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Introduction

À travers le monde, les personnes ayant des incapacités de tous ordres sont de plus en plus nombreuses à accéder aux études universitaires (Ebersold et Cabral, 2016 ; Pautel, 2017 ; St-Onge et Lemyre, 2018a). Au Québec la proportion d’étudiants qui se sont identifiés aux services adaptés de leur université s’est accrue de 235 % au cours des cinq dernières années passant de 6905 étudiants (2012-2013) à 16 300 étudiants (2017-2018) (AQICESH, 2013 ; 2018). Cette hausse est attribuable à différents facteurs structurels (ex. meilleur dépistage et encadrement dans les écoles primaires et secondaires, politiques d’inclusion dans les établissements post-secondaires) (Ebersold, 2011 ; Macé et Rivard, 2013) qui ont permis à une population historiquement destinée à l’abandon scolaire, de persévérer dans des ordres d’enseignement supérieur. L’augmentation remarquable s’explique également par la présence d’une nouvelle population estudiantine, souvent qualifiée « d’émergente[1] » (Doucet et Philion, 2016 ; GT-ÉSHÉ, 2014) et composée de personnes ayant un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), un trouble mental, un trouble spécifique des apprentissages ou encore un trouble du spectre de l’autisme[2].

Les étudiants en situation de handicap émergents[3] (ÉSHÉ) sont maintenant plus nombreux (proportions allant de 64 % à 70 % selon les études consultées) que leurs homologues ayant des déficiences traditionnelles à poursuivre des études universitaires (AQICESH, 2018 ; Coduti, Hayes, Locke et Youn, 2016 ; GT-ÉSHÉ, 2014 ; Osborne, 2018 ; Pautel, 2017 ; Raue et Lewis, 2011)[4]. Ils comprennent davantage de femmes que d’hommes et sont présents dans une multitude de programmes, dont plusieurs visent à former des professionnels de la santé et des services sociaux (AQICESH, 2018). À l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), c’est au sein de l’Unité d’enseignement en travail social (UETS-UQAC) que se retrouve la plus grande proportion d’ÉSHÉ. Les défis variés auxquels se heurtent ces étudiants au cours de leur formation théorique ont tendance à s’accentuer lors des stages terminaux. En effet, au cours des dix dernières années, la très grande majorité des situations d’abandon, de prolongation ou d’échec en stages concernaient des étudiants ayant des troubles mentaux ou neuro-développementaux. Ces derniers n’étaient pas nécessairement identifiés auprès des services d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap (services ASESH), même s’ils avaient un diagnostic qui aurait pu justifier la mise en place de mesures de soutien.

C’est à la suite d’un parcours de stage difficile qu’une prise de conscience s’est amorcée de la part de toutes les parties impliquées et que la nécessité de se concerter et d’agir en amont est devenue une priorité. Cet article résulte de cette collaboration, au cours de laquelle s’est amorcée une réflexion à propos des meilleures façons d’accompagner les ÉSHÉ, et ce, particulièrement dans le cadre de leurs stages. Il sera question, d’abord, des besoins spécifiques à ce groupe d’étudiants et des modalités en place pour les soutenir. Suivra la présentation de la structure d’accompagnement développée au sein de l’UETS-UQAC, et une réflexion prospective en constituera à la fois la discussion et la conclusion.

Problématique

Au sein des institutions universitaires, un diagnostic médical est nécessaire afin que les étudiants puissent accéder aux services de soutien dédiés[5]. Les ÉSHÉ ont donc en commun d’avoir un diagnostic répertorié dans le manuel édité l’Association psychiatrique américaine (APA, 2013). De fait, les troubles spécifiques des apprentissages[6], du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) et du spectre de l’autisme se retrouvent dans la catégorie des troubles neurodéveloppementaux[7]. Le groupe des étudiants ayant des troubles mentaux[8] comprend quant à lui des personnes ayant diverses affectations dont principalement les troubles dépressifs, les troubles anxieux, les troubles liés à des traumatismes ou des facteurs de stress, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles bipolaires et les troubles du spectre de la schizophrénie. Considérant cette étendue diagnostique, il va de soi que les ÉSHÉ forment un groupe hétérogène dont les besoins sont de nature très variée. Les prochaines lignes visent à situer ce groupe spécifique d’étudiants, en : a) estimant la prévalence des conditions énumérées précédemment, b) identifiant les facteurs accentuant le risque d’apparition de situations de handicap et c) situant certains enjeux relatifs leur accompagnement en contexte universitaire.

L’ampleur des troubles mentaux et neurodévelopementaux chez les étudiants fréquentant les institutions postsecondaires

Une étude internationale récente, menée dans 21 pays, et utilisant comme méthode l’entretien clinique structuré pour le DSM-IV, a révélé que 20,3 % des étudiants (18-22 ans) rencontrés ont eu, dans la dernière année, un diagnostic de trouble mental (Auerbach et al., 2016). Interprétés à la lumière de la version la plus récente du manuel diagnostique (APA, 2013), ces résultats indiquent que les troubles anxieux arrivent au premier rang (10,4 %), suivis des troubles dépressifs (4,5 %), des troubles bipolaires (1,8 %), du trouble de stress post-traumatique (1,3 %) et du TDA/H (0,4 %). La majorité des études menées auprès de populations d’étudiants postsecondaires[9] utilisent toutefois des échelles auto-rapportées, ce qui fait état de manifestations associées à des troubles mentaux, sans toutefois confirmer le diagnostic. Cependant, tout semble indiquer que l’individu ayant obtenu des résultats élevés aux échelles autorapportées obtiendrait une confirmation du diagnostic s’il consultait un professionnel de la santé à ce sujet. Les prochaines lignes présentent ces données qui atteignent les seuils cliniques.

