Abstracts
Résumé
Cet article propose une réflexion sur l’intégration de dimensions de long terme dans une démarche ergonomique, permise par l’articulation entre approche ergonomique, médecine du travail et analyse démographique. Une recherche centrée sur une problématique de troubles musculo-squelettiques en entreprise constitue le fil-guide de cet article.
Après avoir présenté des éléments de contexte scientifique et social suggérant d’appréhender des processus à long terme pour étudier les relations entre travail et santé, nous insistons sur les méthodes utilisées et leur complémentarité recherchée, puis nous revenons sur les principaux résultats qui relèvent de trois grands types de processus (« régulation », « usure » et « sélection »).
Nous interrogeons, au-delà de cette recherche, les possibilités pour l’ergonomie de développer des moyens d’analyse qui dépassent le cadre temporel de l’observation instantanée, en lui assignant une nouvelle place dans un modèle plus large de compréhension des relations entre santé et travail.
Mots-clés :
- troubles musculo-squelettiques,
- régulation,
- usure,
- sélection,
- approche diachronique,
- méthode combinée
Abstract
This article looks at the possibility of integrating long-term dimensions into ergonomics, which could be done by combining the ergonomics approach, occupational medicine, and demographic analysis. Work-related musculoskeletal disorders represent the common thread of this article.
After presenting the theoretical framework, which focuses on long-term approaches to studying the relation between health and work, we concentrate on the methods used and how they complement each other to achieve better results. We then take another look at the main results, which belong to three kinds of processes (adjustments, wear and tear, and selection).
Above and beyond this study, we question the capacity of ergonomics to create and develop analysis methods that extend beyond the short-term temporal framework. In so doing, we suggest that ergonomics go one step further and take on a new role in a larger model of the relation between health and work.
Keywords:
- musculoskeletal disorders,
- adjustments,
- wear and tear,
- selection,
- diachronic method,
- combined method
Resumen
Este artículo propone una reflexión sobre la integración de dimensiones de largo plazo en un enfoque ergonómico, permitida por la articulación entre enfoque ergonómico, medicina del trabajo y análisis demográfico. Una investigación centrada en un problemática de trastornos musculoesqueléticos en la empresa constituye el hilo conductor de este artículo. Después de presentar los elementos de contexto científico y social que sugieren procesos a largo plazo para el estudio de las relaciones entre trabajo y salud, insistimos en los métodos utilizados y la complementariedad buscada, para luego volver a los principales resultados que relevan de tres grande tipos de procesos («regulación», «desgaste y «selección»).
Más allá de esta investigación, cuestionamos la posibilidad que la ergonomía pueda desarrollar medios analíticos que vayan más allá del marco temporal de la observación instantánea, asignándole un lugar nuevo en un modelo más amplio de comprensión de las relaciones entre salud y trabajo.
Palabras clave:
- trastornos musculoesqueléticos,
- regulación,
- desgaste,
- selección,
- enfoque diacrónico,
- método combinado
Article body
Nous proposons dans cet article une réflexion sur l’intégration des dimensions de long terme en santé au travail dans une démarche ergonomique, en articulation avec les analyses d’activité que celle-ci privilégie, a priori centrées sur l’observation immédiate. Nous avons élaboré une méthodologie en ce sens à l’occasion d’une recherche portant sur la genèse et les régulations des douleurs articulaires liées au travail au sein d’une grande entreprise du secteur aéronautique. En l’occurrence, nous avons articulé l’approche ergonomique, centrale dans cette recherche, et les apports de la médecine du travail d’une part, et de l’analyse démographique d’autre part. C’est cette articulation, à notre sens, qui a permis d’adopter, dans cette recherche, une perspective de long terme qui n’est pas usuelle en ergonomie. Cette recherche nous servira de fil-guide.
Pour préciser notre propos, nous pouvons nous référer à l’abondante littérature consacrée aux liens entre certains phénomènes d’intensification du travail et la survenue de problèmes de santé (Cole et Wells, 2002 ; Vezina et coll., 2003 ; Volkoff et coll., 2010). Au-delà de ces constats essentiels et bien établis, il semble utile de s’écarter d’une vision causale directe entre exposition à certains facteurs de risques et émergence de problèmes de santé : même au sein de l’épidémiologie où prédomine cette manière d’articuler travail et santé, non sans critiques ni tensions comme le souligne bien l’article de C.O. Betansedi dans ce numéro, les relations entre le travail et la santé apparaissent complexes, enchevêtrées, et inscrites dans des dynamiques temporelles à long terme. Dans une perspective de prévention, voire de construction de la santé au travail,
« le nécessaire élargissement de l’empan temporel pour démêler l’écheveau des relations entre la santé et le travail conduit à convoquer différentes approches disciplinaires » (Molinié et Pueyo, 2012, p. 238).
Dans cette perspective, notre article commencera par présenter des éléments de contexte scientifique et social qui suggèrent d’appréhender des processus à long terme pour étudier les relations entre travail et santé. Puis il insistera sur les méthodes et leur complémentarité recherchée : exploitation d’un observatoire statistique longitudinal des conditions de travail et de la santé ; analyses de l’activité de travail ; entretiens rétrospectifs avec des compagnons[1] ; monographies de réaffectations pour raison de santé, etc. Les principaux résultats seront indiqués à cette occasion, sans en faire une présentation détaillée qui dépasserait le cadre d’un tel article. Ceux-ci relèvent de trois grands types de processus que nous avons désignés respectivement comme « régulation », « usure » et « sélection ».
Au-delà de cette recherche sur les troubles musculo-squelettiques (TMS), et en nous appuyant sur les avancées qu’elle a permises, mais aussi sur les difficultés qu’il a fallu surmonter, nous interrogerons les possibilités pour l’ergonomie de développer des moyens d’analyse qui dépassent le cadre temporel de l’observation instantanée, sans bien sûr renoncer à celle-ci, mais en lui assignant une nouvelle place dans un modèle plus large de compréhension des relations entre santé et travail.
1. L’ergonomie, enfermée dans le temps court ?
Les multiples facettes de l’activité de travail, ses variations incessantes, ses composantes invisibles (coups d’œil, attention prêtée à des sons – ou à leur absence – et surtout processus de raisonnement et de décision) ne la rendent pas aisément accessible à qui souhaite la comprendre. Si la mission des ergonomes est (a minima) de comprendre le travail pour le transformer, l’ergonomie tend à centrer ses analyses sur l’observation immédiate. C’est d’ailleurs pour Laville (1998) ce qui fait sa force, mais aussi sa faiblesse : à la manière d’un microscope, les analyses révèlent des éléments du travail très fins ou précis ; en revanche il est difficile par le seul usage des observations d’accéder aux dynamiques temporelles des changements du et dans le travail. Toutefois, l’ergonomie peut aussi se réclamer de modèles de la santé qui adoptent une perspective diachronique, c’est-à-dire une approche qui articule des catégories du temps, en tentant de prendre en compte des temporalités multiples (des individus, des collectifs, des organisations) et leur enchevêtrement, des expositions et des effets différés, et plus généralement des processus à long terme.
Cette approche se justifie particulièrement s’agissant de problèmes de santé comme les TMS, dont on parlera ici. C’est d’autant plus nécessaire, mais aussi davantage faisable, s’agissant d’une entreprise de grande taille à « marché interne », avec l’enjeu de parcours professionnels et l’évolution des équilibres démographiques.
1.1 Quel modèle de la santé au travail en ergonomie ?
La prise en compte des temps longs en ergonomie ne peut être déconnectée des modèles de la santé (et de la santé au travail) sur lesquels la discipline s’appuie. Il nous semble utile de proposer d’abord quelques jalons majeurs sur les points de vue de l’ergonomie vis-à-vis de la santé.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit en 1946 la santé comme
« un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ».
Selon l’approche de nos travaux, cette définition de l’OMS a la qualité d’appréhender l’être humain dans la globalité de ses différentes dimensions (biologiques, psychiques, cognitives, sociales) mais demeure réductrice. Beaucoup d’ergonomes, et de psychologues du travail, considèrent que la santé n’est pas un état binaire (être – ou pas – en santé) ; la santé parfaite n’existe pas. Il y a bien un équilibre dynamique à prendre en compte, tout au long de la vie (Rabardel et coll., 1998). De plus, cet équilibre dynamique n’est pas totalement inné ou extrinsèque : il se construit. Il y a bien donc l’idée que la santé est étroitement liée avec les moyens dont on dispose pour tracer un chemin personnel et original vers un état de bien-être physique, psychique, moral (Dejours, 1995). Cette question des « moyens » développée par Dejours semble complémentaire à l’approche philosophique proposée par Canguilhem (2002) pour qui la santé est
« une assurance vécue au double sens d’assurance contre le risque et d’audace pour le courir » (p. 61).
