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Dans cet intéressant volume, Jean-Marc Narbonne (jmn) s’attaque spécialement à la théorie de la sagesse cumulative exposée par Aristote dans Pol. III, 11, selon laquelle le jugement d’une multitude d’individus peut être supérieur à celui d’un petit groupe d’hommes excellents. Le constat de jmn ne laisse aucun doute : la valeur essentielle des Politiques (« malgré les coupures et les sauts qui affectent indubitablement l’oeuvre dans son ensemble », p. 266)[2] se trouve dans « les incroyables percées réalisées par Aristote dans son analyse du politique, notamment sa défense de l’approche cumulative et sa promotion de la classe moyenne, deux faits absolument majeurs dans l’histoire des idées » (p. 269). Cette idée centrale de l’ouvrage de jmn me semble bien fondée et magistralement exposée ; elle est, d’ailleurs, de la plus grande actualité en ce qui concerne nos réflexions sur la démocratie contemporaine. Or, « l’histoire très singulière de la réception du texte des Politiques » (p. 270) semble marquée, d’après jmn, par la « mécompréhension » (p. 242) de ces deux faits majeurs, ainsi que par l’incapacité des lecteurs à reconnaître la position critique qu’Aristote assume face à son maître, Platon. Ces idées n’ont été reconnues que très récemment, et la question se pose de savoir pourquoi.
jmn avance certaines explications : la théorie exposée par Aristote en Pol. III, 11 est, certes, profondément provocatrice ; [3] mais, en même temps, comme on le souligne avec l’image un peu paradoxale du « révolutionnaire tranquille » (p. 2), pour Aristote, « rien n’y est définitivement exclu, rejeté ou renversé […] Plutôt que de tout simplement récuser, condamner ou bannir, Aristote infléchit, réinterprète et réinsère, tant et si bien qu’on peut à la fois soutenir qu’il a préservé ou qu’il a écarté telle forme de régime, telle règle et telle procédure » (p. 3). L’esprit « peu enclin aux solutions unilatérales » (p. 4) d’Aristote paraît donc être la raison principale pour laquelle ses positions ont été si « mal comprises » (p. 4), de sorte que la sortie du platonisme impliquée par la théorie de la sagesse cumulative et par la défense du gouvernement de la classe moyenne a pu « passer inaperçue auprès de plusieurs » (p. 271).
L’idée de reconnaître « l’essentiel » des Politiques et de chercher les motifs qui ont suscité une mauvaise compréhension du texte peut certes s’avérer fructueuse dans la reconstruction d’une histoire de la réappropriation de l’Aristote politique, mais elle entraîne aussi une difficulté potentielle : le risque de projeter notre manière d’envisager le texte sur d’autres lecteurs d’Aristote qui, mobilisés par des intérêts complètement étrangers aux nôtres, ont travaillé les textes différemment, arrivant ainsi à des conclusions bien disparates. Ce risque a sa contrepartie : on pourrait, en croyant restituer une lecture fidèle d’Aristote, interpréter le texte selon notre expérience contemporaine, tout en portant une attention sélective aux aspects les plus pertinents pour un lecteur occidental du xxie siècle.
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Or, je me demande si les choses peuvent s’expliquer autrement, sans toutefois écarter la position de jmn. Alors, quand on cherche à savoir pourquoi la « sortie du platonisme » de l’Aristote politique est passée si longtemps inaperçue, ou bien, au contraire, pourquoi certains ont été capables de déceler le potentiel révolutionnaire de la théorie de la sagesse cumulative, la réponse n’est pas à trouver uniquement dans la façon de procéder d’Aristote et dans la maladresse des exégètes, mais aussi dans la motivation et l’intérêt des lecteurs, et dans les circonstances particulières où ils ont lu, commenté et utilisé les Politiques d’Aristote. Je me demande aussi si dans la construction de cette histoire de la réappropriation médiévale et moderne de la théorie exposée en Pol. III, 11 (et des Politiques en général), on devrait prendre en considération certains textes qui, sans être explicitement liés aux Politiques, semblent pourtant, d’une manière parfois très subtile, faire allusion à des notions clés évoquées dans le livre de jmn.