Quelques études récentes se sont intéressées à la prévalence des troubles mentaux chez les étudiants qui poursuivent des études postsecondaires. La première, menée auprès de 13 984 étudiants universitaires[10], révèle que ceux ayant un ou des troubles mentaux correspondent à 31,4 % de la population estudiantine interrogée (Alonso et al., 2018 ; Auerbach et al., 2018)[11]. Ces résultats viennent confirmer d’autres données issues d’études menées aux États-Unis et en France, présentant des taux avoisinant les 25 % (Liu, Stevens, Wong, Yasui et Chen, 2019 ; Verger, Guagliardo, Gilbert, Rouillon et Kovess-Masfety, 2010). Ces recherches indiquent par ailleurs que la plupart des étudiants sondés n’avaient qu’un seul diagnostic (de 17,2 % à 17,6 %), tandis que pour 10,6 % à 14,2 % d’entre eux, il y avait concomitance avec un autre diagnostic (Alonso et al., 2018 ; Verger et al., 2010). D’autres études indiquent finalement que les femmes (Auerbach et al., 2018 ; Epstein, Khanlou, Balaquiano et Chang, 2018 ; Verger et al., 2010) et les étudiants s’identifiant à une minorité sexuelle (Auerbach et al., 2018 ; Liu et al., 2019) seraient plus à risque de développer des troubles mentaux.

Lorsqu’on s’intéresse à la spécificité des troubles mentaux, les catégories des troubles anxieux et dépressifs[12] arrivent généralement en tête de liste dans les études consultées, ce qui coïncide avec les tendances mondiales observées auprès de populations adultes (Fleury et Grenier, 2012). Dans l’étude d’Alonso et al. (2018) par exemple, les troubles anxieux (21,2 %) et les troubles dépressifs (18,5 %) arrivent aux premiers rangs, tandis que la manie est classée loin derrière (une manifestation apparentée au trouble bipolaire). Le même scénario se reproduit chez les étudiants français, alors que 20 % vivent avec un trouble anxieux et 10 % avec un trouble dépressif (Verger et al., 2010). À plus forte insistance, une étude menée par l’American College Health Association [ACHA] (2016) révèle que c’est plus de la moitié des étudiants sondés qui mentionnent avoir reçu un diagnostic, ou avoir été traités par un professionnel de la santé au cours de la dernière année. Dans les 12 mois précédents l’enquête, 29,3 % des étudiants l’ont été pour un trouble anxieux, 14,7 % pour un trouble dépressif, 4,1 % pour un TDAH, 1,4 % pour un trouble bipolaire et moins de 1 % pour un trouble du spectre de la schizophrénie (ACHA, 2016).

Les études qui s’intéressent aux troubles mentaux chez les étudiants postsecondaires n’intègrent généralement pas le TDA/H, sans doute en raison de la nature neurodéveloppementale de ce trouble. Des données internationales récentes à propos du TDA/H chez l’adulte indiquent que la prévalence de ce trouble est de 2,8 % et qu’il touche significativement plus d’hommes que de femmes (Fayyad et al., 2017). Or, à travers les études menées auprès de populations postsecondaires, le pourcentage tend à être légèrement supérieur. Dans une recension menée par Du Paul, Weyandt, O’Dell et Varejao (2009), la prévalence d’étudiants atteignant des seuils cliniques de TDA/H allait de 2 % à 8 %, selon les écrits consultés. Dans le même sens, une étude menée en Chine après de 5240 étudiants nouvellement admis à l’université, et une étude menée auprès de 1517 étudiants français sont respectivement arrivées à des taux de 8,6 % et de 5,6 % (Cheng et al., 2016 ; Romo et al., 2018).

Quant à elle, les études menées afin de déterminer la prévalence des troubles spécifiques des apprentissages au sein des populations universitaires se font rares. Il en va de même pour celles portant sur les troubles du spectre de l’autisme (TSA). De fait, la majorité des études repérées mettent plutôt l’accent sur la proportion d’étudiants s’étant déclarés aux services adaptés de leur institution. À notre connaissance, une seule étude s’y est penchée et conclue que 5,96 % des 63 802 étudiants sondés dans une étude étatsunienne déclarent avoir un trouble d’apprentissage (McGregor et al., 2016). Ce manque de données réside peut-être dans le fait que les recherches regroupent souvent en une seule catégorie les personnes ayant un TDA/H et celles ayant un trouble d’apprentissage, considérant la fréquente cooccurrence des deux conditions (Budd, Fitchen, Jorgensen, Havel et Flanagan, 2016). Il importe toutefois, comme le suggèrent Budd et al. (2016) de distinguer ces conditions, tant dans la recherche que dans l’offre de services. Concernant les TSA, la seule étude repérée, menée auprès de 667 étudiants universitaires, suggère que la proportion d’étudiants touchés par l’autisme oscille entre 0,7 % à 1,9 % (White, Ollendick et Bray, 2011). Malgré qu’elles soient peu abondantes, ces statistiques peuvent nous fournir une estimation sur la proportion d’étudiants atteints de ces troubles susceptibles d’entreprendre des études universitaires.

Du trouble… à la situation de handicap

Si l’on se fie aux données épidémiologiques présentées dans la section précédente, le groupe des ÉSHÉ devrait être constitué, dans l’ordre : 1) des personnes ayant un trouble mental, 2) des personnes ayant un TDA/H, 3) des personnes ayant un trouble spécifique des apprentissages et 4) des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme. La réalité diffère toutefois. Selon l’AQICESH (2018), le groupe des personnes ayant un TDA/H domine avec 38 %, suivi des personnes avec un trouble mental (17 %), de celles ayant un trouble spécifique des apprentissages (13 %) et loin derrière, des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme (1 %). Le Québec se distinguerait par rapport aux autres régions du globe où les troubles spécifiques des apprentissages devanceraient le TDA/H et les troubles mentaux (Coduti et al., 2016 ; McCloy et DeClou, 2013 ; Raue et Lewis, 2011). En outre, toutes les personnes ayant un trouble mental ou neurodéveloppemental ne se retrouveront pas « en situation de handicap » au sens de la version la plus récente du modèle de Fougeyrollas et al. (2018). En effet, selon le MDH-PPH, la situation de handicap, ou son versant positif, la situation de participation sociale, résultera d’un cumul de facteurs individuels et environnementaux et de leurs interactions (Fougeyrollas et al., 2018). D’ailleurs, il semble que le succès ou l’insuccès de l’expérience scolaire résulterait de l’interaction entre des facteurs individuels, sociaux et scolaires (Kirsh et al., 2016). Certes, le trouble mental/neurodéveloppemental, ses fluctuations, ses impacts cognitifs, de même que les effets secondaires associés à la prise de médication sont susceptibles d’affecter négativement les trajectoires scolaires de ces étudiants diagnostiqués (Auerbach et al., 2018 ; Venville et al., 2016 ; Sedgwick, 2018)[13]. Tant la performance scolaire que la persévérance en seraient affectées (Auerbach et al., 2016 ; CASA, 2018 ; Crouch, 2019 ; DuPaul et al., 2009 ; Jorgensen, Fichten, Lamb et Barile, 2005 ; McGregor et al., 2016 ; Sedgwick, 2018). À elles seules, ces conditions sont toutefois insuffisantes pour expliquer toutes les difficultés rencontrées.

