Abstracts
Résumé
Cette analyse se penche sur l’ouvrage de Shõmei Tõmatsu 11 ji 02 fun(11 : 02 Nagasaki), au sein duquel il travaille la ruine comme un motif particulier s’insérant au coeur d’un récit visuel. L’auteur examine également comment ce photographe transforme la ruine en un élément narratif pour expérimenter une nouvelle approche de la photographie afin de s’éloigner des conventions de la photographie réaliste de l’après-guerre japonais.
Abstract
This article intends to trace the historical transformation of the ruins. It starts with the work of Shõmei Tõmatsu 11 ji 02 fun (11 : 02 Nagasaki), in which the artist uses ruins as a “motif” fitting into a narrative visual fiction. This essay also examine how this photographer transforms ruins into a narrative element to try out a new approach of photography, moving away from the Japanese post-war period conventions of realistic photography.
Article body
A photographer looks at everything, which is why he must look from beginning to end. Face the subject head-on, stare fixedly, turn the entire body into an eye and face the world. The human who bets on looking-that is a photographer.
Tõmatsu, 2006 : 29[1]
It was only from ruins that the country could start anew. The ultimate ruin is the atomic wasteland. […] The atomic wasteland is an entirely new kind of ruin, one that first appeared in the mid-twentieth century. […] I, who had thought of ruins only as the transmutation of the cityscape, learned that ruins lie within people as well.
Tõmatsu, 1966 : 113-115[2]
Le 6 août 1945, à 8 h 15, le « little boy » comme l’ont surnommé les pilotes américains est lâché sur Hiroshima, puis le 9 août, le « fat man » est largué sur Nagasaki. Le jour même, des images[3] du drame sont réalisées quelques heures à peine après l’explosion des bombes. Yoshito Matsushige[4], Mitsugi Kishida, Gonichi Kimura photographièrent[5] les décombres de la catastrophe d’Hiroshima. À Nagasaki, Hiromichi Matsuda enregistre la propagation du feu sur la ville, tandis que Yosuke Yamahata et Torahiko Ogawa immortalisent les décombres de la ville, à plus de deux kilomètres de l’épicentre, ainsi qu’un quartier résidentiel ravagé par les flammes et par la violence de l’impact. Au lendemain de l’explosion, Yosuke Yamahata, accompagné du peintre Eiji Yamada et de l’écrivain Jun Higashi, réalise 119 photographies[6] des ruines de Nagasaki. Il est encore aujourd’hui le photographe qui a effectué le plus grand nombre de clichés de la catastrophe de Nagasaki[7]. À partir du 15 août, d’autres photographes comme Eiichi Matsumoto, Shigeo Hayashi et Shunkiki Kikuchi se rendent à Hiroshima et à Nagasaki et commencent des panoramas précis sur les deux villes afin d’enregistrer les ruines et les dommages causés aux infrastructures et aux administrations. L’année suivante, le New Yorker[8] publie un numéro spécial sur Hiroshima, qui constitue, à l’exception de quelques publications clandestines, la « seule » source d’informations sur Hiroshima et sur le drame pour les Japonais.
Quand, en 1951 (Yomota, 1990 : 33), le traité de San Francisco redonna au Japon sa souveraineté, la diffusion des informations est enfin autorisée et, l’année suivante, de nombreux écrits[9] sont consacrés à la bombe atomique. La censure sur les images d’Hiroshima et de Nagasaki ne prend fin qu’en 1952, soit sept ans après le largage des bombes et quatre mois après la fin de l’occupation américaine. Dans le cadre de ce texte, nous nous concentrerons sur les ruines japonaises photographiées par Shõmei Tõmatsu dans son ouvrage 11 ji 02 fun(11 : 02 Nagasaki) (1966), décrites par Shunji Ito dans ces termes :
L’église Urakami qui s’est effondrée sous le souffle de la bombe ; les ruines de l’arsenal de la marine de Tokyokawa où coexistent des traces d’ombre et de lumière, les ruines de la chambre de l’industrie de Hiroshima […]. Les ruines vues à travers l’oeil de Shõmei Tõmatsu sont belles, tout simplement.
1990 : 43-47
Au-delà de la fascination qu’exercent les images de ruines, ce texte tentera de démontrer comment ce photographe réfléchit à la ruine[10] en transformant le fragmentaire en un élément iconographique s’insérant dans un récit visuel. Ce photographe envisage la ruine comme un motif et un concept. Elle n’est plus un simple processus de désintégration lié au temps, elle s’envisage plutôt comme la marque de l’histoire. Elle demeure la trace physique et visuelle de l’histoire tout en étant la structure d’un discours sur la mémoire. Il s’agit d’analyser les photographies prises à Nagasaki comme autant d’éléments constitutifs d’un récit visuel qui s’enracine dans un cadre historique : celui de l’après-guerre. Comment les ruines issues de la fulgurance d’une bombe atomique peuvent-elles devenir la trame d’une narration visuelle ? Comment penser ces photographies des ruines qui, comme toute photographie, « perpétue[nt] et bloque[nt] le souvenir » (Barthes, 1980 : 142) ?