Je me servirai, pour illustrer mon propos, de quelques exemples médiévaux, dans l’espoir d’apporter au dossier de jmn des sources potentiellement révélatrices.
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La réception scolastique des Politiques adopte souvent la forme d’un commentaire littéral :[4] il s’agit d’expliquer mot à mot le texte pour y déceler les vraies intentions du Stagirite.[5] Mais le texte des Politiques[6] est parfois exploité d’une manière très différente : dans un contexte polémique, et dans le but de défendre certaines idées et d’assumer une position claire face à un conflit réel. Or, il y a peut-être un point de connexion entre ces deux types de discours : on voit souvent un commentateur expliquer de manière vraisemblable un passage du texte, pour voir ensuite cette explication utilisée dans un contexte tout différent et, qui plus est, avec un sens totalement opposé : et tout cela, sans cesser de parler d’« aristotélisme », ou encore d’« aristotélisme radical ».
Prenons un premier exemple. Pierre d’Auvergne est l’un des premiers commentateurs du texte des Politiques du Moyen Âge latin.[7] Dans son commentaire, il essaie d’expliquer pourquoi une multitude pourrait surpasser, dans l’ensemble, la vertu d’un petit groupe d’hommes excellents. Selon Aristote, il est possible que ceux qui sont nombreux, sans être particulièrement vertueux en tant qu’individus, puissent pourtant, en étant rassemblés, être meilleurs que ceux qui sont vertueux, mais peu nombreux. Or, cela ne s’applique pas à n’importe quelle multitude :
[…] que ce soit pour tout peuple et pour toute masse qu’une telle supériorité soit possible pour la multitude par rapport aux vertueux qui sont peu nombreux, ce n’est pas clair : que pour certaines d’entre ces multitudes ce soit impossible, oui, sans doute, par Zeus, c’est clair ! (car on pourrait appliquer le même raisonnement aux bêtes sauvages ; et en vérité, en quoi certaines de ces multitudes diffèrent-elles, pour ainsi dire, des bêtes sauvages ?) ; mais pour une certaine sorte de masse, rien n’empêche que ce qui a été dit soit vrai !
Aristote, Pol. III, 11, 1281 b 15 et ss., trad. jmn, p. 95
Pierre d’Auvergne explique cette distinction en introduisant une division entre deux types de multitudes[8] : il y a, d’un côté, la « multitude bestiale » (multitudo bestialis), dont le caractère principal est d’être dépourvue de raison (ses membres, en effet, ne possèdent pas de raison, ou n’en possèdent que très peu, et sont en conséquence très enclins aux passions) ; et il y a aussi, de l’autre côté, un autre type de multitude, dans laquelle chacun individuellement possède une partie de vertu et de prudence et s’incline à la vertu ; quand ces individualités coïncident dans une unité (conveniunt in unum), le produit est vertueux : voilà, pour l’auteur, le cas dont nous parle Aristote.[9] Cette explication de la lettre du Philosophe, reprise par plusieurs des successeurs de Pierre d’Auvergne, ne paraît pas d’emblée trop dévier de l’intention du texte.
