Abstracts
Résumé
Dans cet article, je soutiens que Wittgenstein n’a pas de position de principe comparable à l’adhésion de Russell à un sens robuste de la réalité ou à l’absence chez Meinong de préjugé en faveur de la réalité, mais qu’il est plutôt pragmatique sur la question de son engagement ontologique : il y a ce qu’il y a et c’est le langage sensé qui, en tant que miroir de la réalité, nous indique ce qu’il y a. Ceci dit, ce pragmatisme s’accommode d’entités possibles et d’entités non concrètes dans la mesure où sa théorie de l’image l’engage à admettre des situations possibles et des faits négatifs. Contrairement à ce que soutiennent les partisans d’une lecture russellienne du Tractatus, il ne s’agit pas là d’une simple façon de parler, mais d’une thèse que Wittgenstein endosse et qui ne lui paraît nullement problématique.
Abstract
In this paper, I hold that Wittgenstein’s position on the issue of ontological commitment isn’t based on some fundamental principle such as Russell’s robust sense of reality or Meinong’s rejection of the prejudice in favour of reality, but is rather pragmatic : there is whatever there is and it is the meaningful language, qua miror of reality, which shows us what there is. This pragmatism goes together with a commitment to possible and non concrete entities, since his picture theory commits him to the existence of possible situations and negative facts. Contrarily to what friends of the Russellian lecture of the Tractatus believe, this commitment isn’t a mere façon de parler but is assumed by Wittgenstein and isn’t problematic.
Article body
1. Introduction : La question de l’engagement ontologique chez le jeune Wittgenstein
Bien que le Tractatus logico-philosophicus ne soit pas un pur traité de métaphysique, il commence par un ensemble de remarques sur le monde, la réalité, les situations, les faits, les états de choses, et les objets[1]. Cet ensemble contient l’essentiel du discours tractarien sur ces entités[2]. C’est là qu’on y retrouve ce que j’appellerai l’ontologie du Tractatus. Or, de toutes les sections de l’ouvrage, celle qui expose l’ontologie est sans doute l’une des plus énigmatiques. En fait, on n’arrive guère, à la lecture du texte, à voir en quoi consistent exactement les entités de chacune des catégories dont il est question et à se représenter clairement le fameux monde du Tractatus, celui-là même qui, selon la désormais célèbre remarque par laquelle s’ouvre l’ouvrage, « est tout ce qui est le cas » (1.). L’anecdote à ce sujet est d’ailleurs non seulement savoureuse, mais parlante. Après avoir reçu le manuscrit du Tractatus pour commentaires, ses deux premiers lecteurs, Gottlob Frege et Bertrand Russell, rencontrèrent tous deux des problèmes de compréhension… dès les toutes premières remarques de l’ouvrage[3]. Dans leurs réponses respectives à Wittgenstein, on trouve en effet une série de questions qui portent sur les remarques de la section ontologique et montrent bien qu’ils n’en ont pas compris grand-chose ; ces questions touchent en effet à peu près toutes les catégories d’entités.
Si ces remarques sont aussi mal comprises, c’est essentiellement pour deux raisons. La première est que le propos d’ensemble des remarques exposant l’ontologie du Tractatus est obscur. Cette obscurité a principalement trois causes. Elle vient d’abord du fait qu’aucun exemple n’est fourni dans ces remarques pour quelque catégorie d’entités que ce soit. Mais elle vient également du fait que, comme l’a remarqué Frege, le statut de chacune de ces remarques n’est aucunement spécifié dans le texte (s’agit-il d’une définition, d’une affirmation, d’une explicitation, etc. ?)[4]. Enfin, comme l’a également souligné Frege, certaines des notions clefs de la section ontologique n’ont pas été suffisamment bien définies et présentent plusieurs caractérisations différentes, certaines même, d’une remarque à l’autre, semblent contradictoires ou incohérentes, ou parfois redondantes et superflues[5].
Cela dit, le caractère énigmatique des remarques ontologiques s’explique également par cette seconde raison qui, soit dit en passant, avait également été soulevée par Frege dans une de ses lettres : il y a un flou relativement à la posture de base de Wittgenstein en matière d’engagement ontologique, de même que sur le statut ontologique des entités dont il parle dans cette section[6]. En effet, Wittgenstein ne nous dit jamais s’il rejette ou non l’idée qu’il y ait, sous un mode d’être particulier, des entités inexistantes, c’est-à-dire des entités qui n’existent pas dans le monde actuel sous la forme d’entités réelles ou concrètes. Autrement dit, il ne nous dit jamais explicitement s’il y a ou s’il n’y a pas de telles entités, ou encore s’il pourrait y en avoir, mais qu’il n’y en a pas dans les faits, ou si l’idée qu’il y ait de telles entités est une simple aberration philosophique, un simple non-sens. En fait, il ne se prononce clairement sur cette question pour aucune catégorie d’entités, pas même pour les catégories de son ontologie. Or, en l’absence de prise de position claire de la part de Wittgenstein sur cette question, il n’est pas possible de comprendre ce qu’il y a exactement selon lui et quel(s) mode(s) d’être on doit reconnaître aux différentes entités admises dans l’ontologie.
Dans la littérature sur le Tractatus, les positions des spécialistes sur cette épineuse question peuvent être ramenées à deux interprétations concurrentes, que j’appellerai les lectures russellienne et meinongienne. Selon les partisans de la première, pour Wittgenstein, admettre quelque entité inexistante que ce soit, c’est-à-dire qui n’existe pas dans la réalité sous forme d’entité spatio-temporellement déterminée et concrète, qu’il s’agisse d’une entité simplement possible, d’une entité non concrète ou abstraite, ou encore d’une entité contradictoire est, par principe, inadmissible. L’idée même d’admettre de telles entités ne peut être qu’une aberration, un non-sens ontologique. Lorsqu’elle est correctement pratiquée, la philosophie devrait toujours montrer qu’il n’y a pas, malgré les apparences, de telles entités, une position qui, comme son nom l’indique, aurait été dans une large mesure inspirée par celle du philosophe anglais. Selon les partisans de la seconde lecture, Wittgenstein ne souffre pas d’un tel « préjugé en faveur de la réalité ». Autrement dit, contrairement à ce que prétendent les partisans de la lecture russellienne, il ne part pas du principe que le seul fait qu’une entité n’existe pas dans la réalité sous la forme d’une entité spatio-temporellement déterminée et concrète constitue une raison suffisante pour que l’on soit autorisé à en nier l’« existence ». Même s’il est vrai que, pour lui, lorsqu’elle est correctement pratiquée, la philosophie montre presque toujours qu’il n’y a pas de telles entités, elle ne doit pas forcément conduire à cette conclusion. En fait, il semble qu’elle n’y conduise pas dans au moins un, voire dans deux cas précis, soit celui des situations possibles (entités simplement possibles) et celui des faits négatifs (entités non concrètes), sans que cela ne paraisse problématique.