Les prochaines lignes visent à mettre en évidence des facteurs de stress qui peuvent accentuer le risque d’apparition de la situation de handicap. 

Considérant les quatre types de troubles dont il est question dans cet article, l’accent sera mis sur ce qui est commun à l’ensemble des étudiants. Le cumul des sources de stress entourant la réalisation des études postsecondaires est susceptible d’accroître, chez des personnes déjà fragilisées, le risque d’apparition d’une situation de handicap. Des études récentes menées en milieux universitaires canadien et étatsunien ont révélé que de 60 % à 75 % des étudiants ont vécu du stress dans la dernière année (ACHA, 2016 ; Liu et al., 2019). De plus, 50,5 % des étudiants interrogés ont précisé avoir été exposés à plus de trois facteurs de stress différents au cours de cette même période (Liu et al., 2019). Différentes sources de stress sont évoquées parmi les étudiants universitaires : quitter le domicile familial et s’éloigner du cercle d’amis, s’intégrer à un nouvel établissement et s’adapter aux méthodes pédagogiques en sont des exemples (Boujut et Bruchon-Schweitzer, 2007 ; Mazé et Verlhiac, 2013 ; Verger et al., 2010). Fait intéressant, ce seraient les trimestres d’intégration à l’université, de même que ceux dédiés à la formation pratique qui s’avèreraient les plus stressants (Boujut, Koleck, Bruchon-Schweitzer et Bourgeois, 2009 ; Epstein et al., 2018 ; Gelman et Baum, 2010 ; Stanley et Bhuvaneswari, 2016). À ce propos, des étudiants en travail social et en sciences infirmières confirment que le volet pratique de leur formation constitue une source de stress et d’appréhensions (Crouch, 2019 ; Gelman et Baum, 2010 ; Harr, Brice, Riley et Moore, 2014).

Il semblerait toutefois que la principale source de stress des étudiants universitaires serait d’ordre financier. En effet, l’importance des droits de scolarité et de l’endettement, la nécessité de concilier le travail et les études, la surcharge de travail, de même que l’augmentation du coût de la vie lors des périodes de stages, seraient des sources de stress importantes (ACHA, 2016 ; Fichten, Jorgensen, Havel et Barile, 2006 ; Gelman et Baum, 2010 ; Johnstone, Brough, Crane, Marston et Correa-Velez, 2016 ; Maidment, 2003 ; Benner et Curl, 2018 ; Romo et al., 2018 ; Ryan, Barns et McAuliffe, 2011). À côté de ces facteurs de stress, d’autres facteurs d’ordre social ou scolaire peuvent jouer un rôle important dans la survenue ou non de la situation de handicap. Le fait d’avoir un réseau d’amis, d’avoir accès ou non à du soutien social, que ce soit de la part d’amis, de membres de la famille ou encore de professionnels de la santé et des services sociaux, joue un rôle dans l’expérience scolaire des ÉSHÉ (Cai et Richdale, 2016 ; Dymond, Meadan et Pickens, 2017 ; Ennals, Fossey et Howie, 2015 ; Kirsh et al., 2016 ; Lombardi, Murray et Kowitt, 2016).

Ces facteurs, qui contribuent à fragiliser l’état de santé mentale des étudiants ont pour effet d’accroitre les probabilités d’apparition d’une situation de handicap. Toutefois, de la situation de handicap au dévoilement de sa situation aux professionnels concernés, il y a un pas… que certains n’oseront pas franchir. Cet écart entre la prévalence des étudiants ayant des troubles, la prévalence des étudiants qui se considèrent en situation de handicap et ceux qui dévoilent leur condition aux services concernés est perceptible à l’UQAC. En effet, en 2017-2018, 427 personnes se sont déclarées aux services d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap (AQICESH, 2018), ce qui ne représente seulement que 21,6 % de la population susceptible de le faire[14], et 6,5 % de la population universitaire totale de l’UQAC. Parfois, c’est le manque de connaissances à propos de la disponibilité des services concernés qui sera en cause (Cawton et Cole, 2010 ; Salzer, Wick et Rogers, 2008 ; St-Onge et Lemyre, 2018b). Ce constat est préoccupant considérant que l’accès aux services de soutien et aux mesures adaptatives constitue l’un des principaux facteurs favorisant la réussite des étudiants avec des incapacités (Dauphinais, Rousseau et St-Vincent, 2016). Toutefois, l’un des motifs les plus fréquemment évoqués concerne la crainte de la stigmatisation de la part des pairs ou encore des professeurs (Cscoli et Gallagher, 2012 ; Denhart, 2008 ; Dryer, Henning, Tysona et Shaw, 2016 ; Gulliver, Farrer, Bennett et Griffiths, 2017 ; Koch, Maamiseishvili et Higgins, 2014 ; Magnus et Tossebro, 2014 ; Salzer et al., 2008). La peur de ne pas être pris au sérieux, en raison de l’invisibilité de sa condition ; d’être traité différemment ou encore de bénéficier d’un traitement de faveur qui accentuerait davantage leur malaise a été évoqué par les étudiants (Cai et Richdale, 2016 ; Dryer et al., 2016 ; Ennals et al., 2015 ; Kirsh et al., 2016 ; Osborne, 2018). Ainsi, le nombre potentiel d’étudiants, notamment ceux ayant des troubles mentaux, qui pourraient bénéficier d’un accompagnement est assurément plus élevé que ce qu’annoncent les statistiques (Canadian Alliance of Student Associations [CASA], 2018). Le fait de ne pas dévoiler sa condition est, par ailleurs, susceptible d’aggraver la situation de handicap éventuelle.