Mais comment le travail intervient-il dans cette dynamique ? Dans une approche développementale de l’ergonomie (Falzon, 2013), une des assurances possibles est le fait d’être compétent, au sens que de Montmollin (1993) donne à ce terme :
« La santé cognitive, c’est être compétent, c’est-à-dire disposer de compétences qui permettent d’être embauché, de réussir, de progresser. L’ignorance, les connaissances approchées ou en mosaïque, peuvent conduire à une misère cognitive, source éventuellement de misère sociale » (p. 39).
On retrouve donc bien, à travers ces apports, une autorisation à proposer un modèle de la santé au travail comme processuel et constructif avec en son centre un travailleur actif dans sa situation. On retrouve dans la littérature scientifique d’autres travaux en ergonomie qui prennent la dimension diachronique en compte, avec par exemple des éléments sous-jacents dans les recherches sur la conception d’un travail soutenable tout au long de la vie (Volkoff et Gaudart, 2015), ou la construction des gestuelles de métier avec l’expérience (Chassaing, 2010). Le caractère novateur de notre recherche, du moins l’envisageons‑nous ainsi, réside dans le fait que l’ensemble de notre démarche a été construit autour de cette dimension diachronique, ce qui a impliqué une réflexion méthodologique (problématique, recueil et analyse des données) pour tenter de capter les effets du travail et de la santé passés.
Cette approche des temps longs s’appuie aussi sur les résultats des recherches sur le vieillissement au travail. Dès l’introduction d’un récent ouvrage qui synthétise les recherches du réseau CREAPT[2], Molinié et coll. (2012) argumentent l’idée selon laquelle le vieillissement ne renvoie pas aux caractéristiques de la population au-delà d’un certain seuil d’âge. Il est plutôt considéré comme un processus, intégrant des dimensions d’involution et de construction, et se déroulant tout au long de la vie. Cette approche du vieillissement au travail était exprimée de longue date, puisque la notion de vieillissement pris comme un processus apparaît dans les travaux des ergonomes dès 1975, puis se développe dans les années 80 sur la prise en compte de la diversité de la population dans le travail. Toutefois, à l’époque, elle
« s’est élaborée en se focalisant sur les enjeux du moment, c’est-à-dire une forte représentation des âges médians. Le contexte actuel permet de repenser cet enjeu de la diversité sous l’angle du côtoiement des générations au travail. […] La mise en lien de l’âge, de la santé et du travail implique des outils méthodologiques pour saisir du diachronique le plus en lien possible avec l’activité de travail passée » (Gaudart et coll., 2006, p. 475).
Dans ces recherches, largement centrées sur les relations entre l’âge, le travail et la santé, la lecture diachronique de ces liens s’impose ainsi d’elle-même. Anne-Françoise Molinié et Valérie Pueyo (2012, op. cit.) ont schématisé « l’écheveau » ainsi constitué. Pour caractériser notre approche ici, nous adopterons, dans la figure 1 ci-dessous, une version allégée de ce schéma – en laissant notamment de côté les préoccupations spécifiques aux fins de vie active et à la santé post-professionnelle.
Le travail (T) et la santé (S) sont représentés ici comme deux axes sur lesquels l’individu progresse en parallèle. Les trois flèches qui vont de l’un à l’autre symbolisent respectivement : les modes de « régulation » individuelle et collective des contraintes et nuisances, dans l’activité de travail, mis en œuvre dans un but de préservation de soi et de construction de sa santé ; les formes « d’usure », de santé dégradée, qui peuvent apparaître quand ces régulations n’ont pu se mettre en œuvre ou n’ont pas suffi ; et les mécanismes de « sélection » sur lesquels peut déboucher une dégradation de la santé, due ou non à l’usure, dès lors que les exigences du travail s’avèrent incompatibles avec des capacités de travail déficientes. Ces trois processus sont ceux que notre méthodologie visait à éclairer, et sur lesquels porteront les quelques résultats que nous présenterons dans une dernière partie de l’article, à titre d’exemple.
1.2 Le caractère évolutif des douleurs articulaires, favorable à une approche diachronique ?
Notre référence à un modèle diachronique d’approche des interactions entre la santé et le travail tout au long de l’itinéraire professionnel trouve des justifications particulières s’agissant des douleurs articulaires (Vézina, 2010). On peut citer à ce propos des travaux en épidémiologie, comme ceux synthétisés par Plouvier et coll. (2010) et Plouvier (2011). L’auteure a souligné que des expositions professionnelles à des contraintes biomécaniques telles que porter des charges lourdes, effectuer des tâches nécessitant de se pencher ou de se tourner sont bien des facteurs de risques reconnus de lombalgies, et bien documentés ; en revanche, elle constate que les durées entre le début des expositions professionnelles et l’apparition des effets sur les lombalgies sont moins, voire très peu, documentées. Sa propre recherche constitue une contribution en ce sens.
La nécessité de prendre en compte les relations santé-travail avec une perspective de long terme ressort aussi du rapport DGT (Direction générale du travail) relatif à la prévention durable des TMS (Caroly et coll., 2008). Cette approche semble d’autant plus indiquée pour la compréhension des TMS lorsqu’on prête attention par exemple aux résultats des travaux de Silverstein et coll. (2006) ou ceux d’Aptel et Vézina (2008) relatifs à l’étiologie des TMS ; ces auteurs montrent que les TMS peuvent se caractériser par la succession de phases de dégradation et d’amélioration, d’épisodes aigus qui peuvent devenir chroniques par le jeu de processus physiopathologiques inscrits dans un continuum irrégulier. Celui-ci s’amorce dans le domaine du bien-être physique, mental et social, et peut évoluer vers la pathologie chronicisée. Mais ce continuum demeure complexe à identifier ou modéliser, car il n’y a pas de décours univoque d’un TMS (Aublet-Cuvelier et coll., 2006 ; Cole et coll., 2002 ; Major et Vézina, 2010 ; Major, 2011) : après être apparues sur une articulation, les douleurs articulaires peuvent s’estomper plus ou moins longtemps, ou se déplacer vers une autre articulation, ou réapparaître sur l’articulation initialement touchée, etc. Un TMS est donc multidéterminé et polymorphe quant à la manière dont il va évoluer, ce qui justifie selon Aptel et Vézina (op. cit.) que malgré les grands progrès faits dans la compréhension et les actions sur les TMS dans les années 2000, des connaissances font encore défaut pour représenter les effets du travail sur les capacités fonctionnelles de l’appareil locomoteur. Il existe donc un réel intérêt scientifique mais aussi social à développer des méthodologies qui prennent en compte les temps longs pour la compréhension et l’action sur les TMS (Wells, 2009).
2. Les enjeux du « temps long » dans l’entreprise concernée
2.1 La construction de parcours professionnels, un enjeu pour cette entreprise
Notre terrain de recherche est un établissement situé en Île-de-France, spécialisé dans la conception, la fabrication et la réparation de pièces aéronautiques, essentiellement en matériaux composites.
Quelques éléments ont une pertinence dans notre étude, car son passé marque la vie de l’entreprise au moins de deux manières :
- Spatialement : à l’époque construite sur un terrain vague, l’usine est maintenant cernée par autoroute, voies de chemins de fer et immeubles d’habitation. Elle ne peut plus s’étendre et la surface au sol manque pour adapter les moyens de travail à la production actuelle. Les compagnons doivent composer avec l’organisation spatiale des moyens de travail, tels qu’on a pu les faire tous tenir dans l’atelier, comme avec l’espace disponible au poste de travail, parfois restreint.