Mais qu’en est-il véritablement ? Wittgenstein est-il ou non opposé, sur la base de principes ontologiques tels que le sens robuste de la réalité de Russell, à l’admission d’entités inexistantes ? Quelle est, en définitive, dans le Tractatus, sa position sur ce qu’il y a dans le monde et sur le mode d’existence des entités qu’il est prêt à admettre ? C’est pour dénouer cette impasse et ainsi contribuer à la compréhension de l’ontologie et de la philosophie du langage du Tractatus que cet article sera consacré à ces questions. J’examine ainsi, dans un premier temps, la position de Wittgenstein en matière d’engagement ontologique à partir de l’exposition des arguments en faveur des lectures russellienne (2) et meinongienne (3). Puis, je me penche sur ce que j’appelle la ténacité de la thèse d’une objection de principe de nature ontologique à l’idée d’admettre des entités inexistantes, qui constitue, à mon avis, la principale raison pour laquelle une majorité de spécialistes du Tractatus refusent de se rendre aux arguments exposés dans la section 3 en faveur d’une lecture plus meinongienne de la position de Wittgenstein à l’égard des situations possibles et des faits négatifs. Je m’attache alors à montrer qu’une telle thèse n’est pas justifiée et qu’il convient d’y substituer une position plus ouverte, pragmatique, qui ne succombe pas pour autant à la tentation meinongienne de régler les questions philosophiques à l’aide d’explications et d’un paradis platoniciens (4). Enfin, je montre pourquoi l’admission de telles entités n’apparaissait pas problématique pour Wittgenstein, malgré son anti-platonisme affiché en philosophie des mathématiques, en philosophie de la logique, et face à la théorie du jugement de Russell (5). On obtient ainsi un portrait de Wittgenstein selon lequel il n’était pas opposé par principe à l’idée d’admettre des entités inexistantes, et qu’il a même bel et bien admis dans son ontologie des situations possibles et des faits négatifs sans toutefois le faire sur les mêmes bases que Meinong. Ainsi, entre sens robuste de la réalité et absence de préjugé en faveur de la réalité, Wittgenstein occupe, selon ce portrait, une position originale sur la question de l’engagement ontologique.
2. Arguments en faveur de la lecture russellienne
Traditionnellement, la lecture russellienne du Tractatus en matière d’engagement ontologique a plutôt eu la cote et pour cause. Il y a des arguments non négligeables qui militent en faveur d’une position allant dans le sens de celle de Russell, tout en étant même encore plus parcimonieuse puisqu’elle pousserait la rigueur ontologique jusqu’au rejet de toute forme de platonisme en logique et en mathématiques.
Le premier de ces arguments, un de ceux qui comptent parmi les plus souvent invoqués lorsqu’il s’agit de rapprocher Wittgenstein de Russell sur cette question, provient de la conjugaison de deux thèses que l’on attribue au Tractatus, soit celle de l’exclusion de noms vides, et celle de l’adoption explicite de la stratégie russellienne des descriptions définies afin d’éliminer les noms d’objets complexes vides. En effet, pour Wittgenstein, la double fonction du nom, ce qui fait que l’on a affaire à un nom, est de représenter (vertreten) un objet simple dans l’énoncé (3.203) et d’y référer (3.22). Tout nom propre a donc comme référent un objet simple, et ce référent est sa signification (3.22). Cela dit, il serait faux de croire qu’en conséquence il doive y avoir des objets simples simplement possibles, soit, en l’occurrence, les référents des noms qui, comme « Pégase », n’ont pas de référent dans le monde actuel et sont dits, pour cette raison, vides. En effet, dans le Tractatus, les objets simples auxquels les noms réfèrent sont dits constituer la substance du monde (2.021), être ce qui existe indépendamment de ce qui est le cas (2.024) et, surtout, exister de manière non contingente. En effet, Wittgenstein nous dit qu’il doit y avoir une forme commune à tout monde possible et au monde réel (2.022), et que cette forme n’est autre que les objets simples (2.023). Or, si les objets simples sont la forme commune au monde actuel et à tout monde possible, il ne peut donc y avoir dans le Tractatus rien de tel que des objets simples qui n’existent pas dans le monde actuel, mais que l’on devrait tout de même admettre, en tant qu’entités simplement possibles, parce que nous aurions des noms qui auraient pour fonction de référer à de tels objets simples. Tout ce qui est dit être un nom dans le Tractatus, ou bien a un référent qui existe dans le monde actuel, ou bien n’est tout simplement pas un nom. L’idée de « nom vide » est un oxymore pour Wittgenstein.
Par ailleurs, dans le Tractatus, Wittgenstein affirme, reprenant en cela expressément la position de Russell sur la question, que : « La proposition dans laquelle il est question d’un complexe, si celui-ci n’existe pas, ne sera pas dépourvue de sens, mais simplement fausse » (3.24). Autrement dit, Wittgenstein soutient que, dans le cas des propositions où un nom ou une description définie vides désignant non pas un objet simple, mais un objet complexe, auraient été introduits, il ne faut pas croire que cela nous engage à admettre quelque objet complexe inexistant que ce soit. Dans un tel cas, la bonne analyse de l’énoncé est celle qui consiste à considérer le nom comme une description définie, et d’analyser l’énoncé à la Russell comme un énoncé complexe posant l’existence d’une et une seule chose satisfaisant à la fois la description et le prédicat. Dans le cas où le nom « désignant » le complexe s’avérerait vide, étant donné qu’il n’y a aucune chose qui satisfasse aux conditions posées dans l’analysans, l’énoncé, bien que sensé, est alors faux, et le fait de reconnaître sa fausseté n’implique absolument rien sur le plan ontologique. Ainsi, loin de céder à la tentation « Fido — Fido », Wittgenstein n’est pas dupe du langage et de l’engagement ontologique purement apparent des noms et des descriptions définies. Sa position, donc, en matière d’engagement ontologique relativement à des objets simples et complexes inexistants, serait parfaitement en accord avec celle développée par Russell — et sans doute en partie directement héritée de lui —, dans « On Denoting », et à l’exact opposé de celle développée par Meinong dans Über Gegenstandstheorie.
Deux autres éléments viennent d’ailleurs renforcer une telle lecture russellienne du Tractatus : Wittgenstein a rejeté explicitement le réalisme en logique et en mathématiques en s’appuyant sur son analyse des énoncés de ces deux disciplines. En logique, il a pris position contre le platonisme, d’une part, en rejetant explicitement l’idée qu’il y ait des objets logiques, un rejet expressément dirigé contre les positions de Frege et de Russell :
Il est évident qu’aucun objet ou aucun complexe d’objets ne correspond au complexe des signes « F » et « V », tout comme c’est le cas avec les traits horizontaux et verticaux ou les parenthèses. Il n’y a pas d’objets logiques.
4.441
Ici on voit qu’il n’y a pas d’« objets logiques » au sens où l’entendent Frege et Russell.
5.4
Loin de s’en tenir aux objets simplement possibles, Wittgenstein va donc plus loin et rejette même les entités abstraites que sont les objets logiques. On n’a ici affaire qu’à un engagement ontologique apparent, car, bien que les énoncés de la logique semblent dire quelque chose de vrai au sujet, cette fois-ci, d’entités logiques, il n’en est rien en réalité. Correctement analysés, les énoncés de la logique se révèlent n’être que des tautologies (6.1 et 6.11) et non des énoncés qui tiennent leur vérité et leur sens du fait qu’ils renvoient à une « réalité » extérieure à eux, une « réalité » qu’ils décriraient adéquatement.
En matière de mathématiques, l’anti-platonisme de Wittgenstein apparaît notamment aux remarques suivantes, où il rejette à la fois l’idée que les nombres soient, comme c’est le cas chez les platoniciens de l’époque, des ensembles, et l’idée qu’il faille admettre des ensembles parce que l’on ne pourrait définir les nombres qu’à l’aide de ceux-ci :
Le nombre est l’exposant d’une opération.
6.021
La théorie des ensembles est tout à fait superflue en mathématique.
6.031
Pour Wittgenstein, les équations mathématiques, tout comme les énoncés de la logique, ne sont pas contingentes. Si l’on « peut » parler de vérité ou de fausseté en ce qui les concerne, ce n’est pas en vertu du monde ou même d’un état particulier du monde. La réalité ne peut jamais réfuter de tels énoncés, et il ne peut donc y avoir de structure a priori, de monde possible, qui vienne les réfuter. Ainsi, bien qu’elles ne soient pas, comme les propositions de la logique, des tautologies, les équations mathématiques ne sont pas non plus des énoncés sensés qui renverraient à une réalité mathématique comprenant des entités mathématiques. Il s’agit plutôt, pour Wittgenstein, de Scheinsätze, c’est-à-dire d’énoncés qui semblent dire quelque chose concernant des objets auxquels elles renverraient et sur lesquelles elles porteraient mais qui, en réalité, ne font rien de tel :
Les mathématiques sont une méthode logique.
