Article body

Introduction

Depuis les années 1980, un mouvement de « professionnalisation », qui trouve ses origines aux États-Unis, gagne de nombreux États dans lesquels les politiques de massification engagées dans les années 1950, semblent marquer le pas (Tardif, 2010). La notion de « professionnalisation » va alors s’imposer dans l’univers de la formation des enseignants, mais aussi dans de nombreuses formations de professionnels dont la mission est plus généralement d’ordre relationnel.

Cependant, derrière cette grande tendance qui pourrait laisser envisager une certaine uniformité des évolutions des systèmes de formation, se cachent des réalités bien souvent diverses. Selon les contextes dans lesquels elle est évoquée et selon les acteurs qui s’y réfèrent, le sens qu’elle peut prendre, les mises en oeuvre dont elle peut faire l’objet, montrent les usages différents qui peuvent résulter des politiques élaborées et conduites en son nom.

Les contextes nationaux montrent en effet que la notion est appréhendée en fonction de l’histoire et des particularités des États qui s’inscrivent dans le mouvement. Un processus de « créolisation », selon l’expression d’Anderson-Levitt (2003), est à l’oeuvre, qui conduit les acteurs politiques, mais aussi les acteurs opérationnels, à faire avec un modèle dont les grands axes sont certes communs, mais qui laisse néanmoins une certaine souplesse quant à aux interprétations dont il peut faire l’objet. Mellouki et Wentzel (2009) mentionnent en effet des traits communs aux évolutions rencontrées dans de nombreux États : « universitarisation » des formations, prise en compte des résultats de la recherche en éducation/formation ; hausse du temps réservé à la formation pratique… Cependant, les auteurs rappellent que ce modèle demeure une norme flottante qui fait l’objet de nombreuses adaptations.

Wittorski (2008), par ailleurs, remarque que le sens donné à ce modèle est dans une large mesure dépendant des positions des acteurs concernés par les évolutions qu’il est susceptible d’introduire. Ainsi, lorsque les enseignants ou leurs représentants s’en emparent, la professionnalisation est au service de leur volonté de faire reconnaître le corps enseignant socialement et économiquement ; les étudiants qui se destinent au métier d’enseignant, quant à eux, accordent par exemple une place importante aux stages pratiques dans le processus de formation qui doit contribuer à les professionnaliser. Lorsque l’État, employeur en l’occurrence, y fait référence, c’est pour justifier les décisions qu’il prend quant aux compétences qu’il souhaite voir maîtrisées par les enseignants qu’il emploie ou recrute. Lorsque les organismes de formation s’appuient sur cette notion, en l’occurrence les IUFM, c’est pour justifier d’une mission qui leur est confiée, pour conquérir ou stabiliser une certaine reconnaissance institutionnelle qui est aussi nécessaire à l’attribution de moyens matériel et financier pour mener à bien cette mission.

Les auteurs de ce numéro tentent de mettre en lumière la diversité de ces attentes ou de ces « traductions » (Akrich, Callon & Latour, 2006). Chacun d’entre eux tente d’étudier le point de vue d’un type d’acteur, les effets produits sur les usagers ou encore les tensions ou alliances qui résultent de l’intégration de ce modèle.

Guy Lapostolle, Rachel Solomon, Pascal Grisoni tentent de montrer que les formateurs d’enseignant en France avaient acquis une certaine expérience au contact des étudiants, en faisant preuve d’une certaine réflexivité et en s’appuyant sur un certain nombre de travaux de recherche. Ces formateurs avaient été accompagnés dans la construction de cette expérience par un État qui soutenait ce que l’on pourrait nommer un processus de professionnalisation. Les auteurs interrogent alors les conséquences de la réforme dite de la « masterisation » qui semble avoir perturbé les repères des enseignants en formation et de ce fait, avoir jeté un flou sur les missions de ces formateurs, brouillant ainsi les fondements nécessaires à la construction de leur identité professionnelle.

Denis Loizon, Nathalie Charvy et Nathalie Cartierre s’intéressent aux formateurs d’enseignants dans le cadre français. Les auteurs questionnent plus particulièrement la manière dont ces formateurs perçoivent l’une des dimensions de leur mission : l’accompagnement. Si leur vécu ou leur expérience antérieure sont déterminants dans les choix et les pratiques d’accompagnement, les définitions qu’ils en donnent sont hétérogènes. Ces formateurs s’appuient bien souvent sur les expériences professionnelles antérieures à la masterisation, mais des adaptations sont remarquées dans le cadre des masters, notamment dans l’accompagnement dans les groupes de référence.

Magali Danner interroge également les effets de la masterisation sur le sentiment de professionnalisation des futurs enseignants. Elle cherche à appréhender la façon dont les étudiants de master perçoivent la qualité de leur formation professionnelle, au regard notamment des initiatives pédagogiques amenées par cette réforme. Cette étude met en évidence l’intérêt que portent les étudiants à la préparation au concours, mais elle montre aussi leurs positions nuancées et parfois contrastées face aux apports théoriques, tels que ceux de la recherche ou des enseignements en sciences humaines et sociales ou encore face à certains dispositifs de formation tels que la rédaction d’un mémoire professionnel et la participation à des parcours d’ouverture professionnelle.

Thierry Troncin analyse les regards portés par les enseignants sur une formation spécialisée par alternance qu’ils suivent dans le cadre de l’IUFM de Bourgogne. Il s’agit pour l’auteur de cerner les conditions requises pour que les leviers de transformation des postures et des pratiques professionnelles s’avèrent effectifs et efficaces. Prenant acte du fait que les nouvelles modalités de scolarisation des élèves handicapés interrogent les enseignants dans l’exercice de leur métier, il tente d’observer comment et dans quelle mesure les dispositifs de formation et d’accompagnement aident à identifier les compétences constitutives d’une nouvelle identité professionnelle et contribuent à initier et à enrichir ce processus de transformation identitaire.

Florence Tardif Bourgoin, à partir d’une étude menée dans trois centres sociaux parisiens, interroge les exigences de professionnalisation des « bénévoles » dans le champ de l’action sociale. Ces exigences préoccupent en effet les associations dans un contexte de réduction des financements. L’auteur questionne la place de la formation et la professionnalisation de ces bénévoles, dans le cadre d’une éducation populaire qui favorise la transmission des savoirs et des expériences dans un objectif de construction partagée. Entre d’une part, les projets d’une structure soucieuse d’efficacité (on attend des bénévoles des compétences) et d’autre part, les projets et attentes des bénévoles, un équilibre doit être trouvé pour mener à bien cette formation professionnelle.

Zoualfakar Jammoul propose d’interroger les effets de l’introduction de la notion de compétence dans l’apprentissage professionnel. Cette introduction nécessite une série de changements qui affectent le rôle de l’enseignant et de l’élève ainsi qu’une réorganisation de l’ensemble du processus de l’apprentissage. Or, il semble que les démarches classiques dont sont porteurs, en l’occurrence les enseignants observés, ne fassent pas la place nécessaire à certaines étapes d’apprentissage pour permettre aux élèves de construire des compétences.