L’accompagnement des étudiants en situation de handicap

Les universités québécoises, en vertu des chartes canadiennes et québécoises des droits et libertés, de même que de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, ont l’obligation d’offrir les moyens nécessaires pour favoriser la plus grande inclusion des ÉSH (Pautel, 2017). Ces chartes « reconnaissent le droit de toute personne handicapée d’être traitée sans distinction, exclusion ou préférence.

Ce droit à la non-discrimination implique nécessairement de tenir compte des limitations particulières propres à chaque personne handicapée » (Pautel, 2017, p.32). C’est dans cet esprit et en réponse aux besoins exprimés par les étudiants concernés que sont proposés des accommodements en milieu universitaire (Philion, Bourrassa, Lanaris et Pautel, 2016 ; Philion, Doucet, Côté, Nadon, Chapleau et Laplante, 2016 ; AQICESH, 2013). Puisque ces accommodements doivent permettre de pallier aux défis rencontrés par l’étudiant tout en respectant l’atteinte des exigences essentielles du cours ou de son programme d’études, elles doivent faire l’objet d’une évaluation individuelle et personnalisée (Ducharme et Montminy, 2012 ; Pautel, 2017). Les conseillers aux étudiants en situation de handicap assument ce rôle au sein des institutions universitaires (AQICESH, 2013 ; Philion, Doucet et al., 2016)[15]. Malgré la grande disparité des modèles d’organisation de services destinés aux ÉSH dans les universités québécoises (GT-ESHE, 2014), tous les étudiants en situation de handicap peuvent, par définition, bénéficier de mesures adaptées à leurs besoins (Philion, Bourassa et al., 2016). Ce concept d’accommodement, qui continue d’évoluer à travers la jurisprudence, dresse les balises quant à la responsabilité qui incombe aux acteurs du milieu scolaire par rapport à l’inclusion des ÉSH (Pautel, 2017). À l’heure actuelle, la réflexion à propos des accommodements est plus avancée en ce qui concerne le volet théorique (classe) que le volet pratique (stages) du cursus universitaire[16]. Bien que l’efficacité de ces accommodements reste à évaluer de façon plus sérieuse, les mesures de soutien semblent appréciées des étudiants qui en bénéficient (Philion, Doucet et al., 2016).

Lors de la formation théorique, ce concept d’accommodements implique principalement trois types d’acteurs : a) l’étudiant, b) le conseiller des services ASESH et c) les professeurs titulaires des cours. En situation de formation pratique, comme c’est le cas en travail social, s’ajoutent d’autres acteurs : a) les milieux de pratique, qu’il s’agisse d’établissements publics ou d’organismes communautaires et b) les superviseurs de stage. Ces acteurs, qui ne font pas partie de la structure universitaire, ne sont pas nécessairement sensibilisés à l’obligation d’accommoder et n’en comprennent nécessairement pas toutes les nuances, ce qui peut engendrer des défis pour les stagiaires ayant des incapacités. Le premier défi concerne l’ouverture ou non à accueillir un stagiaire présentant par exemple des difficultés d’apprentissage ou un trouble mental. L’étude menée par Lebel et al. (2016) auprès de 71 superviseurs de stage dans le domaine de l’enseignement est révélatrice à cet égard : alors que 69 % des superviseurs seraient ouverts à former des stagiaires ayant un TDA/H, ce pourcentage diminue à 52 % en ce qui concerne les étudiants ayant un trouble d’apprentissages et à 31 % pour les étudiants ayant un trouble mental. Certains diagnostics, comme le suggèrent les témoignages recueillis dans cette étude, font davantage craindre que d’autres (Lebel et al., 2016). Cet exemple issu du domaine de l’éducation démontre à quel point les préjugés persistent à l’endroit des personnes ayant un trouble mental et à quel point il y a nécessité de poursuivre les efforts de sensibilisation afin que se dissipent ces idées préconçues (Lebel et al., 2016). Le second défi concerne la réalisation du stage et les attentes envers le stagiaire. L’étude de Lebel et al. (2016), en même temps qu’elle fait état de l’ouverture des superviseurs par rapport à la mise en place de certains accommodements (ex. suivi plus serré, augmentation du nombre de supervisions), fait ressortir un enjeu très important : celui de la nécessaire autonomie et du rendement du stagiaire. Ces critères, qui ne constituent pas des compétences attendues[17], viennent très certainement teinter l’évaluation qu’effectuera le superviseur de stage à l’endroit du stagiaire. Ce constat démontre à quel point le modèle néolibéral est bien ancré dans les institutions publiques québécoises, tant du côté de l’enseignement, que de la santé et des services sociaux.

La structure d’accompagnement de l’UETS-UQAC

En l’absence de balises claires à propos de ce que devrait constituer le cadre d’accompagnement des stagiaires en situation de handicap, s’est amorcée, il y a deux ans, une réflexion générale à propos du soutien à leur offrir. Il y avait déjà, au sein de l’UETS-UQAC, une structure d’accompagnement et de suivi des stagiaires ayant vécu des abandons/échecs en stage. Assumées par le professeur responsable de la formation pratique[18], les principales fonctions consistaient à élaborer un plan d’action en vue de la reprise du stage. L’idée derrière ce plan était d’augmenter le degré de préparation de l’étudiant et de renforcer certains apprentissages en vue de l’éventuelle reprise du stage. Une situation critique a toutefois mené vers une prise de conscience de la part de tous les acteurs engagés dans le cheminement scolaire d’une étudiante (elle-même, l’équipe d’encadrement, les intervenants des services ASESH, les intervenants externes) sur la nécessité de se concerter, afin de mieux accompagner les personnes en situation de handicap.