Les équations des mathématiques sont des énoncés d’identité, donc des simili-énoncés.
6.2
L’énoncé mathématique n’exprime aucune pensée.
6.21
Tout comme les énoncés de la logique, les énoncés mathématiques ne renvoient donc pas à une quelconque « réalité » extérieure qu’ils décriraient adéquatement. En ce sens, ils ne disent rien ou n’expriment aucune pensée. Bien qu’ils semblent faire quelque chose comme cela, d’une part, parce qu’on les comprend, d’autre part, parce que l’on en constate la vérité, ou plutôt leur exactitude, en réalité, ce n’est pas du tout ce qu’ils font. Ce n’est là qu’effet d’illusion de notre langage. L’analyse correcte de ces énoncés nous fait réaliser qu’il n’y a rien de tel ici, et ce qui a pu être perçu comme un engagement ontologique à l’endroit d’objets abstraits tels que des objets logiques et mathématiques, n’est, en réalité, qu’apparent.
On retrouve un pareil rejet des entités abstraites dans la critique de Wittgenstein de la théorie multiple du jugement de Russell. En effet, dans son manuscrit de 1913, Russell soutient que l’on arrive à saisir le sens de ce que nous jugeons, que nous le comprenons principalement parce que nous avons, lorsque nous jugeons, une relation d’acquaintance particulière avec la forme logique de complexe ou d’énoncé dans lequel nous exprimons notre jugement[7]. En faisant appel à ces entités abstraites que sont les formes logiques des énoncés, Russell espérait résoudre un bon nombre de difficultés rencontrées par sa théorie du jugement, dont celle du caractère sensé de ce que l’on juge, de sa possibilité, et de l’impossibilité de juger du non-sens, de la directionalité du contenu de ce qui est jugé. Je reviendrai à la section 4.1 sur les détails de la théorie multiple du jugement de Russell. Pour l’instant, il importe uniquement de montrer que Wittgenstein a explicitement rejeté dans les Carnets la thèse selon laquelle il y aurait de telles entités :
Nous pourrions donc nous demander : Y a-t-il une forme sujet-prédicat ? Y a-t-il une forme relationnelle ? Y a-t-il en général des formes telles que celles dont Russell et moi-même avons constamment parlé ? (Russell dirait : « Oui ! Car cela est éclairant. » Ah bon !)[8].
Pour lui, contrairement à ce que croyait Russell, de telles entités ne nous fournissent pas d’explication éclairante des difficultés susmentionnées et, par conséquent, on n’a pas de raison d’en admettre.
Cela dit, les arguments précédents ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour montrer que Wittgenstein rejetait l’idée même d’admettre des entités inexistantes. Dans les faits, ils montrent tout simplement que, pour lui, il n’y a pas de raisons valables de penser que le langage engage à admettre des objets simples et complexes inexistants ni même des entités abstraites telles que des objets logiques, des objets mathématiques et des formes logiques de complexe ou d’énoncés. Dans le cas des noms propres et des descriptions définies, l’engagement ontologique n’est qu’apparent et, comme Russell l’a montré dans le cas des noms et des descriptions définies, et comme Wittgenstein l’a vu dans le cas des énoncés de la logique et des équations mathématiques, c’est une bonne analyse des énoncés de ce type qui permet de voir et de comprendre cela. Mais est-ce bien la même chose dans tous les autres cas où le langage semble engager ontologiquement envers des entités inexistantes ? Wittgenstein généralise-t-il la stratégie de Russell à tout ce qui semble dénoter une entité inexistante ? Autrement dit, soutient-il que tout engagement ontologique de la part du langage sensé à l’endroit d’entités de ce type ne procèderait que des formes logiques apparentes des énoncés concernés, et jamais de la forme logique véritable ?
C’est, du moins, ce que certains ont vu dans une affirmation de Wittgenstein selon laquelle « toute philosophie est “critique du langage” », et que « le mérite de Russell réside dans le fait d’avoir montré que la forme logique apparente de l’énoncé ne doit pas être sa forme réelle » (4.0031). En effet, on peut penser que le premier et principal intérêt qu’il peut y avoir à ne pas confondre la forme logique apparente avec la forme logique réelle d’un énoncé est de permettre de débusquer les engagements ontologiques apparents tels que ceux consentis par Meinong ainsi que ceux débusqués par Russell et Wittgenstein. Ainsi, en soutenant que le principal mérite de Russell est d’avoir montré que toute la philosophie consiste à être critique du langage, Wittgenstein se trouverait à adhérer implicitement à cette vision d’un sain engagement ontologique : pour lui, il n’y a pas d’entités autres que les entités existantes ; croire cela, c’est faire un accroc au sens robuste de la réalité pour faire dans le non-sens. Et la philosophie, lorsqu’elle est bien pratiquée, devrait justement procéder à l’élimination de ce non-sens en permettant l’élimination des engagements ontologiques apparents au moyen de la critique du langage. Ainsi, bien au-delà de la simple question de l’engagement des noms vides, Wittgenstein et Russell auraient une même position de base en matière d’engagement ontologique, qui se manifesterait dans une conception commune de la philosophie comme critique du langage et si, contrairement à Russell, Wittgenstein n’a pas pris explicitement position en faveur d’un principe d’engagement ontologique équivalent à celui de l’obligation de s’en tenir au sens robuste de la réalité, il adhérait néanmoins implicitement à un tel principe. De sorte que si le sens robuste de la réalité ne constitue pas la lettre du Tractatus, il n’en constitue pas moins pour autant, à n’en point douter, l’esprit.
3. Arguments en faveur de la lecture meinongienne
Si la lecture russellienne de la position de Wittgenstein en matière d’engagement ontologique s’appuie sur de solides arguments et est partagée par une majorité de lecteurs du Tractatus, elle n’est toutefois pas sans difficultés. La première a trait à son exhaustivité : il y a des catégories ontologiques importantes dans le Tractatus qui semblent admettre qu’il y ait des entités inexistantes, et auxquelles l’idée d’engagement ontologique apparent n’est jamais explicitement étendue. En effet, si Wittgenstein prend bien soin de nier qu’il y ait des objets simples et complexes inexistants, des objets logiques, des objets mathématiques et des formes logiques de complexes ou d’énoncés, il n’en va pas de même avec les états de choses (2.013, 2.032+2.033) et les situations possibles (2.0122, 2.0124, 2.014, 2.201, 2.202, 2.203, 3.02, 3.11, 3.13, 4.124, 4.125, 4.2 (étant donné 2.201), 4.27-4.31 (étant donné 2.201), 4.462, 5.525) ni même avec les faits négatifs (2.06). Wittgenstein introduit lui-même ces entités dans son ontologie, en parle abondamment et les caractérise de manière telle qu’elles pourraient ne pas exister dans la réalité sous formes d’entités réelles ou concrètes et, par conséquent, ne pas être conformes au fameux sens robuste de la réalité. Par ailleurs, contrairement aux objets logiques et mathématiques, l’engagement ontologique envers ces entités ne procède pas de Scheinsätze, mais bel et bien des énoncés sensés, c’est-à-dire des énoncés qui, par définition, ont pour vocation de décrire la réalité telle qu’elle est. Autrement dit, ce ne sont pas des énoncés qui se présentent sous la forme d’énoncés portant sur une quelconque « réalité » et qui, en vérité, ne décrivent rien d’extérieur à eux, mais ce sont plutôt les énoncés qui ont un lien très étroit avec la réalité qu’ils sont censés décrire. Enfin, loin d’exclure l’idée qu’il y ait des situations possibles et des faits négatifs de manière aussi explicite qu’il a refusé d’admettre des objets simples et complexes simplement possibles, Wittgenstein semble bel et bien soutenir, si on s’en tient à la lettre du Tractatus, que les propositions élémentaires sont ontologiquement contraignantes en ce sens qu’elles engagent à admettre de telles entités. C’est, du moins, deux thèses concernant la sémantique du Tractatus qui ont été assez largement admises (la première sans doute davantage que la seconde). On pourrait résumer les positions ayant conduit à l’admission de ces deux thèses sous la forme des raisonnements suivants.
