Article body

Introduction

Lors de leur insertion professionnelle, plusieurs enseignants font face à des difficultés et des défis divers qui sont susceptibles d’entrainer de multiples conséquences pouvant aller jusqu’à la détresse professionnelle, voire à l’abandon de la profession (Ciavaldini-Cartaut, Marquie-Dubie et d’Arripe-Longueville, 2017). Des mesures de soutien à l’insertion professionnelle ont donc été progressivement adoptées à plusieurs endroits dans le monde afin de soutenir les enseignants débutants, de favoriser leur bienêtre, d’accroitre la rétention dans la profession et d’améliorer l’enseignement et la réussite éducative des élèves (Forseille et Raptis, 2016 ; Kutsyuruba et Walker, 2017). Certains chercheurs attestent qu’il est souhaitable de s’intéresser aux besoins de soutien des enseignants en insertion professionnelle (Leroux et Mukamurera, 2013) et soulignent que le soutien octroyé aux enseignants novices doit être adapté à leurs besoins de soutien afin de contrer les difficultés rencontrées au cours des premières années dans la profession (Fresko et Nasser-Abu Alhija, 2015 ; Kidd, Brown et Fitzallen, 2015). Pour y parvenir, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) (2012) souligne l’importance de considérer les différents domaines de besoins de soutien. À ce sujet, Gold (1996) affirme que pour soutenir un enseignant débutant, il faut répondre tant à ses besoins professionnels qu’à ses besoins personnels.

Une récente recension d’écrits (Carpentier, 2019) a permis de mettre en lumière que très peu de recherches empiriques existent concernant les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants et la concordance entre les types de besoins de soutien et la perception qu’ils ont du soutien reçu. En effet, il y a certains écrits à propos des besoins de soutien des enseignants (Auclair Tourigny, 2017 ; Mukamurera et Fontaine, 2017) et sur les mesures de soutien octroyées (Kutsyuruba et Walker, 2017), mais pas d’études sur la concordance entre les deux. Puisque la mise en place de mesure de soutien est onéreuse (Ingersoll, 2012), il est important que le soutien offert aux nouveaux enseignants corresponde aux types de besoins de soutien qu’ils ressentent réellement. Devant ces constats, cet article tente de dresser, dans un premier temps, un portrait statistique des types de besoins de soutien ressentis par les recrues et de leur perception du soutien reçu et, dans un deuxième temps, d’analyser le degré de concordance entre ces deux éléments en utilisant des données quantitatives issues d’une enquête par questionnaire (n=156) et des données qualitatives provenant de dix entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’enseignants débutants au Québec.

Les types de besoins de soutien des enseignants débutants

Le concept de besoins de soutien est essentiel pour répondre aux objectifs de cet article. Une recherche sémantique dans différents ouvrages de référence permet de jeter les bases de ce concept. Alors que certaines encyclopédies définissent le concept à l’aide des typologies existantes, d’autres dictionnaires le définissent comme un sentiment de manque ou une nécessité (Provenzo, 2009 ; VandenBos, 2007). De nombreux chercheurs l’emploient principalement comme un synonyme de « difficulté » (Bland, Church et Luo, 2014 ; Kidd et al., 2015). Mukamurera (2018) est la première à proposer une définition et elle affirme que :

Nous entendons le besoin de soutien au sens de jugement personnel porté par la personne quant à la nécessité de recevoir une forme d’aide, de guidage ou d’appui pour s’insérer harmonieusement dans sa profession. […] Nous parlons alors de « besoin de soutien » au singulier pour signifier ce jugement global d’avoir besoin d’aide, et de « besoins de soutien » au pluriel lorsque l’intérêt porte sur la connaissance des aspects précis sur lesquels les personnes souhaiteraient être aidées

p. 201

Au regard des objectifs poursuivis dans cet article, nous adhérons à cette définition et nous utilisons le terme « besoins de soutien » au pluriel, puisque notre intérêt porte sur le sentiment de manque à l’égard de certains aspects de l’insertion professionnelle et du travail qui peut nécessiter un soutien particulier.

En ce qui a trait aux besoins de soutien en contexte scolaire, plusieurs auteurs ont établi des typologies afin d’offrir une vue d’ensemble et de mieux circonscrire les types de besoins de soutien vécus par les enseignants (Bickmore et Bickmore, 2010 ; Carpentier, Mukamurera, Leroux et Lakhal, accepté ; Gold, 1996).

Pour faire l’analyse de la concordance entre la perception du soutien reçu par les enseignants débutants et les types de besoins de soutien qu’ils ressentent réellement, nous avons choisi d’utiliser la typologie des besoins de soutien des enseignants en insertion professionnelle de Carpentier et al. (accepté) puisqu’elle est issue de données collectées au Québec basées sur la situation d’enseignants débutants et a été validée selon le cadre conceptuel multidimensionnel de l’insertion professionnelle de Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho (2013). Cette typologie semble être la plus complète, à ce jour, pour aborder spécifiquement les types de besoins de soutien des enseignants débutants, car elle permet de mettre en relief la nature diverse des types de besoins de soutien, qui va au-delà des catégories générales suggérées par les écrits antérieurs (Bickmore et Bickmore, 2010 ; Gold, 1996).

Cinq types de besoins de soutien ressortent de la typologie de Carpentier et al. (accepté) : 1) les besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle qui réfèrent à l’intégration et à l’acclimatation à un nouveau milieu professionnel ; 2) les besoins de soutien liés à l’enseignement qui renvoient au développement des compétences professionnelles spécifiques à l’acte d’enseigner (planification, enseignement, évaluation) ; 3) les besoins de soutien liés à la gestion de classe qui font référence à la création d’un climat de classe propice aux apprentissages de tous les élèves ; 4) les besoins de soutien liés à la différenciation pédagogique qui englobent l’acquisition des compétences requises pour répondre aux besoins hétérogènes des élèves ; 5) la dimension personnelle et psychologique qui touche les aspects affectifs de l’insertion professionnelle. L’ensemble des variables (items) qui composent cette typologie est présenté au Tableau 1. Cette typologie permettra de dresser le portrait statistique des types de besoins de soutien des enseignants en insertion professionnelle au Québec et servira à établir le degré de concordance entre les types de besoins de soutien des enseignants novices et leur perception du soutien reçu.