L’échelle des ruines : monumentalité fragmentaire
En 1986, Tõmatsu déclarait :
[…] when I happened to acquire a camera, the first photographs I took were either of my girlfriend or taken with her in mind. My next subjects were military bases and ruins. […] I started photography under the shadow of the war.[11]
Quand il entreprend la série sur Nagasaki en 1960, Tõmatsu est déjà un photographe reconnu[12] : il est passé du statut de photographe amateur à celui de professionnel dès 1954, date à laquelle il intègre l’équipe de la revue Iwanami Shashin Bunko pour deux ans (Jeffrey, 2001 : 4), avant de réaliser de nombreux clichés[13] dépeignant la vie ouvrière des mineurs et des artisans. En juillet 1959, à 29 ans, il devient l’un des membres fondateurs de l’agence photographique Vivo[14] avec cinq autres photographes : Kikuji Kawada, Akira Sato, Akira Tanno, Ikko Narahara et Eikoh Hosoe[15]. Plusieurs d’entre eux trouveront une reconnaissance internationale dans les décennies suivantes[16]. Ce groupe défend une esthétique où domine la subjectivité du photographe, produisant des images à contre-courant de l’iconographie réaliste qui dominait les années de l’après-guerre : où la photographie servait d’empreinte visuelle transcrivant la réalité sociale.
L’une de ses premières séries en tant que reporter indépendant et membre de Vivo fut consacrée à une catastrophe climatique. Le 26 septembre 1959, le typhon Isewan déferle dans la baie Ise, à proximité de la ville de Nagoya, et tue plus de 5 000 personnes. Tõmatsu reçoit un télégramme de son frère lui annonçant que la maison de leur mère est détruite ; il se rend alors dans sa ville natale (Jeffrey, 2001 : 3). Il ne photographie ni les survivants, ni les dispositifs de secours : il braque son objectif sur les ruines et les décombres jonchant le sol. Sans-titre (Nagoya)[17] demeure l’image la plus célèbre de cette série. Elle décrit un amoncellement d’objets dont une botte en caoutchouc et une bouteille recouvertes par l’eau et la boue. La ruine chez Tõmatsu est liée non pas à l’architecture du lieu, mais aux objets divers. La ruine des objets devient un motif photographique agissant comme un déclencheur propice à briser les conventions de la photographie documentaire pour laisser place à la subjectivité du photographe[18]. Comme le souligne W. Schmied à propos de la peinture allemande après 1945 : « “la métaphore de la grande pluie ”, du “ déluge ” […] est liée à celle des ruines dans une vision globale du destin » (1996 : 159). Cette photographie, réalisée à partir de l’enregistrement d’un événement tragique, ne construit-elle pas une métaphore du Japon de l’après-guerre ? Sa reprise, le plus souvent en pleine page dans divers catalogues d’expositions et dans ses monographies[19], semble en tout cas le suggérer.
La série « Floods and The Japanese » (1959), à laquelle appartient cette image, joue sur la difficulté d’appréhension du sujet photographique. Par un évitement de toute frontalité combiné au plan rapproché, Tõmatsu met en place sa grammaire photographique créant des images mystérieuses où l’échelle de chaque objet est déformée. En somme, lors de la prise de vue, il établit un système accentué par un traitement minutieux des noirs au moment du tirage, qui lui permet de rendre compte de la dégradation des choses. Il rejoint les affirmations de Jun’ichirô Tanizaki, dans son ouvrage L’Éloge de l’ombre, publié une première fois en 1933. Cet auteur évoque le rapport sensoriel, poétique et visuel du noir en le mettant en parallèle avec le vieillissement de l’homme puis de la civilisation japonaise. Ce nouveau vocabulaire photographique se développe notamment dans plusieurs séries de Tõmatsu : « Home. Amakusa Kumamoto » (1959), celle liée à la ville de Nagasaki, et dans « Asphalt »[20] (1962). La première débute par des photographies de la maison vétuste de ses beaux-parents. Tõmatsu ne s’attarde pas sur l’architecture extérieure, ni sur le voisinage de la bâtisse, mais fixe tout au long de la série des objets laissés à l’abandon (évier, assiette) et certains animaux morts (rat, fourmis), les faisant glisser aux limites de l’abstraction à l’aide de plongées et de plans rapprochés. Tõmatsu joue avec les tailles de ses motifs, les déplaçant d’une échelle à l’autre. Une cuvette retournée occupe, par exemple, les trois quarts de l’image afin de solliciter le regard du spectateur. Les ruines photographiées par Tõmatsu insistent sur la matière et sur sa transformation du fait d’un cataclysme ou plus simplement de l’érosion du temps. Cette accumulation d’images rend perceptible l’atmosphère de la désintégration des objets, tout en donnant à l’ensemble de ses trois séries un caractère d’inachèvement.