Afin d’illustrer nos propos, voici la courte histoire de cette étudiante, que nous nommerons Lucie.

Situation de Lucie

Lucie vivait avec un trouble mental pour lequel elle était traitée. Elle était inscrite au service d’accueil et de soutien aux ÉSH de l’UQAC et bénéficiait d’accommodements visant à réduire les obstacles liés à sa condition. De façon générale, elle réussissait bien ses cours. Inscrite à temps partiel, son parcours universitaire théorique s’échelonna sur plus de cinq ans et fut ponctué de périodes d’arrêts complets des études pour des hospitalisations. Par ailleurs, comme la plupart des étudiants en travail social, elle devait concilier plusieurs rôles. Au moment d’entamer ses stages terminaux, aucun aménagement particulier n’avait été prévu. Le stage 1 fut réussi, mais des difficultés majeures, principalement en lien avec son intégration à l’équipe, ses capacités d’analyse, ses compétences rédactionnelles et sa vitesse d’exécution, justifièrent le report du stage 2 à un trimestre ultérieur. Au moment de la première reprise, les mêmes difficultés que celles soulevées au stage 1 furent constatées. À l’évaluation de mi-parcours, prenant alors conscience de l’ampleur de ses difficultés, l’étudiante manifesta le besoin d’évaluer si des mesures de soutien pouvaient être envisagées. Toutefois, le stage étant déjà bien avancé, leur mise en place s’avéra difficile et ne permit pas de pallier l’ensemble des défis rencontrés. L’étudiante prit la décision de mettre un terme à son stage 2 afin d’éviter l’échec. C’est à ce moment que l’ensemble des intervenants impliqués au dossier utilisa ce temps d’arrêt pour se rencontrer et élabora un plan d’action prévoyant des activités de mise à niveau, des simulations d’intervention et de tenue de dossier, de même que des interventions orthopédagogiques. Des accommodements ont été réfléchis, afin de respecter la condition de l’étudiante tout en lui permettant de développer ses compétences et d’atteindre les standards de réussite. Pleinement investie dans son plan d’action, Lucie a pu éventuellement reprendre son stage 2, à raison de 21h/semaine au lieu des 28 heures initialement prévues, et réalisa quelques heures de bénévolat avant le début du stage de façon à bien s’imprégner du milieu et de faciliter son intégration. Le stage s’est déroulé normalement, avec ses hauts et ses bas, et s’est soldé par un succès.

L’histoire de Lucie se termine bien. Elle met toutefois en évidence la singularité et la complexité des situations, d’où l’importance d’une perspective systémique d’accompagnement. En effet, cette histoire met en lumière l’interaction entre les facteurs individuels et environnementaux, qui tantôt ont pu entraver le cheminement de Lucie et qui, à d’autres moments, ont pu contribuer à sa réussite scolaire. Dans cette situation, deux événements consécutifs semblent avoir été des moments décisifs pour l’étudiante : a) la perspective de l’échec, qui a poussé l’étudiante à dévoiler sa condition, b) ce dévoilement, qui a mené vers une rencontre de concertation de tous les acteurs concernés par la situation. Au-delà de la clarification des rôles et des responsabilités de chacun, cette rencontre a ultimement permis de réaffirmer la conviction profonde que tout un chacun avait envers le rétablissement : c’est-à-dire cette possibilité de mieux-être des personnes ayant des troubles mentaux[19]. Ce constat de groupe a non seulement mis l’étudiante en confiance, mais a permis de mettre l’accent sur ses forces en présence, de même que sur un plan de réactivation et de renforcement de compétences. Les rôles et responsabilités de chacun ainsi clarifiés, les intervenants se sont donné la main et ont développé une relation plus égalitaire, favorisant ainsi autonomie et appropriation du pouvoir de l’étudiante. Ces sur la base de ces constats qu’a été élaborée la structure d’accompagnement des étudiants de l’UETS-UQAC. Les prochaines lignes seront dédiées aux fondements, niveaux d’action et modalités d’accompagnement imaginés et expérimentés auprès d’une centaine d’étudiants depuis deux ans.

Les fondements théoriques

La structure d’accompagnement de l’UETS-UQAC repose sur des valeurs et des principes qui sont chers au travail social : « la croyance en la capacité humaine d’évoluer et de se développer », « le respect des principes d’autonomie et d’autodétermination de la personne », « le respect de la dignité de la personne » et « la promotion des principes de justice sociale » (OTSTCFQ, 2012, p.7). Ces fondements du travail social sont au coeur des pratiques enseignantes et de l’accompagnement offert aux étudiants qui rencontrent des difficultés dans leurs parcours. En outre, ces mêmes valeurs font partie intégrante de l’approche préconisée par l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers et des conseillères aux étudiants en situation de handicap (AQICESH, 2013) et elles teintent quotidiennement leurs pratiques. La structure d’accompagnement émerge, par ailleurs, d’un croisement de savoirs théoriques issus des domaines du travail social, de l’éducation et de la santé. Du côté du travail social, une approche ayant pour objectif le développement du pouvoir d’agir et l’inclusion sociale des personnes est sous-jacente au modèle. Il s’agit, en l’occurrence, de l’approche centrée sur les forces (Rapp et Goscha, 2012).

Du côté de l’éducation, ce sont deux cadres théoriques, ayant des visées préventives et dont les principaux objectifs sont aussi liés à la plus grande inclusion des étudiants rencontrant des difficultés, qui ont été retenus. L’approche inclusive issue de la Conception universelle[20] (Center for Universal Design [CUD], 1997 ; Scott, MacGuire et Shaw, 2001 ; Rose et Meyer, 2000), de même que le modèle de réponse à l’intervention (RAI) de Little et al. (2014) ont été retenus ici. Enfin, du côté de la santé, les approches de collaboration interprofessionnelle, au sein desquelles l’étudiant joue un rôle central et où les savoirs expérientiels sont reconnus est privilégiée (AQISESH, 2013 ; Bergeron-Leclerc, Milot, Museux et Plante, 2019). Ces approches ou modèles s’inscrivent tous dans une perspective bioécologique, c’est-à-dire qu’ils considèrent que l’étudiant fait partie prenante d’un système qu’il peut influencer et dont il subit également les influences, ce qui affectera son développement, ici vu en fonction du parcours scolaire (Carignan, 2017 ; Drapeau, 2008).