Tableau 1

Typologie des besoins de soutien des enseignants débutants de Carpentier et al.

Typologie des besoins de soutien des enseignants débutants de Carpentier et al.

-> See the list of tables

La perception du soutien reçu

Selon Cramp et Bennett (2013), en dépit de l’utilisation quotidienne et généralisée du terme « soutien », ce concept reste ambigu et manque de clarté. Dans la majorité des textes recensés, les auteurs ne proposent pas une définition du concept de soutien et utilisent plutôt le terme « méthode de soutien » pour parler des dispositifs de soutien, comme le mentorat ou les rencontres d’accueil, et des programmes d’insertion professionnelle qui englobent différents dispositifs (Kutsyuruba et Walker, 2017). Leroux et Mukamurera (2013) distinguent le soutien formel, offert de façon systématique par une commission scolaire ou une école, et le soutien informel, consenti de manière spontanée en dehors d’une mesure établie. Bickmore et Bickmore (2010) vont dans le même sens et abordent la culture du soutien en faisant référence à certains milieux professionnels ouverts et accueillants. En prenant appui sur les recherches effectuées sur le soutien octroyé aux nouveaux enseignants et en gardant en tête l’objectif de cet article, nous retenons que le soutien est l’appui et le support consenti à quelqu’un en vue de répondre à ses différents besoins et qu’il peut prendre des modalités variées (dispositifs, programme d’insertion professionnelle, formel, informel, individuel, collectif, etc.).

Dans le cadre de cet article, nous nous attardons à la perception du soutien reçu par les enseignants débutants en lien avec les types de besoins de soutien qu’ils ressentent. Par perception du soutien reçu, nous entendons l’appréciation personnelle de la pertinence du soutien et de la correspondance du soutien avec les types de besoins de soutien ressentis. Selon Streeter et Franklin (1992), le soutien perçu est associé à « l’évaluation cognitive d’une personne à propos du soutien qu’elle estime recevoir » (p. 81). Bruchon-Schweitzer (2002) distingue clairement le soutien reçu de la perception du soutien reçu et estime que la perception apporte une idée de transaction entre l’individu et son environnement. Ici, la perception des enseignants débutants du soutien reçu renvoie donc à une évaluation personnelle et subjective du soutien reçu par rapport aux types de besoins de soutien qu’ils ressentent. Ainsi, un enseignant débutant peut percevoir peu ou pas de soutien, un soutien moyen ou un soutien significatif en lien avec les types de besoins de soutien. Considérant qu’il est important que le soutien offert aux enseignants débutants réponde aux types de besoins de soutien qu’ils ressentent réellement, il apparaît essentiel de bien saisir la perception que ces enseignants ont du soutien qu’ils reçoivent et de la correspondance avec leurs besoins de soutien. L’objectif du présent article est donc de décrire et de comprendre le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants novices et la perception qu’ils ont du soutien reçu.

Méthodologie

Pour répondre à l’objectif au coeur de cet article, un devis méthodologique mixte séquentiel explicatif (Johnson, Onwuegbuzie et Turner, 2007) a été employé puisque deux collectes de données ont été effectuées, l’une à la suite de l’autre. Une première analyse quantitative de données secondaires collectées au moyen d’un questionnaire a été réalisée. Puis, comme le suggèrent Briand et Larivière (2014), il y a eu une phase qualitative où des entrevues semi-dirigées ont été menées pour poser de nouvelles questions permettant d’expliquer ou de clarifier les résultats quantitatifs issus de la première étape. Selon Johnson et al., (2007), le fait d’utiliser des méthodes mixtes à orientation quantitative et qualitative permet d’obtenir des informations plus riches et d’approfondir l’objet d’étude.

Une enquête par questionnaire comme première source de données

Les données quantitatives analysées dans le cadre du présent article proviennent d’une enquête par questionnaire menée au Québec entre octobre 2013 et janvier 2014 et à laquelle 250 enseignants provenant de 46 commissions scolaires francophones ont répondu. Le questionnaire comportait 48 questions (majoritairement fermées).

Notre intérêt porte spécifiquement sur les enseignants qui étaient en insertion professionnelle, c’est-à-dire ceux dont l’expérience d’enseignement autodéclarée était de cinq ans et moins. Par conséquent, aux fins de nos analyses, nous avons retenu un sous-échantillon de 156 enseignants qui répondaient à ce critère. Ce sous-échantillon est composé de 127 femmes et de 29 hommes qui enseignent dans 39 commissions scolaires à l’ordre d’enseignement préscolaire-primaire (n=91), secondaire (n=41) ou dans d’autres domaines que sont la formation professionnelle et la formation aux adultes (n=24). Pour les analyses, une question (32) de l’enquête a été retenue dans laquelle les répondants devaient, dans un premier temps, à partir d’une liste de 31 items, indiquer les besoins de soutien ressentis durant leur insertion professionnelle en utilisant une échelle de Likert à trois niveaux : pas ou peu de besoins de soutien, besoins de soutien moyen et besoins de soutien important. Les items utilisés pour nos analyses correspondent à ceux utilisés pour confirmer la typologie des besoins de soutien de Carpentier et al. (accepté) présentée au Tableau 1. Nous avons fait un regroupement des données pour avoir deux échelles de réponses possibles pour chaque question (Field, 2013). La première portion de la question a été recodée et les choix retenus sont peu ou pas de besoins de soutien et besoins de soutien moyen ou important. Dans un deuxième temps, pour chacun des items de la question, les répondants devaient indiquer s’ils avaient reçu pas ou peu de soutien ou un soutien significatif. Il y avait aussi un court espace en bas de la question pour formuler un commentaire explicatif. Quatre-vingt-dix enseignants sur 156 ont écrit un commentaire. Ces derniers ont été traités de la même manière que les données qualitatives issues des entrevues semi-dirigées.

