.G.D.J. (Collection « Droit et Société »), 2001 ainsi que dans D. Béland et Jacob S. Hacker, « Ideas, Private Institutions, and American Welfare State “Exceptionalism” », International Journal of Social Welfare (à paraître). L’auteur tient à remercier Linda Cardinal, J. Hacker, André Lecours, Bruno Théret, François Vergniolle de Chantal ainsi que trois examinateurs anonymes pour leurs commentaires.
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D’après Peter Hall et Rosemary Taylor, il existerait trois types de néo-institutionnalisme (historique, sociologique, du choix rationnel). Dans le domaine de la protection sociale, seul le néo-institutionnalisme historique s’est imposé : P. A. Hall et R. C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française de science politique, vol. 47, n o 3-4, 1997, p. 469-495.
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[2]
Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of SocialPolicy in the United States, Cambridge, Belknap Press, 1992. Aux États-Unis, cet ouvrage a remporté au moins cinq récompenses nationales décernées notamment par l’American Sociological Association et l’American Political Science Association. Une partie significative de la littérature néo-institutionnaliste se trouve répertoriée dans la suite de l’article.
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Comme le souligne B. Théret, les trois « I » sont inévitablement liés les uns aux autres. Loin d’exister en vase clos, ces trois niveaux de réalité se structurent mutuellement, de manière dialectique. Par exemple, les institutions constituent à la fois des structures d’incitations (intérêts) et des cadres intellectuels susceptibles d’inspirer l’action politique (idées). En sens inverse, les idées sous-tendent les réformes institutionnelles tout en structurant la construction des intérêts sociaux : B. Théret, « Institutions et institutionnalismes : vers une convergence des conceptions de l’institution ? » dans Innovations institutionnelles et territoires, sous la dir. de Michèle Tallard, B. Théret et Didier Uri, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 25-68.
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[4]
Daniel Levine, Poverty and Society : The Growth of the American Welfare State in International Comparison, New Brunswick, Rutgers University Press, 1988, p. 11.
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[5]
Seymour Martin Lipset, Continental Divide : The Values and Institutions of the United States and Canada, New York, Routledge, 1990.
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[6]
Roy Lubove, The Struggle for Social Security, 1900-1935, Cambridge, Harvard University Press, 1968.
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[7]
Harold M. Wilensky, The Welfare State and Equality : Structural and Ideological Roots of Public Expenditures, Berkeley, University of California Press, 1975, p. 47.
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[8]
Gøsta Esping-Andersen, Politics Against Markets : The Social Democratic Road to Power, Princeton, Princeton University Press, 1985 ; Walter Korpi, The Democratic Class Struggle, Boston, Routledge and Kegan Paul, 1983.
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[9]
La thèse dite du « progressisme corporatif » ( corporate liberalism ) est très symptomatique à cet égard. Selon les tenants de cette thèse, le contenu des réformes sociales du New Deal aurait largement été dicté par la frange réformatrice de la classe capitaliste. Voir Edward D. Berkowitz et Kim McQuaid, Creating the Welfare State : The Political Economy of the 20th Century Reforms (2e édition), Kansas University Press, 1994 [1980] ; William Domhoff, « Corporate-Liberal Theory and the Social Security Act : A Chapter in the Sociology of Knowledge », Politics and Society, vol. 15, no 3, 1986-1987, p. 297-330 ; Peter Swenson, « Arranged Alliance : Business Interest in the New Deal », Politics and Society, vol. 25, no 1, 1997, p. 66-116.
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[10]
Le titre du plus célèbre « manifeste » néo-institutionnaliste est tout à fait révélateur : Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer et T. Skocpol, Bringing the StateBack In, New York, Cambridge University Press, 1985.
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[11]
Comme le souligne François-Xavier Merrien, le concept d’État qu’emploient les néo-institutionnalistes est généralement trop monolithique et ne tient pas suffisamment compte de l’autonomie variable de la puissance publique dans chaque histoire nationale : L’État-providence, Paris, Presses universitaires de France (Collection Que sais-je? no 3249), 1997. Au fil des ans, les néo-institutionnalistes ont toutefois formulé une vision plus complexe des rapports entre l’État et la société, par exemple : T. Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers.
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[12]
Parmi une littérature pléthorique, citons quelques références essentielles : P. A. Hall et R. C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes » ; Ellen M. Immergut, « The Theoretical Core of New Institutionalism », Politics and Society, vol. 26, no 1, 1998, p. 5-34 ; Sven Steinmo, Kathleen Thelen et Franck Longstreth (dir.), Structuring Politics : Historical Institutionalism in Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; Margaret Weir, Ann Schola Orloff et T. Skocpol (dir.), The Politics of Social Policy in theUnited States, Princeton, Princeton University Press, 1988.
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[13]
Par exemple : T. Skocpol, Social Policy in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1995.