3.1 L’engagement envers des situations possibles
Tout d’abord, en ce qui a trait à l’engagement de la théorie de l’image en faveur des situations possibles, il est possible de dégager du Tractatus le raisonnement suivant comprenant trois prémisses (P1, P2 et P3) et une conclusion (C) :
P1 |
Toute proposition sensée, en tant qu’image, montre ou représente essentiellement son sens. |
Cette première prémisse se trouve à plus d’un endroit dans le texte, mais elle est présente de manière plus explicite dans la combinaison des passages suivants :
Ce que l’image représente est son sens.
2.221
Une proposition doit communiquer un sens nouveau avec des expressions anciennes.
La proposition nous communique une situation, elle doit donc être liée de manière essentielle à la situation.
Et le lien consiste justement en ceci qu’elle est son image logique.
La proposition ne dit quelque chose que dans la mesure où elle est une image.
4.03
Pour Wittgenstein, non seulement toute proposition représente son sens — c’est en cela qu’elle est une image et qu’elle a un sens —, mais elle le fait de manière essentielle. Autrement dit, le lien de représentation entre la proposition et son sens n’est pas accidentel : quelque chose ne saurait être une proposition et ne pas représenter son sens.
Ensuite, Wittgenstein soutient également dans le Tractatus que :
P2 |
Toute proposition représente son sens indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté. |
Cette seconde prémisse est formulée presque mot pour mot dans les deux remarques suivantes :
L’image représente ce qu’elle représente, indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté par la forme de la dépiction.
2.22
Ce que la proposition représente, c’est son sens.
2.221
Enfin, Wittgenstein soutient également que :
P3 |
Le sens d’une proposition, ce qu’elle représente indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté, est une entité complexe possible (une situation) extra-linguistique et non mentale. |
En effet, Wittgenstein dit clairement à plus d’une reprise dans le Tractatus, en particulier dans les remarques suivantes, que les entités que les propositions sensées représentent sont des situations possibles :
L’image présente la situation dans l’espace logique, la subsistance et la non-subsistance des états de choses.
2.11
L’image représente une situation possible dans l’espace logique.
2.202
Dans la proposition, une situation est constituée à titre d’essai.
On peut directement dire, au lieu de « cette proposition a tel ou tel sens » : « cette proposition représente telle ou telle situation ».
4.031
Dans la mesure où ces situations possibles sont dites consister en la subsistance ou la non-subsistance d’états de choses, on peut penser qu’elles ont des constituants et qu’elles sont complexes. Wittgenstein dit d’ailleurs dans le Tractatus qu’il s’agit d’entités que l’on ne peut pas nommer, mais uniquement décrire (3.144). Il ne dit nulle part explicitement qu’il s’agit d’entités extra-linguistiques et extra-mentales, mais certaines remarques vont dans ce sens. En effet, comme Carruthers l’a justement fait remarquer, le sens, la situation, est dite, à la remarque 3.13, ne pas appartenir ni être contenue dans la proposition. Seule sa possibilité est contenue en elle. C’est ce qui fait dire à Carruthers : « This makes it obvious that for Wittgenstein the Sinn of a sentence is much more like its truth-condition —something belonging, as it were, to the level of reference— than its Fregean sense[9]. » Carruthers indique également que l’on trouve une confirmation de cela à la remarque 4.1211, où Wittgenstein affirme que « Fa » montre que l’objet a est constitutif de son sens. Or, si a est un constituant du sens et que ce n’est pas « a » ou la représentation mentale de a qui joue ce rôle, alors le sens, la situation représentée par « Fa » n’est ni purement linguistique ni purement mentale, mais, en partie au moins, constituée d’objets réels[10]. Cela dit, une autre remarque du Tractatus aurait pu être invoquée par Carruthers en faveur de la thèse selon laquelle les situations ont les référents des noms, des objets, pour constituants. En effet, Wittgenstein affirme clairement que : « À la configuration des signes simples dans l’énoncé correspond la configuration des objets dans la situation » (3.21).
Si l’on admet chacune de ces trois prémisses, on doit conclure que, du point de vue de la théorie de l’image :
C |
Il y a au moins autant d’entités complexes possibles qu’il y a de propositions sensées dont le sens, la situation que chacune d’elles représente, ne subsiste pas dans la réalité. |
La question du statut ontologique des situations possibles admet ici deux positions. Selon la première, plus courante, lorsqu’un énoncé est vrai, la situation qu’il représente existe dans le monde actuel. Il s’agit alors d’un fait ou d’un état de choses, bref, d’une entité actuelle et réelle, et ce n’est que lorsque l’énoncé représentant ladite situation est faux que la situation qu’il représente n’est pas actuelle, mais simplement possible. En revanche, on peut penser que lorsque Wittgenstein dit des situations qu’elles sont possibles, il veut dire qu’elles ne sont que possibles, qu’il ne s’agit que de possibilités qui sont représentées par les énoncés sensés, qui subsistent dans l’espace logique comme il le laisse entendre en 2.11, mais qui n’existent jamais dans le monde actuel. Bien que moins courante, cette dernière position est aussi une option qui a été soutenue dans la littérature et qui se défend à la lumière de certaines des remarques du Tractatus[11]. Quoi qu’il en soit, tel qu’il a été construit ici, le raisonnement est compatible aussi bien avec l’une qu’avec l’autre de ces lectures.
3.2 L’engagement envers des faits négatifs
Une position similaire en faveur de la thèse selon laquelle il y aurait engagement de la part de la théorie de l’image en faveur des faits négatifs peut également être bâtie comme suit :
P1 |
La vérité de toute proposition sensée consiste en la correspondance de ce qu’elle dit avec la réalité, avec un fait, et sa fausseté en la non-correspondance de ce qu’elle dit, avec la réalité, avec un fait :
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P2 |
Les propositions négatives décrivent la réalité comme les propositions élémentaires le font. Ce que la négation de la proposition élémentaire « aRb » représente est la possibilité de la non-subsistance de l’état de choses qui consiste en la combinaison de a, de R et de b :
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P3 |
Il y a des propositions négatives vraies. |
C |
Il y a, dans le monde, parmi les choses qui sont le cas, des faits négatifs qui consistent en la non-subsistance d’états de choses, auxquels les propositions négatives qui les décrivent correspondent et qui rendent ces propositions vraies :
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Cette interprétation a reçu moins d’attention et a été moins largement soutenue que celle selon laquelle la théorie de l’image engage à admettre des situations possibles, vraisemblablement en raison de sa complexité et de la célèbre Grundgedanke selon laquelle les constantes logiques ne dénotent pas, mais consistent en des fonctions de vérité des énoncés élémentaires qui les composent (4.0312). En tant qu’énoncés complexes, les énoncés de négation n’échappent pas à cette caractérisation. Dès lors, on devrait rendre compte du caractère sensé et de la vérité et de la fausseté d’un énoncé de négation en termes de signification, et de vérité et de fausseté de l’énoncé élémentaire nié par l’énoncé de négation. Ainsi, « ~p » est sensé lorsque « p » l’est, seulement, il exprime l’opposé de ce que « p » exprime. Puis « ~p » est faux lorsque « p » est vrai, et « ~p » est vrai lorsque « p » est faux. On obtient ainsi une analyse de l’énoncé de négation qui semble bien avoir le mérite de montrer que l’engagement ontologique de tous les énoncés complexes sensés, y compris celui des énoncés négatifs, n’est qu’apparent.