- Dans la culture de l’entreprise : ce passé représente une composante prégnante dans l’identité du site ; une enquête par questionnaire interne a montré que les salariés sont fiers de leur histoire, de leur métier, de leur savoir-faire et des produits qu’ils réalisent. Mais d’un autre côté, nous avons dû faire face à des hiérarchies de production dont le discours est bien connu des ergonomes dans les situations à haut risque TMS :
« Oui c’est un poste dur, mais ça fait vingt ans que l’on fait comme ça, et on ne peut pas faire autrement. »
Dans la période de notre recherche (2008-2013), la production du site était assurée par environ 750 salariés, majoritairement en CDI, auxquels on pouvait ajouter les sous-traitants sur site et les intérimaires, soit environ 200 personnes supplémentaires. Parmi ces salariés, on comptait environ 450 techniciens d’ateliers et ouvriers, à 98 % de genre masculin, et d’âge médian voisin de 45 ans. L’effectif global était stable depuis 5 ans. Le turnover des personnels d’atelier était très faible ; la grande majorité d’entre eux était présente depuis le début de leur vie professionnelle, à deux ou trois années près. Ce faible turnover des compagnons accroît la préoccupation des médecins du travail du groupe en matière de TMS. Ce qu’ils constataient dans leur activité clinique a été appuyé par des résultats quantitatifs issus d’un observatoire en santé-travail, le dispositif EVREST (Mardon et coll., 2013 - voir encadré). Dans l’entreprise les prévalences de problèmes articulaires sont élevées, pratiquement du même ordre qu’au niveau national, alors que pour tous les autres problèmes de santé la situation dans cette entreprise semble nettement meilleure. De plus, la population de personnels d’atelier présente d’une part la prévalence la plus élevée, et d’autre part la plus forte augmentation avec l’âge.
2.2 Un contexte de recherche favorable : Le diachronique en santé/travail dans cette entreprise
Notre action dans cette entreprise s’inscrit elle aussi dans un temps long, concrétisé par un partenariat stabilisé avec notre équipe de recherche, partenariat qui a sa propre histoire. Celle-ci a pour origine la création dans l’entreprise d’un Département d’ergonomie en 1985 par une femme médecin du travail et ergonome qui en fut responsable jusqu’en 1988, date à laquelle elle prendra la tête du Département facteurs humains au sein de la direction générale (Gilles et Volkoff, 2009). À cette période, s’opèrent de profondes transformations technologiques et organisationnelles, avec une spécialisation des établissements et une vague massive de départs anticipés des salariés âgés de 56, voire 55 ans.
L’entreprise lance alors une réflexion sur la problématique du vieillissement au travail, après avoir rencontré des difficultés liées à ces départs anticipés. Ceux-ci avaient révélé des enjeux liés à des risques de perte de savoir-faire, dans un domaine, rappelons-le, à haut niveau de technicité où la fiabilité est un impératif (bien évidemment pour des raisons de sécurité des utilisateurs des aéronefs, mais aussi pour des raisons de coûts des produits et matériaux utilisés). Le Département d’ergonomie prend alors une place active dans la construction et la mise en place d’une démarche visant, entre autres, à fournir à la hiérarchie de production et aux ressources humaines des repères afin de prendre en compte les savoirs et savoir-faire des compagnons (Doppler, 1995).
Ces actions seront aussi l’occasion pour l’ergonomie de sortir les enjeux de santé d’une vision étroite de la prévention et de les intégrer aux enjeux de la conception du travail. Elles constitueront un premier arrière-plan implicite dans lequel se situeront, à partir de 2000, la construction et les résultats de l’outil statistique EVREST auquel nous avons largement fait appel, notamment pour des raisons que nous expliciterons plus loin dans cet article.
L’investissement de ces questions par le Département d’ergonomie vise donc à ouvrir la possibilité d’une prise en charge des processus de vieillissement dès la conception. Il juge important
« de prendre en compte et d’expliciter l’expérience professionnelle passée [des compagnons], leur savoir-faire. Il faut pouvoir intégrer le passé pour se projeter dans l’avenir. [...] La dimension historique est une caractéristique essentielle de la dynamique du fonctionnement humain qui est bien souvent oubliée dans le monde de l’entreprise. » (Doppler, 1995, p. 422).
À cette période, le Département d’ergonomie identifie donc l’intérêt et l’opportunité d’un partenariat stabilisé avec les chercheurs du CREAPT, qui eux-mêmes développent des recherches sur ces champs. L’entreprise adhère alors au Gis CREAPT, dont elle est encore à ce jour membre.
3. Un faisceau méthodologique
La démarche mise en œuvre dans cette entreprise a fait appel, à l’instar des démarches proposées par Mergler (1999) ou par Vézina et coll. (2003), à des outils d’analyse de formes et niveaux divers, que cette troisième partie vise à énumérer et préciser.
Notre premier parti pris méthodologique repose sur la volonté d’interroger, en accord avec le modèle que présentait la figure 1 : les stratégies mises en place avec l’expérience et qui permettent de tenir des enjeux en matière de santé ; les processus de construction ou d’usure ; ou enfin des éléments de mobilité professionnelle, indicateurs d’éventuels enjeux de santé. Considérer la dimension diachronique a notamment conduit à chercher au-delà de ce que l’on peut observer à un moment donné dans une situation de travail, en construisant une méthodologie qui permette d’accéder à des éléments ancrés dans des parcours professionnels. Ce choix nous a naturellement conduit à expérimenter des outils originaux articulant diverses approches (qualitatives, quantitatives) et divers niveaux de l’entreprise (du micro sur le poste de travail au macro à l’échelle du groupe industriel). Nous avons pour cela recherché la confrontation entre différents points de vue disciplinaires, en faisant dialoguer ergonomie, statistique et médecine du travail, comme l’avaient fait notamment Michel Sailly et coll. (1999), mais avec cette fois pour fil conducteur la diachronie.
La présentation des sources de données telle que nous la proposerons ci-après peut laisser penser à un déroulement chronologique du recueil de données, phase par phase. En réalité les diverses démarches ont été menées en parallèle ou sous formes séquencées au fil des années. Ce parti pris méthodologique a aussi eu pour effet de faire évoluer nos attentes sur ce projet. Ainsi, compte tenu de nos préoccupations, alors que certains choix méthodologiques ont émergé très tôt dans la recherche, d’autres ne sont apparus plus évidents qu’avec sa structuration progressive.
Pour essayer de comprendre les processus à long terme qui nous intéressaient, nous avons donc croisé différents types de données :
-
des exploitations de l’observatoire statistique EVREST en interne : exploitations quantitatives à un niveau macro, à l’échelle de l’entreprise, mais aussi à un niveau « méso », au niveau de l’établissement, ou enfin des exploitations plus qualitatives à un niveau micro avec un suivi individuel des réponses,
-
des observations de terrain, dans deux secteurs d’activité de l’usine,
-
des entretiens diachroniques avec neuf compagnons des deux secteurs en question,
-
des analyses des dossiers médicaux de salariés reclassés pour causes de problèmes ostéoarticulaires, ainsi que des documents de travail de la Commission maintien dans l’emploi de l’établissement[3].
Ces différentes sources de connaissance sont convoquées de façon articulée, pour éclairer les trois composantes annoncées de l’analyse diachronique. La figure 2 en donne une présentation générale, que nous expliciterons dans les paragraphes qui suivent.
Nous allons maintenant préciser les éléments de cette méthodologie en revenant sur chacune de ces sources de données, et en insistant, dans la perspective proposée pour le présent dossier, sur le positionnement spécifique de chacune d’elles.
3.1 L’observatoire EVREST
Le processus de conception du dispositif EVREST reflète un certain nombre de préoccupations ou de points de vue partagés par ses animateurs, locaux ou nationaux. Il nous paraît utile d’en rappeler quatre.
D’abord, les acteurs concernés partagent la conviction que les informations chiffrées relatives à des enjeux de santé en lien avec le travail qui circulent traditionnellement dans les entreprises présentent une faible validité pour étayer leurs préoccupations : les statistiques d’accidents du travail et de maladies professionnelles constituent généralement le socle de ces évaluations statistiques. Or, des travaux ont montré en quoi ces indicateurs peuvent être déficients pour la prévention, entre autres parce qu’ils se posent comme des outils de mesure alors qu’ils ont été conçus pour alimenter les pratiques de gestion des risques et de tarification (Lenoir, 1980 ; Daubas-Letourneux et Thébaud-Mony, 2001). Par ailleurs, d’autres indicateurs tels que les niveaux d’absentéisme ou de turnover, les journées de grève, les indicateurs de productivité ou de qualité entretiennent bien des liens avec la santé au travail mais de manière distendue ou indirecte. Cette conviction argumentait en faveur de l’élaboration d’un dispositif qui offre la possibilité de poser des liens entre le travail et la santé.