Afin de décrire le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants et la perception qu’ils ont du soutien reçu, il est nécessaire de dresser un portrait statistique des types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants et de leur perception du soutien reçu. Une analyse quantitative descriptive des données (fréquences et pourcentage) de la question 32 a donc été réalisée. Ensuite, la somme des fréquences des items correspondant à un même type de besoins de soutien a été effectuée. Par exemple, les items 8-9-10 renvoient aux besoins de soutien liés à la gestion de classe, alors les fréquences de ces trois items ont été additionnées pour les deux portions de la question (besoins de soutien ressentis et perception du soutien reçu). Des pourcentages ont été calculés afin de pouvoir comparer aisément les types de besoins de soutien. Par la suite, afin de déterminer l’absence ou la présence d’une relation linéaire significative entre les types de besoins de soutien ressentis (première portion de la question) et les perceptions du soutien reçu (seconde portion de la question), le Gamma de Goodman a été utilisé puisque ce test non paramétrique permet de quantifier l’association entre deux variables (Field, 2013). L’ensemble des analyses a été effectué avec le logiciel d’analyse quantitative SPSS, version 23.

Des entrevues semi-dirigées comme source complémentaire de données

Par la suite, des entrevues semi-dirigées individuelles ont été réalisées en décembre 2017 auprès de dix enseignants issus du sous-échantillon ayant servi aux analyses quantitatives. Ainsi, pour compléter les résultats issus d’une série d’analyse quantitative, nous souhaitions connaître le point de vue des participants et entendre leur récit d’insertion professionnelle (Johnson et al., 2007). L’entrevue semi-dirigée a donc été choisie puisqu’elle est assez structurée pour recueillir des renseignements précis et assez souple pour permettre aux interviewés de s’exprimer librement et d’aller en profondeur dans leur vécu et leurs considérations (Savoie-Zajc, 2018). Un total de 19 thèmes a été abordé et seul le thème portant sur l’appréciation du soutien reçu a été analysé pour répondre à l’objectif de cet article. Ces données de nature qualitative ont permis de comprendre et de compléter certains résultats obtenus au moyen de méthodes quantitatives. Afin d’avoir un portrait plus riche et plus vaste de la perception du soutien reçu et par souci de diversification des profils, les participants aux entrevues ont été sélectionnés selon l’ordre d’enseignement et le statut d’emploi.

Les enseignants interviewés enseignaient au préscolaire ou au primaire (n=6), au secondaire (n=2), à la formation générale aux adultes (n=1) et en formation professionnelle (n=1). Cinq d’entre eux avaient un statut d’emploi régulier (contrat) et les cinq autres étaient à statut précaire. Ils avaient travaillé, en moyenne, dans six écoles différentes depuis leur entrée dans la profession. Lors des analyses, nous avons également inclus les commentaires explicatifs fournis par 90 participants dans le questionnaire. L’analyse thématique de Paillé et Mucchielli (2012) a été utilisée puisqu’elle a l’avantage de « permettre une analyse efficace et uniforme du corpus » (p. 237). L’analyse thématique est basée sur une procédure de « thématisation » du corpus, ce qui permet de faire ressortir des thèmes représentatifs dudit corpus. Les données ont été codées afin de faire ressortir des thèmes centraux. Par exemple, les thèmes de la temporalité et de la collégialité sont ressortis lors de l’analyse thématique. Le logiciel d’analyse qualitative QDAMiner, version 4.1.20 a été utilisé puisqu’il « fournit un large éventail d’outils exploratoires afin d’identifier des patrons dans la codification et des relations entre les codes assignés et d’autres propriétés numériques ou catégorielles » (Péladeau, n.d., p.1).

Présentation des résultats

Avant d’analyser le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants novices et leur perception du soutien reçu, il s’avère important d’établir un portrait statistique des types de besoins de soutien ressentis et de leur perception du soutien reçu.

Portrait statistique des types de besoins de soutien et de la perception du soutien reçu

D’entrée de jeu, nous présentons au Tableau 2, les fréquences pour chaque type de besoins de soutien ainsi que les pourcentages associés. Les fréquences pour chaque item ont donc été additionnées en utilisant la typologie de Carpentier et al.. Nous remarquons d’emblée que la majorité des répondants (entre 65 % et 78 %) éprouvent, pour l’ensemble des types de besoins de soutien, un besoin de soutien moyen ou important. Ceux qui ressortent le plus sont liés à la gestion de classe (78 %) et à la différenciation pédagogique (78 %), mais il faut noter que les trois autres types de besoins de soutien, ceux liés à la socialisation organisationnelle (71 %), de nature personnelle et psychologique (69 %) et ceux liés à l’enseignement (65 %) demeurent importants chez de nombreux enseignants débutants. En ce qui a trait à la perception du soutien reçu, systématiquement, la majorité des enseignants novices considèrent avoir reçu peu ou pas de soutien. En effet, pour l’ensemble des types de besoins de soutien, la proportion d’enseignants ayant perçu avoir eu peu ou pas de soutien oscillent entre 64 % et 79 %.

Tableau 2[1][2]

Statistiques descriptives sur les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu d’enseignants débutants

Statistiques descriptives sur les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu d’enseignants débutants

-> See the list of tables

Degré de concordance entre les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu

Une fois ce portrait statistique établi, nous avons fait des mesures d’association afin d’établir si les enseignants qui ont mentionné ressentir un type de besoins de soutien moyen ou important ont perçu un soutien significatif à cet égard. Outre les valeurs des Gammas et leur signification, nous présentons l’ensemble des résultats sous forme de pourcentage dans le Tableau 3.

Tableau 3

Résultats des mesures d’association entre les types besoins de soutien ressentis et la perception du soutien reçu

Résultats des mesures d’association entre les types besoins de soutien ressentis et la perception du soutien reçu

-> See the list of tables

Les résultats des mesures d’association présentés dans le Tableau 3 ne montrent pas de liens significatifs entre les types de besoins de soutien ressentis et la perception du soutien reçu pour les besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle (Gamma = 0,083, p < 0,412), à l’enseignement (Gamma = 0,079, p < 0,448), à la différenciation pédagogique (Gamma = 0,105, p < 0,337) et les besoins de soutien de nature personnelle et psychologique (Gamma = 0,081, p < 0,389). Autrement dit, les participants qui avaient un besoin de soutien moyen ou important n’ont pas nécessairement perçu avoir reçu un soutien significatif. Par contre, pour les besoins de soutien liés à la gestion de classe, les analyses montrent un lien significatif (Gamma = 0,276, p < 0,020). Pour le calcul des Gammas, le logiciel d’analyse de données sélectionne les réponses de chaque individu pour les besoins de soutien et le soutien reçu et calcule des liens entre ces réponses. En effet, il ne le fait pas pour tous les individus ensemble (Field, 2013). Comme le gamma significatif est faible, cela explique en partie les pourcentages présentés. Ainsi, le lien significatif observé entre le type de besoins de soutien liés à la gestion de classe et la perception du soutien reçu ne réfère pas nécessairement au fait que les enseignants qui avaient ce type de besoins de soutien ont la perception d’avoir reçu du soutien significatif. En effet, 65 % des répondants qui avaient des besoins de soutien moyen ou important relativement à la gestion de classe ont la perception d’avoir reçu peu ou pas de soutien.

