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Introduction

Des recherches ont montré l’impact de l’effet-maître sur les résultats des élèves (Bressoux, 2001 ; Creemers, Reynolds & Swint, 1996 ; Gauthier, Bissonnette & Richard, 2007 ; Wayne & Young, 2003) : il expliquerait 10 % à 20 % de la variance de leurs progressions (Bressoux, 2001 ; Bru, Altet & Blanchard-Laville, 2004 ; Talbot, 2007). Par conséquent, la formation des enseignants se révèle être un enjeu sociétal afin d’améliorer les résultats du plus grand nombre d’élèves en ciblant les élèves les plus désavantagés (Bressoux, 2001).

Si ces différents modèles statistiques multivariés et le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » (Bressoux, 2001) ont mis en évidence cet effet-maître, ils n’ont pu déterminer les facteurs permettant de différencier un enseignant d’un autre. Dès lors, comment former les enseignants à être efficaces ? Cette question montre l’étroite relation entre la recherche et la formation (Brodeur, Deaudelin & Bru, 2005) et l’importance de conjuguer ces deux aspects: « La formation a besoin d’une théorie sur le développement professionnel qui permettrait de mieux comprendre le processus de construction du savoir-agir » (Desjardins, Deaudelin & Dezutter, 2009, p. 79-80). La recherche peut avoir pour but d’expliquer et de comprendre les processus d’enseignement pour contribuer au progrès pédagogique en envisageant ces processus « tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être » (Dunkin, 1986, p. 39). Cette approche explicative est un préalable à une éventuelle approche prescriptive (Postic & de Ketele, 1988), la recherche venant sous-tendre la mise en place des dispositifs de formation.

En Communauté française de Belgique, dans le cadre de la formation initiale des enseignants, les politiques ont défini, par un décret (2001), treize compétences à développer. Le modèle du praticien réflexif doté d’une identité professionnelle forte y est valorisé. Dans ce contexte, les opérateurs de formation sont les universités. Le temps de formation particulièrement court implique, en termes de conception, la mise en place d’un dispositif efficient pour parvenir à atteindre les objectifs attendus.

Dans le cadre de deux thèses – l’une financée par l’Université de Mons et la seconde, par le FNRS-FRFC (convention n° 2.4570.10) – le dispositif de formation mis en place à l’Université de Mons est analysé selon deux orientations : l’observation/l’analyse des gestes professionnels et l’analyse des manifestations de la réflexivité. Ces recherches s’inspirent également de la double lecture de l’action (Marcel, 2002). Dans cet article, le dispositif de formation est décrit pour ensuite être analysé en recourant à deux méthodes. Ces dernières sont illustrées grâce à l’analyse d’un cas.

1. Une formation professionnelle

L’enjeu d’une formation professionnelle n’est pas de préparer un individu à un lieu de travail, mais bien à un champ professionnel ; en effet, si l’on peut assister sur les lieux de travail à la construction du professionnel, ce résultat ne constitue pas un but en soi, il s’agit « d’un sous-produit, non intentionnel » (Beckers, 2007, p. 8) dans un contexte orienté par l’activité productrice. L’enjeu de la formation initiale est plus fondamental : favoriser l’apprentissage et le développement de l’individu en articulant les phases d’apprentissage à celles de leur mobilisation.

La formation organise autour de principes directeurs. Beckers (2009) indique qu’un des principes fondateurs est celui de la double germination des concepts. Ce principe issu de Vygotski « suggère une double origine à la conceptualisation : une émergence des concepts à partir de l’action, via la médiation sociale (des pairs ou des anciens) et une intériorisation des savoirs objectivés de référence, explicitement proposés par les formateurs ». Il y a donc une reconnaissance des apports respectifs de l’action (par exemple, les stages) et de l’« apport de situations formalisées où l’action est suspendue, réfléchie, modifiée […]» (Beckers 2009, p. 6).

Les dispositifs professionnalisant se caractérisent, d’une part, par l’articulation de moyens visant « explicitement à faire construire des compétences et des composantes identitaires susceptibles d’être mobilisées dans des situations professionnelles données » (Beckers et al., 2003, p. 2-3), et d’autre part, par la création de liens entre théorie et pratique (Mottet, 1995 ; Wittorski, 2007).

Finalement, la formation intègre une réelle préparation aux activités réalisées « en externe », c’est-à-dire dans le milieu professionnel lors des stages. Outre l’argument selon lequel les écoles ne sont pas des lieux d’expérimentation sauvage, un autre argument plaide en faveur d’une préparation aux stages, il s’agit de la volonté « d’alerter « l’environnement cognitif « du sujet pour que la confrontation au champ réel de l’activité se passe une mode réflexif plutôt qu’imprégnatif » (Beckers, 2009, p. 7).

2. Présentation du dispositif

Les activités pédagogiques ont été retenues en fonction de leur potentialité à développer, ou du moins à amorcer, la pratique réflexive (Hatton & Smith, 1995). Le tableau 1 présente les différentes activités, la répartition des différentes séances et les phases de l’enseignement prioritairement travaillées.

Tableau 1

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La formation débute au mois de septembre par une séance introductive (étape 1) qui permet de transmettre « des connaissances propres au domaine en abondance, et des moyens de les relier entre elles » (Tochon, 1993, p. 186).

L’étape 2 se base sur une séance de microenseignement où différents rôles sont distribués aux futurs enseignants : « enseignant » lorsqu’ils dispensent le cours, « élève » lorsqu’ils prennent la place des apprenants et observateurs lorsqu’ils analysent la prestation d’un pair.

Cette séance est filmée et enregistrée sur un DVD remis à l’étudiant. Ce document audiovisuel est exploité une première fois en autoscopie et une deuxième fois lors de l’étape 3, en rétroaction avec un superviseur.

La formation se poursuit par la présentation en équipe d’une séquence de leçons lors de l’étape 4 et par une séance de synthèse, à la fin du mois de décembre (étape 5). La formation en interne se clôture, en janvier par la remise d’un rapport réflexif. À la suite de cette formation au sein de l’université, les futurs enseignants sont amenés à effectuer des stages d’observation (20 heures) et d’enseignement (40 heures) dans l’école de leur choix.

2.1. Focalisation sur les activités de microenseignement et de rétroaction

Les données analysées dans le cadre de cet article sont issues de l’observation de la séance de microenseignement et de l’enregistrement de la séance de rétroaction.