Or, quand on se tourne vers les textes polémiques des maîtres ès arts parisiens contemporains de Pierre (à la fin du XIIIe siècle), on remarque tout de suite que, pour eux, c’est en général la multitude bestiale qui l’emporte sur la multitude vertueuse : on est en effet plus près de « la foule passionnée et tumultueuse » condamnée par Platon (et évoquée par jmn, p. 108) que de la multitude capable de prudence. Comment expliquer cette mécompréhension du principe aristotélicien ? Peut-on même parler, ici, de mécompréhension ? Ces considérations des maîtres ès arts ne sont pas de simples lectures inexactes d’Aristote : elles constituent l’expression d’un idéal « fort aristocratique et élitiste »[10] qui fait du philosophe le sommet de la hiérarchie sociale et exprime d’ailleurs une « conscience de soi » comme appartenant à une classe supérieure,[11] opposée aux vulgaires, réduits à « un niveau sous-humain ».[12]
Dans ce contexte, les points de contact entre la distinction de Pierre (multitude vertueuse vs multitude bestiale) et les développements artiens deviennent intéressants. On trouve par exemple, dans la question sur la félicité du mystérieux maître Jacques de Pistoia (vers 1300),[13] l’expression « multitude du peuple » (multitudo popularium) ; cette multitude est caractérisée (à la manière de la multitude bestiale de Pierre d’Auvergne) par son manque de participation à l’intellection : il y a d’un côté les hommes « bien disposés » (qui montrent un accord parfait entre l’appétit et la raison ; tout nous laisse entendre qu’il s’agit d’une minorité), et de l’autre, « les hommes de la multitude du peuple », qui consacrent leur vie aux plaisirs sensuels.[14] En tout cas, la notion de « multitude du peuple » acquiert chez les maîtres ès arts une connotation fort négative qui constitue l’un des traits distinctifs de cet « aristotélisme élitiste » (identifié, aussi, à l’averroïsme) dont Jacques de Pistoia est un représentant.
Le De summo bono de Boèce de Dacie (maître ès arts de l’Université de Paris, spécialement visé par la condamnation antiphilosophique de 1277)[15] entérine l’affirmation de la suprématie du philosophe sur le reste des hommes ; l’allusion aux hommes-bêtes incapables d’exercer la raison y est explicitement liée à l’autorité d’Aristote[16]. Seul le philosophe est capable d’atteindre le bonheur, finalité ultime de l’homme. Or, ce discours, visant d’abord l’orbite individuelle, est tout d’un coup transposé sur le plan communautaire : car Boèce suggère que la cité est ordonnée par le législateur en vue de l’accomplissement de ce bien (qui ne sera atteint que par un très petit nombre)[17] : une fois les obstacles éliminés, les citoyens pourraient « vaquer aux vertus intellectuelles en contemplant le vrai, et aux vertus morales en accomplissant le bien »[18]. Dans une tournure platonicienne, Boèce paraît conclure que, de même que les parties de la cité doivent être bien ordonnées en vue de cette vie heureuse, de même les appétits inférieurs de l’homme doivent s’ordonner au supérieur, à savoir l’appétit intellectuel : c’est là la vie « selon nature ». Il est intéressant de remarquer que l’analogie entre l’homme et la communauté se fait à travers l’image de la Loi : dans la cité, on considère comme droites les actions conformes aux lois, alors que l’on considère comme non droites les actions qui ne s’y conforment pas.[19] Dans l’homme aussi sont non droites les actions qui l’éloignent de sa fin ultime, déviant de la « loi » de la nature. Or, qui est capable au plus haut point de respecter l’ordre droit de la nature et, en conséquence, l’ordre des lois ? C’est le philosophe.[20]