Pour la série sur Nagasaki qui débute en 1961, le jeu de correspondances entre les objets est abandonné au profit d’une recherche visuelle construite sur et par la fragmentation, contribuant à une forme de « décontextualisation » et d’isolement de la figure. La montre présentée sur la couverture de l’ouvrage est l’illustration de cette démarche fragmentaire. Cette montre déterrée à environ 700 m du point d’impact de la bombe, dont le mécanisme s’est arrêté à l’heure de l’explosion, et conservée au musée de Nagasaki, renvoie de façon métonymique à la fulgurance de l’impact et à l’arrêt du temps. Cet objet inscrit la problématique de la rupture temporelle : rupture propre à l’événement qui devient le propos principal de l’ouvrage. Ce dernier est un inventaire d’objets hétérogènes « que la force de l’explosion et la température extrême ont déformés et fondus » (Yomota, 1990 : 37), recueillis au fur et à mesure des différents séjours du photographe dans cette ville[21] : « des morceaux de verre qui se sont incrustés dans les mains humaines, un casque métallique et les restes d’un crâne, une bouteille de bière tordue, des tuiles rongées par le feu, une dalle de ciment fissurée, etc. » (ibid.). Ils sont placés devant un mur ou une toile noire, c’est-à-dire devant un fond cherchant à mettre en valeur la plastique de l’objet. Toutes les figures sont cadrées en plan rapproché, isolant l’objet de son contexte, et photographiées sous des éclairages sophistiqués qui les transforment en sculpture. Par la série « Floods and The Japanese », puis par celle intitulée « Home. Amakusa Kumamoto », Tõmatsu élabore une esthétique de la ruine construite sur une approche de la matérialité de l’objet photographié, qui trouvera un développement important dans les images prises à Nagasaki. Ses mises en scène, ses cadrages, ses jeux de lumière transforment la surface et le volume de l’objet photographié. Ses interventions déterminent entièrement l’image, ouvrant plusieurs correspondances et métaphores visuelles.
Le principe d’esthétisation par la fragmentation et par la lumière atteint son paroxysme. Le traitement lumineux des rayons du soleil est la métaphore du feu destructeur de la bombe : « en effet, lorsque de telles charges explosent, elles libèrent une quantité d’énergie qu’on dit semblable à un petit soleil » (Lucken, 2006 : 6). La force de ses photographies réside dans la transposition métaphorique de la désintégration matérielle du corps des victimes en ruine. « I thought that the term ruins only referred to the devastated form of cities, but Nagasaki taught me that I could also be applied to human beings » (Koji, 1999 : 185)[22]. Ainsi, l’une des photographies de cet ouvrage représente le visage en plan rapproché de Tsuyo Kataoka. Par cette image, Tõmatsu rend visible sa dialectique construite non pas sur la ruine du corps, mais sur la jonction entre corps et ruines. Il manifeste un rapprochement ou, plus exactement, un principe d’équivalence entre la ruine et la cicatrice, adoptant l’idée que sa photographie s’élabore comme une sculpture du temps. Il cherche au travers de la ruine et des blessures, les signes d’altérités, en se concentrant sur les empreintes et sur les traces du temps. La peau devient une matière et une texture analogue aux matériaux architecturaux, mais soumise à une autre syntaxe photographique : Tõmatsu abandonne pour un temps la fragmentation. Les cicatrices sur ce visage renvoient autant à un événement privé (inscrit dans la biographie du modèle) qu’à un élément historique. Il réalise également le portrait d’un survivant, Yamaguchi Senji, en se penchant sur les cicatrices du cou et du visage, plongeant ainsi le regard du modèle dans le noir. Les blessures cicatrisées sur la peau s’articulent et s’interprètent comme les traces corporelles de la catastrophe vouées à une disparition plus rapide. En 1961, il réalise le portrait en pied de Sumako Fukuda[23], dans son intérieur. Les cicatrices de son bras rappellent les déchirures du papier peint ; il amplifie l’idée que la ruine de l’habitat fait écho à celle du corps. L’année suivante, il photographie en plan rapproché ce même bras au moment où cette survivante se peigne. L’éclairage spécifique accentue le parallèle entre la peau et le métal fondu et craquelé d’un brasero. Dans l’ouvrage, les deux images se répondent étrangement à quelques pages d’intervalle. À la dialectique de la désintégration des éléments architecturaux et des objets correspond la dialectique du corps comme empreinte d’un temps historique.
Tõmatsu réalise une théâtralisation sur deux niveaux : lors de sa prise de vue et dans la mise en page de 11 ji 02 fun(11 : 02 Nagasaki), confrontant ainsi le lecteur à la violence du choc de cette association entre les ruines et les corps mutilés des survivants. Dans cet ouvrage publié en 1966, les plans rapprochés d’objets alternent avec des ruines des arsenaux de la marine et de l’armée de terre, ainsi qu’avec celles d’une église catholique. Une progression apparaît alors dans sa démarche photographique : Tõmatsu insiste sur le devenir de la matière, de ces amas de ferraille et de pierres, initialement si solides, qui se désintègrent. L’effet de cette désintégration est amplifié par l’utilisation photographique de la fragmentation, morcelant et fragilisant tous les types de matériaux. Toutefois, ce principe d’enchaînement de fragments, pris dans divers lieux entre 1960 et 1966, construit un amalgame et conduit le lecteur à croire que toutes ces ruines sont des conséquences directes de Nagasaki. Or, à la différence de la série « Home », la ruine est ici envisagée pour son principe métonymique. Le fragment devient le symbole de la ruine d’un pays et du pouvoir de son empereur qui renonça à son statut d’incarnation du divin lors de la proclamation de la défaite du Japon, le 15 août 1945[24]. Les fragments d’objets, les ruines architecturales, la décrépitude des murs photographiés par Tõmatsu sont des touches visuelles servant la puissance évocatoire du lieu.