2.1.1 Le microenseignement

S’adressant à des futurs enseignants ne possédant aucune expérience de classe[1] , le microenseignement permet de développer, à minima, leurs compétences avant la confrontation à la réalité (Paquay & Wagner, 2001). Il ne s’agit pas des séances de microenseignement calquées sur le modèle stanfordien (Cooper & Allen, 1971 ; Perlberg, 1972 ; Wallace, 2008), mais d’une adaptation de celui-ci.

Le préfixe micro explique le caractère « simplificateur » de la situation, dans le sens où les futurs enseignants présentent une leçon dans un cadre sécurisant et formatif afin d’éviter une tonalité émotionnelle qui pourrait influencer négativement leurs actions (Ria & Durand, 2001). Dans les jours précédant le microenseignement, les futurs enseignants sont répartis en duos et préparent deux leçons. Le futur enseignant gère la séquence de cours de quarante minutes ; celle-ci est préparée selon un modèle en quatre étapes (Chamberland, Lavoie & Marquis, 2009). Il ne s’agit pas de se focaliser sur un moment précis de l’enseignement selon un principe béhavioriste, ni de promouvoir un modèle comportemental à imiter, renforcé par des évaluations au terme de l’activité (De Landsheere, 1992). La méthode est laissée « libre et ouverte », seules les compétences à viser sont imposées en référence aux programmes. Il s’agit de reproduire la complexité que revêtent la préparation, la gestion et l’évaluation d’une séquence d’apprentissage en interaction avec des apprenants.

Le recours à la vidéoscopie et à l’appréciation d’observateurs permet un retour sur sa prestation (Maubant et al., 2005). Chaque séquence est filmée à l’aide de quatre caméras et analysée par des futurs enseignants qui endossent le rôle, soit du second membre du duo, soit celui d’observateur. Cette observation permet à chacun de se familiariser avec la grille d’évaluation qui est la même que celle utilisée lors des évaluations en situation de stage. Cet intérêt pour l’analyse des pratiques, au-delà de répondre à un prescrit décrétal, se justifie dans le sens où « il est d’usage aujourd’hui de considérer que les démarches d’analyse des pratiques constituent une approche pertinente pour toute institution de formation qui souhaite soutenir et promouvoir un processus de professionnalisation (Maubant, 2007, p. 39).

Finalement, sur la base de la séquence vidéo et des différentes observations, le futur enseignant peut réaliser son autoscopie ; aucune régulation, évaluation ou réinterprétation n’étant proposée in situ. Cette activité ne se confond pas uniquement en une démarche purement techniciste puisqu’elle est à la base d’activités réflexives.

2.1.2. La rétroaction vidéo

La mise en place de cette activité répond au constat de Beckers (2009, p. 5) selon lequel « […] la simple répétition de l’action ne suffit pas » et reconnait avec Pastré (2002, p. 15) que « ce qui est déterminant dans la construction du modèle pragmatique, c’est le moment du débriefing. Car c’est à ce moment-là que s’opère la conceptualisation de la situation sous sa forme pragmatique et que les acteurs découvrent, après coup, avec le sens de leurs erreurs […] ».

La séance de rétroaction vidéo est basée sur le visionnement de l’enregistrement du microenseignement. Cette procédure relève d’un choix entre plusieurs alternatives telles que le visionnement de séquences sélectionnées par le superviseur ou le futur enseignant (Correa Molina & Gervais, 2010), un premier visionnement directement effectué avec le superviseur, la sélection et la compilation préalable des éléments sur lesquels porteront la rétroaction (Fenstermacher, 1996), etc.

Des trois familles de méthodes identifiées par Tochon (1996) (rappel stimulé, objectivation clinique et réflexion partagée), c’est le modèle de la réflexion partagée qui est appliqué. Cette méthode trouve son sens dans la formation des enseignants dont le contexte associe formation et recherche : les moments d’échanges basés sur la supervision sont le matériau brut de recherche, mais constituent également, pour l’enseignant en formation, une activité signifiante visant à développer sa pratique réflexive : « la recherche devient enseignante, porteuse d’enseignement et directement utile pour améliorer l’école » (Tochon, 1996, p. 490). Cette spécificité, caractérisée par une réflexion orientée vers l’élaboration d’un sens constructif (Tochon, 1996), conduit à réfléchir avec l’étudiant et à développer des savoirs utiles dans le développement personnel et professionnel. Cette conception se rapproche de la conception constructiviste de Richardson et Heckman (1996, p. 648) lorsqu’ils énoncent que « Je (Heckman en tant qu’ami critique) ne suis pas le seul à construire la signification ; nous édifions des savoirs ensemble. ». L’entretien est faiblement structuré et vise à stimuler la réflexion concomitante du visionnement.

3. Cadre d’analyse

3.1 Les gestes professionnels

Envisager une situation d’enseignement/apprentissage, c’est, d’une part, envisager un ensemble d’activités gestuelles, de discours opératoires singuliers et complexes (Altet, 2002 dans Lenoir, 2010) et d’activités cognitives (Durand, 1996) mis en place par l’enseignant dans une immédiateté dont le but est l’apprentissage des élèves (Talbot, 2007), et d’autre part, prendre en compte « l’étude des relations de dépendances entre contraintes de situation et conduites d’enseignement » (Crahay, 1989, p. 83). En fournissant les outils sémiotiques et instrumentaux (Vygotski, 1930, 1985 ; Mercier, 1998 in Weisser, 2010), l’enseignant conduit l’apprenant à objectiver son rapport au monde. Un dispositif est alors « une articulation d’éléments hétérogènes, matériels et symboliques (Charlier & Peter, 1999 ; Weisser, 2007), comme un ensemble de moyens mis en oeuvre dans un but explicite, du moins dans l’esprit de son concepteur (Meunier, 1999) » (Weisser, 2010, p. 292). On ne peut cependant faire abstraction d’un espace « de liberté » réservé à l’élève qui n’est pas sous le contrôle de l’enseignant (Foucault, 1975 dans Weisser, 2010) et qui conduit les apprenants à réagir de façon inégale (Lenoir, 2007). La pratique d’enseignement/ apprentissage peut se conceptualiser en spécifiant les acteurs impliqués, les espaces médiateurs définis par les formes et les types d’actions et d’interactions de ces différents acteurs ainsi que les processus mis en place.