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[14]
Les travaux de Victoria C. Hattam et de William E. Forbath sur l’engagement politique des syndicats illustrent d’ailleurs l’impact des décisions de la Cour suprême sur les acteurs politiques américains après la Guerre civile : V. Hattam, LaborVisions and State Power : The Origins of Business Unionism in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1993 et W. Forbath, Law and the Shaping of the American Labor Movement, Cambridge, Harvard University Press, 1991.
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[15]
E. Immergut, Health Politics : Interest and Institutions in Western Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. Dans un article récent, Stephen J. Kay applique avec succès la théorie néo-institutionnelle des « points de veto » au cas de la réforme des pensions de vieillesse en Amérique latine : S. Kay, « Unexpected Privatizations : Politics and Social Security Reform in the Southern Cone », Comparative Politics, vol. 31, no 4, 1999, p. 403-422.
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[16]
Une seule élection présidentielle américaine, celle de 1912, met aux prises trois partis politiques majeurs (Républicains, Démocrates, Progressistes).
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[17]
Antonia Maioni, Parting at the Crossroads : The Emergence of Health Insurance in the United States and Canada, Princeton, Princeton University Press, 1998.
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[18]
Ce processus d’apprentissage social est décrit par Hugh Heclo dans un ouvrage désormais classique : Modern Social Politics in Britain and Sweden, New Haven, Yale University Press, 1974. À propos de ce processus, voir également P. A. Hall, « Policy Paradigms, Social Learning, and the State : The Case of Economic Policymaking in Britain », Comparative Politics, vol. 25, 1993, p. 275-296 et Desmond King et Randall Hansen, « Experts at Work : Social Learning and Eugenic Sterilization in 1930s Britain », British Journal of Political Science, vol. 29, Partie 1, 1999, p. 77-107.
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[19]
T. Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers.
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[20]
L’idée de rétroaction politique n’est pas nécessairement synonyme de déterminisme rigide. Par exemple, les systèmes de protection sociale créés dans l’aprèsguerre peuvent dévier de la voie institutionnelle tracée par l’Histoire. Voir Bruno Palier et Giuliano Bonoli, « Phénomènes de path dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue française de science politique, vol. 49, no 3, 1999, p. 399-420.
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[21]
P. Pierson, « The New Politics of the Welfare State, » World Politics, vol. 48, 1996, p. 143-179.
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[22]
Aux États-Unis, l’AARP ( American Association for Retired Persons ) est généralement considérée comme l’archétype du groupe d’intérêt lié aux programmes sociaux existants, surtout l’assurance-vieillesse ( Social Security ). Selon Paul Light, les observateurs américains ont d’ailleurs tendance à exagérer le pouvoir de cette organisation hétérogène : P. Light, Still Artful Work : the Continuing Politics ofSocial Security Reform (2 e édition), New York, McGraw-Hill, 1995 [1985]. Au sujet de cette organisation, voir Charles R. Morris, The AARP : America’s Most Powerful Lobby and the Clash of Generations, New York, Times Book, 1996.
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[23]
P. Pierson, « The New Politics of the Welfare State » ; voir aussi Dismantling theWelfare State ? : Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment, Oxford, Cambridge University Press, 1994 ; et « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics », American Political Science Review, vol. 94, no 2, 2000, p. 251-267. Au sujet de la notion de path dependence, on lira également J. Hacker, « The Historical Logic of National Health Insurance : Structure and Sequence in the Development of British, Canadian, and U.S. Medical Policy », Studies in American Political Development, vol. 12, 1998, p. 57-130. Voir aussi D. Béland et F. Vergniolle de Chantal, « Fédéralisme et réforme des politiques sociales aux États-Unis : les présidences Clinton », Revue française de science politique, vol. 50, no 6, 2000, p. 883-913.
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[24]
D. Béland, « Does Labor Matter ? Institutions, Labor Unions and Pension Reform in France and the United States », Journal of Public Policy, vol. 21, no 1, 2001, p. 133-152. Voir aussi S. Kay, « Unexpected Privatizations ».
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[25]
Hace Sorel Tishler, Self-Reliance and Social Security, 1870-1917, Port Washington, National University Publications, 1971.
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[26]
L’ouvrage de Stephen Skowronek sur la présidence américaine s’inscrit généralement dans ce type de structuralisme rigide : The Politics Presidents Make : Leadership from John Adams to Bill Clinton (2 e édition), Cambridge, Belknap Press, 1997 [1993].
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[27]
Colin Gordon, « Why No Health Insurance in the United States ? The Limits of Social Provision in War and Peace, 1941-1948 », Journal of Policy History, vol. 9, no 3, 1997, p. 277-310.
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[28]
J. Hacker, The Divided Welfare State : The Battle over Public and Private Social Benefits in the United States, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.
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[29]
G. Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne, Paris, PUF, 1999 [1990] ; Richard M. Titmuss, Essays on ‘The Welfare State’ (2e édition), Londres, Unwin University Press, 1963 [1958].