Cela dit, il n’est pas certain que Wittgenstein ait été convaincu qu’il s’agissait là de l’analyse adéquate de la négation[12]. Certaines remarques laissent entendre que pour lui, dans le Tractatus, même s’il est vrai que dans la réalité rien ne correspond, à titre de référent, au symbole de négation, et ainsi, que la constante logique qu’est ce symbole ne dénote pas, il est également vrai que l’énoncé de négation décrit bel et bien la réalité dans le même sens que l’énoncé sensé. Il se peut en effet que, dans la réalité, à un moment donné, les objets a et b soient tels qu’ils ne sont pas dans la relation R. À ce moment-là, il est juste de dire qu’il est le cas, actuellement, que a n’est pas dans la relation R à b. L’énoncé « ~aRb » décrit alors la réalité telle qu’elle est. Ce qu’elle décrit toutefois n’a aucune composante correspondant à la négation, c’est uniquement la non-subsistance d’un certain état de choses, c’est-à-dire, selon 2.06, le fait négatif que a n’est pas dans la relation R à b.
Ainsi, loin d’être complètement naïve, il y a, en faveur d’une lecture plus meinongienne du Tractatus relativement aux situations possibles et aux faits négatifs, des positions fortement corroborées par le texte. Chacune d’elle s’appuie sur des passages explicites du Tractatus, passages qui attestent du fait que la théorie de l’image engage à admettre des entités possibles et des entités négatives. De sorte que, si on retrouve ces entités dans son ontologie, il semble bien que ce ne soit pas le simple fruit du hasard, le fait de formulations hasardeuses, mais bien plutôt des conséquences inévitables et essentielles de sa compréhension de la nature de l’énoncé sensé. Or, si cela est juste, c’est la thèse de la lecture russellienne d’une objection de principe de nature ontologique à l’admission d’entités inexistantes qui n’est plus tenable. Même s’il est juste de dire que Wittgenstein a bel et bien rejeté l’idée qu’il y ait des objets simplement possibles, des objets logiques et des objets mathématiques, ainsi que des formes logiques de complexe ou d’énoncé, il n’adhère pas forcément à un principe ontologique tel que celui d’obligation du respect du sens robuste de la réalité. À la lumière de ce qui est dit dans le Tractatus, il serait plus juste de dire qu’en fait Wittgenstein n’éprouve aucun préjugé en faveur de la réalité lorsqu’il est question des situations possibles, voire lorsqu’il est question des faits négatifs.
4. De la ténacité de la thèse d’une objection de principe de nature ontologique à l’idée d’admettre des entités inexistantes telles que des situations possibles et des faits négatifs
L’idée que la théorie de l’image soit conçue de manière telle qu’elle engage à admettre des entités possibles a été vue et défendue par plus d’un spécialiste du Tractatus et ne date pas d’hier, puisqu’elle a été présentée avec diverses variantes dès les années 60. Qui plus est, elle est tellement solidement corroborée par le texte que même des partisans de la lecture russellienne n’ont pas osé la contester et ont plutôt préféré la reconnaître. Ce faisant, ils se sont toutefois placés dans une position fort délicate. Comment en effet concilier l’idée que la théorie de l’image engage à admettre, pour chaque énoncé élémentaire, une entité complexe, que celle-ci existe ou non dans les faits dans le monde où nous vivons, et maintenir que dans le Tractatus Wittgenstein est opposé, par principe, pour des motifs ontologiques, à l’admission d’entités inexistantes ?
Généralement, on en vient à essayer de trancher ce véritable noeud gordien en soutenant qu’il y a certes une forme d’engagement ontologique dans la théorie de l’image à l’égard d’entités complexes possibles, mais que Wittgenstein n’admet pas sérieusement qu’il y ait de telles entités. Il ne s’agirait, en réalité, que d’une façon de parler. On trouve cette position déjà chez Stenius, qui reconnaît, dans un premier temps, l’engagement de la théorie de l’image à l’égard des états de choses possibles, pour se corriger par la suite en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un mode d’être particulier, mais que Wittgenstein n’admet pas véritablement de telles entités :
I have rendered abbilden above as “represent” and vorstellen as “depict”. If we adopt these translations we must pay attention to the following differences between their uses. A picture represents its prototype either truly or falsely, and this means that it represents the same prototype (by means of the key) whether or not it is true or false. If the picture is true, however, it not only represents the prototype, but also depicts it. But if it is false, it does not depict the prototype, but depicts a possible state of affairs other than the real one[13].
If we take the latter view [i.e. “describe” means “depict” and not “represent”], as I think I should prefer here, we must realize, however, that this does not presuppose that the “merely possible” state of affairs exist in some ideal world which we describe : what a sentence describes in the sense of depicting is presented [dargestellt] by the sentence itself (4.031). The sentence shows by its own structure how the elements of its prototype should be combined in order for it to be true. And this […] is the only mode of existence of “merely possible” states of affairs[14].
Même s’il reconnaît et défend l’idée que la théorie de l’image engage à admettre des situations simplement possibles lorsque l’on a affaire à une proposition sensée fausse, Stenius, ne peut, au final, se résoudre à cette idée.
Même Peter Simons, qui a aussi reconnu qu’il y avait engagement ontologique de la part de la théorie de l’image à l’égard d’états de choses ou de situations possibles s’est montré récalcitrant à suivre le texte jusqu’au bout et à reconnaître que Wittgenstein admet bel et bien de telles entités. Lui aussi, en définitive, demeure sceptique. En effet, il a déclaré, dans son excellent article sur le problème du complexe et du fait, que, du point de vue de sa philosophie du langage, Wittgenstein avait besoin d’états de choses et de situations simplement possibles :
Why does Wittgenstein need Sachverhalte ? Because every sentence with sense represents something, but not every proposition is true. Only the true ones correspond to facts. What an elementary proposition represents cannot be a positive atomic fact, as I have used this term, for then all elementary propositions would be true. So Wittgenstein needs what in Meinongian terms we can call a watered-down fact (cf. BB 35-6 on “Shadows of facts”) which a proposition can represent irrespective of its truth-value. In the Tractatus this role is played by the Sachlage or situation (2.11, 2.202), and in the special positive atomic case Wittgenstein uses the special term “Sachverhalt”[15].
Or, il m’a dit à quelques reprises et a écrit, dans son rapport sur ma thèse de doctorat, qu’il n’était pas convaincu que Wittgenstein soit d’avis qu’il y ait des choses telles que des situations possibles :
Although I am far from being an advocate of a “new” or anti-realist interpretation of Wittgenstein, it seems to me that the only entities to which the Tractatus is clearly committed are those which figure unproblematically in nonmodal discourse : the actual world, facts, states of affairs, objects, and perhaps actual situations on the ontological side ; propositions, their structure, names, logical constants and other signs and symbols on the linguistic side, as well as thoughts, colours and various odd things incidentally mentioned. When it comes to what is “represented”, the touch becomes much lighter and Wittgenstein less emphatic. Such putative items as truth-possibilities, essences and the forms of objects, which are modal through and through, are part of the discursive framework within which Wittgenstein places his accounts of logic, truth, sense and meaning. The strength or lightness of this commitment is an issue which needs to be discussed in more detail in the viva[16].
Ainsi, Simons serait récalcitrant, malgré l’évidence textuelle que nous avons exposée précédemment, et malgré le fait qu’il ait lui-même reconnu dans son article de 1985 qu’il y avait engagement à l’égard d’états de choses ou de situations simplement possibles à adhérer à une lecture meinongienne du Tractatus relativement à la question du statut ontologique des situations possibles, essentiellement parce que les énoncés qui contiendraient un tel engagement feraient partie du « cadre théorique » (discursive framework) de l’ouvrage et non du discours sensé, ce qui justifierait le fait qu’il y aurait là un engagement plus léger à l’égard des entités possibles que celui que l’on a à l’égard des entités auxquelles les énoncés sensés nous engagent.