Avant de caractériser le modèle de la pratique d’enseignement/apprentissage, il faut le replacer dans un contexte plus large en énonçant les nombreuses variables intervenant, ce que Dunkin et Biddle spécifient sous la forme de variables de présage ou encore de variables de contexte (1974 dans Dunkin, 1986). Sans faire l’abstraction de variables liées au système éducatif, au curriculum, etc. Le modèle est centré sur les relations et les interactions entre l’enseignant et les élèves dans le contexte de classe. Il s’agit des variables « processus » – comportements de l’enseignant et des élèves, en y ajoutant les variables liées au contexte, à l’environnement de la classe – et des variables produits, c’est-à-dire les effets sur les élèves.

Figure 1

Schéma du modèle de la pratique d’enseignement/apprentissage

Schéma du modèle de la pratique d’enseignement/apprentissage

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Le modèle de la situation d’enseignement/apprentissage (figure 1) se construit autour de quatre pôles réunis dans un dispositif qui est la manifestation observable des interactions et des relations entre ces différents pôles. Le dispositif est un espace intégrateur : chaque pôle s’y insère au travers d’un processus. L’enseignant met en place un dispositif en organisant le contenu, la relation avec les élèves, le matériel, etc. On parle de processus d’organisation. L’élève ou les pairs choisissent de s’impliquer ou non dans le dispositif : il s’agit d’un processus d’implication. Le dispositif intègre un objet qui est institutionnalisé et mis en forme, ou transposé, pour être un contenu d’apprentissage (Reuter, 2007). Enfin, le processus qui caractérise la relation dispositif – produit est un processus de régulation. Par les régulations, dans un premier temps, un jugement sur l’atteinte des objectifs est posé, pour ensuite amener à certaines modifications du dispositif. Ces quatre processus sont bidirectionnels dans le sens où (1) ils définissent l’intégration des pôles dans le dispositif et permettent d’appréhender celui-ci, mais (2) ils permettent aussi de comprendre l’influence du dispositif sur les pôles, par exemple un dispositif qui motiverait les élèves à s’y impliquer.

Cette première étape dans la construction du modèle amène à distinguer les espaces de médiations créés entre les pôles et le dispositif, et qui sont délimités par les processus: ces espaces sont plus complexes que les relations bipolaires du triangle pédagogique. Une médiation se définit comme espace intermédiaire (Beillerot, 2005), entre deux pôles, le dispositif et deux processus, englobant dans ce rapport les actions, interactions, interventions, cognition… de chacun des pôles. On y distingue quatre pôles : enseignant, objet, produit et élève(s). La perspective est centrée sur l’enseignant, car le modèle s’est construit dans le cadre d’une analyse des gestes professionnels de l’enseignant et ses rapports à l’élève ou aux élèves, l’intervention de l’enseignant constituant une intrusion dans le rapport entre l’élève et l’objet d’apprentissage au travers la mise en place d’un dispositif (Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi & Roy, 2002).

3.1.1 Double lecture

Dans une lecture verticale se complètent le domaine curriculaire et le domaine psychopédagogique. Le domaine curriculaire, dépendant de l’objet d’apprentissage, distingue le contenu « à enseigner » et « à apprendre » (Raynal & Rieunier, 1997). Le domaine psychopédagogique comprend les aires et processus relationnels entre individus et leur rapport à la situation d’enseignement/apprentissage.

La lecture horizontale distingue les rôles dans une situation d’enseignement/apprentissage. Ainsi, le processus d’enseignement a pour but d’introduire un objet d’apprentissage devant aboutir à un produit d’apprentissage. On trouve dans la partie gauche, la composante « enseignement » – la médiation pédagogicodidactique dans le modèle de l’intervention éducative (Lenoir et al., 2002 ; Lenoir, 2009, 2010) – et en vis-à-vis, la composante « apprentissage » - médiation cognitive dans le modèle de l’intervention éducative– : enseignement lorsqu’on privilégie l’orientation de l’enseignant et l’apprentissage lorsqu’on se centre sur les élèves et les résultats.

3.1.2 Quatre aires

Deux aires sont comprises dans le processus d’apprentissage : l’aire d’objectivation et l’aire d’activité.

La première fait référence aux actions verbales et non verbales des élèves directement liées à la construction de l’objet d’apprentissage. En termes d’actions verbales, le langage s’avère un espace médiateur renseignant sur les activités cognitives des élèves (Schneeberger, 2007), l’analyse des propos en situation d’enseignement/ apprentissage fournit des indications sur la façon dont les élèves se représentent l’objet d’apprentissage. Au niveau des actionsnon verbales, le contenu des écrits d’élèves (feuilles d’exercices, déroulement d’une manipulation, procédures de résolutions d’un énoncé, etc.) donne plusieurs informations sur l’appréhension par l’apprenant de l’objet d’apprentissage.

La seconde aire porte sur les activités réalisées par les élèves, intégrant les interactions entre élèves, les interventions sur des aspects qui ne sont pas directement liés à l’objet d’apprentissage et qui peuvent porter sur « la vie en classe ». Le terme activité signifie bien « ce qui est mis en oeuvre par le sujet pour exécuter la tâche », la tâche étant « ce qu’il y a à faire » (Leplat, 1992 cité par Beckers, 2007, p. 35). À ce sujet, Bourgeois parle « d’activités en situation, c’est-à-dire lorsqu’ils (les individus en apprentissage) sont confrontés à une tâche spécifique, en interaction avec un environnement pédagogique donné, dans un contexte donné » (Bourgeois, 2003, p. 35)

La distinction entre ces deux aires se situe au niveau du rapport que les comportements entretiennent avec l’objet d’apprentissage. Les comportements caractérisant l’aire d’objectivation permettent d’analyser la façon dont la réalité est objectivée par l’élève, c’est-à-dire construite et interprétée par celui-ci. Les comportements définissant l’aire d’activité n’expliquent pas ce rapport, mais permettent d’observer ce que l’apprenant fait.

Deux aires définissent le processus d’enseignement. Cette distinction est faite sur la base de la différence entre gestion de la matière et gestion de la classe (Bru, 2007) ou pour Clanet (2002) du travail sur les contenus – l’instruction – et sur la gestion des élèves – l’éducation.