Lorsque Tõmatsu dirige son objectif photographique sur la cathédrale Urakami, il utilise la ruine pour inscrire ses images dans une histoire plus vaste que celle de la bombe atomique. En effet, les fragments sont là pour renvoyer à une histoire à actualiser. La ruine est couramment associée à la mémoire : mais à quelle mémoire et à quel événement ? D’un côté, Nagasaki, jusqu’à la fin de la période isolationniste du Japon, reste la seule fenêtre ouverte sur le monde extérieur (Reischauer, 1997 : 129-138). De l’autre, la ville était, dès le xixe siècle, l’un des pôles catholiques du Japon. En photographiant les ruines se trouvant dans le jardin qui entourait la cathédrale, Tõmatsu fait coïncider deux mémoires distinctes, celle d’un Japon historique et celle d’un lieu qui se trouvait à 600 m de l’épicentre. Le même site fut photographié quelques années auparavant par I. Narahara. Celui-ci avait lui aussi choisi de cadrer sa photographie sur un fragment de statue. Contrairement à l’image de Tõmatsu, une construction beaucoup plus récente s’y dresse en arrière-plan[25]. Ces deux clichés traduisent deux réflexions : celle de Narahara associe les débris de la guerre à une page d’histoire que le Japon tourne tandis que, pour Tõmatsu, le Japon des années 1960 demeure un pays défiguré, blessé, qui n’envisage pas l’avenir. La ruine constitue l’argument principal permettant à Tõmatsu d’évoquer les fragments comme des débris sculpturaux et non pas comme des fétiches (voir Wajemann, 1990). En conséquence, les sculptures se pensent non pas comme des éléments d’un passé à commémorer, mais comme une trace effective et persistante du temps.
Des objets aux ruines de la cathédrale ou aux arsenaux, plusieurs pistes d’interprétations s’ouvrent sur l’utilisation de la fragmentation par Tõmatsu. Elle serait la mise en scène la plus à même de représenter la tragédie de la bombe atomique, car le processus fragmentaire dévoile au fur et à mesure un espace. Un espace qui reste à déchiffrer, un lieu où se rencontrent toutes les configurations, toutes les logiques narratives et plastiques. La fragmentation s’analyse comme un point qui cristallise les métaphores, mais également comme une étendue mettant en question un système de relations, de développements, associant le passé et le présent dans une perpétuelle « histoire photographique ». La photographie devient un moyen de transcription artistique d’une expérience et non d’une restitution formelle. Pour Tõmatsu, le médium photographique ne rend pas compte d’un fait. Son ouvrage, 11 ji 02 fun (11 : 02 Nagasaki), met en image une dialectique entre déconstruction visuelle et reconstruction signifiante. Ainsi, la fragmentation isole les objets et les ruines de leur temps réel tout en favorisant un dépassement de leur passé et de leur présent. En utilisant la fragmentation et le changement d’échelle comme éléments d’interprétation et de compréhension d’une catastrophe[26], le photographe peut rendre compte de la dévastation et non pas de la catastrophe elle-même. Ses motifs photographiés ne s’appréhendent que dans une logique référentielle, d’une part, qu’en relation aux clichés précédents et, d’autre part, que comme des fragments d’une série beaucoup plus large qui aboutira au livre Haien (The Ruinous Garden) en 1987. Cet ouvrage s’interprète à la fois comme un témoignage visuel sur un drame et comme un des éléments d’une narration visuelle en devenir. Il instaure d’emblée une distance temporelle avec ses sujets, traitant non pas de l’événement en tant que tel mais bien de la subsistance de ses traces. Ses images insistent sur les limites topographiques et géographiques des lieux et sur ce qui, détruit, dévasté ou défiguré, n’a pas encore été remplacé. Il y a dans cette oeuvre une volonté de circonscrire une zone qui se traduit par un trouble, un manque, une occultation des traces et des phénomènes liés à la reconstruction de la ville.
Le projet de Tõmatsu interroge la possibilité pour l’oeuvre de rendre compte du temps alors que ses sujets semblent évoluer dans une autre dimension temporelle, celle d’un présent figé par l’explosion de la bombe. En photographiant la montre, par exemple, il va au-delà de l’objet pour traiter de la bombe atomique en signifiant que, quinze ans après le drame, le temps s’est arrêté pour de nombreux Japonais, tendus entre la mémoire et l’oubli. Xavier Martel note que cette image « souligne le seul point commun entre la destruction nucléaire et la création photographique : le temps figé, fixé » (2003 : 5-6). André Rouillé (1990 : 5) fait également l’analogie entre la photographie et la plaque sensible qu’est devenue la ville de Nagasaki, empreinte de l’image des corps photographiés par la radiation sur les murs. Tõmatsu écrit : « What I saw in Nagasaki was not merely the scars of war, it was a place were the post-war period had never ended » (Koji, 1999 : 194)[27]. Le présent de l’image se retrouve dans le présent de l’événement passé ; en somme, la photographie forme une ellipse temporelle, liée à une reconstruction de l’histoire. Outre la relation entre le sujet photographié et l’objet représenté, les photographies de Tõmatsu traduisent un investissement historique qui dépasse le domaine de l’esthétique. Pour figurer la réalité de la catastrophe passée, l’image de Tõmatsu doit passer par plusieurs détours signifiants qui s’opèrent sur le plan iconographique et chronologique, rendant sa photographie « a-temporelle ». Ainsi, ses clichés décrivent un panorama visuel où les oppositions et les correspondances se répondent. Comme tout cliché photographique, ses images n’évitent pas les fictions de la mémoire ; cependant, par son traitement particulier du motif des ruines, ses images activent un principe d’effritement référentiel mélangeant plusieurs réalités historiques qui s’accolent au sujet photographié. Le statut des ruines se transforme, elles deviennent une matrice.