Il est toutefois difficile de donner raison à Peter Simons sur ce point. En effet, sa position ici est problématique à plusieurs égards. Premièrement, l’idée d’un caractère plus ou moins fort d’un engagement ontologique m’apparaît philosophiquement problématique. On admet qu’il y a une entité sous un mode d’être quelconque ou on ne l’admet pas du tout, mais on n’admet pas plus ou moins fortement qu’il y a une entité. De plus, même si l’on pouvait rendre compte d’une telle notion, on n’en trouve aucune trace dans le Tractatus. En fait, après un examen minutieux du texte en liaison avec cette question, le seul élément dans le Tractatus qui, à ma connaissance, pourrait appuyer une telle idée est le fait que, contrairement aux états de choses et aux faits, les situations ne sont jamais dites, à une exception près (5.135), subsister ou être le cas. Elles ne semblent donc pas avoir de statut ontologique autre que celui de faire partie de l’espace logique (2.11). Cela dit, si l’on peut invoquer pareil argument dans le cas des situations possibles, il n’en est rien dans le cas des faits négatifs qui, eux, en tant que faits, sont le cas. Mais même en faisant cette concession à Peter Simons, sa position reste problématique, et pour cause. Bien qu’il soit vrai que ce sont des énoncés philosophiques au sujet du langage sensé qui disent qu’il y a des situations possibles et des faits négatifs, ce ne sont pas de ces énoncés que l’engagement ontologique procède. En effet, ce que ces énoncés du cadre théorique de l’ouvrage disent, ce n’est rien d’autre que ce que montrent les énoncés du langage sensé. Du point de vue du Tractatus, s’il y a des situations possibles, ce n’est pas parce que la thèse philosophique selon laquelle une proposition représente son sens, une situation possible, indépendamment de sa valeur de vérité est vraie, mais bien parce qu’il y a des propositions sensées. Les énoncés du cadre théorique n’engendrent aucun engagement, ils ne font que l’expliciter, c’est-à-dire qu’ils ne font que dire ce que l’énoncé sensé montre, et disent notamment que de tels énoncés engagent à admettre des objets simples, des situations possibles, des faits positifs et négatifs, selon le cas, voire des états de choses.
Ainsi, même s’il se dit plus ouvert que bien des commentateurs (dont vraisemblablement Stenius) à une lecture réaliste du Tractatus, les considérations de Peter Simons motivant son rejet des situations possibles ne m’apparaissent pas plus convaincantes que celles de Stenius. En fait, dans le cas de Stenius comme dans celui de Simons, on nous donne des arguments qui me paraissent bien faibles pour rejeter une lecture solidement corroborée par le texte et pour défendre, en définitive, une lecture qui nous condamne à une interprétation pour le moins paradoxale du Tractatus : du point de vue de ce qui y est dit au sujet de l’énoncé sensé, il y a des situations possibles, voire des faits négatifs, mais il ne faudrait pas prendre cela au pied de la lettre, et il n’y aurait pas véritablement d’entités de ce type admises par Wittgenstein.
Par ailleurs, une telle difficulté soulève aussi une question importante : pourquoi des interprètes tels Stenius et Simons préfèrent, lorsque confrontés à l’évidence textuelle en faveur de l’admission des situations possibles, s’accrocher à l’idée que Wittgenstein n’admet pas véritablement de telles entités malgré l’incohérence que cela entraîne à l’intérieur de leur interprétation, et malgré la faiblesse des raisons qu’ils peuvent invoquer contre l’admission de ces entités ? Une hypothèse suffisamment plausible pour qu’on s’y attarde est qu’ils sont trop attachés à l’argument en faveur de la lecture russellienne présenté à la section 2, selon lequel Wittgenstein aurait une objection de principe de nature ontologique à l’idée d’admettre des entités inexistantes pour qu’ils consentent à s’en remettre uniquement au texte. Pour de nombreux spécialistes du Tractatus, Wittgenstein a une conception de la philosophie telle qu’il obéit bel et bien à quelque chose comme un sens de la réalité et ne peut tout simplement pas admettre de telles entités. Pour eux, une telle chose est contraire à l’esprit du Tractatus et du premier Wittgenstein. C’est là un point de vue tenace chez plusieurs lecteurs du Tractatus, un préjugé russellien qui est si solidement ancré qu’on a rarement véritablement pris la peine de le questionner et que l’on va même préférer l’interprétation paradoxale ou, parfois, le rejet des positions esquissées en 3.1 et 3.2, plutôt que de le remettre en cause[17]. Pourtant, lorsqu’on l’interroge, on s’aperçoit qu’il est loin d’aller de soi.
4.1 L’idée d’une objection de principe à l’admission d’entités inexistantes telles que les situations possibles et les faits négatifs dans les écrits prétractariens
La question d’admettre ou non des situations possibles et des faits négatifs ne s’est pas posée à Wittgenstein uniquement à partir du Tractatus. En fait, dans l’oeuvre du jeune Wittgenstein, c’est une question qui a une longue histoire et qui s’est présentée à lui dès les Notes on Logic de 1913. Comme je l’ai montré dans un article paru il y a quelques années, c’est une question qu’il a héritée de Russell et des problèmes rencontrés par sa théorie du jugement[18]. En effet, dans l’élaboration de sa théorie du jugement, Russell voulait rendre compte du fait que, lorsque l’on juge que aRb, nous comprenons ce que nous jugeons, nous saisissons le sens de aRb, sans en connaître la valeur de vérité. Russell hésitait alors, pour rendre compte de cette compréhension, entre deux stratégies : une première, que j’ai appelé la conception un-à-un et qui consiste à dire que nous comprenons l’énoncé indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté, car, en jugeant que aRb nous sommes dans une relation avec un complexe a-dans-la-relation-R-à-b, lequel correspond à l’entité qui subsiste dans la réalité lorsque l’énoncé est vrai. Cette première stratégie s’apparentait, soit dit en passant, à celle de Meinong, pour qui nous comprenons le sens d’un énoncé dans un acte intentionnel d’assomption saisissant l’objectif correspondant (l’objectif étant toutefois de nature radicalement différente de celle du complexe russellien). Puis, selon la seconde stratégie, celle qu’il privilégiera à partir de 1906 et dans son manuscrit de 1913, nous comprendrions ce que nous jugeons, car nous sommes dans une relation de jugement non pas avec une seule entité complexe, mais avec une multitude d’entités, soit a, b et R, lesquelles ne forment pas forcément un complexe, ainsi qu’avec la forme logique de aRb qui nous indique comment a, R et b sont dits être combinés. Le jugement est alors compris non pas comme une relation d’un sujet à une entité complexe, mais comme une relation d’un sujet à plusieurs entités qui, à l’exception de la forme logique du complexe ou de l’énoncé, sont toutes réelles et peuvent ou non être liées les unes aux autres de façon à former un complexe a-dans-la-relation-R-à-b. Dans le cas de la forme logique, Russell dira qu’il s’agit d’une entité abstraite dont on fait tout de même l’expérience sous forme d’une acquaintance d’un type particulier, soit l’acquaintance logique :
In the present chapter, we shall be concerned with the basis of acquaintance that must underlie our knowledge of logic. It should be said, to begin with, that “acquaintance” has, perhaps, a somewhat different meaning, where logical objects are concerned, from that which it has when particulars are concerned. […] It would seem that logical objects cannot be regarded as “entities”, and that, therefore, what we shall call “acquaintance” with them cannot really be a dual relation. The difficulties which result are very formidable, but their solution must be sought in logic. For the present, I am content to point out that there certainly is such a thing as “logical experience”, by which I mean that kind of immediate knowledge, other than judgment, which is what enables us to understand logical terms[19].
I think it may be shown that acquaintance with logical form is involved before explicit thought about logic begins, in fact as soon as we can understand a sentence. Let us suppose that we are acquainted with Socrates and with Plato and with the relation “precedes”, but not with the complex “Socrates precedes Plato”. Suppose now that someone tells us that Socrates precedes Plato. How do we understand what he means ? It is plain that his statement does not give us acquaintance with the complex “Socrates precedes Plato”. What we understand is that Socrates and Plato and “precedes” are united in a complex of the form “xRy”, where Socrates has the x-place and Plato has the y-place. It is difficult to see how we could possibly understand how Socrates and Plato and “precedes” are to be combined unless we had acquaintance with the form of the complex.