La première aire précise les interventions de l’enseignant liées à l’objet d’apprentissage : présentation de cet objet, activités de travail sur l’objet d’apprentissage, transposition didactique, démarches méthodologiques, etc.

La seconde aire, liée à la gestion d’un groupe et d’individus, se caractérise par les actions et les discours de management tels que la communication, les relations affectives, la gestion du temps et de l’espace, des élèves, etc. Cette aire intègre la gestion de la classe qui, pour Duke (1979 dans Van Der Sijde & Tomic, 1993, p. 439), se définit comme « the provisions and procedures necessary to create and maintain a situation in which learning and teaching can take place ».

3.2 Le concept de praticien réflexif

Former un praticien réflexif revient à étendre et rendre méthodique un processus naturel chez l’homme : l’apprentissage élaboré sur la base de son expérience (Dewey, 1933). Le modèle du « praticien réflexif », issu de la théorie de Schön (1983), s’est répandu au sein des programmes de formation (voir l’historique proposé par Collin (2010) à la fin des années 1980.

Le développement de la réflexivité permet (Donnay & Charlier, 2006) de concilier les deux extrémités du continuum logique de « conformisation » (aux programmes, aux valeurs, aux discours pédagogiques et didactiques) versus logique d’« autonomisation de développement et de constructions de savoirs ».

La pratique réflexive a une incidence pragmatique sur l’enseignant, car elle permet, par l’évaluation (Boutet, 2004), d’améliorer sa pratique, ou du moins de la transformer (Perrenoud, 2001 ; Schön, 1994 ; Tochon, 1993) et de réguler son action, c’est-à-dire contrôler son implication dans l’acte éducatif (Boutet, 2004 ; Perrenoud, 2001).

Il est également important de rappeler que le développement de la pratique réflexive renvoie à un prescrit et, tout comme Grangeat et Besson (2006), nous considérons dès lors que « l’activité réflexive constitue un objet d’étude, du simple fait qu’elle soit prescrite, mais elle est surtout intéressante – au chercheur et au formateur – parce qu’elle semble accompagner l’amélioration des compétences professionnelles »

3.2.1 Plusieurs modèles de la réflexivité

La synthèse de différents modèles permet d’appréhender la réflexivité dans une perspective temporelle (Kolb, 1984 ; Korthagen & Vasalos, 2005 ; McAlpine, 2004), hiérarchique (Van Manen, 1977 ; Hatton et Smith, 1995 ; Sparks-Langer et al., 1990) ou thématique (Zeichner et Liston, 1996).

Outre la mise en évidence de ces différentes approches, la proposition consiste à organiser et à opérationnaliser la notion autour de concepts-clés. En effet, la synthèse de différents modèles, enrichie des revues de littérature de Hensler, Garant & Dumoulin (2001) et Saussez, Ewen & Girard (2001), indique que le concept de réflexivité peut être appréhendé de plusieurs manières : selon le processus réflexif, selon les objets sur lesquels porte la réflexivité (Sparks-Langer et al., 1990), selon les objectifs y étant associés (Kolb, 1984 ; Van Manen, 1977 ; Sparks-Langer et ses collègues, 1990) et finalement, en fonction de la perspective temporelle (Schön (1994) ; Kolb (1984) McAlpine et al. (2004)). Dans le cadre de cette recherche, ce sont les processus et les objets de la réflexivité qui sont retenus.

3.2.2 Trois niveaux de processus réflexifs

À partir de la synthèse des modèles, treize processus réflexifs ont été relevés et divisés en trois catégories. Cette structuration correspond à la division suivante :

  • Les processus réflexifs de niveau I peuvent être considérés comme des processus réflexifs « de base » dans le sens où ils sont primordiaux pour parvenir à mettre en place une réelle pratique réflexive. En effet, préalablement à la prise de recul par rapport à une pratique, il est nécessaire de pouvoir faire état de celle-ci ;

  • les processus de niveau II visent à positionner les éléments jugés importants vis-à-vis d’une norme (explicite ou non), d’un modèle ou d’une intention. Il y a une prise de distance par rapport à la pratique ;

  • les processus de niveau III sont tournés vers une expérience prochaine, hypothétique ou concrète.

Tableau 2

Les processus réflexifs

Les processus réflexifs

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En ce qui concerne les processus de niveau I, la narration et la description de la pratique se distinguent par l’emploi de termes spécifiques et consistent en la réalisation d’un état des lieux, de ce qui s’est réalisé. Il s’agit d’un extrait de discours exempt de distanciation. Ce compte rendu peut également l’être par une démarche de prise de conscience. Le processus de questionnement concerne l’enseignant (son identité) et/ou son action. Un aspect de sa démarche l’interpelle, mais il n’apporte aucune réponse à son questionnement. En ce qui concerne l’identification de problème, la littérature associe souvent la notion de « problème » comme l’origine du processus réflexif ou comme l’une finalité de la réflexivité (résolution de problème). En ce sens, le fait de pointer un ou des problèmes rencontrés constitue un processus réflexif.

En ce qui concerne les processus réflexifs de niveau II, l’enseignant situe son action, et ses décisions, en regard d’un élément théorique ou contextuel ou éthique dans le cas du recours au processus « légitimer », vis-à-vis d’un but dans le cas d’une intentionnalisation, d’un résultat ou d’une attente lors de l’utilisation du processus « évaluer ».

En ce qui concerne les processus réflexifs de niveau III, l’enseignant dépasse le stade de la réflexion sur « ce qui a été fait » pour davantage parvenir à se focaliser sur une réflexion pour l’action. Cette orientation peut se concrétiser au travers de deux processus réflexifs. Le premier concerne une réflexion sur ce qui « pourrait être fait », c’est-à-dire, niveau des éléments de la pratique pouvant être modifiés afin d’améliorer celle-ci. Ce processus se subdivise en deux catégories : la formulation d’alternatives ou, de manière plus élaborée, la formulation et l’évaluation d’alternatives. Le second processus concerne l’explicitation d’un savoir tacite (Hensler et al., 2001) et la formulation de règles, de théories personnelles, etc.,tirés de l’expérience et permettant une modification ultérieure de celle-ci.

