Abstracts
Résumé
L’éducation suppose que l’élève apprenne lorsque l’enseignant enseigne : s’il n’y a pas d’apprentissage, il serait absurde de croire qu’il y a eu un enseignement Or, dans le cas de l’enseignement à distance, il s’avère parfois difficile de s’assurer de la participation de l’élève, particulièrement lorsque l’enseignement et l’apprentissage sont décalés. Dans ces cas, l’usage de certains procédés narratifs ou stylistiques susceptibles d’interpeller le lecteur peut amener celui-ci à participer activement au cours qu’il lit L’activité propre du lecteur est ainsi favorisée notamment par le dialogue, qui l’invite à s’identifier à l’un des personnages, qu’il s’agisse du répondant ou plutôt d’un des personnages muets qui assistent le plus souvent à la scène) Le genre épistolaire a le même effet dans la mesure où il évoque, justement, un dialogue. Cette étude vise à examiner les procédés stylistiques employés par Épicure à des fins didactiques, afin de les mettre en parallèle avec des études contemporaines sur l’enseignement à distance.
Mots-clés :
- Épicure,
- enseignement à distance,
- épistolaire,
- communauté d’apprentissage
Abstract
Education implies that a student learns when the teacher teaches : if there is not learning, it would be absurd to think that teaching has occured. However, in the case of distance learning, it is sometimes difficult to ensure the participation of the student, particularly when there is a time gap between teaching and learning. Under these circumstances, using certain narrative or stylistic devices prone to solicit the reader may bring the latter to actively take part in the course she is reading). The dialogue is one of the literary devices that improves the reader’s cognitive activity, because she then identifies either with the respondant or with a silent witness. Epistolarity has a similar effect because it evokes a dialogue. This paper studies the literary devices used in Epicure’s letters along with recent research on distance learning, to highlight their didactical purposes.
Keywords:
- Epicure,
- distance learning,
- epistolarity,
- learning communities
Article body
Introduction
L’éducation suppose que l’élève apprenne lorsque l’enseignant enseigne : s’il n’y a pas d’apprentissage, il serait absurde de croire qu’il y a eu un enseignement (Dewey,1933, p.35-36). Or, dans le cas de l’enseignement à distance, il s’avère parfois difficile de s’assurer de la participation de l’élève, particulièrement lorsque l’enseignement et l’apprentissage sont décalés. Dans ces cas, l’usage de certains procédés narratifs ou stylistiques susceptibles d’interpeller le lecteur peut amener celui-ci à participer activement au cours qu’il lit (Henderson & Collins, 2012). L’activité propre du lecteur est ainsi favorisée notamment par le dialogue, qui l’invite à s’identifier à l’un des personnages, qu’il s’agisse du répondant ou plutôt d’un des personnages muets qui assistent le plus souvent à la scène (Laks, 2001; Desclos, 2001)[1]. Le genre épistolaire a le même effet dans la mesure où il évoque, justement, un dialogue (Hodkinson, 2007, p.266-270 ; Morrison, 2007, p.129 ; Langslow, 2007, p.231 ; Roesch, 2002, p.100-103). Cette parenté entre dialogue et lettre est d’ailleurs soulignée dans les traités stylistiques de l’Antiquité ; l’auteur du traité Du Style rapporte ainsi que les lettres sont vues comme une moitié de conversation :
Artémon, l’éditeur des lettres d’Aristote, dit qu’il faut rédiger de la même façon les lettres et le dialogue, la lettre étant en quelque sorte l’une des deux parties du dialogue[2].
La sollicitation de l’auditoire est donc encore plus grande dans le cas de la lettre que dans le cas du dialogue, du moins en principe, car la réplique lui appartient. Il n’est pas étonnant, dans de telles circonstances, d’observer que des auteurs aient dès l’Antiquité fait usage de lettres dans une perspective didactique, afin de tirer profit de cette qualité du genre épistolaire. Parfois, des corpus de lettres (authentiques ou pseudépigraphes), rendant plus accessible une doctrine donnée, sont rédigés en vue d’une publication : c’est notamment le cas des correspondances des Cyniques Cratès et Diogène. D’autres lettres didactiques s’inscrivent dans une correspondance suivie entre un élève et son maître ; c’est notamment le cas, bien documenté, des échanges entre Fronton et Marc-Aurèle[3].
Les vertus de l’échange épistolaire lorsqu’il s’agit de favoriser l’activité intellectuelle du lecteur nous paraissent d’un intérêt non négligeable dans le cadre d’un enseignement à distance : en tirant profit des qualités pédagogiques de la lettre, il serait sans doute possible d’améliorer les pratiques actuelles de l’enseignement à distance. L’objectif de cet article est de réfléchir sur nos pratiques d’enseignement à distance à partir des lettres d’Épicure, qui comptent parmi les plus anciennes lettres didactiques considérées authentiques[4] qui nous sont parvenues, et qui se présentent à la fois comme de véritables cours de philosophie à distance et comme des écrits plus digestes que de simples traités. Cette étude de cas nous permettra d’identifier les différents aspects de la lettre ayant un impact sur sa réception et sur sas compréhension. En effet, malgré le niveau de difficulté élevé de la matière traitée, tout particulièrement dans les lettres à Pythoclès et à Ménécée, Épicure était persuadé que ses élèves la comprendraient aisément. Un examen attentif de ces lettres nous indique comment les caractéristiques propres au genre épistolaire permettent à Épicure d’améliorer son enseignement à distance et de favoriser l’apprentissage de ses élèves. De là, il nous sera possible de réfléchir à des stratégies favorisant l’apprentissage dans le cas d’enseignement à distance dans le monde contemporain.