La ruine intervient à différentes « strates » de l’image : à la fois indice et icône, elle est une image symbolique et une image structurelle. La ruine, chez ce photographe, désigne une image hybride oscillant entre une iconographie spécifique et une texture liée aux corps des survivants, qui sont toutes deux des manifestations de la vulnérabilité des éléments face à l’impact de la bombe. Or, l’acte de photographier chez Tõmatsu semble indissociable de la construction d’un récit. Ce qui se dégage de ses images, c’est, plus que la référence à une réalité historique, une virtuosité de la métaphore de la ruine, si bien que la notion de ruine s’agrandit en même temps que s’opère un changement de sa grammaire photographique. Entre les motifs de la ruine photographiée et la narration construite, les analogies et les interférences se multiplient, croisant les références dans divers espaces et divers temps.
La construction du récit visuel
Tõmatsu se rend à Nagasaki en 1960, deux ans après la publication du livre de Ken Domon intitulé Hiroshima (1958)[28]. Cet ouvrage présente un développement de la photographie réaliste dans le cadre d’un reportage sur l’après-guerre, dans une veine humaniste. L’émergence du réalisme photographique au Japon coïncide avec l’essor des grands noms du photojournalisme américain et européen : Robert Capa est invité par le journal Mainichi au Japon en 1954, tandis que Werner Bischof, autre membre de l’agence Magnum, fait un reportage sur le Japon qui ne sera publié qu’après sa mort en 1955 et qu’Henri Cartier-Bresson présente son concept de « l’instant décisif » lors de sa seconde rétrospective au Museum of Modern Art de Tokyo en 1965.
Ente 1954 et 1966, le problème de la bombe atomique revêt un caractère politique qui dépasse le simple enjeu de la mémoire des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki. En effet, lors d’un essai d’une bombe à hydrogène dans l’atoll de Bikini, plusieurs marins travaillant à bord du Fukuryû Maru seront irradiés[29]. L’opinion japonaise réagit violemment et, immédiatement, une pétition nationale, signée par plus de 20 millions d’individus[30], est lancée contre les bombes A et H. Sur le plan des institutions, les autorités réagissent en formant un conseil et en inaugurant le mémorial d’Hiroshima, tandis que dans la culture plus populaire naît Godzilla[31]. Ce monstre emblématique, qui terrasse Tokyo, est symptomatique du trauma japonais lié aux bombes. C’est dans ce contexte que Tõmatsu réalise une commande passé par le Conseil japonais contre les bombes atomiques et à hydrogènes. Celle-ci est destinée à soutenir une campagne contre les armes nucléaires afin de démontrer les conséquences de l’emploi de ces bombes. Le résultat est la parution, en 1961, d’un recueil photographique intitulé Document-Hiroshima-Nagasaki (Domon et Tõmatsu) dont le but est d’informer le public sur les effets réels des armes nucléaires. À cette fin, mais aussi pour toucher les pays qui possèdent déjà la bombe A et qui expérimentent, dès le début des années 1950, la bombe H, toutes les données sont traduites en anglais et en russe.
Aux photographies de Tõmatsu sur Nagasaki viennent s’ajouter une peinture intitulée Hiroshima-Nagasaki (1945) réalisée par Iri et Toshiko Maruki (voir Lucken, 2001 : 178-179) et surtout les photographies de K. Domon. Celui-ci fut le premier photographe japonais à dépasser le stade du photojournalisme. En effet, il inclut son médium photographique dans un processus narratif à visée historique. En 1957, il arrive à Hiroshima, pour le compte d’un hebdomadaire et, en neuf mois, réalise son recueil de photographies. Ses images publiées en 1958 sont considérées comme le paradigme de la photographie japonaise d’après-guerre. En tête de son ouvrage se trouve une photographie couleur, la seule, représentant, en plan rapproché, les mains croisées d’un homme d’âge mûr. Portrait pudique de la première victime officiellement reconnue dont les cicatrices sont encore tuméfiées :
[…] à elles seules, ces deux mains mutilées, croisées, muettes sans visage, racontent crûment le drame. Une séquence photographique détaille ensuite comment s’opère un prélèvement de peau saine sur la cuisse d’une victime souffrant d’une tumeur à la joue gauche. Puis un cliché montre la blessure cancéreuse, à l’arrière du crâne, d’une femme qui se trouvait à 800 m du point d’impact de la bombe et qui mourra quelque temps après la prise de vue. Une nouvelle séquence rend compte des opérations et de la mort d’un adolescent atteint de leucémie chronique.