4. Méthodologie de recueil et de traitements des données

4.1 Les données issues de la séance de microenseignement

Observer les gestes professionnels, c’est pour Brudermann & Pélissier (2009) analyser les actions langagières, la gestuelle ou encore les expressions du visage. Si certaines difficultés matérielles ne permettent pas une observation fine des expressions faciales, d’autres éléments sont pris en considération, tels que les conditions relationnelles, sociales, temporelles et matérielles (Bru dans Lenoir, 2007) dans le but d’expliquer (Postic & de Ketele, 1988) les interactions (Vion, 1992 dans Clanet, 2002) se manifestant.

Au niveau méthodologique, l’utilisation du logiciel Observer XT® nécessite une adaptation du modèle théorique : une « simple » traduction du modèle en version comparable à ce que l’on trouve dans les outils « papier - crayon » n’est pas adéquate. Il convient de déterminer des groupes de comportements ainsi que des modifiers, entendus comme des modalités supplémentaires. Par ailleurs, chaque aire ou processus n’a pas été opérationnalisé par des groupes de comportements ou des modifiers. Le travail a consisté à déterminer des groupes de comportements pouvant, après codage, caractériser une ou plusieurs aires ou processus, et ce, quel que soit le sujet observé, enseignant ou élève. Cette démarche a ainsi l’avantage de diminuer les catégories à observer et ainsi à augmenter l’efficience du travail : une observation pouvant fournir plusieurs informations.

Cinq groupes de comportements ont été déterminés : langage verbal, posture, regard, gestuelle communicative et gestuelle non communicative. Le premier groupe reprend les modalités liées au verbal. On y retrouve les types d’interventions déclinées selon l’objet sur lequel elles portent et le destinataire : la classe, le groupe élèves, l’élève, le maître.

Le deuxième groupe met en évidence la posture du sujet et le lieu où il se trouve : tableau, bureau, près d’un élève, etc. Les éléments proxémiques (Hall, 1963 dans Sensevy, Forest & Barbu, 2005) ne sont codés que lorsque le sujet se trouve parmi d’autres protagonistes.

Le « regard » permet de coder la direction vers laquelle le sujet observe. La catégorie est codée dans la position du sujet. On y adjoint alors les modifiers « activité » qui spécifient l’activité physique réalisée: écrire, lecture, manipulation…

Les deux dernières catégories sont liées à la gestuelle communicative et à la gestuelle autocentrée (Dubusset, 2005 ; Ekman & Friesen, 1969). La première englobe les gestes qui complètent la parole ou s’y substituent, la seconde regroupe les gestes qui n’ont aucune intention communicative (McNeill, 2009 ; McNeill & Duncan, 2000 ; Tellier, 2008).

4.2 Analyse des traces de la réflexivité

La recherche de traces de réflexivité est menée à partir de la retranscription des échanges entre le superviseur et chaque futur enseignant lors de la séance de rétroaction.

L’analyse effectuée porte sur deux aspects des entretiens. Tout d’abord, elle consiste à décrire les entretiens selon deux indicateurs quantitatifs :

  • la comparaison du nombre de mots et d’interventions de l’étudiant et du superviseur (un étudiant qui parle moins que le superviseur est un signe d’approfondissement réflexif moindre (Boutet & Gagné (2008)) ;

  • la catégorisation des interventions de l’étudiant : réactive, interactive ou proactive. Cette caractérisation est attribuée en fonction de l’initiative d’arrêt de la bande et/ou de prise de parole. Boutet & Gagné (2008) soulignent que la provenance du sujet de conversation est un signe de l’approfondissement réflexif .

Ensuite, une analyse de contenu thématique (basée sur un découpage selon des unités de sens) des entretiens s’intéresse au type de propos tenus par l’étudiant, c’est-à-dire :

  • les processus réflexifs mobilisés par les étudiants au cours de la séance ;

  • les éléments de la situation d’enseignement/apprentissage sur lesquels portent ces processus.

4.3 Illustration

4.3.1 Présentation du cas

L’étudiante, Catherine, dont le cas est présenté, a 25 ans et a terminé un master II en sciences psychologiques. Elle n’a aucune expérience de l’enseignement. La séance de rétroaction est organisée trois semaines après la séance de microenseignement et dure 56 minutes.

4.3.2 Résultats des gestes professionnels

Pour illustrer la méthode, une sélection de résultats relatifs à la séquence de cours de Catherine est effectuée.Le tableau 3 reprend les résultats du langage verbal associé à l’aire didactique.

Tableau 3

Langage verbal de l’enseignant lié à l’aire didactique

Langage verbal de l’enseignant lié à l’aire didactique

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L’intervention verbale de Catherine (43,40 % du temps total de la séquence) est fortement orientée vers le contenu (30,84 % du temps total de la séquence, soit 70,05 % de sa prise de parole) ; ceci tant sur le choix/organisation d’un contenu que sur un contenu informationnel. Son discours prend deux formes principales : la présentation (22,06 % du temps total de la séquence, soit 50,83 % de son temps de parole) et le questionnement (24 questions, 4,88 % de temps total de la séquence). Les résultats montrent que Catherine aborde également la présentation d’un matériel didactique (2,27 % du temps total de la séquence) sur lequel elle questionne les élèves à quatre reprises (soit 0,93 % du temps total de la séquence).

La figure 2 permet de distinguer les moments durant lesquels Catherine intervient en alternant des questions et la présentation d’éléments principalement liés à un contenu. On y distingue le moment où elle a recours à un matériel didactique (entre environ 370’’ et 735’’) et le moment où elle laisse davantage les étudiants s’exprimer (à partir d’environ 1690’’). Ces bornes permettent d’inférer la structure de la leçon et de faire le lien avec les moments de l’acte d’apprentissage de Chamberland, Lavoie & Marquis (2009), donnés comme consigne préalable. On y repère l’« introduction » basée sur une alternance entre questions – réponses et une présentation d’un contenu, le moment « d’acquisition » qui est introduit par une vidéo à partir de laquelle Catherine aborde à nouveau le contenu informationnel et finalement, le moment « d’amélioration » qui s’oriente vers la prise de parole des élèves, avec une reprise de parole de Catherine en fin de séquence.

Figure 2

Visualisation chronologique des silences, des présentations et des questions

Visualisation chronologique des silences, des présentations et des questions

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Quelles sont les conséquences de ces éléments didactiques sur le processus d’apprentissage des élèves au niveau des aires d’objectivation et d’activité ?