1. L’auteur, sa doctrine, et le contenu des lettres
Épicure (341-270) est un philosophe à l’origine d’une doctrine du bonheur qui repose sur l’absence de trouble de l’âme, ou ataraxie. La dimension éthique de la doctrine, définissant le bonheur comme plaisir et le plaisir comme absence de douleur, en est sans doute la partie la plus connue, mais Épicure réfléchit également sur l’univers et la nature, qui sont au coeur de sa pensée, et qui se justifient par des finalités morales, le savoir se présentant dans l’épicurisme comme une condition nécessaire du bonheur (Balaudé, 1994, p.19-20). Il développe ainsi des thèses atomistes qui nous sont connues entre autres grâce à Lucrèce[5] et Diogène Laërce (doxographe auquel nous devons la conservation des trois lettres d’Épicure qui nous sont parvenues), ses nombreux traités n’ayant pas été conservés en dépit de la grande popularité dont jouissait l’épicurisme dans le monde romain au premier siècle avant notre ère.
Quoique son école, le Jardin, ait été fondée à Athènes, il séjourne également à Colophon, Mytilène et Lampsaque, où il a des auditeurs. L’usage de la correspondance apparaît ainsi non comme un procédé littéraire mais comme une réponse à une nécessité géographique, ce qui ferait des lettres d’Épicure non seulement des oeuvres authentiques, mais de véritables lettres, c’est-à-dire des textes ayant été envoyés comme tels à de véritables destinataires[6]. Ainsi, la lettre à Hérodote porte sur les atomes ; la lettre à Pythoclès porte sur les astres ; enfin la troisième lettre, à Ménécée, qui est sans doute la plus lue, porte sur le bonheur.
2. La lettre est un cours personnalisé
L’une des principales caractéristiques propre aux lettres d’Épicure est la personnalisation de la lettre. Épicure ne se contente pas d’envoyer un résumé accompagné d’une dédicace : le cours est véritablement fait sur mesure pour un élève particulier, qui a besoin d’aide pour comprendre un aspect spécifique de la doctrine épicurienne. En effet, l’élève qui est confronté à un traité ne parvient pas toujours bien à le comprendre malgré ses efforts, car le traité ne lui est pas personnellement destiné. Il se peut ainsi qu’il essaie de lire un ouvrage trop avancé pour lui, et qu’il se heurte à des difficultés de compréhension. S’il en fait part à l’enseignant, celui-ci pourra alors préciser dans une lettre les notions qui apparaissaient trop difficiles. En outre, lorsqu’on le compare à la présence dans un cours magistral ou à un envoi postal collectif – pire : un courriel de masse –, l’échange épistolaire individuel avec l’enseignant témoigne d’une relation assez cordiale et d’une certaine proximité.
2.1 Interpellation du destinataire
Quoique les lettres qui nous sont parvenues aient sans doute circulé très tôt dans la communauté épicurienne[7], dans chacune d’entre elles Épicure s’adresse directement à un destinataire spécifique, en respectant les conventions liées au genre épistolaire, soit une salutation personnalisée au début de la lettre[8]. Il s’agit en quelque sorte d’un enseignement différencié, qui tient compte des difficultés spécifiques de ses interlocuteurs. L’introduction de la lettre à Pythoclès est particulièrement éloquente à ce propos : la lettre ne vise pas à remplacer le traité, de la même manière qu’un cours sur un sujet ne remplace pas la lecture d’un ouvrage scientifique sur ce même sujet, mais elle répond aux questions d’un élève en particulier sur une notion particulière, soit les mouvements des astres et les phénomènes atmosphériques. Comme le remarque justement le Pseudo-Démétrios dans le traité Du style, il ne s’agit pas là d’un sujet qui se prête très bien au genre épistolaire : autant écrire un traité[9].
Épicure à Pythoclès, salut. Cléon m’a apporté ta lettre, dans laquelle tu te montrais à mon égard plein de sentiments d’amitié, dignes du soin que je prends de toi ; tu as essayé de façon convaincante de te remémorer les arguments qui tendent à la vie bienheureuse, et tu m’as demandé pour toi-même de t’envoyer une argumentation résumée et bien délimitée touchant les réalités célestes, afin de te la remémorer facilement ; en effet, ce que j’ai écrit ailleurs est malaisé à se remémorer, bien que, me dis-tu, tu l’aies continuellement en mains. En ce qui me concerne, j’ai reçu avec plaisir ta demande, et j’ai été rempli de plaisants espoirs.
Lettre à Pythoclès 84 ; toutes les traductions sont de J.-F. Balaudé.[10]
La lettre rédigée par Épicure se présente ainsi comme une réponse favorable à une sollicitation de Pythoclès, ce qui indique qu’il accepte d’entrer en relation avec l’élève. Pythoclès a, en quelque sorte, bien fait ses lectures, et s’adresse à son enseignant pour avoir de l’aide concernant un aspect spécifique (les réalités célestes). La réponse d’Épicure portera donc sur ce sujet en particulier, ce qui montre d’une part un souci pour le questionnement de son élève, et d’autre part, une attention portée à son élève.