Ensuite, les médecins du travail et chercheurs qui ont conçu EVREST ont choisi d’aborder les enjeux de santé au travail sans préjuger du sens des relations causales entre ces deux termes, et en les inscrivant dans une perspective diachronique (Gilles et Volkoff, 2009). Ce choix sous-entend que le dispositif ne vise pas principalement à repérer des expositions au sens épidémiologique du terme (même s’il comporte des questions sur ce sujet), car cette notion d’exposition laisse « supposer que les opérateurs[4] sont passifs dans un environnement à risques » (Laville, 1998, p. 154). Or, les analyses en ergonomie montrent que les opérateurs agissent sur leurs conditions de travail selon les buts qu’ils se sont fixés et notamment pour préserver ou construire leur santé. Les stratégies déployées alors sont plus ou moins facilitées ou empêchées selon les marges de manœuvre dont ils disposent. Dans cette perspective, un questionnaire fondé non pas sur l’expertise d’un œil extérieur, mais sur les réponses des salariés peut présenter des qualités d’intégration, « les réponses des opérateurs traduisant à la fois une combinaison de contraintes et l’espace disponible pour leurs propres stratégies de préservation » (Volkoff, 2005, p. 29-30).
Une troisième préoccupation partagée par les concepteurs relevait de l’approche de la santé à retenir. Celle-ci intègre la recherche de troubles, appelés successivement dans les différents documents de travail : « symptômes infra-cliniques », puis « signes » et « troubles infra-pathologiques ». Ainsi, pour chaque dimension de la santé, les indicateurs figurant dans EVREST sont de trois ordres : la présence de signes et symptômes (validés ou non par des diagnostics médicaux) ; les gênes éventuelles dans le travail liées à ce trouble de santé ; et enfin la prise de traitement ou le suivi de soin. Dans la perspective de notre recherche, cette orientation est importante car elle renvoie à une acception élargie de la santé qui aborde les troubles de santé plus largement que comme la seule expression, ou le signe précurseur, de la pathologie. Dans cette conception, les « petits troubles », les douleurs, les gênes dans le travail, les plaintes deviennent des objets d’analyse en soi. Ils s’inscrivent parmi les « traces de la vie » (Wisner, 1981), de la vie professionnelle notamment. Dans une perspective longitudinale, ils représentent pour nous autant d’opportunités de reconstituer la genèse des problèmes ostéoarticulaires.
Enfin, la quatrième préoccupation relève d’une orientation méthodologique, inscrite dans un débat amorcé vers la fin des années 70, sur l’objectivation des conditions de travail (Prunier-Poulmaire et Gadbois, 2005). Le dispositif EVREST, en consultant, pour ce qui concerne le domaine du travail, non pas l’avis d’un expert « objectif » mais le point de vue du salarié sur son travail, déplace le médecin de l’expert vers l’enquêteur (Gilles et Volkoff, 2009). Cependant, la prise en compte des appréciations des salariés dans les démarches de quantification des caractéristiques du travail et de la santé renvoie à la question des risques liés aux mesures subjectives (Volkoff, 2005). Toute fiche de recueil de données est adressée, et les réponses formulées par les opérateurs questionnés dépendent de la représentation que ces derniers se font des attentes et objectifs du destinataire ou commanditaire (pouvoirs publics, employeurs, hiérarchie, syndicats, etc.). Ensuite, au fil des questions, il n’est pas toujours facile pour les opérateurs questionnés de dissocier différents éléments constitutifs de leur travail (Duquette et coll., 1997), et ceci d’autant plus que leurs réponses spontanées peuvent refléter une vision réductrice de leur activité et de leurs conditions de travail. Dans le même sens, pour Gollac (1997),
« les conditions de travail se traduisent par des sensations corporelles ou psychiques. Leur conscience et leur expression ne vont pas de soi. Au contraire, les individus ont tendance à « naturaliser » leurs conditions de travail, à ne pas les séparer du reste de l’expérience de leur travail » (p. 22).
Par ailleurs, les réponses peuvent aussi fluctuer selon l’activité ou l’humeur du jour, mais aussi des évènements récents. Plus problématique, pour certaines analyses en santé au travail, le sens des liens de causalité est difficilement identifiable : les réponses sur un aspect du travail peuvent dépendre de l’état de santé ; par exemple, Duquette et coll. (1997) ont découvert que le mal de dos renforce les appréciations négatives sur le maintien de postures difficiles, bien davantage que sur les efforts à produire. En outre, les appréciations des salariés peuvent aussi refléter des ignorances, voire des stratégies de défense. Enfin, et dans le cas de questionnaires longitudinaux ou répétés dans le temps, les réponses peuvent aussi être influencées par des processus sociaux, qui nuancent l’acceptabilité de conditions de travail dans un milieu donné (Gollac, 1997). Pour éviter ces biais potentiels, Teiger et Laville (1991) conseillent de mener parallèlement et avec eux une élucidation approfondie des questions. C’est ce que cette recherche nous a également amenés à réaliser.
3.2 Les observations d’activité
Compte tenu des informations que nous cherchions à recueillir, nous avions fixé pour but à nos observations de découvrir :
-
les éléments ou situations qui ont pu motiver les réponses du compagnon dans son dernier renseignement du questionnaire EVREST ;
-
les facteurs de risques TMS au poste (au sens de Buchmann et Landry, 2010), qui sont biomécaniques, mécaniques, d’ambiances physiques et psychosociaux ;
-
les buts qui organisent l’activité du compagnon ;
-
ses stratégies de préservation de la santé ;
-
les diversités de modes opératoires ;
-
des éléments du travail récents (éléments techniques ou organisationnels), ceci afin de développer en entretiens l’impact de ces changements sur la possibilité de mettre en œuvre les stratégies.
Pour cela, nous avons d’abord relevé (par observations directes, sur un total de 19 jours) les caractéristiques de l’aménagement de la zone ainsi que du poste de travail, l’organisation collective, les outils utilisés, les entraides avec un collègue de travail, la présence de communications/d’échanges avec d’autres, les déplacements, l’organisation individuelle du matériel, la chronologie des tâches effectuées, les façons de faire, les postures adoptées, et « au passage » tout autre élément observable en temps réel (Daniellou et Beguin, 2004). Les manifestations de douleur, de gêne ou de fatigue par le compagnon étaient également consignées. Cette façon d’observer permettait de relever les pistes à approfondir et à valider lors d’entretiens individuels. La structuration même d’une partie de ces entretiens individuels, programmés quelques semaines après la fin de la phase d’observations, devait s’appuyer sur ces dernières. Les observations ont aussi permis d’élaborer des chroniques d’activité basées sur le relevé systématique de certains gestes, postures, matériels utilisés, facilitant les restitutions de résultats aux compagnons concernés pour validation et discussion.
À quelques reprises lors des observations, des verbalisations simultanées ont permis d’approfondir certains aspects du travail. Ces échanges épisodiques pouvaient être amorcés par le compagnon, par exemple quand il expliquait ses façons de faire, les difficultés liées à telle ou telle opération à réaliser, etc. ; il pouvait aussi s’agir d’un collègue, par exemple pour expliquer qu’il ne réalise pas l’opération de la même manière, ou pour décrire les facteurs à l’origine de la pénibilité de la tâche que le compagnon est en train de réaliser ; enfin, ces échanges pouvaient être provoqués par le chercheur, ici l’ergonome, par exemple pour questionner sur le processus de fabrication, l’usage des outils, les stratégies d’organisation spatio-temporelle et d’anticipation, les évolutions des produits, de l’organisation, des processus. Ce dernier s’est assuré que ces échanges n’influençaient pas – ou peu – le cours de l’activité de travail et de la production.
Le choix des compagnons a été effectué dans une logique de réplication théorique, où des cas globalement semblables mais contrastés sur une (ou des) dimension(s) prédéterminée(s) sont volontairement choisis afin de pouvoir produire des résultats eux-mêmes contrastés (Yin, 2003). Les neuf compagnons suivis ont ainsi été choisis en concertation entre l’ergonome et le médecin du travail, et en accord avec les chefs d’ateliers, sur la base de leurs parcours professionnels (dans le même poste depuis leur inclusion dans le dispositif EVREST, ce qui est le cas de la très grande majorité des salariés de l’échantillon) et de leurs réponses dans EVREST. Tous exprimaient à travers EVREST des astreintes physiques importantes ainsi que des problèmes ostéoarticulaires aux membres supérieurs et/ou au dos. La participation des sujets reposait sur le volontariat et nous avons rencontré chacun d’entre eux individuellement pour leur présenter le projet et nous assurer de leur intérêt à prendre part à l’étude.