On voit donc bien que certains de ces « aristotéliciens radicaux » furent enclins à tenir pour probable une idée qu’Aristote lui-même proposait comme une possibilité peu vraisemblable : le gouvernement d’un homme « divin », incapable d’être affecté par les passions, capable, lui seul, de dépasser manifestement tous les autres (dans les termes de jmn, p. 189). Car même si Boèce n’insinue pas explicitement une telle possibilité, on peut reconnaître dans son portrait du philosophe cet homme capable de suivre la loi sans être dévié par les obstacles que supposent pour le reste des hommes les passions et les appétits inférieurs. On dirait que le philosophe s’identifie à cette « raison sans désir » qu’incarne pour Aristote la loi (Pol.,III, 16, 1287 a 28-32 ; jmn p. 109). Le philosophe paraît aussi incarner l’illusion scientiste de Platon, dont nous parle jmn (p. 140) : cette illusion se cristallise, quelques décennies plus tard, dans la pensée de Jean de Jandun, pour qui la connaissance métaphysique est en quelque sorte la finalité de la cité, mais aussi sa condition de possibilité.[21] Mais revenons à Boèce : le De summo bono se termine avec une affirmation commettant l’erreur même dont Aristote cherche à nous préserver, dans les mots de jmn : établir une simple opposition entre « la minorité de ceux qui savent absolument, et la majorité de ceux qui ne savent aucunement » (p. 144).[22] Incapables de « s’arracher à l’orbite platonicienne » (p. 11 et ss.), car profondément impliqués dans l’élaboration de ce qu’Alain de Libera appelle la « platonisation politique de l’aristotélisme »[23], ces auteurs sont plus intéressés, il me semble, par la construction d’un discours identitaire et défensif en réponse aux conflits vécus au sein de l’Université,[24] que par l’interprétation fidèle d’Aristote, pourtant identifié, très souvent, comme leur principe d’autorité.[25] Or, est-ce que ces discours détachés parfois de l’interprétation fidèle d’Aristote et liés à des conflits concrets doivent être pris en considération dans la reconstruction de la réappropriation de l’Aristote politique ?
Une réponse négative à cette dernière question pourrait s’avérer problématique. Comme preuve, on se permet d’évoquer très brièvement un deuxième exemple, celui de Marsile de Padoue, dont le célèbre Defensor Pacis n’est pas une tentative d’interpréter la lettre d’Aristote, mais la réponse à un conflit bien palpable : celui qui, au XIVe siècle, oppose l’empire à la papauté.[26] Réfugié dans la cour de Louis IV de Bavière,[27] Marsile a su exploiter la doctrine de la sagesse cumulative contre l’adversaire de Louis, le pape Jean XXII. Plus sensible que ses contemporains et ses antécesseurs au potentiel de la Summierungstheorie, et évoquant explicitement l’autorité d’Aristote,[28] Marsile accorde le pouvoir de légiférer à la totalité des citoyens (universitas civium), ou à sa partie prééminente (valentior pars).[29] Au-delà des discussions sur la portée et la signification de la théorie de Marsile (dont les sources sont loin de se limiter à Aristote), un point est certain : pour lui, la multitude rassemblée est plus capable de jugement que n’importe lequel des individus qui la composent ;[30] et la même chose s’applique au concile par rapport au pape. En cela, Marsile s’avère un lecteur de l’Aristote politique plus fidèle que Boèce de Dacie, Jacques de Pistoia, ou Jean de Jandun ;[31] il remarque en outre que l’idée d’une multitude incapable de viser le bien de la communauté politique s’avérerait contraire à la nature (qui ferait ainsi défaut dans la plupart des cas).[32] Or, comment expliquer cette sensibilité accrue aux arguments sommatifs d’Aristote ? Ne devrait-on pas considérer les raisons qui ont amené Marsile à écrire le Defensor pacis et se tourner vers le contexte sociopolitique dans lequel il a vécu, plutôt que seulement vers le caractère ambigu du texte d’Aristote ?
Quoi qu’il en soit, une chose nous semble claire : en raison du caractère même du texte des Politiques (qui permet, justement, une grande diversité d’interprétations), l’histoire de sa réappropriation à travers les siècles ne peut pas se fonder uniquement sur les oeuvres qui se proposent de le commenter et de l’expliquer de manière plus ou moins précise. La perception de ce qui est « l’essentiel » de l’Aristote éthico-politique peut varier selon les conditions concrètes de la lecture qu’on en fait.[33] Ainsi, le plus intéressant de cette histoire est peut-être à chercher dans les circonstances particulières qui pourraient déterminer la manière de se réapproprier, avec la plus grande liberté, la pensée du Stagirite, et dans des textes de nature très diverse et relativement indépendants d’une lecture précise. Et, lorsqu’on parle de réappropriation, est-ce qu’il est toujours possible de parler de mécompréhension ?