2.2 Caractère performatif de l’envoi de la lettre
Alors que nous vivons à une époque où nous envoyons quotidiennement courriels et messages textes, nous avons tendance à oublier les efforts que demandait l’envoi d’une simple missive, à une époque où celles-ci voyageaient sous forme d’objets matériels. En effet, la lettre était constituée à l’époque le plus souvent de papyrus ou de deux tablettes de cire écrites à la main puis attachées face à face à l’aide d’une cordelette et d’un sceau[11], et il fallait attendre qu’un ami, ou à tout le moins une personne digne de confiance fassent le voyage, pour pouvoir lui confier le précieux objet, puisque la poste n’était pas institutionnalisée ; les délais d’envoi pouvaient donc être assez longs[12]. Le nom du messager est couramment précisé dans les lettres, comme c’est le cas dans la lettre à Pythoclès. Il est également commun qu’il soit informé au moins en partie du contenu de la lettre, particulièrement lorsqu’il s’agit de donner des nouvelles. Dans le cadre d’un échange épistolaire, les tablettes de cire sont habituellement réutilisées par le destinataire comme support d’une lettre subséquente – parfois, c’est la deuxième tablette qui est laissée rase afin que le correspondant y inscrive sa réponse –, ce qui explique que les lettres soient copiées afin d’être conservées. Envoyer une lettre n’est donc pas un geste anodin, c’est une véritable marque de considération pour le destinataire. L’équivalent contemporain correspondrait ainsi, minimalement, à l’envoi d’une carte postale ou d’une carte de voeux en papier plutôt qu’à l’envoi d’un courriel : l’envoi d’une carte postale, pour un vacancier, suppose des efforts — l’achat d’une carte postale et de timbres dans un pays étranger, la rédaction de la carte et la recherche d’une boîte aux lettres ou d’un bureau de poste pour en faire l’envoi ne sont pas toujours simple. Évidemment, si l’on compare une carte postale à un traité (ou un résumé) accompagné d’une dédicace, il est beaucoup plus gênant de recevoir une carte postale d’un ami sans se donner la peine de la lire au complet et d’essayer de la comprendre, que de mettre le traité dans sa bibliothèque sans l’avoir ouvert. Pour bien prendre la mesure de la sollicitude d’Épicure à l’endroit de Pythoclès, le professeur d’université contemporain devrait par exemple rédiger à la main une réponse assez étoffée à une question d’un étudiant (la lettre à Pythoclès représente en effet près de quinze pages dans une édition de poche), sortir de son bureau et aller à pied au bureau de poste le plus près de l’université. Épicure sollicite ainsi l’attention de son lecteur d’un point de vue émotionnel, en mettant des efforts significatifs pour lui envoyer un cours spécialement rédigé à son intention. Il insiste d’ailleurs sur le destinataire à l’intention duquel il écrit, tout particulièrement dans la lettre à Hérodote, au début et à la fin de la lettre, à l’aide du datif d’attribution ou du datif d’intérêt (σοι) mis en évidence au début de la phrase ou de la proposition :
[…] j’ai écrit pour toi un résumé de ce genre, une présentation selon leur forme élémentaire des opinions de portée générale.
Lettre à Hérodote 37[13]
Voilà, Hérodote, les points récapitulatifs les plus importants sur la nature de toutes choses, que j’ai résumés à ton intention.
Lettre à Hérodote 82[14]
Le destinataire de la lettre ne peut manquer de remarquer que l’écrit lui est spécifiquement destiné.
3. La lettre sollicite l’activité cognitive du lecteur
Toutefois, l’élève n’est pas seulement interpellé d’un point de vue affectif. Le lecteur est également sollicité d’un point de vue intellectuel : sa participation au cours est assurée tout au long de la lettre à l’aide de procédés stylistiques variés qui l’invitent à intervenir activement dans la réflexion en cours, en dépit du décalage temporel. Épicure, en outre, exhorte explicitement son lecteur à la mémorisation de certaines parties de son discours de manière répétée dans ses lettres, ce qui contribue encore à favoriser l’activité propre du lecteur[15].
3.1 Questions rhétoriques et nous inclusif
D’abord, Épicure utilise un certain nombre de procédés stylistiques dont la visée est d’interpeller son correspondant afin de l’amener à réfléchir. Il emploie ainsi des formulations interrogatives, qui demandent au destinataire de s’engager dans une réflexion ponctuelle.
Ensuite, penses -tu que l’on puisse être supérieur à qui a des opinions pieuses sur les dieux, et qui, à propos de la mort, est constamment sans peur, qui a appliqué son raisonnement à la fin de la nature, et qui comprend qu’il est facile d’atteindre pleinement et de se procurer le terme des biens, et que le terme des maux tient à une brève durée ou bien une faible souffrance, qui se rirait de telles choses, < mais qui voit que certaines choses arrivent par nécessité, > d’autres par la fortune, d’autres dépendent de nous, parce qu’il voit que la nécessité n’est pas responsable, que la fortune est instable et que ce qui dépend de nous est sans maître, d’où découlent naturellement le blâmable et son contraire (car il serait préférable de suivre le mythe touchant les dieux plutôt que de s’asservir au destin des physiciens : le premier en effet esquisse l’espoir de détourner les dieux en les honorant, tandis que l’autre présente une nécessité que l’on ne peut détourner) ?
Lettre à Ménécée 133[16]
Bien sûr, il s’agit de questions rhétoriques : la réponse en est toujours évidente. Cela dit, ce type de formulation contribue à rappeler de manière régulière que la lettre constitue la moitié du dialogue, et que l’épistolier s’attend à ce que son destinataire lui donne la réplique. La formulation de la question rhétorique n’est d’ailleurs pas impersonnelle, mais elle est à la deuxième personne du singulier, ce qui contribue à une interaction efficace avec le destinataire de la lettre.