As a matter of introspection, it may often be hard to detect such acquaintance ; but there is no doubt that, especially where very abstract matters are concerned, we often have an acquaintance which we find it difficult to isolate or to become acquainted with[20].
On peut ainsi parler, dans le cas de cette seconde stratégie, d’une explication de type un-à-plusieurs. Russell préfèrera cette seconde option à la première pour des motifs d’ordre ontologique : contrairement à la seconde, la première l’engage à admettre des complexes inexistants pour tous les énoncés élémentaires faux. En effet, puisque nous comprenons les énoncés qui sont faux aussi bien que ceux qui sont vrais, et ce, indépendamment de leur valeur de vérité, et si la compréhension d’un tel énoncé consiste, pour un sujet, à être dans une relation de jugement avec le complexe qui rend cet énoncé vrai lorsqu’il existe, il doit, du point de vue de cette théorie, y avoir autant de complexes inexistants qu’il y a d’énoncés élémentaires faux, ce qui est contraire à son sens robuste de la réalité.
Pour Wittgenstein, la question de la saisie du sens sera reformulée dans le cadre de sa théorie de l’énoncé comme image[21]. Pour lui, la question de savoir comment nous comprenons le sens de « aRb » lorsque nous jugeons que aRb devient celle de savoir comment il se peut qu’un énoncé soit l’image de son sens, nous communique son sens, indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté. Le même dilemme se pose alors à lui entre une explication de type un-à-un ou une explication de type-un-à-plusieurs. Ainsi, s’il adhère, comme Russell, à une forme de sens robuste de la réalité, il devrait être opposé, par principe, à une explication de type un-à-un et privilégier plutôt une explication de type un-à-plusieurs. Or, lorsque l’on se penche sur ce qu’il dit à ce sujet dans les écrits prétractariens, on découvre que sa position est beaucoup plus ambivalente que l’on pourrait s’y attendre. En effet, dès le 20 septembre 1914, Wittgenstein parle de l’énoncé comme étant l’image d’un Sachverhalt, et non comme étant l’image d’une multitude d’objets. Il maintiendra cette position jusqu’au 4 novembre (soit pendant près de 21 pages !) où il la remet en cause une première fois… en raison du problème de l’engagement d’une telle position à l’égard d’un Sachverhalt inexistant :
Comment l’image représente-t-elle une situation ?
En fait, ce n’est pas la situation, car celle-ci peut ne pas être le cas.
Carnets, p. 26
Le problème qui se pose alors à lui est le suivant : si ce n’est pas une situation que l’énoncé représente lorsqu’il représente son sens, qu’est-ce alors, et comment arrive-t-il à représenter cela ? C’est ce qui occupera Wittgenstein dans les jours subséquents. Il tentera alors la réponse suivante :
Un nom représente une chose, un autre une autre chose, et ils sont liés ; c’est ainsi que le tout — comme une image vivante — représente la situation.
Carnets, p. 26 (8-10)
Pour qu’une proposition représente une situation, il faut donc uniquement que ses constituants représentent ceux de la situation et que ceux-là soient dans une relation l’un à l’autre possible pour ceux-ci.
Carnets, p. 27(1)
Autrement dit, pour Wittgenstein, il semble que tout ce qui est requis sur le plan ontologique pour qu’un énoncé représente son sens, ce sont des objets simples, soit les référents des noms de l’énoncé en question, et la possibilité qu’ils se combinent exactement comme les noms qui les représentent sont combinés dans l’énoncé ; et tout ce qui est requis, sur le plan sémantique, est la relation de désignation des noms, et le fait que l’énoncé ait une certaine structure qui montre effectivement comment les objets sont dits être combinés. Par conséquent, on aurait une analyse de la notion de représentation du sens qui n’engagerait pas à admettre des situations possibles et qui permettrait de rendre compte de l’idée qu’il n’y a là qu’une façon de parler[22]. Au-delà de la question de savoir si Wittgenstein adhère, en définitive, à cette position, il est intéressant de noter qu’il avait bien vu que sa théorie de l’image, telle que formulée dans les Carnets, l’engageait à admettre quelque chose comme des situations simplement possibles, et qu’il prenait ce problème suffisamment au sérieux pour s’y pencher et chercher à le résoudre. On peut constater aussi qu’il n’est pas complètement à l’aise à l’idée d’admettre des situations possibles et préfère une théorie qui ne l’engage pas à admettre de telles entités.
Cela dit, contrairement à ce que ces derniers passages ont pu laisser croire, cette position non engageante ontologiquement est loin d’être le dernier mot de Wittgenstein sur la question. Dans les faits, il n’adhèrera à cette position que durant deux jours. En effet, dès le 6 novembre et dans les jours qui suivront, Wittgenstein soulèvera un certain nombre de difficultés à l’encontre de cette position, toutes d’ordre sémantique. La principale a trait à la nature de la saisie du sens. Il semble que, pour Wittgenstein, la position non ontologiquement engageante, si elle est en mesure d’expliquer comment on en arrive à saisir le sens, ne peut pas rendre compte adéquatement de ce en quoi consiste la saisie du sens d’un énoncé indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté, ni même de l’idée de représentation du sens. Selon lui, lorsque je saisis le sens de « aRb », je saisis ce qui est le cas lorsque cette proposition est vraie, et non seulement des objets simples et la structure de l’énoncé. La structure de l’énoncé permet peut-être effectivement de comprendre comment les objets sont dits être combinés dans l’énoncé, mais elle n’est pas ce sens. De sorte que si, pour arriver à comprendre un énoncé, il suffit de savoir quels sont les référents des noms de l’énoncé et de saisir la structure de l’énoncé, la saisie du sens ne consiste pas pour autant uniquement en cela. Lorsque je sais quels sont les référents et que je saisis la structure, et ainsi parviens à comprendre le sens, le sens que je comprends n’est ni les objets, ni même la structure de l’énoncé, mais il s’agit plutôt bel et bien de ce que Wittgenstein en viendra à appeler une situation possible. Ainsi, sur le plan sémantique, la position qui n’engage pas ontologiquement n’est pas satisfaisante : elle n’explique qu’une partie du phénomène de compréhension d’un énoncé. De même, si c’est grâce à sa structure que l’énoncé représente ce qu’il dit, ce qu’il dit est autre que sa structure et ses référents. Ce qu’un énoncé représente, son sens, c’est ce qui est le cas lorsqu’il est vrai, et cela est distinct de la structure de l’énoncé et des référents des noms de l’énoncé.
C’est ainsi que, dès le 6 novembre, Wittgenstein soutient que saisir le sens implique vraiment que l’on saisisse ce que l’image est censée dire, et pas uniquement les référents des noms et la structure de l’énoncé :
Pourrait-on dire : voici l’image, mais on ne peut pas dire si elle est correcte ou non, avant de savoir ce que, par elle, on est censé dire ?
L’image doit alors encore une fois projeter son ombre sur le monde.
Carnets, p. 26 (9-10)
Contrairement à ce qu’il avait pensé en date du 4 novembre, la théorie de l’image, si elle veut véritablement expliquer le fait qu’un énoncé est sensé et que nous comprenons ce sens indépendamment de la vérité ou de la fausseté de la proposition, engage donc bel et bien à admettre une forme d’entité complexe possible. Comme Wittgenstein n’arrive toutefois pas encore à voir en quoi consiste une telle entité, il s’en remet à l’idée d’ombre.
En outre, il semble qu’il ait été aussi poussé à revenir à une conception de l’énoncé comme image de son sens qui engage ontologiquement à cause de la question de la compréhension de l’énoncé de négation. En effet, quelques jours seulement après avoir parlé de l’ombre que l’énoncé doit projeter sur la réalité, Wittgenstein écrit :
La négation est une description dans le même sens que la proposition élémentaire elle-même.