Vers une compréhension de l’inadéquation entre les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu

L’analyse des entrevues et des commentaires explicatifs des enseignants met en lumière certaines problématiques qui permettent de comprendre pourquoi la majorité des enseignants débutants ne perçoivent pas que le soutien reçu correspond à leurs types de besoins de soutien. Il s’agit notamment des défaillances quant au moment où le soutien est offert, au manque de collégialité dans l’environnement de travail et au choix du soutien reçu. Nous abordons ces différents aspects dans les sections suivantes. D’abord, plusieurs enseignants affirment que certaines mesures de soutien formelles sont parfois offertes trop tôt durant la phase d’insertion professionnelle, au détriment d’autres mesures qui seraient plus adaptées aux types de besoins de soutien ressentis lors des deux premières années de carrière. En outre, l’enseignante 1 (E1) fait ressortir plusieurs éléments qui font référence aux besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle et à la différenciation pédagogique et elle déplore qu’aucun soutien ne soit offert pour ces types de besoins de soutien.

En effet, elle affirme :

J’avais besoin d’avoir de l’information sur les ressources auxquelles les élèves avaient le droit à l’école. Est-ce que je peux demander un psychologue, un orthopédagogue, un orthophoniste, un psychoéducateur ? Qu’est-ce qu’on fait avec un élève qui arrive d’un autre pays, qui est agressif, qui s’oppose et qui a le niveau académique d’un enfant de maternelle ? Il n’y a personne pour m’aider là-dessus.

Dans le même ordre d’idées, d’autres enseignants stipulent que le soutien reçu de manière formelle dès la première année d’enseignement n’a été utile qu’après deux, trois ou quatre ans dans la profession puisqu’il n’était pas adapté aux besoins de soutien ressentis lors de leur première année d’enseignement. Par exemple, une enseignante mentionne, en parlant d’une trousse d’accueil, que :

C’était trop déconnecté. Avec du recul, admettons que pendant ma 2e année ou ma 3e année, c’est arrivé que je refouille dedans, puis que je trouve de belles ressources, mais à mon arrivée, ce n’était pas ça qui répondait à mon besoin. Dans la trousse de départ, il y avait de la publicité par exemple, pour les bibliothèques de la ville, pour le syndicat, quelques lettres qui résumaient un peu les grands moments de l’année, les dates de bulletins, des choses comme ça. Mais c’était très loin de ce dont j’avais besoin en début d’année quand je commençais ma classe. Donc, ce sont des informations qui étaient pertinentes par la suite, mais sur le coup, ce n’était vraiment pas ce dont j’avais besoin. (E8)

Dans les deux cas, l’idée n’est pas d’être contre l’offre de soutien formel lors des deux premières années d’enseignement, au contraire, mais de déplorer que le soutien reçu au tout début de l’insertion professionnelle ne correspondît pas à leurs besoins de soutien à ce moment-là, qui était plutôt centré sur l’organisation immédiate de la classe et la planification des premières journées de classe. Plusieurs enseignants ont mentionné, dans les commentaires explicatifs du questionnaire, que le soutien formel offert au tout début de la carrière était très général alors que leurs besoins étaient très précis. Plusieurs déplorent que le soutien formel offert concerne souvent le fonctionnement de la paye, l’adhésion au syndicat et la présentation aux collègues, et qu’elles doivent compter sur le soutien informel pour avoir des informations sur la gestion de classe, la planification, l’évaluation, etc. Aussi, puisque le soutien formel est souvent offert aux enseignants qui ont un contrat ou qui sont dans une école dès le début d’année, un enseignant, lors des entrevues, affirme qu’il a eu du soutien seulement à sa troisième année alors que les deux premières avaient été très difficiles. Même son de cloche dans les commentaires explicatifs du questionnaire où neuf personnes ont abordé cet aspect. Une d’entre elles affirme « qu’en faisant de la suppléance, on a très peu de considération et de reconnaissance pour le travail fait et on n’a souvent droit à aucun soutien ! »

Ensuite, les enseignants débutants évoquent une variation de la collégialité entre collègues d’une école à l’autre. En effet, l’entraide entre collègues, de manière informelle, ressort dans la majorité des entrevues et dans plusieurs commentaires explicatifs et plusieurs estiment que ce fut leur seule source de soutien. Parmi les répondants qui ont attesté que le soutien reçu correspondait tout à fait à leurs besoins de soutien (11,6 %), la très grande majorité a expliqué ce fait par le soutien informel des collègues. Certains affirment même « que cela est seulement grâce aux collègues incroyables » ou que « ce soutien provient presque uniquement de collègues ». À l’inverse, plusieurs enseignants affirment ne pas avoir reçu de soutien de leurs collègues. Plusieurs déplorent que l’entraide soit très différente d’une école à une autre et que c’est le hasard qui détermine si l’insertion professionnelle sera facilitée par le soutien informel des collègues ou non. Aussi, quelques enseignants interviewés disent travailler dans des écoles où les enseignants sont, de façon générale, peu ouverts à la collaboration professionnelle et au partage, ou sont tout simplement peu enclins à s’ouvrir aux nouveaux. L’extrait d’entrevue suivant montre que la culture professionnelle peut varier d’une école à l’autre : « Dans certaines écoles, les enseignantes travaillent vraiment plus seules, c’est chacun pour soi, puis dans certaines autres écoles, elles s’entraident plus. » (E8) Ainsi, le fait de planifier avec des collègues, de se faire offrir du matériel pédagogique, d’aborder les problèmes de gestion de classe, d’évaluation des apprentissages et de différenciation pédagogique sont des modalités fort appréciées par les enseignants débutants, mais demeurent souvent informelles et varient grandement d’un milieu professionnel à un autre.