Épicure se sert également de formulations au « nous », dont le caractère inclusif a pour effet d’exiger l’assentiment du lecteur avant que celui-ci poursuive sa lecture. Le lecteur n’est pas que le destinataire de la lettre : il fait partie des protagonistes, car la conversation reste ouverte.
Le plus terrifiant des maux, la mort, n’a donc aucun rapport avec nous, puisque précisément, tant que nous sommes, la mort n’est pas là, et une fois que la mort est là, nous ne sommes plus.
Lettre à Ménécée 125[17]
Les passages du je au nous, dans le cadre de l’enseignement à distance, sont par ailleurs révélateurs de cette construction de la proximité dans la distance, qui n’est jamais acquise (Fasseur 2009:90). Dans le même ordre d’idées, la lettre s’inscrit dans un échange plus large ; elle appelle une réponse qui sera physiquement inscrite sur les mêmes tablettes de cire, ce qui n’est pas le cas du traité. Le lecteur est ainsi sollicité puisqu’il doit répondre à son correspondant, ce qui justifie cette alternance des pronoms. Le nous, quoiqu’il soit susceptible en grec comme en français d’indiquer la modestie, semble bien ici être la marque du pluriel. Ce procédé a l’avantage de produire le même effet sur un lecteur subséquent, bien que la lettre ne lui ait pas été originalement destinée, ce qui présente un intérêt certain dans le cas d’une lettre qui était sans aucun doute destinée à circuler au sein de la communauté, puisque, comme le dit le dicton, entre amis tout est commun.
3.2 Exhortations
En outre, l’épistolier exhorte fréquemment son correspondant à se souvenir de tel ou tel élément spécifique, tout particulièrement dans la lettre à Hérodote. Dans la doctrine épicurienne, la mémoire joue un rôle central, car la paix de l’âme est d’abord atteinte lorsqu’on se souvient de la doctrine, qui a un effet rassurant (Koch-Piettre, 1999; Morel, 2009, p.113 et p.202-203; Asmis. 2004).
Mais l’ataraxie consiste à être affranchi de tous ces troubles et à garder continuellement en mémoire les éléments généraux et capitaux.
Lettre à Hérodote 82[18]
Les exhortations d’Épicure sont organisées autour de cette nécessité de la mémoire, qui justifie par ailleurs la rédaction de ces petits cours par correspondance : puisqu’il est plus facile de garder en tête un résumé qu’un traité détaillé, et que la mémorisation du résumé est suffisante à l’atteinte de l’ataraxie, le souci qu’il a de ses élèves justifie qu’Épicure leur offre cette assistance, tout en leur rappelant inlassablement le moyen d’en tirer parti. Les explications succinctement données dans la lettre ne servent pas tant d’introduction générale à la doctrine qu’elles ne facilitent la consolidation de la connaissance.
4. La lettre n’est pas un traité
D’ailleurs Épicure, en écrivant ses lettres didactiques, n’a absolument aucune intention de remplacer totalement la lecture de ses ouvrages. La lettre constitue une porte d’entrée vers la doctrine ou un supplément d’explications qui vise à favoriser la compréhension lorsque la lecture du traité ne suffit pas et qu’il lui est impossible d’intervenir en personne pour donner des explications. En effet, si l’élève demeure perplexe devant le traité, s’il se pose des questions, il est logiquement impossible que son âme ne soit pas troublée, de sorte que tout questionnement de sa part constitue un obstacle à l’atteinte du bonheur que vise la doctrine épicurienne.
4.1 Une formation organisée autour du général plutôt que du particulier
La formation qu’Épicure rend disponible via l’échange épistolaire est ainsi un enseignement à portée générale. En effet, pas plus qu’on ne saurait aborder le détail de la pensée de Platon dans un cours d’introduction de 45 heures, la lettre ne peut contenir, à elle seule, toutes les subtilités de la doctrine épicurienne qui est d’une grande complexité. En revanche, lorsque les règles générales énoncées dans la lettre sont bien saisies par le destinataire, il lui est possible, par lui-même, d’aller plus loin et de comprendre certains aspects plus pointus de la doctrine.
De sorte que ce discours saisi avec précision permettra, je pense, à quiconque, même s’il n’en vient pas à toutes les précisions particulières, d’acquérir une vigueur incomparable par rapport aux autres hommes. Et par lui-même, il clarifiera beaucoup de questions particulières, car la précision que j’y ai introduite suit la doctrine complète, et ces éléments mêmes, conservés en mémoire, lui viendront en aide continuellement.
Lettre à Hérodote 83[19]
Dans l’intervalle, sa connaissance des principes de base de la doctrine permettra ainsi à l’élève de n’être pas troublé, puisqu’il pourra toujours se référer à ces principes dès lors qu’il se questionnera, et la lecture des traités viendra alors approfondir des connaissances qui sont déjà claires et complètes.
4.2 L’utilisation de formules simples est le signe distinctif de celui qui comprend bien
Par ailleurs, pour Épicure, la capacité à résumer une pensée est un signe que celle-ci est bien intégrée, et le recours à des formules simples permet à l’élève de philosophie, qui s’engage d’abord et avant tout dans la poursuite du bonheur, de réactualiser constamment en lui-même les raisons qu’il a d’être heureux.
En effet, il n’est pas possible de procéder, dans toute sa densité, au parcours continu des éléments généraux, si l’on n’est pas capable, en s’aidant de brèves formules, d’embrasser en soi-même tout ce qui également a pu être connu avec précision, en particulier.