Yomata, 1990 : 35
D’autres séquences suivent, illustrant les établissements d’enfants attardés, les orphelinats ou les instituts pour aveugles. Pour K. Domon, la ruine s’applique au corps et non pas aux constructions. Le corps ruiné ne l’est pas définitivement, il est appelé à se reconstruire. Il signifie à la fois une blessure et une cicatrice qui commence à s’effacer. Tõmatsu utilise le vocabulaire photographique de Domon en ne limitant pas ses modèles aux corps humains mais en les étendant aux objets. Il alterne, alors, les images : une peau en gros plan, brûlée, irradiée, fait face à une bouteille fondue par la chaleur d’une explosion qui évoque un membre écorché. Si Domon photographie la peau des victimes durant leurs opérations chirurgicales, témoignant d’une possible guérison, Tõmatsu présente le visage meurtri d’une femme dans son quotidien, stigmatisant l’immuable.
La présentation, l’alternance, les motifs et les objets inclus dans la série Nagasaki semblent issus d’une revendication esthétique, d’une volonté de Tõmatsu de dépasser la ruine des corps, le temps des corps, et d’une volonté d’inscrire ses photographies dans un récit qui ne soit pas réduit à la simple accumulation de séquences dont le sujet serait délimité. Ni les paysages en ruine ni ses portraits ne permettent de déceler l’évènement historique en tant que tel : ils sont des témoignages en image, une écriture par l’image. Plus précisément, ses photographies sont à voir comme des possibilités de création d’un témoignage qui est non pas une finalité mais un processus. Contrairement à Domon qui, dans son reportage, développe un argumentaire efficace sur l’horreur de l’après bombe, Tõmatsu installe sa production dans une narration qui semble se détacher du contexte du documentaire afin de réécrire les conventions de ce genre. Sa pratique photographique ne se réclame aucunement d’une fonction informative liée au reportage. La part de monstration, inhérente à une pratique de reportage photographique, n’est nullement niée, mais elle n’est plus sa finalité. Le drame et le pathos ne forment plus les conditions premières de l’image. Cette distance entre la catastrophe et la prise de vue induit une forme de récit plus ou moins fictionnelle sur le lieu et sur les traces pérennes de l’événement. Alain Sayag analyse l’oeuvre de Tõmatsu comme une volonté d’organiser le flot des images en un récit lié à une
constante de la photographie japonaise des années 1960, due sans doute au fait que le mode de diffusion demeurait la publication et plus particulièrement le livre.
1986 : 471
Ce photographe a travaillé la ruine comme motif qui n’arrête pas le Temps. Par le médium photographique, il transforme la ruine en un élément narratif pour travailler sur l’inachèvement et pour penser le paradoxe intrinsèque de la photographie : le temps figé. Plus précisément, c’est par la construction d’une narration visuelle, non argumentative, qu’il interroge le paradoxe photographique. Ses séries d’images s’envisagent comme les matrices de ses futurs travaux. En 1987, Tõmatsu publie The Ruinous Garden[32] où plusieurs séries photographiques s’entremêlent. L’ouvrage se présente comme une synthèse de son travail sur les ruines. Il débute par des photographies extraites de sa série « Scene inside and Outside the Capital », qui s’enchaînent avec plusieurs images issues de 11 ji 02 fun (11 : 02 Nagasaki), deux images de la série « House » de 1959, puis une image de la série « I am a King » de 1963. Ensuite, une image extraite de « Landscape » (1961) s’insère entre une photographie de la série « House » et celle de la série « Asphalt » (1962). Cette proposition photographique n’est pas d’ordre chronologique, elle se construit sur des rapprochements visuels. L’intérêt réside non pas dans l’élaboration d’une monographie mais bien dans la création d’un livre d’artiste dans lequel l’image des ruines réactive le souvenir des lieux de mémoire. Le récit photographique intervient comme l’élément qui les rend manifestes. M. Frizot souligne que
[…] les lieux de mémoire se justifient autant par rapport à ce que l’on en sait qu’à ce que l’on en éprouve visuellement. […] Ils n’ont de réalité que dans la mise à l’épreuve, dans l’image que l’on en garde et dans une relation de présence reconduite.
1998 : 11
Appendices
Note biographique
Cyril Thomas
Cyril Thomas est doctorant en histoire de l’art contemporain à l’Université de Paris X-Nanterre sous la direction de Claude Frontisi. Il enseigne à l’Université Paris 8-Saint-Denis pour la maîtrise des sciences et des techniques (MST) au Département photographie et multimédia. Il est membre du Centre de recherche Pierre Francastel.
Notes
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[1]
« Un photographe regarde tout, c’est pourquoi il doit regarder du début à la fin. Être face au sujet, le regarder fixement, faire de son corps un oeil et affronter le monde. Être photographe, c’est parier sur le regard » (notre traduction, dorénavant nt). L’auteur tient à remercier Valentine Morizot pour l’aide apportée lors de la traduction. Afin de faciliter la lecture, les titres des ouvrages en japonais sont traduits, dans la mesure du possible, en anglais entre parenthèses.