Appendices
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Patrick Turmel pour l’occasion offerte de participer à la discussion de cet intéressant volume dans le cadre de la Table ronde « Aristote et la démocratie. Autour de Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote (PUL/VRIN 2020) », tenue le 5 mai 2021 à l’occasion du Congrès annuel de la Société de philosophie du Québec (SPQ). Je remercie également mon cher collègue Jean-Marc Narbonne pour les corrections apportées à ces notes lors de sa première lecture.
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[2]
J’indique le numéro de page entre parenthèses chaque fois que je cite une expression, une notion ou une idée du livre de jmn.
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[3]
Comme le montre jmn avec un cas particulier : l’utilisation du mot ochlos pour se référer à la multitude (p. 107).
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[4]
Le texte des Politiques à la base de ces commentaires fut traduit en latin vers 1260 par Guillaume de Moerbeke ; avant cette date, l’Occident chrétien ne connaît pas le contenu des Politiques, même si l’existence d’un livre d’Aristote consacré à cette discipline est connue.
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[5]
Comme il arrive dans la discussion contemporaine sur les textes d’Aristote (et le livre de jmn en est la preuve), les interprétations avancées par les différents commentateurs ne sont pas toujours concordantes.
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[6]
Et les textes d’Aristote en général.
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[7]
Son commentaire est la continuation de celui que Thomas d’Aquin laisse inachevé ; celui-ci était, à son tour, le deuxième commentaire de la traduction de Guillaume de Moerbeke après celui d’Albert le Grand.
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[8]
« A distinction of cardinal importance », selon Vasileios Syros, « The Sovereignty of the Multitude in the Works of Marsilius of Padua, Peter of Auvergne, and Some Other Aristotelian Commentators », dans G. Moreno-Riano (dir.), The World of Marsilius of Padua, Turnhout, Brepols, 2007, p. 231.
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[9]
Petrus de Alvernia, In libros Politicorum Aristotelis expositio (Continuatio S. Thomae in Politicam), Torino-Rome, Marietti, 1951, p. 149, 426 : « Deinde cum dicit “siquidem igitur”. Ex ista propositione declarata arguit dicens quod immanifestum est utrum huiusmodi differentiam contingat esse circa multitudinem, et circa populum totum ad paucos virtuosos, quod scilicet tota multitudo melior sit quam illi pauci virtuosi. Tamen secundum virtutem in quibusdam est impossibile : hoc est enim quaedam multitudo bestialis, cuius homines inclinantur ad actus bestiales, et parum rationis habent. Et in tali multitudine non est verum, quod ex illis hominibus possit fieri aliquid virtuosum, si conveniant in unum. Alia est multitudo in qua quisque habet aliquid virtutis et prudentiae, et inclinantur ad actum virtutis : et in tali verum est, quod illud quod fit ex istis, cum conveniunt in unum, est aliquid virtuosum. Et hoc est quod dicit Philosophus quod in aliqua multitudine non est verum, quod illa multitudo faciat aliquid virtuosum, sed in aliqua multitudine potest habere veritatem. Ex quo potest formari ratio sic. Melius est principari quod melius et studiosius est ; sed contingit aliquam multitudinem esse meliorem et magis studiosam paucis virtuosis, ut probatum est, ergo etc. » ; je souligne.
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[10]
Pour reprendre, en la traduisant, l’expression de Luca Bianchi, Il vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, Bergamo, Pierluigi Lubrina Editore, 1990, p. 156.
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[11]
Je suis encore l’argumentation de Luca Bianchi, Il vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, p. 158 : « È facile — dopo gli studi di Le Goff — vedere in tutto questo l’espressione ‘ideologica’ dell’autocoscienza del magister universitario, nuova figura di intellettuale laico, professionista del pensiero aristotelico ».