Lettre à Hérodote 36[20]
Il est en effet impossible de réactualiser constamment dans sa mémoire une pensée complexe, alors que la formule simple peut être évoquée en un seul instant. Celui qui comprend bien la pensée épicurienne étant d’abord et avant tout celui qui est capable de la mettre en pratique, puisqu’il lui faut à chaque instant se souvenir de l’ensemble de la doctrine pour atteindre l’ataraxie, il est logique qu’il doive être capable de résumer la doctrine de manière très succincte.
5. Apprendre avec une lettre n’est pas apprendre seul
L’une des caractéristiques de l’échange épistolaire, comparativement à d’autres outils didactiques, est que dans un bon nombre de cas l’auteur de la lettre demeure disponible pour des précisions, au moins pour le destinataire initial. La correspondance suppose un échange nourri et régulier, et la relation entre les correspondants tend à s’étioler lorsque les lettres viennent à s’espacer. Le début de la lettre d’Épicure à Pythoclès témoigne d’ailleurs de l’inscription de la lettre didactique dans le cadre d’un échange épistolaire didactique, où l’élève peut toujours poursuivre le questionnement, que ce soit avec le maître ou avec d’autres personnes de la communauté. À l’inverse, la lecture d’un traité – même accompagné d’une dédicace – indique une relation ponctuelle, à sens unique.
5.1 Il est possible de discuter avec l’auteur de la lettre pour solliciter des explications supplémentaires
La première chose que cette relation suivie implique est que l’élève peut toujours écrire au maître pour obtenir des explications supplémentaires, pour simplifier une partie ou une autre de la doctrine. C’est ce qu’a fait Pythoclès, comme le rapporte Épicure dans l’introduction de sa lettre (Lettre à Pythoclès 84). Cela dit, en principe, les règles antiques en ce qui concerne l’épistolarité exigent que la lettre se suffise à elle-même, autrement dit que l’objet exposé y soit entièrement traité.
En outre, dans la mesure où chez les épicuriens la lettre sert à assurer la direction spirituelle des disciples, elle suppose que l’échange se poursuive (Koch-Piettre, 2004, p.55). En effet, on ne peut convenablement prendre soin de celui dont on ne reçoit pas de nouvelles ; il faut une certaine proximité pour être en mesure de donner des conseils bien adaptés.
5.2 Le partage de la lettre favorise l’instauration d’une communauté scolaire
Souvent, on considère que l’enseignement à distance en ligne fonctionne dans la mesure où il regroupe une communauté de chercheurs qui demeurent en contact par le biais de forums (Fasseur, 2009, p.83), aussi nous ne voyons pas bien comment on pouvait fonctionner à distance en l’absence de ces outils technologiques. Toutefois, si Épicure écrit à un élève éloigné, l’appartenance à une communauté demeure centrale dans l’éducation philosophique de l’Antiquité : la lettre est certes envoyée à un élève éloigné, mais non à un élève isolé. Or les communautés épicuriennes se caractérisent par cette omniprésence du fondateur de l’école, « dont elles entretiennent la mémoire et le culte » (Koch-Piettre, 2004, p.53). La lettre à Hérodote est destinée à être partagée, comme on peut le voir dans son introduction : Épicure mentionne en effet que sa lettre peut servir à d’autres personnes autant qu’à Hérodote.
À l’intention de ceux qui ne peuvent pas, Hérodote, étudier précisément et dans le détail mes écrits sur la nature, ni même examiner les plus importants des livres que j’ai composés, pour eux j’ai préparé un résumé de la doctrine complète, destiné à leur faire garder suffisamment en mémoire les opinions les plus générales, afin qu’en chaque occasion, sur les questions capitales, ils puissent se venir en aide à eux-mêmes, pour autant qu’ils s’appliquent à l’observation de la nature. Et même ceux qui ont suffisamment progressé dans la considération de l’ensemble doivent garder en mémoire l’esquisse, présentée selon les principes élémentaires, de la doctrine complète ; en effet, nous avons fortement besoin d’une appréhension pleine et pas de la même façon que d’une appréhension du particulier.
Lettre à Hérodote 35[21]
Il semble, de fait, que cette lettre ait été partagée suivant les encouragements du maître, puisque Pythoclès est également invité à lire le résumé adressé à Hérodote.
Saisis-les distinctement et, les gardant en mémoire, parcours-les avec acuité ainsi que tous les autres que, dans le petit abrégé, j’ai envoyés à Hérodote.
Lettre à Pythoclès 85[22]
La circulation des lettres au sein de la communauté épicurienne explique que ces textes nous soient parvenus. La circulation d’une lettre adressée à un seul destinataire a alors pour effet de souder la communauté philosophique. En effet, l’élève qui partage son courrier avec d’autres élèves fait preuve de considération à leur endroit. De plus, cela montre qu’il tient en haute estime le contenu de la lettre, car la diffusion d’une lettre n’aurait pas de sens si le destinataire ne considérait pas que son contenu mérite d’être publié. La lettre sert en ce sens à l’élaboration et à la diffusion de la doctrine, ainsi qu’à la direction spirituelle non d’un seul élève mais d’une communauté entière, un peu comme on le voit avec les lettres pauliniennes par exemple (Koch-Piettre, 2004, p. 55).
Conclusion
L’enseignement à distance, pour être efficace et agréable, suppose à la fois une personnalisation de l’enseignement et l’intégration de l’élève à une communauté au sein de laquelle le savoir pourra être échangé, partagé, et où de véritables liens d’amitié pourront être noués. Pour Épicure, cette communauté joue un rôle critique dans la capacité de l’élève à mettre en pratique la doctrine, et l’importance qu’il accorde à l’amitié n’est sans doute pas étrangère à l’utilisation du genre épistolaire, qui, en dépit de la distance géographique, témoigne du souci qu’il porte à ses élèves.