Les niveaux d’action

La formation en travail social de l’UETS-UQAC s’échelonne sur trois années et comprend trois stages. Ces stages, qui totalisent 912 heures, suivent une logique d’approfondissement des connaissances, qui va de la familiarisation à la maîtrise des différents savoirs requis en travail social. Le stage d’initiation, d’une durée de 72 heures, se déroule lors de la première année universitaire, au sein d’un organisme communautaire. Il a pour objectif le développement d’habiletés de base en travail social. Les stages 1 et 2, d’une durée de 840 heures, se déroulent lors de la troisième année universitaire, au sein d’un établissement public ou d’un organisme communautaire. Ils permettent d’expérimenter, d’abord de façon accompagnée, puis de façon autonome, les différentes phases du processus d’intervention sociale, que ce soit dans le domaine de l’intervention individuelle ou de l’intervention collective. Entre ces périodes de stage, les étudiants sont amenés, à travers les cours de méthodologie de l’intervention individuelle, familiale, de groupe et collective, à poursuivre leur expérimentation du travail social, à partir de situations réelles d’intervention. Le volet pratique prend donc une place importante dans cette formation de trois ans. Considérant les cadres théoriques retenus, la structure d’accompagnement mise en place à l’UETS-UQAC s’adresse à l’ensemble des étudiants devant se soumettre à des stages en vue de l’obtention de leur diplôme. À l’instar du modèle RAI, l’idée générale est d’intervenir de façon précoce pour réduire l’apparition de difficultés, et les interventions sont réfléchies de façon à améliorer l’apprentissage de tous les étudiants (Little et al., 2014). À cet égard, le modèle devient un cadre sur lequel reposent des interventions planifiées et préventives, qui sont graduellement intensifiées et qui visent la réussite du plus grand nombre d’étudiants. Elles ciblent la réduction, au maximum, de l’émergence de situations de handicap. La figure 1 situe la structure d’accompagnement des étudiants et ses deux niveaux d’action.

Pyramide d’accompagnement des étudiants en travail social

Pyramide d’accompagnement des étudiants en travail social

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Premier niveau d’action

Gardant en trame de fond les principes fondamentaux en matière d’inclusion, les interventions à la base de la structure d’accompagnement sont prévues pour moduler le contexte dans lequel évoluent les étudiants, de façon à ce qu’il soit le plus propice aux apprentissages, le plus accessible, et ce, pour le bénéfice de tous. Ce premier niveau est constitué de trois types de stratégies ; la sensibilisation, le repérage et la planification.

La sensibilisation

Les activités de sensibilisations ont lieu à diverses reprises au cours du cursus scolaire des étudiants en travail social. Elles s’adressent à l’ensemble des étudiants et visent principalement à parler des différentes réalités pouvant engendrer des obstacles supplémentaires à la réalisation des études, et des services de soutien offerts à l’université. Quatre moments-clés sont ciblés afin de diffuser de l’information : a) la rencontre des étudiants nouvellement admis, b) la rencontre d’accueil des étudiants, c) la rencontre d’introduction aux stages d’initiation et d) la rencontre de préparation aux stages terminaux. À chacune de ces occasions, les étudiants sont invités à agir en amont et à contacter l’équipe d’encadrement des stages afin de réfléchir à d’éventuels aménagements. Ces actions visent à réduire les préjugés qui peuvent mener à des comportements stigmatisants et discriminatoires envers les ÉSH, l’objectif étant de créer un climat de confiance dans lequel les étudiants se sentiront à l’aise d’échanger sur leurs besoins, de demander de l’aide, de préserver une bonne estime personnelle et de persévérer dans leur projet d’études.

Le repérage

Le cursus de formation prévoit tel qu’indiqué précédemment, un stage d’initiation, de même que des cours de méthodologie au cours desquels les étudiants interviennent auprès d’individus et de familles[21]. Ces premières expériences en contexte réel permettent au titulaire du cours d’identifier les forces et les défis des étudiants. Notamment, ce contexte peut mettre en évidence des difficultés pouvant paraitre moins importantes dans un contexte d’apprentissages théoriques, mais ayant le potentiel d’entraver sérieusement le déroulement d’un stage. Les étudiants concernés par ces difficultés, à l’issue du stage d’initiation, sont systématiquement rencontrés par le professeur responsable de la formation pratique, afin d’échanger sur l’expérience et, s’il y a lieu, de planifier des actions concrètes en vue de préparer les stages terminaux. Si l’étudiant en difficulté a déjà reçu un diagnostic médical et que sa condition entrave le déroulement de son parcours académique, il sera généralement invité à rencontrer le conseiller des services ASESH afin de discuter d’éventuelles stratégies pouvant diminuer l’influence des problèmes rencontrés. Lorsque les difficultés sont repérées dans les cours, les étudiants demeurent libres d’entamer ou non un suivi.

La planification

Au terme de leur deuxième année étude, tous les étudiants sont rencontrés afin d’organiser le placement pour les deux stages terminaux d’une durée de 15 semaines chacun. Cette rencontre se veut le moment, pour l’étudiant, qu’il ait des difficultés ou non, d’exprimer ses intérêts et ses motivations, mais aussi ses besoins, s’il y a lieu. Cette évaluation, menée par l’agente de stage, est primordiale. L’objectif est de cibler le milieu qui rendra possible, comme le pense Vienneau (2005), le développement et l’expression du plein potentiel chez les apprenants. Lors de cette rencontre, l’agente de stage invite l’étudiant à lui faire part de toute situation de vie qui serait susceptible d’entraver le placement et le déroulement du stage. S’il y a dévoilement d’une situation de vie difficile, l’agente de stage questionnera l’étudiant à propos de ce qu’il est prêt à dévoiler au milieu et au superviseur de stage. Si l’étudiant présente des difficultés, qu’il bénéficie ou non d’accommodements individuels, il sera invité à prendre contact avec le conseiller des services ASESH. La transition entre les stratégies de premier et de deuxième niveau surviendra si, au terme de cette rencontre, l’évaluation du conseiller cible la présence d’une ou de plusieurs situations pénalisantes, et qu’il juge qu’un accompagnement, des aménagements supplémentaires ou encore des adaptations sont nécessaires.