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[12]
Bianchi, Il vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, p. 157.
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[13]
Ce texte n’est pas produit à l’Université de Paris, mais à Bologne ; on le cite parce qu’il est souvent mis en rapport avec le texte de Boèce de Dacie (cité ci-dessous) et considéré comme appartenant à l’« aristotélisme radical ».
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[14]
Iacobus de Pistorio, Quaestio de felicitate, dir. I. Zavattero, dans « La “Quaestio de felicitate” di Giacomo da Pistoia : un tentativo di interpretazione alla luce di una nuova edizione critica del testo », dans M. Bettetini et F. D. Paparella, La felicità nel medioevo. Atti del convegno della Società italiana per lo studio del pensiero medievale (S.I.S.P.M.), Milano, 12-13 settembre 2003, Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales, Louvain-la-Neuve, 2005, p. 408, l, 369 et ss. : « Et cum probatur per Aristotelem septimo Ethicorum quod delectatio quae est in coitu absorbet intelligere et per consequens delectationem existentem in ipso, dicendum quod loquitur de hominibus de multitudine popularium, qui dediti sunt talibus delectationibus et parum participant intelligere. Sed in hominibus recte dispositis et excellenter et pure intelligentibus absurdum esset dicere ».
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[15]
Condamnation prononcée (dans le cadre d’un conflit entre les Facultés des Arts et de Théologie concernant, entre autres choses, l’autonomie de la philosophie par rapport à la théologie) par l’évêque de Paris, Étienne Tempier, visant 219 thèses philosophiques enseignées (selon Tempier) à la Faculté des Arts de l’Université de Paris.
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[16]
Boèce de Dacie, Du souverain bien ou de la vie philosophique, trad. R. Imbach et M.-H. Méléard, dans Philosophes médiévaux des xiiie et xive siècles, Paris, U.G.E., 1993 (1986), p. 158, § 2 : « Et c’est pourquoi il faut plaindre les hommes à ce point prisonniers des plaisirs sensibles qu’ils oublient les biens intellectuels, parce qu’ils n’atteignent jamais leur souverain bien […] À leur adresse le Philosophe s’exclame : ‘Malheur à vous, hommes, qui êtes comptés au nombre des bêtes, vous qui vous détournez de ce qui est divin en vous’ ! ».
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[17]
Boèce de Dacie, Du souverain bien, trad. R. Imbach et M.-H. Méléard, p. 162, § 14 : « Alors que tous les hommes, en effet, désirent naturellement savoir, il y en a cependant un très petit nombre […] qui se consacrent à l’étude de la sagesse à cause du désir mal ordonné […] ».
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[18]
Boèce de Dacie, Du souverain bien, trad. R. Imbach et M.-H. Méléard, p. 160, § 10.
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[19]
Boèce de Dacie, Du souverain bien, p. 161, § 12 : « De même que, par rapport à une loi, toutes les actions sont droites et comme il se doit lorsqu’elles tendent vers le but de cette loi […] et que les actions qui s’opposent au but de cette loi […] sont péché par rapport à cette loi […] il en est de même pour l’homme : toutes les intentions et délibérations, tous les désirs et actions de l’homme qui tendent vers ce souverain bien possible à l’homme, comme on l’a déjà dit, sont droites comme il se doit. Et lorsque l’homme agit de cette façon, il agit selon nature ».
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[20]
Boèce de Dacie, Du souverain bien, p. 164, § 21 : « C’est pourquoi le philosophe vit de la manière pour laquelle l’homme est né et selon l’ordre de la nature ».