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[2]
« Ce n’est qu’en construisant sur des ruines que le pays a pu renaître, et le paysage post-atomique constitue le degré ultime de ruines, […] un type de ruines entièrement nouveau, apparu au milieu du xxe siècle. […] Je n’envisageais les ruines qu’en tant que vestiges urbains, j’ai alors appris à les trouver aussi à l’intérieur des êtres humains » (nt).
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[3]
Signalons que Toshio Fukada photographia le champignon atomique. Comme le précise M. Lucken, les premières images du drame furent prises par l’équipage de l’Enola Gay (2006 : 23).
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[4]
Ibid. : 4-25. Pour une chronologie des diverses interventions photographiques sur ces villes, se reporter également aux textes de Tsutomu Iwakura et de Ryuichi Kaneko regroupés dans le catalogue Kaku – Hangenki (1995 : 12-14 et 21-24).
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[5]
Pour une liste exhaustive des photographes et de leurs clichés, se reporter à S. Ienaga (1993) et à l’ouvrage de Goldstein, Dillon et Wenger (1995).
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[6]
L’ensemble des images est disponible sur Internet. En ligne : www.peace-museum.org (page consultée le 7 mai 2007).
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[7]
Yamahata ne se contente pas de faire des panoramas des ruines, il photographie également les blessés, les cadavres laissés à l’abandon ainsi que l’organisation des secours. Pour une analyse précise de ses images, se reporter à Lucken (2006).
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[8]
Qui contient l’article intitulé « Hiroshima » rédigé par J. Hersey, dans lequel l’auteur rapporte le témoignage de six survivants.
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[9]
Dans son article, I. Yomota donne quelques exemples (1990 : 33-34) ; à ceux-ci nous pouvons ajouter le texte de G. Bataille (1988 : 175-178) – il cite le témoignage de M. Tanimoto recueilli par J. Hersey (1946) et le témoignage du docteur Hachiya (1956) – ; sans oublier, dans un registre plus romanesque, le scénario et les dialogues de M. Duras dans le film d’Alain Resnais en 1959 et les pensées de D. de Rougemont dans son essai publié aux États-Unis en 1946 (voir Rougemont, 1991). Pour une approche littéraire et poétique, se reporter aux ouvrages de K. Oe (1985) et de S. Kurihara (1999).
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[10]
Il s’agit ici d’approfondir la mise en place du rapport qu’entretient Tõmatsu avec la ruine dans les années 1960. Pour sa production photographique plus récente, se reporter à M. Kozloff (1991).
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[11]
Ses écrits furent traduits en anglais par G. Frew, dans T. Koji (1999 : 184). « Quand je me suis acheté un appareil photo, j’ai commencé par prendre des photos de mon amie ou des photos qui me faisaient penser à elle. Ensuite, je suis passé aux bases militaires et aux ruines. Je me suis mis à la photographie dans l’ombre de la guerre » (nt). Dans un autre écrit, le photographe précise : « It was not until the war ended that I began to notice the ruins » (ibid.) ; « La guerre n’était pas terminée, que je commençais déjà à m’intéresser aux ruines » (nt).
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[12]
Ses photographies sont régulièrement publiées dans la presse. En outre, il a déjà reçu en 1958 un prix de l’Association des critiques photographiques japonais et en 1959 celui du journal Mainichi. Pour une liste des journaux auxquels il collabora, se reporter à L. Rubinfien (2004 : 18).
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[13]
Se reporter à la série Pottery Town, Seto, Aichi de 1954.
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[14]
Vivo, créée en 1959, est une agence autogérée. Elle fonctionnera jusqu’en 1961. Elle se compose d’un bureau administratif et d’un laboratoire photographique installés dans le quartier de Ginza à Tokyo. Elle a organisé trois expositions collectives à la galerie Konishiroku. Le regroupement de ces six photographes n’est pas anodin, ils ont tous participé en 1957 à l’exposition Eyes of Ten à Tokyo où Tõmatsu a exposé sa série « Barge Children’s School ». Pour de plus amples informations, se reporter à Wilker Tucker (2003 : 217).
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[15]
Pour un aperçu de la production de K. Kawada, voir Szarkowski et Yamagishi (1974) ; pour un aperçu de celle de I. Narahara, voir Moterosso et Bauret (2002) ; enfin pour une idée de la production de E. Hosoe, se reporter à la monographie de M. Holborn (1999), ainsi qu’au catalogue de l’exposition (Holborn, 1986).
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[16]
A. Sayag va plus loin et affirme que « c’est durant les années 60 que se développa l’essentiel de l’oeuvre de ces photographes qui ont définitivement imposé un style de photographie qualifié de “moderne” » (1986 : 470).
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[17]
Cette image appartient à la série « Floods and The Japanese », réalisée en 1959 dans la région de Nagoya. Cette série sera reproduite en 1967 dans son ouvrage intitulé Nippon.