Or, les études contemporaines montrent régulièrement l’importance que revêt l’appartenance à une communauté d’apprentissage dans une perspective pédagogique, dans la mesure où elle permet de briser l’isolement des étudiants, qui peuvent alors travailler de concert avec des collègues pour résoudre des problèmes, exercer un certain mentorat et consolider leurs apprentissages en enseignant à leur tour aux autres étudiants les notions qu’ils maîtrisent (Dodge & Kendall, 2004). Bien sûr, l’introduction des réseaux sociaux et l’amélioration des plateformes d’enseignement à distance ont pour effet de faciliter la mise en place de communautés d’apprentissage dans le cas d’éducation à distance, ce qui n’était pas le cas dans les années 1990 par exemple, alors qu’un cours en ligne était surtout constitué de matériel audio et vidéo, ou de vidéoconférences (Webster & Hackley, 1997). Cela dit, on observait déjà que le principal facteur de réussite des étudiants dans les cours par vidéoconférence était alors – comme dans les cours en présentiel – l’implication active des étudiants, dont l’apprentissage est notamment facilité lorsqu’ils sont encouragés à interagir avec leur professeur. L’une des principales critiques à l’endroit de l’enseignement à distance résidait justement dans la distance qu’il instaurait entre les étudiants et les enseignants, qui se plaignaient d’un climat froid et d’une mauvaise communication non verbale, de telle sorte que les meilleurs résultats étaient obtenus lorsque les enseignants suscitaient davantage d’interactions, posaient des questions aux étudiants, et encourageaient les discussions (Webster & Hackley, 1997). La fréquence, l’intensité et la spécificité des interventions étudiantes dans des cours en ligne (par exemple, sur des forums liés au cours) ont été ainsi corrélées à une plus grande satisfaction des étudiants à l’endroit de leur cours (Burnett et al. 2007), et une plus grande proximité entre les étudiants favorise leur apprentissage (Fasseur, 2009). L’utilisation de divers procédés stylistiques ayant pour effet de personnaliser le cours (par exemple le soin accordé aux formules de salutation, l’insertion du nom de l’étudiant à divers endroits dans le matériel, l’emploi d’un style plus près de la communication orale, etc.) et de favoriser l’activité intellectuelle du lecteur (questions rhétoriques, formulations inclusives, etc.) dans le matériel destiné à l’enseignement à distance, ainsi que la distribution du matériel à différents étudiants invités à le partager entre eux, pourraient ainsi représenter des pistes intéressantes pour améliorer l’enseignement à distance, même s’il n’est sans doute pas réaliste de penser à des envois particuliers, étant donné que l’un des principaux avantages que représente l’enseignement à distance réside dans la réduction des coûts grâce à la possibilité de rendre le matériel disponible à un grand nombre d’étudiants.
L’enseignement à distance tel que le pratique Épicure nous rappelle ainsi quelles sont les conditions de possibilité d’une relation pédagogique : la prise en compte de l’élève comme personne singulière, chez laquelle l’enseignant mobilise une activité intellectuelle, non de manière isolée mais en relation avec une communauté qui permettra à la fois la validation des savoirs et leur exercice — tout particulièrement dans le cas de la philosophie, qui apparaît dans l’Antiquité comme une discipline pratique.
Ces enseignements donc, et ce qui s’y apparente, mets-les en pratique, en relation avec toi-même, le jour et la nuit, et en relation avec ce qui t’es semblable, et jamais tu ne seras troublé, ni dans la veille ni dans les rêves, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes.
Lettre à Ménécée 135[23]
Car après tout, enseigner à distance, c’est d’abord et avant tout enseigner tout court.
Appendices
Notes
-
[1]
C’est notamment le cas dans les dialogues de Platon, dont la mise en scène dramatique est souvent située dans des lieux publics. Ainsi, le Charmide et le Lysis se déroulent dans une palestre, l’Euthydème dans un gymnase. Évidemment, l’assentiment des répondants dans les dialogues platoniciens est parfois accordé de manière un peu artificielle et les lecteurs seraient sans doute bien étourdis s’ils étaient ainsi questionnés du tac au tac (Rossetti 2001) ; sans doute une des raisons pour lesquelles Desclos (2001) suggère que le lecteur s’identifie davantage à l’assistance muette. Le dialogue n’en possède pas moins certaines vertus sur le plan de l’intelligibilité ; à propos de la manière dont le dialogue, comparativement au monologue, améliore la capacité de compréhension d’un auditeur extérieur, voir les travaux éclairants de Fox Tree (1999).
-
[2]
Pseudo-Démétrios, Du style 223, trad. Chiron. L’attribution de ce traité et de la section qui concerne le genre épistolaire étant assez incertaine (Poster 2007:23-25), nous le citerons ici sous le nom du Pseudo-Démétrios.
-
[3]
Voir par exemple Lhuillier 2002, Fleury 2006.
-
[4]
L’authenticité de la lettre à Pythoclès a parfois été contestée ; Bollack et Laks (1978:45-64), qui examinent l’ensemble des arguments avancés depuis Usener relativement à l’inauthenticité de la lettre, concluent que le projet même de la lettre constitue un argument décisif en faveur de la thèse de l’authenticité (Bollack et Laks 1978:52).