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[21]
Jean de Jandun aborde le sujet dans ses questions sur la Métaphysique. Pour lui (selon les termes de Jean-Baptiste Brenet, qui expose de manière très claire l’argumentaire de Jean de Jandun) « les philosophes spéculatifs sont présupposés pour la bonne marche de la cité juste ; ils en sont la condition de possibilité, et cela en tant qu’ils sont les dépositaires, et, par leur enseignement, les relais, de la science dont a besoin le prince, s’il ne l’a pas de lui-même, pour ordonner tous les sujets à la connaissance de Dieu » ; cf. J.-B. Brenet, « Métaphysique et politique “en intention seconde”. Jean de Jandun héritier d’Averroès et d’Alexandre d’Aphrodise », AHDLMA 85 (2018), p. 112-113 ; Brenet évoque également un autre passage révélateur, qu’on ne peut pas s’empêcher de lier aux affirmations de Boèce de Dacie évoquées ci-dessus : « Il faut dire que les hommes théorétiques sont la fin en vue de laquelle <existent> les autres parties de la cité […] et la félicité politique est ordonnée à la félicité théorétique » (trad. De J. B. Brenet, « Métaphysique et politique “en intention seconde”. Jean de Jandun héritier d’Averroès et d’Alexandre d’Aphrodise », p. 120). La position des maîtres ès arts n’est pas sans rappeler la figure du roi-philosophe telle que conçue dans l’islam oriental : la première partie du Livre du régime politique de Fârâbî est constituée par un traité métaphysique, suivie par la partie politique, dans laquelle la figure du roi assure la transposition de l’ordre des causes divines dans la cité (et du même coup la reconduction de la société entière à l’unité) et combine trois rôles indissociables : philosophe, prophète et législateur.
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[22]
Boèce de Dacie, Du souverain bien, p. 166, § 31 : « Telle est la vie du philosophe, et celui qui ne l’a pas connue n’a pas connu la vie droite. Et j’appelle philosophe tout homme qui vit selon l’ordre véritable de la nature, et qui a conquis la fin la meilleure et la plus élevée de la vie humaine ».
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[23]
Phénomène qui est en partie produit par de profondes « influences arabo-musulmanes, lesquelles, sous couvert d’aristotélisme, renouent, en fait, avec une inspiration profondément platonicienne […]. Ainsi ce qui pour eux [c.-à-d. les lecteurs médiévaux] compte chez Aristote […] c’est ce qui, pour leur époque, est politiquement platonisable » ; Alain de Libera, La philosophie médiévale, Paris, PUF, 1993, p. 454-455.
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[24]
On a des exemples clairs dans certains textes postérieurs à la condamnation : ainsi Jacques de Douai regrette dans son commentaire sur les Meteorologica que « […] licet ita sit quod philosophia sit magna hominis perfectio, verumtamen viri philosophici hiis diebus sunt oppressi. […] Et sicut modo viri philosophici sunt oppressi et patiuntur, ita et antiquitus viri philosophici multa passi fuerunt, sicut Boethius qui fuit missus in exilium et multi alii de quibus recitatur ibi » ; ms. Paris, BnF lat. 14698, cité par L. Bianchi, Il vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, p. 46-47, note 74. On lit également dans un commentaire sur l’Éthique à Nicomaque (contenu dans le même manuscrit) : « Aunque haya sido escrito por Alejandro que los varones filosófos y entregados al estudio y a la contemplación son naturalmente virtuosos — y, como es natural, castos y mesurados, justos, valientes y generosos, pacientes y magnánimos, magnificentes, obedientes de las leyes, y no perseguidores de los placeres —, sin embargo, según la común opinión de los hombres esto no es así, aunque así lo sea según la verdad. Por el contrario, muchos creen que los varones filosófos entregados al estudio y a la contemplación filosófica son hombres malos, incrédulos y no obedientes de la ley, a causa de lo cual deben con razón ser expulsados de la comunidad, como dicen ; y bajo el peso de esta afirmación todos los que se entregan al estudio y a la contemplación filosófica son difamados y puestos bajo sospecha » (ma traduction, ici modifiée, à partir de « Anónimo. Cuestiones sobre el libro de la Ética de Aristóteles. Prólogo », dans V. Buffon et coll., Philosophia artistarum. Discusiones filosóficas de los maestros de artes de París (siglos XIII-XIV), Santa Fe, UNL, 2018, p. 298 ; traduit à partir de l’édition de I. Costa, Anonymi Artium Magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris, BnF, lat. 14698). Turnhout, Brepols (Studia Artistarum 23), 2010.