3.3 Les entretiens rétrospectifs
Ces entretiens, menés par deux des chercheurs (l’ergonome et le médecin du travail), ont été réalisés individuellement avec chacun des neuf compagnons ayant fait l’objet d’observations systématiques. Ces entretiens répondaient à deux buts principaux : d’une part, valider et enrichir l’interprétation des résultats obtenus au cours de ces observations ; d’autre part, recueillir des données relatives aux évolutions des conditions de travail ressenties par le salarié, ainsi qu’à ses problèmes ostéoarticulaires au fil du temps. Ils ont été construits pour partie à partir de la méthode des entretiens biographiques (Demazière 2003).
Ces rencontres, d’une durée d’une heure et demie environ, se déroulaient dans une salle de réunion du service de santé de l’établissement. Après accord du compagnon, l’entretien était enregistré. Pour alimenter ces rencontres, trois types de données ont servi à amorcer les questionnements : l’analyse des observations au poste de travail ; des données relevées par le médecin du travail dans le dossier médical du salarié, relatives à l’évolution des problèmes ostéoarticulaires ou aux postes occupés ; enfin, une synthèse des réponses successives du salarié à EVREST au fil des années, que nous avons baptisée « Evrestogramme ». Ce dernier document, à la vue du médecin du travail, du salarié et de l’ergonome, servait de canevas d’entretien.
Au cours du premier quart de la rencontre, le travailleur était invité à retracer son parcours professionnel depuis sa période d’apprentissage, ou l’entrée dans la vie active, jusqu’au jour de l’entretien. Ce choix d’entrée dans l’entretien avait deux objectifs : retracer l’itinéraire professionnel plus précisément qu’avec les seules données compilées par le médecin du travail, mais aussi engager la discussion avec le compagnon, en partant de questions factuelles appelant des réponses simples.
Une fois l’itinéraire professionnel évoqué, le compagnon commençait par donner quelques précisions sur son poste actuel, objet de la seconde partie de l’entretien : les opérations réalisées, les conditions de travail, les facteurs de pénibilité, les stratégies opératoires pour s’économiser ou gagner du temps, l’état de santé actuel.
Une large part de l’entretien était ensuite consacrée à remonter dans le temps pour repérer les changements (techniques, organisationnels, humains), les évolutions du travail et les conséquences de ces évolutions sur les stratégies opératoires et la santé. Dans ce troisième et dernier volet de l’entretien, les réponses des compagnons dans EVREST année par année (« Evrestogrammes »), mais aussi les données consignées année après année par le médecin, se révélaient précieuses pour aider le compagnon à situer certains changements, et raviver sa mémoire. S’il se souvenait d’une évolution (le changement de référence d’un mastic, l’arrivée d’un nouveau chef, le début de production d’une nouvelle référence de pièce, la suppression d’un chariot dans l’atelier), il pouvait décrire finement l’organisation du travail, ses gestes, les conséquences pour la production, voire ressentir à nouveau des difficultés rencontrées, pour certaines avant les années 2000.
Ces entretiens ont ainsi fourni des descriptions assez précises. Celles-ci visaient à déterminer comment des stratégies ont été facilitées ou au contraire télescopées par des changements, ou encore à comprendre en quoi des situations annoncées comme provisoires, mais qui durent, mettent à mal la construction du geste professionnel. Tout autant d’éléments nécessaires à la compréhension des effets à long terme du travail sur la santé, mais aussi inversement, de la santé sur le travail.
3.4 L’examen de processus de réaffectation
Pour établir des liens entre évolution des douleurs et parcours professionnels, l’ergonome et le médecin du travail ont examiné des dossiers médicaux de compagnons reclassés pour cause de problèmes ostéoarticulaires. L’objectif de ce travail était de réaliser des monographies de parcours professionnels de compagnons qui ont présenté par le passé des déficiences de santé ostéoarticulaires dues peut-être au travail et qui ont demandé, ou été incités, à changer de poste ou à s’abriter des contraintes en question. Cette analyse s’est déroulée en trois étapes successives.
La première étape a consisté à retrouver dans l’entreprise des compagnons aux caractéristiques recherchées. Le médecin du travail, présent dans l’établissement depuis une quinzaine d’années, ayant une connaissance fine des postes de travail et des salariés de l’entreprise, s’est chargé de cette tâche, et a proposé neuf salariés. Précisons qu’il ne s’agit pas des mêmes personnes que les neuf ayant fait l’objet des observations systématiques suivies d’entretien, dont il était question ci-avant. Ces neuf compagnons ont donc été repérés comme ayant eu des problèmes ostéoarticulaires dans les dix dernières années, aboutissant à un reclassement, et comme ayant été particulièrement suivis par le médecin du travail pour ces raisons.
La seconde étape a consisté en un recueil de données sur ces neuf compagnons, à partir de leurs dossiers médicaux, sur la base d’une grille de questions posées par l’ergonome en concertation avec le médecin du travail (pour des raisons de confidentialité médicale, seule cette dernière lisait directement les dossiers). Toutes les données disponibles dans les dossiers médicaux relatives à l’évolution des douleurs articulaires ainsi qu’à l’activité du compagnon (poste occupé, type de production, difficultés rencontrées) ont ainsi été compilées de manière chronologique.
Une fois les neuf grilles chronologiques mises au propre, la troisième étape a consisté en une relecture commentée (enregistrée) de ces dernières par le médecin et l’ergonome, au regard de leurs connaissances sur les postes de travail évoqués et sur les mécanismes de reclassements de l’entreprise.
4. Trois domaines d’étude issus de cette investigation diachronique multi-source
L’ensemble des résultats de la recherche décrite dans cet article ne sera pas développé ; ils sont accessibles par ailleurs (Buchmann et Mardon, 2014 ; Buchmann, 2013 ; Mardon et coll., 2013 ; Buchmann et Archambault, 2014). Nous choisissons ici d’illustrer leur apport en synthétisant trois domaines d’étude, faisant chacun appel à un couplage de méthodes, entre l’observatoire EVREST et au moins un autre mode de recueil de données abordé ci-avant. Le choix de ces domaines d’étude s’inspire de la manière dont nombre de recherches en ergonomie abordent le vieillissement, au travers de trois processus distincts : le vieillissement « par » le travail, correspondant aux phénomènes d’usure, le vieillissement « par rapport » au travail en lien avec les mécanismes de sélection, et enfin le vieillissement « dans » le travail ayant trait aux pratiques de régulation (Volkoff et Gaudart, 2006). Compte tenu du thème de notre recherche et de son entrée diachronique incorporant naturellement les questions d’âge, nous avons choisi de garder ce découpage, en substituant à l’analyse du vieillissement celle des troubles ostéoarticulaires. Nous aborderons dans ce qui suit dans un premier temps les régulations dans le travail, puis les phénomènes d’usure et de cumul de contraintes au fil du temps, et enfin les mécanismes de sélection ou mises à l’abri liées aux troubles ostéoarticulaires.
4.1 Couplage de méthodes sur les processus de régulation
Pour déceler les mécanismes de régulation auxquels font appel les compagnons pour travailler malgré les douleurs articulaires, nous avons cherché des indicateurs de la mobilisation physique, les facteurs de variabilité de cette mobilisation, et les stratégies mises en place pour faire face à cette dernière. Puis nous avons cherché à analyser les origines, les constructions de ces régulations. Plusieurs des sources de données décrites ci-avant ont été mobilisées pour cela.
Nous nous sommes tout d’abord appuyés sur les analyses d’activité, spécifiquement dans deux ateliers, basées sur les observations de l’activité de travail de neuf compagnons (cinq réparateurs et quatre peintres de pièces aéronautiques en fibre composite). Les entretiens rétrospectifs individuels avec les neuf compagnons observés ont été également mobilisés pour ce versant d’étude. Ces entretiens étaient d’une part l’occasion de développer avec chaque compagnon les régulations observées ; d’autre part, à l’aide du questionnement sur les changements vécus au fil du temps, nous examinions entre autres l’évolution des régulations actuelles et passées, pour trouver les contextes dans lesquels ces stratégies de régulation ont été élaborées, mises en œuvre, ou au contraire se sont trouvées entravées.
En parallèle, nous avons exploité les données d’EVREST de manière à apprécier le rôle des marges de manœuvre dont disposent les compagnons pour limiter la survenue ou l’impact des douleurs articulaires. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les questionnaires remplis en 2009 par la population des personnels d’atelier (allant de l’agent de fabrication au chef de ligne par exemple, et en excluant les professions administratives et RH) de l’entreprise dans son ensemble, soit 3450 individus.