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[5]
Le De rerum natura, sans conteste, a été jusqu’à tout récemment la source principale pour connaître l’épicurisme romain. Cependant, la bibliothèque de Pison à Herculanum contenait 36 traités attribués à l’épicurien Philodème de Gadara, dont les papyrus, qui peuvent désormais être lus à l’aide de nouvelles techniques, continuent à nous fournir de nouveaux fragments, de sorte que la recherche sur cette école philosophique est renouvelée depuis un certain nombre d’années, tandis que l’édition des textes est toujours en cours aujourd’hui.
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[6]
Dans la mesure où les règles d’écriture des lettres sont les mêmes, qu’il s’agisse d’une oeuvre littéraire ou d’une authentique missive, il s’agit évidemment ici d’une conjecture. L’authenticité de la lettre, comme véritable envoi, ne peut être démontrée. Il n’est cependant peut-être pas nécessaire d’établir une distinction nette entre des lettres authentiques (c’est-à-dire mises à la poste) et des textes littéraires appartenant au genre épistolaire, justement en raison de l’usage des mêmes règles et procédés stylistiques dans les deux cas (Cambron-Goulet, 2014, p.149-150, Choat 2013, Rosenmeyer 2001, p.5-6, etc.)
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[7]
La communauté épicurienne se distingue des autres écoles philosophiques de la période hellénistique en ce qu’elle se présente comme une secte religieuse au sein de laquelle l’amitié apparaît comme une vertu essentielle (Piettre 1998:185) ; les travaux de Renée Koch Piettre (1999, 2004, 2009, etc.) montrent bien qu’Épicure y était sinon un dieu, du moins l’image du dieu. Ces traits propres aux épicuriens expliquent sans doute en partie la circulation et la conservation des lettres du maître.
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[8]
Si la présence – ou l’absence – de formules de salutation ne permet pas de tirer des conclusions quant à l’authenticité de la lettre, dans la mesure où celles-ci sont liées à des conventions et où certaines lettres réputées authentiques grâce à la critique externe n’en portent pas (Choat, 2013), de telles expressions marquant à la fois la politesse et l’amitié font partie intégrante du genre épistolaire (Cambron-Goulet, 2014, p.154, Deléani, 2006 ; Poster 2007, p.40, Roesch, 2002 et 2014). Cela est toujours vrai de nos jours.
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[9]
225 et 232. La lettre à Pythoclès ne respecte sans doute pas « la mesure » non plus, soit la longueur idéale d’une lettre selon les critiques littéraires et l’élite éduquée. Cela dit, il est possible que ce canon se soit précisé plus tardivement ; rappelons que ces lettres auraient été écrites au IVe siècle avant notre ère, tandis que le traité Du Style (quoique les hypothèses concernant sa date de rédaction soient très variable) est plus tardif.
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[10]
Ἐπίκουρος Πυθοκλεῖ χαίρειν. Ἤνεγκέ μοι Κλέων ἐπιστολὴν παρὰ σοῦ, ἐν ᾗ φιλοφρονούμενός τε περὶ ἡμᾶς διετέλεις ἀξίως τῆς ἡμετέρας περὶ σεαυτὸν σπουδῆς, καὶ οὐκ ἀπιθάνως ἐπειρῶ μνημονεύειν τῶν εἰς μακάριον βίον συντεινόντων διαλογισμῶν, ἐδέου τε σεαυτῷ περὶτῶν μετεώρων σύντομον καὶ εὐπερίγραφον διαλογισμὸν ἀποστεῖλαι, ἵνα ῥᾳδίως μνημονεύῃς· τὰ γὰρ ἐν ἄλλοις ἡμῖν γεγραμμένα δυσμνημόνευτα εἶναι, καίτοι, ὡς ἔφης, συνεχῶς αὐτὰ βαστάζεις. ἡμεῖς δὲ ἡδέως τέ σου τὴν δέησιν ἀπεδεξάμεθα καὶ ἐλπίσιν ἡδείαις συνεσχέθημεν.
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[11]
Augustin, se plaignant à Romanius d’une pénurie de papier, doit se résoudre à lui écrire sur parchemin, ce qui montre qu’il ne s’agit pas là du support habituel. Voir Lettre 15 ; Rosenmeyer 2001, p.22-23.
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[12]
Nous savons que les échanges épistolaires outremer étaient interrompus pendant l’hiver en raison des conditions de navigation (Synésius, Lettre 88) et que l’on pouvait attendre assez longtemps avant de trouver un facteur (Rosenmeyer, 2001, p.:24). Voir également Cambron-Goulet 2014, p.:156.
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[13]
ἐποίησά σοι καὶ τοιαύτην τινὰ ἐπιτομὴν καὶ στοιχείωσιν τῶν ὅλων δοξῶν.
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[14]
Ταῦτά σοι, ὦ Ἡρόδοτε, ἔστι κεφαλαιωδέστατα ὑπὲρ τῆς τῶν ὅλων φύσεως ἐπιτετμημένα·
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[15]
D’autres procédés stylistiques employés par Épicure supposent une étude philologique approfondie, qui n’est pas le propos du présent article mais qui sont l’objet de nos travaux en cours, aussi nous contenterons-nous de renvoyer aux études de Wakker (2009) et de Sicking et Van Ophuijsen (1993) sur les marqueurs pragmatiques en grec, ainsi qu’aux travaux de Fox Tree (1999) et Kraut et al. (1982) sur l’impact des marqueurs pragmatiques sur la capacité de compréhension d’un auditeur.
