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Le Dr Frisby a justement relevé, dans la conférence du Pr Hearnshaw, que l'obligation, la contrainte et la discipline sont l'essence du travail, celui-ci pouvant être défini, en de compte, comme une activité où intervient un élément de contrainte. Il y a. bien entendu, toutes sortes de contraintes et il ne s'ensuit nullement qu'une activité entreprise dans ces conditions ne puisse comporter diverses formes de satisfaction, J'espère que la discussion permettra de revenir sur cette question et, pour ma part, relèverai dans l'exposé de M. Hearnshaw, en les accompagnant de quelques commentaires, les points suivants :

1. Il est certain que la conception d'une psychologie industrielle qui serait une simple utilisation de techniques "appliquées" à la vie économique et particulièrement à la vie industrielle, est étroite et fausse. Il faut noter ici que les sciences de l'homme, étant les dernières venues, ont suscité des analogies erronées avec les sciences physico-mathématiques. Il y aurait une psychologie appliquée à la vie industrielle, dérivée de la psychologie théorique, comme il y a, par rapport à la théorie physique, une thermo-dynamique et une mécanique appliquées ou une électricité industrielle : conception qui, du reste, implique une dichotomie arbitraire entre la théorie entre la théorie et la pratique. Notons, à ce propos, les confusions entretenues par le terme même de "psychotechnique", qui a été discuté au Congrès de Göteborg.

Pour M. Hearnshaw, qui rejette cette conception, la psychologie industrielle est une science où il distingue trois aspects :

a. Un ensemble de fins et de principes;

b. Un ensemble de concepts théorique;

c. Un corps de techniques.

Mais cette division même, et peut-être M. Hearnshaw aurait-il pu le souligner, est didactique et tant soit peu artificielle en ce sens que l'application des techniques, leur mise au point, leur épreuve par l'expérience retentissent constamment sur les concepts théoriques, les façonnent, les modifient dans une constante action réciproque. Ce que J.-M. Lahy avait bien exprimé dans un remarquable article de l'Hygiène mentale (décembre 1932) lorsqu'il écrivait : "La psychologie appliquée ou psychotechnique n'est autre chose que la psychologie scientifique générale. Non seulement elle ne diffère pas de la psychologie théorique, mais, née d'elle, elle la dépasse, la transforme et va la remplacer comme le produit de son évolution nécessaire, comme une synthèse de la théorie avec une nouvelle pratique."

2. La psychologie industrielle ne peut être une collection d'applications et cela, à notre sens, avant tout parce que le travail est une réalité originale, globale, une, qui ne peut se laisser appréhender, pénétrer, comprendre par de prétendues "applications", dispersées, d'une science "pure". Il faudrait insister ici sur le caractère à la fois un et complexe des contenus du travail.

N'importe quelle tâche, concrètement observée dans les ateliers, les bureaux, les chantiers, l'agriculture moderne, se présente sous cinq aspects ou attributs principaux : technique, phsyiologique, psychologique, social, économique. Chacun de ces aspects manifeste la même réalité vue sous des angles différents et dans toute sa richesse de contenu. Les réactions mentales d'une ouvrier, Paul, dans un atelier déterminé, à l'ensemble de ses tâches quotidiennes et inversement, son effort pour façonner celles-ci d'après ses caractéristiques personnelles révèlent, à propos de ce qu'il est convenu d'appeler "aptitudes", "intérêt au travail", "satisfaction" ou "insatisfaction" qu'il n'y a sans doute pas un seul problème relatif au travail humain qui soit purement psychologique.

Ainsi s'expliquent la relativité et aussi certaines déceptions et erreurs de la méthode des tests tlle qu'elle a été souvent appliquée dans l'industrie au cours des vingt dernières années. Ainsi s'expliquent aussi la relativité et les mécomptes de beaucoup d'études prétendant saisir les phénomènes d'"ennui", de "monotonie", voire de "fatigue", phénomènes qui relèvent évidemment aussi des conditions techniques, économiques et sociales. Les recherches de la sociologie industrielle nous font sans cesse buter sur l'interrelation des divers aspects du travail et montrent la nécessité d'une étroite collaboration d'équipes de chercheurs appartenant aux diverses sciences qui prennent le travail humain pour objet.

Du même coup elles nous assurent que toute "politique de la productivité" qui ignorerait ou négligerait cette interrelation est, à plus ou moins brève échéance, vouée à l'échec. Permettez-moi d'ajouter, d'accord avec Mme Pacaud, qu'elle ne mériterait pas la collaboration de psychologues industriels soucieux de ne pas compromettre leur activité au service d'intérêts particuliers et de la maintenir sur un terrain scientifique.