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[25]
Paradoxalement, ce qu’on a l’habitude d’appeler « aristotélisme radical » s’avère parfois contraire aux idées du Philosophe ; et, d’ailleurs, cet élitisme intellectuel suppose une absurdité (dénoncée par Marsile, comme nous le verrons) : la nature humaine se trouve non réalisée dans la plupart des cas ; les lecteurs modernes sont donc, comme l’explique Bianchi, « […] imbarazzati dalla proposta di un obiettivo dato per universale e ‘naturale’ pur sapendolo concretamente irraggiungibile ai più, sorpresi dall’equivalenza fra filosofo e uomo, che mentre le proponeva un’ideale “divinizzazione”, relegava l’umanità reale, nella sua stragrande maggioranza, ad un livello subumano. […] Chi non è filosofo — scriveva senza mezzi termini Alberico di Reims — “non est homo nisi equivoce” […] Quanti renunciano a realizzarsi intellettualmente — faceva eco Giacomo di Douai […] — non si distinguono dai bruti, e non meritano pienamente la definizione di uomini […] » (Bianchi, Il vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, p. 156-157). La cité serait donc ordonnée au bien-vivre d’une minorité, la plupart des hommes ne participant pas de la vie heureuse (voir jmn, p. 153). C’est aussi un modèle qui se penche sur la contemplation théorique ; car la vertu morale, régulant les passions, semble réduite à une simple condition de possibilité de la vertu intellectuelle (jmn, p. 212).
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[26]
Conflit inscrit dans le contexte d’une problématique plus élargie (et plus ancienne) : les tensions entre pouvoir temporel et religieux.
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[27]
Avec Jean de Jandun, impliqué, lui aussi, dans la défense du parti impérial.
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[28]
Cf. Pol. III, 11, 1281 a 39 et ss.
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[29]
Marsile de Padoue, The Defender of the Peace, trad. Anabbel Brett, dans Marsilius of Padua : The Defender of the Peace. Translated by Annabel S. Brett, Cambridge, University Press, 2005 I, 12, 3, p. 66.
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[30]
« From this we can infer evidently enough, of necessity, that the universal body of the citizens or its prevailing part — which should be taken for the same thing — is more able to perceive what ought to be chosen and what rejected than any of its parts by itself » ; Marsile de Padoue, The defender of the Peace, I, 13, 2, p. 75.
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[31]
Il est intéressant de noter que Jean de Jandun paraît appliquer la théorie de la sommation au cas de la connaissance. Tous les hommes désirent savoir, mais la connaissance totale des sciences n’est pas à la portée de tous, ce qui ferait du désir naturel de connaître un désir vain. Or, cette connaissance peut être collective. Voir Questiones in duodecim libros metaphysicae, Venise, 1553, I, QIV, fol. 5ra : « Alio modo potest intelligi collectivae, quod in maiori parte hominum simul collectorum philosophia est perfecta et scientia, ita quod unus habeat unam partem, alter aliam, et sic deinceps, et sic appetitus naturalis non est otiosus in tota specie […] ».
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[32]
Voir Marsile de Padoue, The Defender of the Peace, I, 13, 2, p. 74.
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[33]
Conditions historiques, politiques, sociales, mais aussi philosophiques et philologiques : l’Aristote médiéval est, comme il a été suffisamment remarqué, un Aristote intégré dans un système incluant aussi des sources chrétiennes, néoplatoniciennes, latines, musulmanes, juives… Et la réception de ces textes, marquée en outre par toutes sortes d’accidents liés à l’histoire de leur transmission.