Toujours en ce qui a trait au soutien entre collègues, plusieurs enseignants relèvent le problème de pression du temps. À cet égard, quatre enseignants mentionnent qu’ils perçoivent, dans certaines écoles, l’ouverture des collègues à l’entraide et au partage informels pour aider les nouveaux enseignants, mais qu’ils n’ont pas nécessairement le temps ni les ressources pour le faire. Plusieurs participants déplorent le fait que leurs collègues n’étaient pas rémunérés ou dégagés de certaines autres tâches pour les aider. En conséquence, non seulement les enseignants expérimentés sont moins disponibles pour aider les nouveaux ou établissent des limites, mais aussi, dans les circonstances, les enseignants débutants peuvent éprouver une certaine réticence à les solliciter. Ce dernier aspect est ressorti dans plusieurs commentaires explicatifs du questionnaire.

En effet, alors qu’une enseignante affirme : « le soutien vient seulement des autres enseignants qui n’ont pas toujours le temps ou le gout de nous aider et c’est parfois gênant et malaisant de demander » ; une autre mentionne que « le soutien que j’ai eu, c’est parce que je l’ai quémandé, presque en détresse, à des collègues et j’ai reçu du soutien… dans la mesure de ce qu’elles pouvaient m’offrir. » Le fait de ne pas libérer ou payer les enseignants expérimentés peut donc avoir des effets sur les enseignants débutants qui sont moins à l’aise de demander de l’aide en sachant que leurs collègues n’ont pas de compensation pour le temps qu’ils investissent. Cela semble particulièrement être le cas lorsque les enseignants en insertion professionnelle souhaitent se confier à propos de leurs besoins de soutien de nature personnelle et psychologique. En effet, quatre enseignants ont soulevé le fait que de parler de leurs émotions ou de leur tristesse avec des enseignants débordés et pressés n’était pas évident. Un des répondants mentionne que de demander de l’aide dans de telles circonstances « est assez humiliant et c’est assez pour en décourager plusieurs ». Dans le même ordre d’idées, certains enseignants ont soulevé que le soutien informel des collègues soit trop souvent offert dans des moments où ils n’ont pas le temps de développer suffisamment leurs questions ou leurs problématiques comme pendant les récréations ou l’heure du diner. Un enseignant a mentionné le fait qu’avec le peu de temps de disponible, il avait parfois juste le temps de décrire à ses collègues sa problématique, mais rarement la possibilité de recevoir des conseils ou du soutien. Dans ce cas, les collègues ont fait office d’oreille attentive alors que l’enseignant débutant souhaitait trouver des pistes de solutions.

Parmi les autres aspects qui sont ressortis des entrevues et des commentaires explicatifs et qui peuvent expliquer le peu de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants et la perception du soutien reçu, il y a le fait d’avoir le choix du soutien à recevoir. En effet, lorsque les participants peuvent choisir eux-mêmes le soutien qu’ils désirent avoir et que le soutien formel n’est pas imposé, il y a plus de chance qu’ils choisissent du soutien adapté à leurs besoins de soutien. À ce sujet, un des enseignants mentionne que « (…) on nous envoyait à la commission scolaire faire des formations [obligatoires] que j’ai trouvées plus ou moins pertinentes pour mon travail » (E5). Les enseignants qui ont mentionné cet aspect auraient majoritairement souhaité de la formation liée à la différenciation pédagogique. Plusieurs autres participants mettent en doute la pertinence des mesures de soutien obligatoires et préfèreraient que ce temps de libération leur serve pour planifier, évaluer et rencontrer leurs collègues.

Quand j’en ai eu [des formations], c’était une formation pendant une journée pédagogique, mais des journées pédagogiques, il y en a une par mois des fois, et puis on en a besoin pour notre planification, notre correction. Alors de la perdre pour avoir du soutien… Est-ce qu’on peut être dégagé pour avoir notre soutien ? (E4)

Ainsi, cet enseignant questionne le fait de manquer de précieux temps pour planifier et pour corriger au détriment de certaines formations qu’il n’a pas choisies et qui s’avèrent peu pertinentes au regard de ses propres types de besoins de soutien. Certains enseignants auraient souhaité pouvoir choisir du soutien adapté à leurs besoins de soutien de nature personnelle et psychologique, mais attestent qu’il n’y a pas de soutien offert pour les soutenir dans cet aspect de l’insertion professionnelle. Trois commentaires explicatifs sont centrés sur cet aspect et un enseignant souligne qu’« en général, j’avais un peu de choix pour mes besoins en enseignement et beaucoup en gestion de classe, mais il n’y avait rien de disponible pour ma confiance, mon estime de moi… ». Dans le même ordre d’idées, un autre enseignant affirme qu’« au niveau du soutien moral et du développement personnel, il y a trop peu d’aide. Pourtant, on se fait parler de l’effet enseignant et on se fait dire que c’est très important que nous soyons bien ». Plusieurs enseignants abordent donc le fait d’avoir peu de choix et d’avoir souvent du soutien obligatoire alors que d’autres attestent qu’il y a trop peu de soutien pour les aspects affectifs de l’insertion professionnelle et du travail de l’enseignant.

Discussion relative aux résultats

Considérant ces résultats, différents aspects peuvent être mis en perspective afin de répondre à l’objectif de recherche au coeur du présent article qui est de décrire et de comprendre le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants en insertion professionnelle et la perception qu’ils ont du soutien reçu.

Ce que révèle le portrait des types de besoins de soutien et du soutien perçu

D’abord, le portrait statistique des types de besoins de soutien ressentis par les répondants illustre que les enseignants débutants ressentent, dans une grande proportion, un besoin de soutien moyen ou important pour l’ensemble de ceux-ci. Les types de besoins de soutien sont variés et touchent divers aspects du travail enseignant et de l’insertion professionnelle. Ce portrait statistique va de pair avec la complexification et l’intensification du travail enseignant résultant de certains enjeux politiques comme les restrictions budgétaires, les réformes et les conditions de travail des enseignants (Mukamurera, 2018 ; Tardif, 2016).