Tableau 4

Principaux résultats relatifs aux comportements des élèves

Principaux résultats relatifs aux comportements des élèves

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Six élèves prennent la parole dans une proportion supérieure à 1 % de temps total de la séquence (soit plus de 24’’). Ces élèves se distinguent dans ces prises de parole sur le plan de la proactivité - réactivité puisque trois prennent la parole en réponse aux questions (élève 1, élève 3, élève 6), deux prennent spontanément la parole pour présenter un aspect du contenu (élève 2 et élève 4) et un sujet prend la parole tant pour répondre aux questions que pour présenter un contenu (élève 5). Ces informations caractérisent une partie de l’aire d’objectivation, en ce sens que Catherine se donne en moyenne un peu plus de deux minutes (5,53 % du temps total, soit 2’ 12’’) pour appréhender la façon dont ses six élèves se représentent le contenu, ou tout au moins leur donne l’occasion de faire état de leur compréhension. Les feedback positifs sont nombreux (54) et principalement stéréotypés (De Landsheere & Bayer, 1974) et accompagnés de gestes d’approbation de la tête (22).

Si l’aire d’objectivation n’est pas caractérisée par une dominance de l’oral, les élèves demeurent cependant dans une position de non-activité physique (moyenne égale à 45,86 % et écart-type à 14,14 %) ; l’activité cognitive ne pouvant être directement observée. On remarque dans le tableau 4 que les résultats relatifs à une activité d’écriture sont variables (moyenne égale à 7,84 % et écart-type à 6,54 %). Pour expliquer une telle variabilité, l’hypothèse se situe sur le plan de la présentation des activités à réaliser. Catherine aborde à six reprises la tâche à entreprendre. Parmi celles-ci, trois sont adressées à l’ensemble de la classe et trois à un élève en particulier. Un retour à la vidéo permet de constater que ces présentations ne concernent pas la façon dont les élèves doivent réaliser la tâche, c’est-à-dire que Catherine ne spécifie pas si les élèves doivent prendre des notes.

Concernant les aspects caractérisant l’aire psychopédagogique, celle-ci ne se manifeste que très peu par le langage verbal. L’observation des éléments non verbaux et verbaux permettent néanmoins de donner certaines informations quant à la relation entre Catherine et les élèves. Catherine, bien que constamment assise à son bureau, dynamise ses propos par sa gestuelle et les regards.

Dans sa gestuelle, Catherine appuie son discours de douze gestes iconiques et de quarante-six de rythme, ceux-ci rendant les propos davantage dynamiques. Les regards attribués aux élèves sont fonction de l’activité de ces derniers, elle regarde principalement sur sa droite où se trouvent les élèves (5 et 6) qui participent le plus. Les regards portés sur la gauche, où se situent les élèves 1,2 et 3 sont moindres, mais supérieurs aux regards de face (élève 4). Une part importante de l’attention visuelle est également accordée aux regards sur ses notes. Ceux-ci, très présents en début de leçon, s’estompent au fil de la séquence (figure 3).

Figure 3

Visualisation chronologique des regards portés sur les notes de l’enseignant

Visualisation chronologique des regards portés sur les notes de l’enseignant

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4.3.3. Résultats manifestation réflexivité

Si l’on se focalise sur les processus réflexifs (figure 4), plusieurs constats sont dressés. Le premier concerne l’absence versus la présence des processus réflexifs : « diagnostiquer » - explorer alternative » « légitimer en fonction de la théorie – éthique » et « théoriser » sont absents du discours de l’étudiant.

Figure 4

Répartition des processus réflexifs (% du nombre de mots)

Répartition des processus réflexifs (% du nombre de mots)

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Le second concerne la prédominance des processus liés à la description, considérée par Presseau, Miron & Martineau (2004, p. 288) comme « la clef de voute de la pratique réflexive », et à l’évaluation de la pratique.

Ces processus sont illustrés par les exemples suivants :

La comparaison de ces exemples permet de distinguer la nature et l’enjeu de ces deux processus. Si les trois premiers correspondent à une volonté de faire état de ce qui s’est déroulé sans émettre de commentaire par rapport à cette action, les trois exemples suivants, au contraire, ne décrivent que très peu la situation mais consistent davantage à porter un jugement sur celle-ci. On observe une absence de continuité entre les deux processus : on décrit des éléments de la pratique qui ne font pas l’objet d’une évaluation tandis que l’on en évalue d’autres qui ne sont pas clairement définis.

Finalement, la figure 4 permet également de remarquer la présence des processus réflexifs liés à l’intentionnalisation et à la proposition d’alternatives. Cependant, ces propositions, comme l’indiquent les extraits 6 à 8, ne sont que des ébauches dans le sens où Catherine perçoit que « quelque chose » doit être modifié, mais la définition de cet élément reste laconique, voire absente.

Regroupés en fonction des niveaux de réflexivité, il apparait que les processus réflexifs de niveau 2 sont les plus présents, ce qui signifie que Catherine a une tendance majeure à prendre de la distance par rapport à sa pratique effective et à la positionner (réflexion sur l’action) plutôt qu’à en faire état et à envisager une réflexion pour l’action.

Si l’on s’intéresse aux objets sur lesquels portent les propos (figure 5), il apparait que les aires didactique et psychopédagogique sont largement mobilisées au détriment de toutes les autres puisqu’elles comptabilisent plus de 70 % des propos. Les aires cognitives et d’objectivation sont présentes dans le discours, mais dans moins de 20 % des propos.

Figure 5

Répartition des objets sur lesquels portent les propos (% du nombre de mots)

Répartition des objets sur lesquels portent les propos (% du nombre de mots)

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Si on se focalise sur les aires principalement abordées (tableaux 5 et 6), on constate, en ce qui concerne l’aire didactique, que le propos concerne principalement le discours didactique et le support didactique alors que les éléments liés à la méthode (référence à la préparation de la leçon) et à la sélection des contenus sont beaucoup moins abordés.