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[30]
La notion de paradigme désigne ici un ensemble stable de techniques et de représentations socio-économiques qui orientent l’action des experts et des acteurs politiques engagés dans l’élaboration des politiques publiques. Le concept de paradigme se rapproche ainsi de la notion de référentiel formulée par Bruno Jobert et Pierre Muller, L’État en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.
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[31]
F.-X. Merrien, L’État-providence, p. 65-79.
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[32]
Michael Freeden, The New Liberalism : An Ideology of Social Reform, Oxford, Oxford University Press, 1978. Dans ce texte tout comme dans l’oeuvre de M. Freeden, le terme « idéologie » ne renvoie pas à un modèle marxiste fondé sur l’opposition entre superstructure idéelle et infrastructure économique. Comme il sera montré, les paradigmes mobilisés par les acteurs renvoient à l’autonomie du champ politique, lequel n’est toutefois jamais entièrement isolé des réalités économiques (voir plus loin).
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[33]
P. A. Hall, « Policy Paradigms », p. 279. D’autres auteurs néo-institutionnalistes commencent à se pencher sur le rôle des idées dans l’élaboration des politiques sociales. Voir Fritz W. Scharpf et Vivien A. Schmidt (dir.), Welfare and Work in the Open Economy : From Vulnerability to Competitiveness, Oxford, Oxford University Press, 2001.
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[34]
Frank L. Baumgartner et Brian D. Jones, Agendas and Instability in American Politics, Chicago, University of Chicago Press, 1993.
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[35]
John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policy (2e édition), New York, Harper Collins, 1995 [1984].
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[36]
D. Béland, « Expertise et politique des retraites : l’influence des think tanks aux États-Unis », L’année de la régulation, vol. 4, 2000, p. 251-274. Voir également Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1999 ; Diane Stone, Andrew Denham et Mark Garnett (dir.), Think Tanks Across Nations : AComparative Approach, Manchester, Manchester University Press, 1998.
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[37]
Raymond Richards, Closing the Door to Destitution. The Shaping of the Social Security Acts of the United States and New Zealand, University Park, Pennsylvania State University Press, 1994.
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[38]
D. Béland et Alex Waddan, « From Thatcher (and Pinochet) to Clinton ? Conservative Think Tanks, Foreign Models and US Pensions Reform », Political Quarterly, vol. 71, no 2, 2000, p. 202-210 ; Jill Quadagno, « Creating a Capital Investment Welfare State », American Sociological Review, vol. 64, n o 1, 1999, p. 1-10 ; Steven M. Teles, « The Dialectics of Trust : Ideas, Finance and Pensions Privatization in the US and UK », communication présentée lors de la conférence annuelle de l’Association for Public Policy Analysis and Management, New York, 29-31 octobre 1998.
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[39]
G. Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence.
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[40]
Pierre Bourdieu, cité par Alain Accardo et Pierre Corcuff (dir.), La sociologie dePierre Bourdieu. Textes choisis et commentés, Bordeaux, Le Mascaret, 1986, p. 123.
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[41]
Pour une excellente discussion concernant la notion d’habitus, on lira P. Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 133-136. Au Canada, Gilles Paquet se réfère à la notion d’habitus depuis plusieurs années. Voir G. Paquet, « Gouvernance distribuée et habitus centralisateur », Mémoires de la Société royale du Canada, série VI, tome VI, 1995, p. 93-107.
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[42]
Dans un article récent, Michel Peillon souligne également l’intérêt de la notion de champ dans l’étude des relations entre l’administration étatique et les prestataires de l’aide sociale. Voir M. Peillon, « Bourdieu’s Field and the Sociology of Welfare », Journal of Social Policy, vol. 27, n o 2, 1998, p. 213-229.
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[43]
Malheureusement, P. Bourdieu ne nous aide guère à saisir le contenu spécifique des réformes en raison de sa conception rigide de l’habitus. Comme le souligne Bernard Lahire, il est cependant possible d’enrichir ce concept pour prendre en considération l’innovation et l’autonomie individuelle. Voir B. Lahire, « De la théorie de l’habitus à une sociologie psychologique », dans Le travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, sous la dir. de B. Lahire, Paris, La Découverte, 1999, p. 121-152.
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[44]
Au sujet de l’autonomie de l’État fédéral durant le New Deal, voir Chenet Finegold et T. Skocpol, State and Party in America’s New Deal, Madison, University of Wisconsin Press, 1995 ; T. Skocpol, Social Policy in the United States.
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Depuis quelques années, P. Pierson s’efforce d’articuler théorie du choix rationnel et néo-institutionnalisme historique. P. Pierson, « Increasing Returns ». La mobilisation des concepts de champ et d’habitus dans le cadre du néo-institutionnalisme historique constitue en quelque sorte un modèle alternatif à la tentative de synthèse théorique esquissée par P. Pierson