Ces approches diverses ont d’abord permis de montrer comment, suivant les exigences imposées par la situation de travail, plusieurs objectifs cohabitent ou se télescopent dans l’action des compagnons : assurer la production dans les meilleurs délais ; assurer la qualité de la production, compte tenu du caractère vital et onéreux des pièces produites, et pour ne pas avoir à « défaire et refaire » ; enfin, préserver sa santé. Selon les cas, le compagnon établit un compromis, et donne plus de poids à un objectif ou à un autre.
Les analyses d’EVREST ont repéré, à l’aide de modèles de régression logistique (incluant l’âge comme variable de contrôle), les déterminants de régulations susceptibles de protéger au mieux des douleurs articulaires. C’est ainsi par exemple que les marges de temps et le choix dans la façon de procéder « protègent » des problèmes vertébraux (odds-ratios respectivement égaux à 0,7 et 0,8, significativement[5] différents de 1). Aucune variable ne ressort nettement comme moyen de régulation possible face aux problèmes de membre supérieur ; en revanche, avoir le sentiment de « pouvoir faire un travail de qualité » diminue significativement (OR = 0,4) la probabilité que ces problèmes gênent dans le travail.
Les analyses d’activité et entretiens rétrospectifs ont dégagé quant à eux différents modes de régulation. Certains ont été reliés directement à des transformations du travail qui ont facilité, ou au contraire entravé, leur construction et leur mise en œuvre. Ces transformations ont pu se révéler éprouvantes, comme la mise en place d’une organisation en flux tendus chez les réparateurs de pièces, avec pour conséquence de fréquents retards d’approvisionnements obligeant ensuite les compagnons à rattraper les retards accumulés. Au contraire, d’autres transformations se sont révélées relativement protectrices, comme la mise en place de la rotation organisée entre les peintres, permettant de répartir les temps de réalisation des tâches les plus pénibles physiquement.
4.2 Couplage de méthodes sur les processus d’usure
Lorsque les possibilités de régulations, comme celles que l’on vient d’évoquer, sont insuffisamment protectrices, notamment parce que l’organisation et les moyens de travail ne laissent pas de marge de manœuvre individuelle et collective suffisante pour les déployer, il peut y avoir un processus d’usure des compagnons au travail. Dans ce contexte, un de nos objectifs était de comprendre la dureté des conditions de travail vécues au fil du temps, ainsi que de repérer les conditions de travail qui s’avèrent plus ou moins vivables en seconde partie de carrière. Pour cela, nous cherchions à montrer, et même mesurer, le cumul des astreintes dans l’itinéraire professionnel des compagnons.
Considérer le cumul des astreintes au cours du temps est une manière de saisir les phénomènes d’usure éventuellement à l’œuvre dans l’entreprise. Mais dans la logique de ce qui précède, on peut intégrer le manque de possibilités de régulations à la définition même de la population « astreinte ». La seconde étape de nos analyses a ainsi consisté à relier des éléments de la santé actuelle avec les astreintes actuelles et passées.
D’un point de vue méthodologique, il faut pour cela faire face d’abord à cette difficulté : le travail passé ne s’observe pas. De plus, nous avons dû prendre en compte une grande variabilité des situations observées. Pour s’efforcer de surmonter ces obstacles, nous avons à nouveau fait appel à différents outils d’analyse. Nous avons mobilisé ici nos observations des neufs compagnons (cinq réparateurs de pièces et quatre peintres) ainsi que leurs réponses dans EVREST année par année (« Evrestogrammes ») afin de trouver des facteurs d’usure articulaire, mais aussi les questionnements rétrospectifs pour découvrir les facteurs d’usure passés, les changements ou persistances dans le travail susceptibles d’agir sur ces facteurs, et leurs conséquences sur l’usure articulaire actuelle, et enfin une investigation à caractère épidémiologique à l’aide d’exploitations d’EVREST.
Ces dernières ont d’abord nécessité de définir et construire une variable d’astreinte. Cette définition a été composée à partir de cinq questions disponibles dans le questionnaire, en s’appuyant sur la littérature TMS (Coutarel et coll., 2009), mais aussi sur les résultats obtenus dans notre recherche concernant les régulations. Il s’agissait de trois questions sur la charge physique du poste de travail (les difficultés dues aux postures, aux gestes répétitifs, et aux efforts ou ports de charges lourdes), mais aussi de la question sur la possibilité de choisir la façon de procéder, et d’une cotation des difficultés dues à la pression temporelle à partir d’une échelle analogique allant de 0 à 10. On a considéré qu’un travailleur était « astreint » aux facteurs de risque TMS dans deux cas :
-
s’il avait répondu « oui, importante » à l’une au moins des trois questions sur la charge physique de travail, auquel cas on considère comme suffisante cette seule réponse pour juger qu’il y a un facteur de risque ;
-
ou bien s’il avait répondu « oui, modérées » à l’une au moins de ces trois questions, tout en ayant par ailleurs coté à au moins 7 sur 10 les difficultés liées à la pression temporelle et déclaré n’avoir « plutôt pas » ou « pas du tout » le choix de la façon de procéder ; on considère alors qu’une charge physique modérée n’est pas en soi un facteur de risque certain, mais le devient en cas d’obligation de se dépêcher et de manque de marges de manœuvre qui en aggravent les conséquences.
En nous restreignant aux personnels d’atelier vus au moins trois fois sur la période de huit années d’EVREST considérée (1117 individus sur la période 2002-2009), nous avons pu mettre en lien des « séquences d’astreinte » (allant de trois fois « non astreint » à trois fois « astreint ») avec la présence de problèmes vertébraux ou de membres supérieurs au terme de la séquence. Nous avons également forgé, sur la base des réponses d’un même compagnon dans EVREST au fil des années, un indicateur de cumul d’astreinte pour l’ensemble des 6141 individus encore présents à la fin de la période d’analyse (en 2008 ou 2009). Cet indicateur ne pouvait s’appuyer simplement sur le nombre de situations d’astreintes constatées au cours du temps, car celui-ci dépend du nombre de fois où les individus ont rempli un EVREST. Ce nombre varie d’une personne à une autre, selon la durée depuis laquelle elle est présente dans l’entreprise par exemple). Un balayage sur huit années en incrémentant l’indicateur de 1 chaque fois qu’il y a astreinte, et en lui retranchant 1 chaque fois qu’il n’y a pas astreinte, aboutissait à un indicateur de cumul dont la valeur variait selon les individus de -8 (pour ceux qui auraient été vus 8 fois sans jamais être astreints) à +8 (pour ceux qui auraient été vus les 8 années en étant astreints à chaque fois). La valeur 0, par exemple, correspondait aux travailleurs vus un nombre pair d’années, et qui avaient été autant de fois astreints que non astreints. Cet indicateur de cumul a aussi été mis en lien avec la santé ostéoarticulaire au terme de la période de huit années considérée.
Bien que nous ayons ainsi fait appel à des niveaux d’analyses différents, les résultats correspondants ont montré une bonne concordance. On constate la présence de populations de compagnons exposés fortement et durablement : plus de 20 % des compagnons dans l’entreprise ont des indicateurs de cumul à 2 et plus, et 40 % des compagnons inclus dans les séquences d’astreintes ont été exposés au moins 2 fois sur les 3 observées, dont la dernière. L’étude est menée dans une industrie où des facteurs d’usure sont bien présents, en ce sens que l’on retrouve des astreintes fortes et répétées au fil du temps, sans que l’on puisse observer de tendance nette dans l’amélioration globale des astreintes ou de la santé ostéoarticulaire.
Ces résultats chiffrés et nos observations de terrain se corroborent les uns les autres. Bien que nous ayons découvert sur le terrain des régulations plutôt protectrices et des améliorations techniques ou organisationnelles, des facteurs de persistance de l’exposition demeurent : maintien prolongé de postures pénibles, manutentions manuelles de charges lourdes. Ces facteurs sont accentués par une augmentation de la pression temporelle (augmentation de la fréquence de pièces urgentes, diminution des temps de cycle, augmentation de la quantité de grandes pièces, diminution des temps de repos, etc.). L’examen particulier des astreintes vécues par les peintres a montré aussi que, même si de grosses améliorations ont été apportées, les anciens, qui pendant des années se sont usés à porter à la main des pièces, continuent à verbaliser des problèmes ostéoarticulaires. Toutes ces améliorations protégeront peut-être les plus jeunes, ou plutôt ceux qui ne sont pas encore usés.