Deuxième niveau d’action

Concrètement, une rencontre pourra avoir lieu entre : a) l’étudiant, b) le conseiller des services ASESH, c) l’équipe d’encadrement des stages (en général, le professeur responsable de la formation pratique et l’agente de stage) et d) toute autre personne significative dans la vie de l’étudiant (ex. intervenant, accompagnateur en défense des droits, parent ou ami). Dans un monde idéal, cette rencontre aurait lieu en amont du stage, lors de l’étape de la planification, et ce, afin de déterminer les conditions à mettre en place pour faciliter son déroulement. Cette rencontre permettrait de mieux cibler les besoins de l’étudiant afin d’effectuer un pairage optimal avec un milieu et un superviseur de stage.

Comme l’expriment Sarralié et Vergnaud (2006), l’adaptation de l’environnement et du contexte de stage devient le moyen privilégié pour éviter qu’une situation d’apprentissage devienne une situation de handicap. Notre expérience d’accompagnement démontre toutefois que cette rencontre a souvent lieu lorsque des difficultés majeures surviennent durant le stage, alors qu’il est souvent trop tard et que l’étudiant est en situation d’échec imminent. Lorsque cette rencontre a lieu en aval des difficultés, le superviseur de stage et, au besoin, le responsable du milieu de stage peuvent se joindre à la rencontre.

Il y aurait notamment une pertinence à ces ajouts si une négociation d’accommodements ayant un effet direct sur le stage survient à mi-parcours. Cette perspective de collaboration interprofessionnelle favorise ainsi la cohésion entre les acteurs dans la réflexion devant cette dualité, soit celle de respecter les droits de la personne et l’obligation d’accommoder, tout en assurant que les solutions envisagées permettent l’atteinte des exigences essentielles de fin de programme, sans compromis.

Qu’ils aient ou non une incapacité, tous les étudiants confrontés à un échec en stage devront rencontrer le professeur responsable de la formation pratique, afin de procéder à un bilan de situation. Ce bilan mènera à l’élaboration d’un plan d’action, dont l’atteinte des objectifs sera conditionnelle au replacement dans un milieu de stage. Cet accompagnement individualisé est offert pour les étudiants qui peinent à gravir les derniers échelons du développement de certaines compétences. La particularité de cet accompagnement, lorsqu’il implique des ÉSHÉ, est : a) que les plans d’action sont en général élaborés en collaboration avec le conseiller des services ASESH, b) que ce dernier, est généralement présent aux rencontres de suivi entre l’étudiant et l’équipe d’encadrement des stages et c) que peut déjà s’initier, à cette étape, une réflexion en ce qui concerne les éventuels accommodements à mettre en place lors de la reprise de stage. Au terme de ce processus réflexif, il se pourrait qu’aucun accommodement ne soit mis en place. Craignant toutefois de revivre une situation d’échec (qui dans le deuxième cas mènera à l’exclusion du programme), les ÉSHÉ sont toutefois plus enclins à dévoiler leur condition aux superviseurs et aux organisations d’accueil et à ce que des accommodements soient mis en place.

Les modalités d’accompagnement

Les modalités d’accompagnement qui sont proposées sont déterminées en fonction des besoins ciblés et perçus par l’étudiant et les acteurs qui gravitent autour de lui. Il ne s’agit pas ici de garantir la réussite des étudiants ayant des incapacités, mais bien de respecter l’obligation de leur fournir les moyens équivalents à ceux des autres étudiants, compte tenu de leur condition, sans discrimination (Ellefsen, 2015 ; Ducharme et Montminy, 2012). À l’heure actuelle, trois types de stratégies d’accompagnement sont privilégiées.

La consolidation des savoirs

Les situations d’échecs en stage mettent toujours en évidence des difficultés en ce qui a trait aux savoirs nécessaires à l’exercice du travail social. Le travail d’accompagnement clinique, sous la responsabilité du professeur responsable de la formation pratique, vise à augmenter le degré de préparation de l’étudiant en vue de la reprise du stage. Il implique, le plus souvent, de réactiver les connaissances que ce soit à travers la relecture de notes de cours, de lectures complémentaires ou de la reprise de cours. Dans tous les cas, cet accompagnement implique des activités enregistrées de simulation d’intervention (enregistrées). À partir des enregistrements produits par l’étudiant, un travail de consolidation des attitudes et techniques d’intervention, de même que des habiletés de réaction peut s’amorcer. Cet accompagnement met parfois en évidence des enjeux personnels, qui bloquent l’étudiant et qui mériteraient d’être travaillés avec un professionnel de la santé et des services sociaux. D’autres décideront, en cours de route, de se réorienter professionnellement, jugeant que le travail social n’est pas pour eux. Dans ces contextes, l’étudiant sera encouragé à consulter un professionnel qualifié pour répondre aux besoins exprimés (voir la section 3.3).

La résolution des difficultés d’apprentissage

L’intervention d’un orthopédagogue est parfois requise principalement dans les situations où les compétences rédactionnelles ne sont pas suffisamment maîtrisées, et qu’elles mettent en péril l’atteinte d’une composante évaluée. Les rencontres servent à développer, à partir des forces et des ressources personnelles de l’étudiant, des stratégies compensatoires pour améliorer le plus possible les capacités d’écriture. Dans la situation de Lucie et d’autres qui ont suivi, cet accompagnement a permis de travailler la tenue de dossier, notamment l’élaboration des évaluations du fonctionnement social, acte initial des interventions en travail social. La question de la planification et de la gestion du temps est également un enjeu pour beaucoup d’étudiants : des outils peuvent alors être proposés afin de structurer le travail à réaliser.