Tableau 5

Répartition du nombre de mots relatifs à l’aire didactique

Répartition du nombre de mots relatifs à l’aire didactique

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Tableau 6

Répartition du nombre de mots relatifs à l’aire psychopédagogique

Répartition du nombre de mots relatifs à l’aire psychopédagogique

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Voici ce que Catherine exprime au sujet de la sélection des contenus :

De ce propos, plusieurs éléments peuvent être retirés : l’absence de lien avec les référentiels, l’organisation du cours autour d’un contenu sélectionné rapidement et le but avoué, non pas d’atteindre tel ou tel but d’apprentissage, mais bien de ne pas ennuyer ses élèves. Si cette préoccupation relative à la motivation des élèves est certes importante, elle ne permet pas à elle seule d’assurer l’organisation d’une séance de cours et, comme l’indique l’extrait suivant (10), Catherine (et sa collègue lors de sa prestation) étaient amenées à combler leur manque de préparation par des improvisations :

En ce qui concerne l’aire psychopédagogique, c’est la référence aux activités sur les contenus qui apparait comme centrale. Combiné à l’observation précédente, il semble donc que l’étudiante soit particulièrement attentive à ce qui est « visible », « concret » dans sa prestation. Les éléments liés à la méthode, aux contenus, au contexte spatio-temporel et à la gestion de l’apprentissage ne sont pas prédominants dans le discours de Catherine.

Si l’on articule les processus réflexifs avec les objets de la situation d’enseignement/apprentissage sur lesquels portent les propos, on obtient la figure 6.

Figure 6

Articulation des processus et des objets sur lesquels portent la réflexivité (nombre de mots)

Articulation des processus et des objets sur lesquels portent la réflexivité (nombre de mots)

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Le premier constat concerne l’inégale répartition des processus en fonction des objets. En effet, si l’on s’intéresse aux deux aires les plus présentes, on remarque que l’aire didactique fait majoritairement l’objet de description, alors que l’aire psychopédagogique est principalement évaluée, décrite et rendue intentionnelle. Le processus « intentionaliser » est également particulier dans le sens où il est, proportionnellement parlant, le processus portant le plus sur les aires relatives à l’élève (aires cognitive et d’objectivation).

Le concept d’intention de l’action (Saint-Arnaud, 1995 ; 2003) peut être relié au principe de Schön & Argyris de « science-action », selon lequel toute action est intentionnelle. Cette intentionnalité est difficile à percevoir et à formuler par l’acteur. Cette complexité nait de ce que Schön (cité par Saint-Arnaud, 2003, p. 36) identifie comme l’écart entre la théorie de référence (espoused theory) et théorie d’usage (theory in use).

L’analyse de la séance montre également une influence du contexte « université » sur la prestation de l’étudiante. Cette influence s’exerce de manière directe (extrait 14), c’est-à-dire que le fait de devoir réaliser une séance de cours dans les murs de l’université, face à des collègues et de manière indirecte (extrait 15) en imprimant, durant au moins les cinq dernières années de scolarité, un modèle d’enseignement particulier.

4.3.4. Articulation des résultats issus de l’observation et de l’analyse de contenu

La mise en relation des résultats issus de l’observation et de l’analyse de contenu qui est proposée s’inspire des travaux de Marcel (2002) et de Lefeuvre (2007) concernant la double lecture de l’action qui se définit par la réunion de deux lectures : l’une, extrinsèque, privilégiant l’observation des comportements ; l’autre, intrinsèque, privilégiant la signification que le futur enseignant produit consciemment. Il s’agit donc d’envisager la coexistence de deux contextes (Marcel, 2002) : le contexte pour le futur enseignant correspondant à l’environnement tel qu’il le perçoit et à partir duquel « il théorise son action » (p.105) ; le contexte pour le chercheur qui renvoie à découpage élaboré « en fonction de critères qu’il (le chercheur) juge pertinent de prendre en compte » (p.105). Cette approche postule que l’enseignant n’est « ni le produit de structures cognitives ou sociales sous-jacentes, tel un automate, dont seul le chercheur connaîtrait les secrets, ni seulement un sujet souverain conscient de toutes les raisons efficientes et finales de ses actes en situation ». (Lefeuvre, 2007, p. 35). Le but de cette démarche est de parvenir à un articuler, sans les hiérarchiser, la double lecture de l’action de l’enseignant. Sur cette base, les auteurs distinguent les éléments conscientisés des éléments non conscientisés.

Les résultats sont présentés sous la forme d’un tableau à double entrée. La logique sous-jacente de celui-ci est la suivante : les résultats de l’observation sont séparés selon qu’ils identifient la présence ou l’absence d’éléments du modèle théorique dans la pratique de Catherine. La même démarche a ensuite été appliquée au discours qu’elle a tenu sur sa pratique : ces éléments ont été classés en trois catégories : abordé - peu abordé - pas du tout abordé. La mise en relation de ces informations permet d’aboutir au tableau 7. L’intérêt de ce tableau est d’identifier différentes zones :

  • La zone d’adéquation renvoie à ce que l’observation établit comme « effectif » dans la pratique de Catherine, et relevé par cette dernière lors de l’entretien ;

  • La zone aveugle renvoie aux éléments relevés par l’observation, mais auxquels Catherine ne fait aucune allusion dans son discours ;

  • La zone de tentative correspond à ce qui n’est pas apparu lors de l’observation, mais que Catherine déclare avoir mis en place, poursuivi, élaboré ;

  • La zone de travail concerne les éléments que Catherine ne met pas en place dans sa pratique et au sujet desquels elle ne fait aucun commentaire dans l’entretien de rétroaction.

Tableau 7

Articulation des résultats issus de l’observation et de l’analyse de contenu

Articulation des résultats issus de l’observation et de l’analyse de contenu

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Entre ces quatre espaces se retrouvent deux espaces intermédiaires relatifs à ce qui n’est abordé que de manière mineure dans l’entretien de rétroaction.

Cette manière de concevoir l’articulation permet d’orienter les résultats dans une perspective de formation. En effet, la zone d’adéquation constitue la ligne de base de l’articulation observation versus analyse de contenu. La zone aveugle doit être considérée comme regroupant des éléments effectués de manière peu ou pas consciente par la future enseignante. Ces éléments seront pour la plupart appelés à devenir des éléments de routine tenus à faire remarquer à la future enseignante. La zone de tentative renvoie aux éléments de la pratique que l’étudiant tente (ou pense) de mettre en place, mais que l’observation ne relève pas. Il s’agit d’éléments intéressants, car il est nécessaire que Catherine se sente encouragée dans les tentatives qu’elle poursuit. La dernière zone concerne ce qui devrait constituer l’essentiel du travail de formation ultérieur : les éléments « absents » de la pratique et qui ne sont pas identifiés comme tels dans le discours de Catherine.