Nous avons aussi constaté que le cumul d’astreinte n’est pas forcément proportionnel à l’âge. Ce constat a pu être établi à partir d’EVREST : les valeurs hautes de notre variable de cumul concernent une proportion à peine plus faible d’individus de moins de 45 ans que de leurs aînés. Une confirmation est venue de la reconstitution du parcours de compagnons à la fois jeunes (moins de 30 ans), mais néanmoins assez anciens (au poste pour certains depuis l’âge de 16 ou 17 ans) et surtout usés (douleurs articulaires avec gênes dans le travail, voire maladies professionnelles ostéoarticulaires déclarées).
Les parcours d’astreinte sont bien apparus prédictifs de l’état de santé, puisque les séquences « trois fois astreints » et « trois fois non astreints » étaient clairement liées, en sens opposés, aux problèmes de santé. Ces liens étaient moins forts ou moins réguliers pour certaines autres séquences. En revanche il ressortait clairement que les problèmes de membres supérieurs apparaissaient plus « réactifs » à l’astreinte (survenant rapidement après sa première présence repérée), et moins « réversibles » que les problèmes de vertèbres (ou en tout cas moins rapidement). Ainsi, même si l’on parvient à s’extraire de l’astreinte, en particulier pour les membres supérieurs, le plus souvent les douleurs restent.
Enfin, nous avons vérifié aussi bien par l’approche macro d’EVREST que par nos analyses plus micro que plus une personne cumule d’astreintes, plus la probabilité d’avoir un problème de santé ostéoarticulaire augmente. Une des limites ici de notre approche quantitative sur les liens entre cumul d’astreinte et santé relève du fait qu’avant la date initiale choisie, les compagnons ont un passé dont on n’a pas trace, et qui, bien évidemment, influence les réponses dans EVREST. L’observatoire, on l’a dit, est opérationnel depuis le début des années 2000, et nous pouvons nous risquer à faire l’hypothèse qu’une partie des compagnons qui ont le plus haut niveau de cumul a commencé à travailler (et à cumuler) bien avant le début du dispositif EVREST. En revanche, notre approche par les analyses de terrain apporte des éléments complémentaires susceptibles de contrebalancer le risque de perte de sens des données quantitatives. Dans ce cadre, le détour par les entretiens et l’analyse des situations de travail a eu deux apports : dans un contexte où les données quantitatives sont à horizon dix ans, aller rechercher des caractéristiques de l’activité dans des périodes antérieures a étayé les résultats quantitatifs ; par ailleurs, ces analyses ont permis de comprendre pourquoi, malgré les régulations en place, malgré les améliorations du travail, nous avons retrouvé des astreintes physiques persistantes.
4.3 Couplage de méthodes sur les processus de sélection
Nous avons vérifié dans l’analyse précédente que les problèmes de santé actuels étaient non seulement liés à l’astreinte actuelle, mais aussi aux astreintes passées. Ajoutons qu’aucune tendance ne se dégageait selon l’écart de temps entre la santé actuelle et le moment où l’astreinte était considérée. Ce constat renforçait l’intérêt de décrire plus finement les mécanismes de « mise à l’abri » des compagnons touchés par des TMS. Nous avons donc cette fois interrogé la santé comme facteur de changement de l’astreinte : en quoi la santé passée est-elle prédictive du travail actuel, et d’une « sortie » de l’astreinte ?
Pour répondre à cette question, nous nous sommes d’abord appuyés sur des documents de travail de la Commission maintien dans l’emploi mise en place dans l’établissement. Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure elle parvenait à infléchir le parcours professionnel de salariés dont l’état de santé ostéoarticulaire ne leur permettait plus de rester en poste. Nous avons aussi examiné avec le médecin du travail des parcours de reclassements professionnels, comme on l’a dit, à partir de données issues des dossiers médicaux de neuf compagnons reclassés pour cause de TMS, et dans une moindre mesure des données extraites des questionnaires EVREST de ces compagnons.
Enfin, comme nous cherchions des indicateurs sur le rôle de la santé passée vis-à-vis des parcours d’astreinte, nous avons dans cette section exploité EVREST dans le sens inverse de ce que nous avions produit pour l’analyse des phénomènes d’usure. Nous avons croisé la santé à la date initiale avec les expositions professionnelles à venir, soit sous la forme de la variable d’astreinte définie ci-avant, soit sous la forme des expositions élémentaires la composant, l’idée étant que les mises à l’abri potentielles pourraient porter plus spécifiquement sur les sollicitations physiques au poste.
Contrairement à ce que l’on pouvait envisager, les analyses quantitatives ont montré qu’il était compliqué de se soustraire à l’astreinte. La présence de douleurs articulaires à une date donnée n’est pas particulièrement prédictive de changements dans la situation de travail par la suite (très peu d’interrelations examinées ressortent avec des odds-ratios significativement différents de 1).
Les analyses de terrain ont fourni un autre éclairage en illustrant cette complexité et en montrant ses composantes. La question soulevée peut se résumer ainsi : dans le contexte d’un reclassement, faut-il agir vite ou attendre de voir l’évolution des douleurs ? Nos résultats montrent qu’il est possible de tenir les deux positions, parfois même de les compiler. La Commission maintien dans l’emploi avait réglé la moitié des situations en une seule réunion, et abondait dans l’idée qu’il fallait savoir réagir au plus vite avant que la situation ne s’aggrave. Cependant, une autre stratégie que l’on retrouve dans l’établissement consiste à alimenter une période de décantation où le médecin, l’encadrement, le salarié lui-même intègrent l’idée qu’il y a un problème et qu’il faudra peut-être agir.
Cette seconde position s’appuie elle-même sur un double constat. Le premier est en relation avec l’étiologie des TMS, qui présentent un décours temporel fait de périodes d’aggravations et de rémissions, et cela même en cas d’un « bon » reclassement ; les résultats d’EVREST montraient que les douleurs perduraient, même en étant sorti de l’astreinte. Un second argument relève d’une contrainte industrielle : l’usine produit des pièces de haute qualité, les compagnons disposent de qualifications élevées, de nombreux postes requièrent une formation et une certification, il n’est donc pas aisé de déplacer des compagnons puisque cela implique de trouver un poste pour le compagnon en difficulté, mais aussi de trouver et former un compagnon susceptible de venir remplacer celui qui est sur le départ.
Dans ces conditions, la seconde stratégie de « mise à l’abri », plus progressive, que l’on a vue apparaître, relève d’une approche diachronique que l’on pourrait décrire ainsi : suivre l’évolution des douleurs, tout en commençant collectivement (c’est‑à‑dire médecin du travail, ressources humaines, encadrement de production et compagnon lui-même) à réfléchir à un reclassement, avec une combinaison santé/compétences, et ce temps permet d’être attentif à des mouvements ou des projets dans les ateliers et qui peuvent créer l’opportunité le moment venu d’une réaffectation.
5. Discussion
La recherche sur laquelle notre propos prend appui avait trait aux dimensions de long terme dans la genèse et l’évolution des TMS. Le présent article ne constitue pas une synthèse de cette recherche. Il est centré sur la démarche elle-même, sur sa portée et ses difficultés.
Dans ce paragraphe de discussion, nous ne reprenons donc pas les nombreuses réflexions que la recherche a suscitées à propos de chacun des outils méthodologiques (Buchmann, 2013), et auxquelles nous avons parfois fait allusion dans ce qui précède. Citons à titre indicatif : l’empan limité des périodes d’observation d’activité, qui restreint l’accès aux éléments de variabilité ; la portée et les limites de l’approche des douleurs articulaires par questionnaire (Duquette et coll., 1997) ; « l’effet-médecin » qui peut fragiliser l’homogénéité de l’observatoire EVREST ; les limites d’usage de cet observatoire quand l’analyse porte sur des petits nombres, pour les mécanismes de sélection notamment ; la rareté des interlocuteurs capables de décrire et dater les changements de techniques ou d’organisation dans le passé, etc.
Nous pouvons en revanche revenir sur l’interrogation générale à laquelle cet article s’efforce de répondre. On l’a dit, cette recherche s’est construite par étapes successives avec, comme point de départ, l’élaboration d’un questionnement issu d’éléments de la littérature et d’interventions en entreprise sur différentes situations de travail. On peut le résumer ainsi : comment, dans une approche ergonomique, prendre en compte des dimensions temporelles de long terme, pour aider à comprendre les liens entre les évolutions du travail, celles des problèmes de santé (ici, les douleurs ostéoarticulaires) et les parcours professionnels ?