Aussi, lors de la formation initiale et des stages de formation, les futurs enseignants sont accompagnés et guidés quotidiennement alors que lors de leur insertion professionnelle, ils doivent prendre en charge toutes les responsabilités liées à un ou à plusieurs groupes-classes. Cette transition peut exacerber leurs besoins de soutien, car en plus de devoir assumer l’entière responsabilité des tâches et des actes professionnels dès leur première journée de travail (Conseil supérieur de l’éducation [CSÉ], 2014 ; Tardif, 2016), les enseignants novices vivent de nombreux changements de milieu professionnel, de matière à enseigner et d’horaire (Mukamurera, Desbiens, Martineau et Grenon, 2019). D’ailleurs, au Québec comme ailleurs en Amérique du Nord et en Europe, les procédures d’attribution des postes et des contrats favorisent souvent les enseignants chevronnés, au détriment des enseignants débutants qui se voient affecter à des tâches restantes, instables et difficiles qui peuvent engendrer différents types de besoins de soutien (Perez-Roux et Lanéelle, 2018). Nous proposons donc de revenir sur l’ensemble des types de besoins de soutien afin de mettre en lumière certains éléments problématiques qui ressortent tant du portrait statistique que des entrevues semi-dirigées.

Les cinq types de besoins de soutien sont ressentis par de nombreux enseignants et les besoins de soutien liés à la gestion de classe (78 %) et ceux liés à la différenciation pédagogique (78 %) sont les plus fréquents chez les enseignants débutants. À cet égard, de nombreux chercheurs soulignent que la gestion de classe et la différenciation pédagogique sont des enjeux qui peuvent engendrer du stress et de la détresse psychologique chez les enseignants débutants (Brault-Labbé, 2015). Concernant la gestion de classe et la gestion des comportements difficiles des élèves, la littérature scientifique a, depuis longtemps, identifié cet aspect du travail enseignant comme un des éléments les plus problématiques pour les nouveaux enseignants (OCDE, 2012). Dans le même sens, Brault-Labbé (2015), souligne que plusieurs enseignants débutants se sentent impuissants par rapport aux comportements de leurs élèves et qu’ils sont majoritairement peu satisfaits des formations offertes sur le sujet lors de la formation initiale à l’enseignement. Durant nos entrevues, peu de participants ont abordé spécifiquement la gestion de classe en parlant du soutien reçu. Ceux qui l’ont fait ont brièvement mentionné que certains collègues plus expérimentés pouvaient donner certains conseils, mais surtout écouter et rassurer, ce qui est en soi aidant, mais qui ne les outille pas pour régler les problèmes de gestion de classe. L’offre de mesures de soutien devrait donc prendre en considération les besoins de développement professionnel sur l’ensemble des aspects évoqués, avec peut-être un accent particulier sur la gestion de classe et la différenciation pédagogique.

Au sujet de la différenciation pédagogique, elle représente un défi considérable pour de nombreuses recrues qui ressentent une grande pression pour s’adapter aux particularités de chaque élève (Auclair Tourigny, 2017 ; Desmeules et Hamel, 2017), sans pouvoir pour autant compter sur une offre de soutien approprié pour cet aspect du travail (Brault-Labbé, 2015). Cette réalité se reflète dans nos résultats puisque 78 % des enseignants débutants sondés ont affirmé avoir un besoin de soutien moyen ou important en ce qui a trait à la différenciation pédagogique alors que seulement 21 % d’entre eux ont perçu un soutien significatif. Parmi les cinq types de besoins de soutien, c’est d’ailleurs celui pour lequel les enseignants ont la perception d’avoir obtenu le moins de soutien. Alors qu’un grand nombre d’enseignants ressentent, depuis déjà de nombreuses années, une grande pression pour s’adapter aux particularités de chaque élève et pour adapter leur intervention auprès des élèves en difficulté, Brault-Labbé (2015) atteste que le soutien essentiel pour bien vivre l’inclusion scolaire n’a pas été offert aux enseignants. Plusieurs participants de notre recherche ainsi que ceux interrogés par Auclair Tourigny (2017) relatent plus particulièrement un manque de ressources professionnelles (psychologue, orthopédagogue, orthophoniste et psychoéducateur) dans les écoles et attestent que les procédures pour y avoir accès ne sont pas toujours transparentes et présentées aux recrues.

Pour les autres types de besoins de soutien, 71 % de nos répondants ont mentionné ressentir des besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle ce qui corrobore les résultats de différentes recherches qui traitent de l’épreuve de l’intégration et de l’acculturation au milieu professionnel (Forseille et Raptis, 2016 ; Perez-Roux et Lanéelle, 2018). Le processus d’acculturation fait ainsi référence au fait que les enseignants débutants doivent s’introduire dans un milieu qui possède déjà des règles, des façons de procéder, des valeurs et des attentes qu’ils ne connaissent pas nécessairement et qu’il faut parfois du temps (2 à 3 ans) pour se familiariser avec tous ces enjeux (Mukamurera et Fontaine, 2017). Les nouveaux enseignants peuvent donc ressentir des besoins de soutien liés à l’adaptation à toutes ces nouveautés, en particulier lorsqu’ils enseignent dans plusieurs écoles, comme c’est souvent le cas en début de carrière (Mukamurera et Fontaine, 2017). Dans un autre ordre d’idées, les enseignants débutants sont amenés à collaborer avec différents acteurs (enseignants, spécialistes, directions, etc.) et à s’insérer dans des dynamiques et des relations, parfois tendues ou conflictuelles, déjà établies (Karsenti, Correa Molina, Desbiens, Gauthier, Gervais, Lepage et al., 2015). C’est d’ailleurs cet aspect précis de la socialisation organisationnelle qui a été amplement mis en relief par les données qualitatives de notre recherche. Or, comme dans l’étude de Bland et al. (2014), plusieurs enseignants ont affirmé être gênés ou mal à l’aise de demander du soutien à leurs collègues au sujet de la gestion des relations interpersonnelles. Seulement 36 % des répondants au questionnaire ont mentionné avoir reçu un soutien significatif quant aux besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle.