La consultation professionnelle

Le fait de vivre un échec en stage est associé à une gamme d’émotions et de remises en question. Colère et tristesse sont souvent rencontrées chez les étudiants, ce qui est en soi tout à fait normal.

Certains étudiants sentiront toutefois le besoin d’un accompagnement professionnel afin de traverser cette épreuve. La majorité du temps, les ÉSHÉ ont déjà accès à des professionnels de la santé. Ils seront, dans ce contexte, encouragés à demander une consultation. Pour ceux qui n’ont pas accès à un professionnel, une référence vers les services aux étudiants de l’Université ou encore les services dédiés de la communauté (ex. services d’accueil et d’urgence psychosociale ou médicale du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux, centre de prévention du suicide) pourra être effectuée.

La nécessité d’un suivi peut toutefois apparaître plus tard dans le processus de l’étudiant. Tel que spécifié en 3.1, c’est parfois le travail de simulation d’intervention qui accentuera ce besoin. Pour d’autres, ce sera plutôt à la veille de redémarrer le stage, que le besoin se fera sentir. En effet, la reprise d’un stage échoué antérieurement, dans le contexte où il s’agit le plus souvent de l’ultime chance, génère un degré d’anxiété considérable chez tous les étudiants. Combiné avec les défis pour lesquels l’étudiant se retrouve dans cette situation, le degré d’inconfort ne fait qu’augmenter, pouvant conduire à de la détresse.

Enfin, pour certains l’expérience sera telle qu’une réorientation professionnelle sera envisagée : le conseiller d’orientation de l’Université sera la personne-ressource vers qui diriger l’étudiant. Dans le cas d’une réorientation de carrière, l’étudiant sera également invité à rencontrer l’équipe de coordination de l’UETS-UQAC afin d’explorer les avenues de conversion des crédits dans le programme de baccalauréat, vers des programmes de certificat.

Regard introspectif et prospectif

L’équipe de l’UETS-UQAC a toujours eu le souci d’accompagner les étudiants en difficulté. Grâce à Lucie toutefois, la démarche d’accompagnement s’est structurée, et ce, grâce à la concertation entre l’équipe d’encadrement des stages de l’UETS et l’équipe des services ASESH. C’est ainsi que depuis deux ans, tous les étudiants de l’UETS-UQAC ont bénéficié des interventions de premier niveau, tandis que 5 % d’entre eux ont eu besoin d’un accompagnement plus soutenu, ce qui va dans le sens du modèle RAI. Ces étudiants, ayant été accompagné plus intensivement, non seulement se disent satisfaits du soutien obtenu, mais sont devenus, dans la très grande majorité des cas, des bacheliers en travail social. La prochaine étape consistera à mesurer concrètement l’efficacité de cette structure d’accompagnement et ultimement, de l’étendre à d’autres programmes d’études comprenant des stages. Préalablement à cette démarche évaluative, le cadre logique de la structure d’accompagnement (objectifs, moyens, indicateurs) devra toutefois être mieux défini.

La structure d’accompagnement demeure, par ailleurs, perfectible. Pour le moment, la majorité des actions posées ont été dédiées à la mise en place : a) d’un processus d’accompagnement des étudiants et b) d’une mécanique de concertation entre les professeurs de l’UETS et l’équipe des services ASESH. Considérées dans une perspective bio-écologique, ces actions touchent trois des six systèmes de l’approche, à savoir la personne (ontosystème), ses interactions avec l’équipe d’encadrement des stages et le conseiller des services SAESH (microsystème), et la concertation interprofessionnelle (microsystème/macrosystème). Ce travail était nécessaire et devra naturellement être poursuivi. En parallèle toutefois, une actualisation de la politique institutionnelle de l’UQAC[22] (exosystème), de façon à ce qu’elle soit davantage ancrée dans des valeurs d’inclusion (macrosystème) des personnes présentant des incapacités d’ordre mental ou neurodévelopmental[23], devrait être effectuée. Ceci importe afin de légitimer et aussi d’assurer la pérennité des actions mises en place auprès des étudiants. Cela est d’autant plus important que les populations de personnes ayant des troubles mentaux/développementaux, et incidemment que des étudiants présentant ces troubles sont en hausse dans les milieux universitaires.

La mise en place d’actions visant à « lever les obstacles à la pleine participation des personnes ayant des troubles mentaux » (stratégie 2.3.1) est au coeur de la stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (Commission de la santé mentale du Canada [CSMS], 2012, p. 49). Le prochain obstacle auquel nous souhaitons nous attaquer est celui de la stigmatisation des étudiants présentant un trouble mental ou neurodévelopmental. Depuis l’année 2018, tous les nouveaux superviseurs de stage sont, dans le cadre de la formation initiale qui leur est dédiée, sensibilisés à la réalité des ÉSHÉ. Nous considérons toutefois que ce qui constitue une « capsule » dans la formation, devrait, devenir une formation d’une journée et que tous les superviseurs, responsables des organisations d’accueil des stagiaires et membres du corps enseignant intéressés devraient y participer. Cette action à venir s’appuie sur des études ayant démontré que la littératie en matière de trouble mental/neurodéveloppemental a tendance à diminuer les attitudes stigmatisantes, de même qu’à augmenter le degré d’aisance et le sentiment de compétence envers les étudiants concernés par ces situations (Denhart, 2008 ; Gulliver et al., 2017 ; St-Onge et Lemyre, 2018a). De plus, elle s’appuie sur un besoin exprimé à la fois par les professeurs et superviseurs de stage, qui aimeraient se sentir plus outillés et qualifiés pour interagir et intervenir auprès de ces étudiants (Fossey et al., 2017 ; Gulliver et al., 2018 ; Lebel et al., 2016 ; L’Écuyer, 2019) ; et d’une majorité d’étudiants qui souhaiteraient être « accueillis, entendus, respectés et rassurés » (St-Onge et Lemyre, 2018b, p. 345 ; Osborne, 2018) par ces derniers.

En bref, se poursuivront les efforts afin de travailler à un monde plus équitable et plus inclusif des étudiants ayant un trouble mental ou neurodévelopmental.