Dans cet objectif nous avons pris le parti d’un croisement entre données qualitatives et quantitatives, à différents niveaux, du micro au macro, mais aussi d’un croisement entre données aux empans temporels différents. On a vu notamment que la prise en compte des processus à long terme ne relevait pas seulement, ici, d’un emprunt aux méthodes pratiquées en épidémiologie, en matière d’effets différés ou de relations dose/effet (Plouvier et coll., 2011). Notre méthodologie associait la perspective diachronique de l’épidémiologie et de la démographie à l’analyse des régulations propres à l’ergonomie et aux approches cliniques en médecine du travail, au regard des questions posées et des connaissances existantes sur les TMS.
Du point de vue épidémiologique, on a vu que nos résultats ont montré quelques possibilités de régulations, beaucoup d’effets d’usure et de cumul, et peu de mécanismes de mise à l’abri. Pour les régulations, des variables telles que « avoir le choix dans la façon de procéder » viennent contrebalancer un peu l’effet des expositions lourdes ; on peut les interpréter en termes de marges de manœuvre pour faire face, pour faire jouer ses compétences, son savoir-faire (Coutarel et coll., 2009), ce qui coïncide avec ce que l’on montre par ailleurs avec les analyses de l’activité.
Malgré ces régulations construites au fil de l’expérience et des changements de l’entreprise, des expositions lourdes demeurent, et nous avons vu qu’en dépit d’améliorations régulières des conditions de travail, leurs effets perdurent. Certains métiers ont connu quelques mutations, dont certaines ont été porteuses d’améliorations mais, du point de vue des principaux facteurs de risques TMS (Aptel et Vézina, 2008), d’une portée encore limitée. Les améliorations protègent surtout les plus jeunes, ou plus exactement ceux qui ne portent pas encore les traces de l’usure.
Dans ce milieu industriel, à la fois fermé, protecteur mais aussi usant, il est rare de licencier pour inaptitude ; nous avons montré qu’il est également plus compliqué qu’on aurait pu le penser de mettre à l’abri les compagnons présentant des douleurs. La sélection par la santé, sauf en cas de pathologie lourde, est rendue difficile par la technicité des métiers exercés. Elle donne lieu à de nombreux tâtonnements et n’aboutit pas toujours aux améliorations escomptées.
On peut rassembler (figure 3, ci-dessous) ces quelques constats en reprenant, et précisant, le modèle d’analyse qui faisait l’objet de la figure 1. Les « régulations » s’opèrent à tout moment de la vie de travail, mais elles peuvent être percutées par les mutations que l’entreprise effectue. Les processus « d’usure » englobent, à chaque stade du parcours professionnel, toutes les contraintes et nuisances précédemment vécues. Les mécanismes de « sélection », enfin, opèrent à intervalles plus ou moins réguliers, et leur aboutissement incertain laisse envisager de nouvelles réaffectations à plus ou moins long terme.
6. Conclusion : retour sur l’ergonomie du temps long
Notre approche des TMS, vus comme un processus dynamique par lequel l’individu, le collectif et l’entreprise cheminent, propose d’aborder les liens santé-travail d’une manière indissociable des temps, tissés entre passé, présent et futur. À partir d’une question de santé, les troubles musculo-squelettiques, nous concluons sur des questions de parcours, saisis selon plusieurs dimensions : d’une dimension individuelle et médicale à une dimension plus collective et gestionnaire. Nous reprenons à notre compte l’idée de Gaudart (2014) selon laquelle les réflexions sur le développement de parcours doivent s’inscrire dans une circularité entre présent, passé et avenir, et à différents niveaux : micro, méso et macro ; individus, collectifs, gestionnaires.
Comme l’auteure, nous avons constaté que les gestionnaires (managers de production, chefs de projets, ressources humaines, etc.) bien souvent n’ont plus d’histoire, plus de mémoire. Ils semblent enserrés dans un régime d’historicité (Hartog, 2012) marqué par l’urgence du présent. La forte mobilité des cadres dans l’entreprise, que nous avons amplement constatée, est l’une des marques de ce « présentisme », et représente aussi certainement un obstacle pour ces derniers à concevoir pour les autres des parcours à horizon de long terme. Dans cette situation, une question se pose alors : comment soutenir une conception des parcours intégrant passé, présent et avenir ?
La perte de mémoire de l’entreprise semble moins liée au manque de traces qu’à des insuffisances dans les possibilités de les exploiter. Pour ces raisons, il serait utile de doter l’entreprise d’un vrai bagage sur les vertus et les limites de ses changements passés. Nous rejoignons ici les concepts d’organisation ou d’entreprise apprenante, telle que la définit Garvin (1993) :
« Une organisation qui possède la capacité de créer, d’acquérir et de transférer des connaissances, et celle de modifier son comportement, en fonction des nouveaux savoirs et en accord avec une nouvelle manière de voir les choses » (p. 80).
Ces types d’organisation font l’objet d’une littérature abondante, qui les rend par ailleurs difficiles à circonscrire. Certains de ces travaux se centrent justement sur les liens qu’on peut y déceler entre type d’organisation, modes de gestion et santé au travail (Valeyre, 2007 ; voir l’article dans ce numéro de Edey-Gamassou et coll.).
Les recherches en santé-travail peuvent ici s’inspirer de la conception de l’historien qu’avance Koselleck (1990) : participer par son analyse du travail à ce que l’auteur appelle « la mise en intrigue » ou « la mise en récit ». Par exemple, notre recherche a révélé, chez les compagnons, des processus fins de construction de savoir-faire, avec en corollaire d’une part l’intégration des temporalités d’actions face aux variabilités du milieu de travail, et d’autre part l’ouverture de pistes pour la formation et le tutorat de novices à ces postes de travail. Les compagnons construisent ainsi un parcours professionnel qui les marque physiquement, mais qui est aussi animé d’une certaine logique, cohérence et richesse. Ils travaillent ensemble depuis longtemps, et pour longtemps, ce qui encourage chacun à trouver des solutions à ses propres difficultés et à celles des collègues. Dans ce contexte, une approche diachronique d’analyse des situations revêt un intérêt particulier.
Dans une autre mesure, en travaillant à la reconstitution, à la construction de la mémoire de l’entreprise, nous proposons d’interroger les gestionnaires sur les changements passés :
« pour quelles raisons telle ou telle modification d’organisation, d’équipes, de compagnons, a-t-elle été opérée ? Quel en était le contexte ? Quelles en ont été les conséquences pour la production, pour les compagnons ? »
L’approche diachronique, quand elle s’appuie sur une diversité d’outils d’investigation, a la vertu de montrer aux gestionnaires en quoi le présent n’est pas fatal. C’est ce que Daniellou (2015) appelait le travail de remise en mouvement du « triangle des possibles », qui relie pouvoir penser, pouvoir débattre et pouvoir agir sur le travail. Pour cet auteur, la remise en mouvement s’opère grâce à la mise en place de premières transformations et débats sur le travail. Nous proposons une alternative complémentaire par notre approche du temps long : remettre en mouvement le triangle des possibles par la reconstruction de la mémoire de l’entreprise. Si l’on constate des dégradations par rapport au passé, c’est la preuve que l’on n’a pu faire mieux ; si au contraire des améliorations sont constatées, c’est la preuve que l’on sait faire mieux.
Cette approche – qui mériterait d’ailleurs d’être envisagée aussi à l’échelle des politiques publiques dans ces domaines – peut d’une part, comme le suggère Daniellou (op. cit.), briser le cercle magique du : « de toutes façons, on n’y peut rien » et les défenses qui y sont associées, et d’autre part redonner de la mémoire aux processus de décisions, aux changements et à leurs conséquences. Elle peut aider à reconstituer l’activité des prescripteurs, et leurs contraintes. En matière de TMS comme certainement dans bien d’autres domaines de la santé au travail, la réflexion sur des politiques efficaces à long terme réclame probablement cet effort d’élucidation.
Appendices
Notes
-
[1]
Dans l’entreprise considérée, ce terme désigne les personnels d’ateliers, tous ouvriers faisant partie d’un groupe métier.
-
[2]
Centre de Recherches sur l’Expérience, l’Âge et les Populations au Travail.
-
[3]
La Commission maintien dans l’emploi, mise en place en 2010, a pour mission d’étudier la situation des personnels ayant des difficultés à tenir leur poste de travail du fait de leur état de santé, et de proposer des solutions de reclassement ou d’aménagement de poste tenant compte de leur aptitude.
-
[4]
En ergonomie, on désigne usuellement par le terme « opérateur », quelle que soit sa profession, tout travailleur à l’activité duquel on s’intéresse.
-
[5]
La significativité des tests statistiques est commentée ici au seuil de 5 %.
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