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[16]
Ἐπεὶ τίνα νομίζεις εἶναι κρείττονα τοῦ καὶ περὶ θεῶν ὅσιαδοξάζοντος καὶ περὶ θανάτου διὰ παντὸς ἀφόβως ἔχοντος καὶτὸ τῆς φύσεως ἐπιλελογισμένου τέλος, καὶ τὸ μὲν τῶν ἀγαθῶνπέρας ὡς ἔστιν εὐσυμπλήρωτόν τε καὶ εὐπόριστον διαλαμβάνοντος, τὸ δὲ τῶν κακῶν ὡς ἢ χρόνους ἢ πόνους ἔχει βραχεῖς; τὴν δὲ ὑπό τινων δεσπότιν εἰσαγομένην πάντων † ἀγγέλλοντος * * (<λέγει ἐν ἄλλοις γίνεσθαι ἃ μὲν κατ› ἀνάγκην>, ἃ δὲ ἀπὸ τύχης, ἃ δὲ παρ› ἡμᾶς, διὰ τὸ τὴν μὲν ἀνάγκην ἀνυπεύθυνον εἶναι, τὴν δὲ τύχην ἄστατον ὁρᾶν, τὸ δὲ παρ› ἡμᾶς ἀδέσποτον, ᾧ καὶ τὸ μεμπτὸν καὶ τὸ ἐναντίον παρακολουθεῖν πέφυκεν) — ἐπεὶ κρεῖττον ἦν τῷ περὶ θεῶν μύθῳ κατακολουθεῖν ἢ τῇ τῶν φυσικῶν εἱμαρμένῃ δουλεύειν·
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[17]
τὸ φρικωδέστατον οὖν τῶν κακῶν ὁ θάνατος οὐθὲν πρὸς ἡμᾶς, ἐπειδήπερ ὅταν μὲν ἡμεῖς ὦμεν, ὁ θάνατος οὐ πάρεστιν, ὅταν δὲ ὁ θάνατος παρῇ, τόθ› ἡμεῖς οὐκ ἐσμέν. οὔτε οὖν πρὸς τοὺς ζῶντάς ἐστιν οὔτε πρὸς τοὺς τετελευτηκότας, ἐπειδήπερ περὶ οὓς μὲν οὐκ ἔστιν, οἳ δ› οὐκέτι εἰσίν.
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[18]
ἡ δὲ ἀταραξία τῷ τούτων πάντων ἀπολελύσθαι καὶ συνεχῆ μνήμην ἔχειν τῶν ὅλων καὶ κυριωτάτων.
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[19]
ὥστ› ἐὰν γένηται οὗτος ὁ λόγος δυνατὸς κατασχεθεὶς μετ› ἀκριβείας, οἶμαι, ἐὰν μὴ καὶ πρὸς ἅπαντα βαδίσῃ τις τῶν κατὰ μέρος ἀκριβωμάτων, ἀσύμβλητον αὐτὸν πρὸς τοὺς λοιποὺς ἀνθρώπους ἁδρότητα λήψεσθαι. καὶ γὰρ καὶ καθαρὰ ἀφ› ἑαυτοῦ ποιήσει πολλὰ τῶν κατὰ μέρος ἐξακριβουμένων κατὰ τὴν ὅλην πραγματείαν ἡμῖν, καὶ αὐτὰ ταῦτα ἐν μνήμῃ τιθέμενα συνεχῶς βοηθήσει.
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[20]
οὐ γὰρ οἷόν τε τὸ πύκνωμα τῆς συνεχοῦς τῶν ὅλων περιοδείας εἰδέναι μὴ δυνάμενον διὰ βραχεῶν φωνῶν ἅπαν ἐμπεριλαβεῖν ἐν αὑτῷ τὸ καὶ κατὰ μέρος ἂν ἐξακριβωθέν.
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[21]
Τοῖς μὴ δυναμένοις, ὦ Ἡρόδοτε, ἕκαστα τῶν περὶ φύσεως ἀναγεγραμμένων ἡμῖν ἐξακριβοῦν μηδὲ τὰς μείζους τῶν συντεταγμένων βίβλους διαθρεῖν ἐπιτομὴν τῆς ὅλης πραγματείας εἰς τὸ κατασχεῖν τῶν ὁλοσχερωτάτων δοξῶν τὴν μνήμην ἱκανῶς αὐτοῖς παρεσκεύασα, ἵνα παρ› ἑκάστους τῶν καιρῶν ἐν τοῖς κυριωτάτοις βοηθεῖν αὑτοῖς δύνωνται, καθ› ὅσον ἂν ἐφάπτωνται τῆς περὶ φύσεως θεωρίας. καὶ τοὺς προβεβηκότας δὲ ἱκανῶς ἐν τῇ τῶν ὅλων ἐπιβλέψει τὸν τύπον τῆς ὅλης πραγματείας τὸν κατεστοιχειωμένον δεῖ μνημονεύειν· τῆς γὰρ ἀθρόας ἐπιβολῆς πυκνὸν δεόμεθα, τῆς δὲ κατὰ μέρος οὐχ ὁμοίως.
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[22]
καλῶς δὴ αὐτὰ διάλαβε, καὶ διὰ μνήμης ἔχων ὀξέως αὐτὰ περιόδευε μετὰ τῶν λοιπῶν ὧν ἐν τῇ μικρᾷ ἐπιτομῇ πρὸς Ἡρόδοτον ἀπεστείλαμεν.
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[23]
Ταῦτα οὖν καὶ τὰ τούτοις συγγενῆ μελέτα πρὸς σεαυτὸν ἡμέρας καὶ νυκτὸς πρός <τε> τὸν ὅμοιον σεαυτῷ, καὶ οὐδέποτε οὔθ› ὕπαρ οὔτ› ὄναρ διαταραχθήσῃ, ζήσῃ δὲ ὡς θεὸς ἐν ἀνθρώποις.
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