Ainsi, bien que la grande majorité des participantes ont affirmé s’être fait présenter à l’école-école, il ressort, comme dans l’étude de Bland et al. (2014), que la simple présentation aux collègues ne suffit pas pour que les enseignants débutants se sentent à l’aise et intégrés dans leur nouveau milieu de travail. Le soutien devrait donc aller au-delà. À cet égard, Brault-Labbé (2015) met de l’avant que les défis liés au milieu de travail (relation avec les collègues, connaissances du fonctionnement de l’établissement scolaire) qui renvoient à la socialisation organisationnelle sont les plus fortement associés à un moindre bienêtre et à des difficultés d’engagement professionnel chez les enseignants débutants.

Les besoins de soutien de nature personnelle et psychologique sont ressentis quant à eux par 69 % des répondants. Cela semble conforme à l’esprit des résultats de plusieurs recherches qui évoquent notamment la pénibilité des premières années d’enseignement, l’épuisement professionnel et la détresse psychologique chez les enseignants et plus particulièrement, chez les enseignants débutants (Ciavaldini-Cartaut et al., 2017 ; Leroux, 2018). En effet, non seulement les enseignants débutants doivent faire la preuve de leurs compétences, mais aussi ils doivent souvent accepter des tâches lourdes, difficiles ou dans un autre domaine que le leur pour avancer sur les listes de priorité d’emploi, ce qui peut engendrer du stress ou de l’épuisement (Karsenti et al., 2015). Le sentiment de survie et les remises en question fréquentes sont légion durant le processus d’insertion professionnelle (Mukamurera, 2018) et plusieurs enseignants ayant participé à notre recherche (31%) déplorent le peu de soutien affectif et émotionnel. Ce type de besoins de soutien de nature personnelle et psychologique semble également être exacerbé par les difficultés liées à la gestion de classe, à la différenciation pédagogique, à la socialisation organisationnelle (Brault-Labbé, 2015) ainsi qu’aux conditions de travail difficiles des enseignants débutants. Il est donc possible de mettre en place des mesures de soutien pour aider ces enseignants, mais il est aussi important, comme le souligne Auclair Tourigny (2017), de travailler d’autres leviers pour limiter le stress professionnel, notamment en diminuant les exigences et les attentes du milieu, en laissant plus de choix dans le processus d’affectation et en offrant un accès plus rapide à la permanence.

Relativement au type de besoins de soutien liés à l’enseignement, 65 % des répondants ressentent un besoin de soutien moyen ou important. En sachant que l’acquisition, le développement et la consolidation des compétences liées à l’acte d’enseigner demandent du temps et de la pratique (CSÉ, 2014), il est sans doute normal que les enseignants débutants aient besoin de poursuivre leur développement professionnel et d’avoir du soutien à cet égard. En effet, pour planifier et enseigner adéquatement, les enseignants ont besoin d’avoir une vision à long terme des apprentissages à acquérir par les apprenants, mais les enseignants débutants peuvent difficilement avoir cette vue d’ensemble puisqu’ils sont amenés à enseigner à différents niveaux, souvent simultanément (Karsenti et al., 2015). Aussi, le fait de travailler en équipe avec les collègues semble très soutenant pour ce qui est de la planification, de l’enseignement et de l’évaluation. À l’inverse, plusieurs enseignants ont déploré le peu de soutien reçu (75%) de la part des collègues et ont abordé la gêne éprouvée à devoir sans cesse réclamer de l’aide à des collègues eux-mêmes débordés ou non libérés pour les aider. Mitescu Lupu (2011), qui observe les relations entre la perception du soutien reçu des enseignants débutants et certains facteurs liés à la persévérance professionnelle, atteste que la collégialité et le soutien lié aux pratiques pédagogiques sont des facteurs de protection pour favoriser la rétention dans le milieu scolaire. Tout en étant important, il apparait quand même que ce type de besoin arriverait en dernier en termes de fréquence. Serait-ce que la formation professionnalisante en cours, au Québec, depuis près d’une vingtaine d’années porte fruit ? Il est aussi possible de penser que les formations pédagogiques souvent offertes dans le milieu scolaire entrent en ligne de compte. Toutefois, cela ne doit pas occulter les difficultés que suscite souvent l’évaluation des apprentissages (Brault-Labbé, 2015 ; Mukamurera, 2018). On comprend dès lors que le travail en collaboration avec des enseignants expérimentés peut s’avérer bénéfique.

Le degré de concordance entre les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu

Les mesures d’association effectuées pour établir le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants et leur perception du soutien reçu ne donnent majoritairement pas de résultats significatifs. Ainsi, l’ensemble de ces analyses permet d’affirmer que les enseignants qui avaient un besoin de soutien moyen ou important par rapport à un type n’ont pas forcément perçu un soutien significatif à cet égard. Selon les types de besoins de soutien, ce sont entre 64 % et 79 % des répondants qui disent avoir eu peu ou pas de soutien. Les recherches montrent depuis des années l’importance de soutenir les enseignants débutants (Bland et al., 2013 ; Kidd et al., 2015) et des sommes sont investies par le Gouvernement pour favoriser l’insertion professionnelle des enseignants débutants (gouvernement du Québec, 2013). Aussi, des études affirment que les enseignants soutenus peuvent être plus compétents, mieux outillés pour aider leurs élèves et davantage épanouis dans leur travail (Ingersoll, 2012 ; Leroux et Mukamurera, 2013). Cependant, si de manière générale l’ensemble des enseignants interrogés disent avoir reçu du soutien, nous constatons qu’ils ne se sentent pas ou peu soutenus par rapport aux types de besoins spécifiques ressentis. De ce fait, il ne faut pas simplement mettre en place des mesures de soutien pour les débutants, mais bien connaître et comprendre leurs besoins afin de leur offrir des types de soutien qui y répondent (Fresko et Nasser-Abu Alhija, 2015 ; Kidd et al., 2015).