La méthode permet de mettre en évidence plusieurs zones caractérisant l’articulation de la pratique au discours sur la pratique. Ainsi, les concordances, discordances ou zones d’ombre structurent et clarifient toutes les alternatives dans l’alternance action – réflexion. Grâce à cette grille de lecture, l’ensemble des alternatives et des feedback personnalisés peuvent être envisagés, pour chaque étudiant, en vue d’améliorer la pratique et les compétences réflexives.

En termes d’éléments de recherche, ces résultats semblent indiquer que les analyses sont complémentaires et répondent à la problématique initiale, à savoir l’étude de l’action et du discours sur l’action.

Conclusion et éléments de perspectives

Les résultats montrent que la séquence est centrée sur le pôle de l’enseignant et le contenu. Très peu de moments sont accordés à l’apprentissage des élèves, que ce soit oralement ou par une activité. Le recours à un média conduit cependant à varier l’approche didactique bien que la préférence d’un modèle présentation/questionnement persiste. Catherine propose de nombreuses rétroactions qui demeurent stéréotypées. Finalement, le retour au modèle théorique montre que l’aire didactique est prédominante, voire quasi exclusive, et que les autres aires et processus ne sont pas réellement envisagés. En termes de formation, si l’on peut conclure (comme l’indique également la littérature relative à l’enseignant novice) qu’il y a encore de nombreux gestes professionnels à développer pour une gestion complète et efficace d’une situation d’apprentissage, on peut également constater que Catherine est au moins parvenue à traduire la structure de sa préparation de leçon (telle que recommandée) lors de sa prestation d’enseignement.

L’analyse de contenu indique que la rétroaction vidéo permet de mobiliser les trois niveaux de processus réflexifs même si la réflexion reste axée sur « une action terminée » plutôt que sur « une action à mener ». Les étudiants se focalisent sur certains aspects de la situation (discours didactiques, supports didactiques, activités) au détriment d’autres (principalement, les aspects liés à l’élève). Les informations obtenues permettent d’appréhender la manière selon laquelle les futurs enseignants préparent leur première leçon. Cette information est importante, car la séance de microenseignement étant organisée « tôt » dans l’année, les futurs enseignants n’ont pas encore eu l’occasion d’approfondir l’objet « préparation de leçon » à l’aide des cours de méthodologie… et certaines « représentations » de la préparation de leçon transparaissent. On note dans le discours de Catherine que l’enjeu le plus fort de la préparation de leçon est de parvenir à ne pas « ennuyer » les élèves et à rendre le cours agréable. Certes importante, cette préoccupation témoigne au moins de deux autres choses : la crainte de devoir gérer un groupe dont la motivation n’est pas acquise et la relégation des objectifs d’apprentissage (cf. les niveaux de préoccupation des enseignants élaborés par Durand, 1996). La démarche a également permis de confirmer que « les savoirs conceptuels sont très rarement mis à contribution dans les échanges entre stagiaires et enseignants accompagnateurs » (Hensler, Garant & Dumoulin, 2001, p. 38).

L’articulation des résultats montre que l’aspect didactique, largement mobilisé durant la séance de microenseignement, apparait comme le plus abordé lors de l’entretien de rétroaction. Cette focalisation sur l’aspect « contenu » correspond au stade de survie des enseignants novices (Fuller 1969 ; Katz 1972) ; cette même focalisation se manifeste aussi dans les traces écrites des étudiants (Derobertmasure, Dehon & Demeuse, 2010). Les aspects pédagogiques, quant à eux, sont relativement absents de la prestation et peu abordés du côté de l’entretien de rétroaction. On constate que Catherine a voulu rechercher la motivation des étudiants mais qu’elle n’y est pas parvenue (cf. le temps de parole des élèves, par exemple). La préparation de leçon constitue une aide non négligeable sur laquelle Catherine se repose près d’un tiers du temps, alors que les commentaires concernant l’élaboration de celle-ci sont rares dans l’entretien de rétroaction.

La principale difficulté des chercheurs-formateurs réside dans l’incapacité d’apporter ce type de résultat dans un temps suffisamment court pour être utile aux futurs enseignants. Il y a nécessité de réitérer l’opération sur un nombre plus grand d’individus afin d’identifier les éléments relativement stables et ainsi mieux former les superviseurs à la détection des éléments à appréhender. Par ailleurs, un prolongement de cette recherche consiste à travailler à partir du traitement automatique du signal (déplacements, regards, gestes, prises de paroles, etc.). Cette automatisation peut, à termes, offrir une source d’informations qui permettrait d’affiner les résultats et d’en disposer beaucoup plus rapidement à des fins de formation.

Deux autres prolongements majeurs contribueront à mieux comprendre le développement de la réflexivité chez les enseignants novices. Le premier, visant à analyser les propos du superviseur durant la séance de rétroaction, permettra d’identifier l’implication et le rôle joué par « l’autre », tout en tenant compte du fait que « la rétrospection n’est pas systématique et ne se produit pas bande après bande ; le processus s’adapte plutôt aux questions qui surgissent (Richardson & Heckman, 1996, p. 650) ». Àcette fin, une analyse interlocutoire serait pertinente (Yvon & Saussez, 2010). L’intérêt d’y recourir est qu’elle permet de « décrire la dynamique interlocutoire en contexte interactionnel » (Roux, 2003) et d’identifier « pourquoi et comment l’interlocution peut être génératrice de progrès cognitifs » (Roux, 2003). Les présupposés de l’analyse interlocutoire sont de considérer « qu’une conversation se tisse par le déploiement d’une logique qui réalise les propriétés des actes de langage qui y sont accomplis » (Kostulski & Prot, 2004, p. 429) et qu’il est possible de parvenir à une modélisation de l’architecture conversationnelle. Le deuxième prolongement, consistant à répliquer l’expérience de la rétroaction à l’occasion du stage au second semestre, permettra d’obtenir des informations sur l’évolution des étudiants et de l’influence éventuelle d’un autre cadre d’action.