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[18]
Sa ville natale devient l’enjeu d’une nouvelle approche photographique mais suscite également plusieurs réflexions parsemées au fil de ses écrits. À titre d’exemple : « It is said that when “the nation falls, the mountains and rivers remain” but it would be truer to say “the nation falls, the ruin remain”. Nagoya, where I lived during the war, was bombed numerous times by the Americans. The city was pounded by bombs and burnt by incendiarie until it became one vast ruin. Despite this, the devastation made little impression on me, I wonder if living in the midst of destruction, my feelings were numbed in the same way that living so close to death banished fear » (Koji, 1999 : 184). « On dit : “une nation disparaît, mais les montagnes et les fleuves demeurent”. Il serait plus juste de dire “une nation disparaît, mais les ruines demeurent”. La ville de Nagoya, où j’ai vécu pendant la guerre, a été bombardée de nombreuses fois par les Américains. Elle a été pilonnée et incendiée jusqu’à n’être plus qu’un vaste champ de ruines. Et pourtant, cette dévastation m’a laissé relativement indifférent. Je me demande si le fait de vivre dans un monde marqué par la destruction a pu émousser ma sensibilité, de la même manière que vivre en présence de la mort supprime la peur » (nt).
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[19]
Se reporter aux ouvrages de S. Tõmatsu (1969) et K. Ueno (1999).
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[20]
Se reporter à deux catalogues d’expositions : Interface : Tõmatsu Shõmei, Tokyo, National Museum of Modern Art, 1996 et Shõmei Tõmatsu, Japan 1952-1981, Graz, Austria Fotogalerie im Forum Stadtpark, 1984.
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[21]
Il revient longuement dans ses écrits sur ses nombreux séjours à Nagasaki : « The combination of the shock I experienced when I visited the town, with the feelings of self-loathing made me become very involved with the Nagasaki. This feeling led me to visit Nagasaki again the following year and again the year after that. It became a quest without any recognizable goal » (Koji, 1999 : 185). « Lorsque j’ai visité cette ville, je fus saisi par un double sentiment, d’un côté le choc de la ville et de l’autre un sentiment de répugnance liée à ma pratique. Ce sentiment m’a incité à revenir à Nagasaki, l’année suivante puis plusieurs fois encore. C’était devenu comme une recherche sans véritable but » (nt).
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[22]
« Je pensais que le mot ruine ne s’appliquait qu’aux villes détruites, mais Nagasaki m’a appris qu’il s’appliquait également aux êtres humains » (nt).
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[23]
Se reporter au poème de Sumako Fukuda (dans Vance-Watkins et Mariko, 1995). I. Jeffrey rapporte la lettre écrite en 1974 par le photographe à cette survivante : « La première fois que je suis venu vous rendre visite […], j’étais trop intimidé pour prendre la moindre photographie, mais vous m’y avez incité […]. J’ai lu le récit de votre vie […], vous écriviez : “[…] Il me revient de raconter au monde le destin des victimes de la bombe, je suis la seule à pouvoir le faire.” C’était parce que vous étiez “ la seule à pouvoir le faire” que vous vous trouviez en face de mon appareil photo et je me demandais si c’était parce que j’étais “le seul à pouvoir le faire” que j’appuyai sur le déclencheur » (2001 : 82).
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[24]
Pour les détails de son discours et les conditions de l’occupation américaine, se reporter à J. Gravereau (1993 : 111-137).
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[25]
Le photographe précise que « c’est sa première photographie en couleur publiée dans Photography Magazine en 1954 » (Monterosso et Bauret, 2002 : 197).
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[26]
Voir A. Le brun (1991). La catastrophe selon cette auteure implique un renversement du rapport de l’humain à l’inhumain.
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[27]
« Ce que j’ai vu à Nagasaki, ce n’étaient pas uniquement les cicatrices de la guerre, c’était une ville où l’après-guerre n’avait jamais cessé » (nt).
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[28]
On se reportera également à Domon (1978 et 1983-1985).
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[29]
« L’un de ses marins, Kubyoma Aikichi, va décéder six mois plus tard, devenant le premier martyr nucléaire du temps de paix » (Gravereau, 1993 : 330-331).
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[30]
« Elle paraît dans le journal Mainichi entre août et septembre 1954 » (ibid. : 331).
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[31]
Se reporter à la filmographie de Ishirõ Honda. Le premier Godzilla sortit en salle en 1954.
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[32]
Précisément, certaines images de Document-Hiroshima-Nagasaki seront publiées lors de la réédition de l’ouvrage de 1966 (voir Tõmatsu, 1995). Plusieurs images de son ouvrage de 1966 seront intégrées dans celui de 1967, puis dans celui de 1969 avant d’être publiées dans son recueil de 1987.
Références bibliographiques
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- ———— [1978] : Ikiteiru Hiroshima (Living Hiroshima), Tokyo, Tsukiji Shokan ;
- ———— [1983-1985] : Domon Ken zenshü (The Complete Works of KenDomon), 13 vol., Tokyo, Shõgakukan.
- Domon, K. et S. Tõmatsu [1961] : Document-Hiroshima-Nagasaki, Tokyo, Japan Council Against A- and H- Bombs.
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- Hersey, J. [1946] : « Hiroshima », The New Yorker, 31 août.
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