Les entrevues réalisées pour mieux comprendre l’écart entre les besoins de soutien et la perception du soutien reçu permettent de faire ressortir trois pistes de réflexion. D’abord, la collégialité semble être un facteur important pour les enseignants débutants. En effet, les enseignants qui ont perçu du soutien significatif ont tous abordé le climat collaboratif de leur milieu professionnel. Encore une fois, les enseignants interrogés par Duchesne et Kane (2010) ont aussi soulevé que leur expérience d’insertion professionnelle et le soutien reçu est très influencé par leur milieu de travail. Plusieurs chercheurs ont abordé au cours des années le sentiment d’isolement des enseignants débutants et les effets négatifs de se sentir ainsi laissé à soi-même sur le sentiment de compétence, le développement professionnel, la satisfaction au travail, etc. (Ingersoll, 2012 ; Mukamurera et Fontaine, 2017). Le défi de s’intégrer à l’équipe-école semble très grand pour certains enseignants et d’aucuns mettent en lumière que le milieu de l’éducation laisse souvent les débutants isolés alors qu’ils sont dans un moment difficile et névralgique de leur carrière (OCDE, 2012). Ces difficultés peuvent notamment être exacerbées par un changement fréquent de milieu professionnel (Mukamurera et Fontaine, 2017). Le fait de s’intégrer réellement à l’équipe de travail et de vivre une collaboration saine pourrait donc être soutenant pour bon nombre d’enseignants en insertion professionnelle.

Ensuite, certains enseignants débutants ont abordé le moment où le soutien est offert. En effet, plusieurs ont souligné que les deux premières années d’enseignement avaient été particulièrement difficiles et que les mesures de soutien offertes n’étaient pas adaptées au sentiment de survie qu’ils vivaient. Cela corrobore les propos de Mukamurera et Desbiens (2017) qui mettent en évidence que les besoins de soutien des enseignants débutants sont plus importants durant les deux premières années d’insertion professionnelle et que le soutien offert doit donc tenir compte de cette réalité. D’autres enseignants débutants de l’étude de Duchesne et Kane (2010) ont également soulevé le fait que lorsque le soutien n’est pas offert au moment opportun, il ne fait qu’alourdir la tâche et exacerber le sentiment d’incompétence. En ce sens, le soutien doit commencer dès la première année d’insertion, que le nouvel enseignant soit sur un poste régulier ou non, et doit être ciblé en concertation avec les enseignants. Sur ce dernier point, les résultats qui se dégagent de nos données qualitatives vont dans le même sens que ceux de ces chercheurs au sujet de l’inefficacité des mesures de soutien imposées et de la perte de temps et d’argent que cela représente. Nos répondants insistent sur l’importance de pouvoir choisir les mesures de soutien qui leur sont octroyées, afin de mieux tenir compte de leurs propres besoins de soutien et leur réalité professionnelle.

Ainsi, malgré le fait que la communauté scientifique semble s’entendre sur l’importance de prendre en compte les besoins de soutien des enseignants débutants avant de choisir le soutien offert (Fresko et Nasser-Abu Alhija, 2015 ; Kidd et al., 2015 ; Mukamurera et al., 2019), force est de constater que cela ne semble pas encore se vivre sur le terrain. Il reste du travail auprès des commissions scolaires et des écoles qui dispensent le soutien aux nouveaux enseignants et, bien sûr, auprès du ministère de l’Éducation qui pourrait jouer un rôle plus actif en finançant adéquatement les mesures de soutien et la libération pédagogique des enseignants impliqués.

Conclusion

Établir un portrait statistique des types de besoins de soutien ressentis et du soutien perçu par les enseignants débutants et un portrait du degré de concordance entre les deux étaient nécessaire pour poursuivre la réflexion sur la pertinence du soutien octroyé aux nouveaux enseignants. En effet, plusieurs recherches ont dressé un portrait des difficultés, voire des épreuves vécues durant les premières années d’enseignement (Brault-Labbé, 2015 ; Forseille et Raptis, 2016 ; Perez-Roux et Lanéelle, 2018), mais ce portrait statistique actuel des types de besoins de soutien ressentis par les enseignants en insertion professionnelle était inédit et nécessaire, d’un point de vue scientifique, pour poursuivre les réflexions et les recherches sur les besoins de soutien des enseignants débutants et sur le soutien qu’il conviendrait de leur offrir (Kidd et al., 2015 ; OCDE, 2012). Par la suite, les analyses quantitatives effectuées pour mesurer le degré de concordance entre les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants en insertion professionnelle et la perception qu’ils ont du soutien reçu n’ont, à notre connaissance, jamais été réalisées. Nos résultats, basés sur un échantillon représentatif de 156 enseignants débutants, constituent une avancée importante et permettent d’aller plus loin que des recherches antérieures basées sur des entrevues et des échantillons plus limités (Auclair Tourigny, 2017 ; Duchesne et Kane, 2010 ; Martineau et al., 2014). En outre, la combinaison des données quantitatives et qualitatives a donné l’occasion d’aller plus loin. En effet, les entrevues ont permis d’expliquer plus en profondeur certains résultats et de proposer de nouvelles pistes de réflexion. Cet article fait ressortir que les types de besoins de soutien sont variés et importants, dans la mesure où ils concernent entre 65 % et 78 % des répondants de notre recherche. Rappelons que peu d’enseignants en insertion professionnelle qui éprouvent un type de besoins de soutien moyen ou important perçoivent un soutien significatif. Cet écart entre les types de besoins de soutien et la perception du soutien reçu est expliqué grâce aux résultats qualitatifs présentés. Cette recherche présente toutefois certaines limites, notamment le fait que quatre années se sont écoulées entre l’enquête par questionnaire et les entrevues semi-dirigées. Il est donc possible que certains enseignants aient oublié certains aspects de leur expérience d’insertion professionnelle ou qu’avec le recul, certains éléments aient pris plus ou moins d’importance qu’ils en avaient réellement été.

Cependant, le fait d’avoir fait les entrevues après leurs cinq premières années en fonction a permis aux participants de dégager une vue d’ensemble du soutien reçu lors de leur insertion professionnelle. Avec la pénurie d’enseignants et la baisse d’inscription à la formation initiale en enseignement actuellement décrite dans les médias (Tardif, 2016), la valorisation de la profession et la rétention des enseignants débutants demeurent des enjeux incontournables. Il faut non seulement que les enseignants demeurent dans la profession, mais qu’ils s’y sentent heureux, accomplis et compétents. Les résultats présentés dans cet article montrent bien que le soutien offert aux enseignants débutants doit mieux répondre aux différents types de besoins de soutien ressentis. Des études permettant de décrire et de comprendre la pertinence et le degré d’aide apportée par les mesures d’insertion permettraient d’identifier ce qui est réellement aidant et de proposer des pistes d’amélioration à l’offre de soutien.