Carnets, p. 29 (5)
Cette ombre que l’image projette en quelque sorte sur le monde, comment puis-je exactement la saisir ?
Il y a là un grand mystère.
C’est le mystère de la négation : les choses ne sont pas liées ainsi, et pourtant nous pouvons dire comment elles ne sont pas liées.
Carnets, p. 30 (7-9)
Si un énoncé de négation décrit la réalité tel qu’un énoncé élémentaire, et si la théorie non engageante de la théorie de l’image esquissée le 4 novembre était exacte, alors on devrait pouvoir rendre compte de la nature du sens d’un énoncé de négation, et de ce en quoi consiste la compréhension d’un tel sens uniquement à partir des objets auxquels réfèrent les noms de l’énoncé, et de la structure de l’énoncé de négation. Or on peut douter, encore une fois, que l’on puisse effectivement, sur cette seule base, parvenir à une telle explication. En effet, dans ce cas-ci comme dans le cas de l’énoncé élémentaire, on pourrait toujours soutenir que ce que l’on comprend en comprenant l’énoncé n’est pas sa structure, et le fait que tels et tels autres objets sont les référents des noms de l’énoncé, mais bien une situation possible distincte de ladite structure. Toutefois, dans ce cas-ci, il semble que l’on soit confronté à un problème supplémentaire qui justifie que, dans ce cas également, Wittgenstein parle de la nécessité de projection d’une ombre sur la réalité. Les remarques sont toutefois très énigmatiques, et il est très difficile de voir quel est ce problème supplémentaire que pose la négation. Il est toutefois possible que ce soit le fait qu’il n’est pas facile de voir tout simplement en quoi consisterait ici le sens, ce qui serait le cas si l’énoncé était vrai, car, selon Wittgenstein, il s’agirait alors d’établir comment la réalité n’est pas ou d’établir comment les objets ne sont pas liés les uns aux autres. La nature de l’ombre paraît donc ici encore plus énigmatique ou mystérieuse. Pourtant, à partir du moment où de tels énoncés décrivent la réalité, la saisie du sens de ces énoncés devrait consister en la saisie de pareille entité.
Cela dit, cette position ne constitue pas elle non plus le fin mot de l’affaire sur la question. Au bout du compte, après avoir longuement hésité entre les deux options, Wittgenstein est en fait incapable de trancher la question dans les écrits prétractariens et conclut sur une note de désespoir : « Je ne puis justement pas tirer au clair dans quelle mesure la proposition est l’image de la situation ! Je suis presque disposé à abandonner tout effort » (Carnets, p. 41 (12)). On pourrait ainsi être tenté de conclure que Wittgenstein n’a lui-même pas réussi à trancher la question et est resté partagé entre une théorie de l’image sémantiquement adéquate qui comporte un engagement ontologique à l’égard d’entités complexes possibles, les ombres des énoncés, et une analyse de cette théorie qui ne comporte pas pareil engagement, mais qui, au bout du compte, présente des problèmes sur le plan sémantique. De sorte que, bien que paradoxales, les positions telles que celles de Stenius et de Simons ne seraient que le reflet des hésitations non résolues de Wittgenstein, hésitations qui seraient bel et bien en partie le fruit d’un attachement à une forme d’objection de principe de nature ontologique à l’égard d’entités inexistantes telles les situations possibles.
Mais ce serait là une conclusion erronée. En effet, lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, on découvre que la difficulté éprouvée par Wittgenstein à admettre, dans les Carnets, quelque chose comme une entité complexe possible au titre de sens d’un énoncé ne découle pas d’une objection de principe de nature ontologique, d’une forme de préjugé en faveur de la réalité, mais plutôt d’une réelle difficulté à concevoir la nature d’une telle entité de façon intelligible. À partir du 6 novembre 1914, Wittgenstein est persuadé que la théorie de l’image engage à admettre de telles entités, mais il n’arrive pas à voir en quoi de telles entités consistent, d’où l’idée d’en parler comme des ombres. Ce n’est que dans le Tractatus qu’il tranchera la question, les ombres des Carnets ayant alors fait place aux situations possibles (Sachlagen). S’il n’arrive pas, dans les Carnets, à rendre compte de la nature des ombres, c’est parce que, comme Peter Simons l’a bien montré, il est encore trop influencé par Russell sur le plan ontologique, qui, lui, contrairement à Meinong et aux autres Autrichiens de l’école de Brentano, concevait de telles entités uniquement comme ce qu’il appelait des complexes[23]. Bref, Wittgenstein a de la difficulté à élaborer son ontologie des entités complexes dans les écrits prétractariens parce que, sous l’influence de Russell, il n’arrive pas à concevoir ces entités autrement que comme des complexes[24]. Or l’idée que le sens d’une proposition soit une entité complexe du type d’un complexe russellien présentait, pour Wittgenstein, deux problèmes insolubles.
Le premier de ces deux problèmes a trait à la nature de l’entité représentée par un énoncé sensé. Lorsqu’il cherche à comprendre en quoi consiste l’entité qu’un énoncé représente, son sens, Wittgenstein a parfois l’impression qu’il ne s’agit pas d’un complexe, mais de quelque chose d’autre qu’il n’arrive pas à nommer ni même à définir clairement. En fait, cette impression, c’est une intuition persistante dans les écrits prétractariens qui est à l’origine de ce qu’il a nommé le « old problem of concept and fact[25] ». Pour Wittgenstein, si l’énoncé doit être considéré comme une image, si c’est en tant qu’image qu’il arrive à montrer un sens, à le représenter, ce doit certes être en partie parce qu’il a des constituants et qu’il est, en ce sens, complexe. Cela dit, ce n’est pas en tant que complexe qu’il arrive à faire cela, mais plutôt en tant que fait. Ce qui joue un rôle représentatif dans le complexe linguistique « aRb », c’est le fait que « a » soit dans une certaine relation « R » à « b », et non que « aRb » soit un symbole ayant des constituants. Or, si tel est le cas, puisque c’est en tant qu’image qu’un énoncé représente son sens, ce qu’il représente ne peut pas être le complexe a-dans-la-relation-R-à-b, mais plutôt quelque chose comme le fait que a est dans la relation R à b :
In “aRb” it is not the complex that symbolises but the fact that the symbol “a” stands in a certain relation to the symbol “b”. Thus facts are symbolized by facts, or more correctly : that a certain thing is the case in the symbol says that a certain thing is the case in the world[26].
Si l’intuition est là, Wittgenstein n’a toutefois, à ce stade, pas d’ontologie de l’entité ainsi représentée.
Le seul modèle d’entité complexe dont il dispose est celui de complexe russellien. Il n’est pas toujours facile de saisir ce que Russell entend par complexe. Mais il en donne ce qui semble être une définition dans son manuscrit de 1913 sur la théorie de la connaissance. Selon cette définition, pour lui, un complexe :
[…] is anything analyzable, anything which has constituents. When, for example, two things are related in any way, there seems to be a “whole” consisting of the two things so related ; if, say, A and B are similar, “the similarity of A to B” will be such a whole ; and such a whole will be a “complex”[27].
Ainsi, pour être un complexe russellien, il semble qu’il y ait au moins deux conditions à satisfaire, soit :
-
La complexité
Pour tout C, pour être un complexe, C doit avoir plus d’un constituant, c’est-à-dire qu’il doit y avoir au moins un y et un z non identiques à C tels que C existe seulement s’ils existent.
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L’unité ou la liaison
Pour tout C, pour être un complexe, tous les constituants x, y, z … de C doivent se trouver dans une relation de premier degré les uns par rapport aux autres de façon à être liés ou à former une unité.
Or, si cela est juste, l’idée que l’entité correspondant à un énoncé est un complexe soulèvera un second problème important pour Wittgenstein. En effet, à partir du moment où Wittgenstein soutient que les énoncés de négation décrivent la réalité tout comme les énoncés élémentaires, et qu’ils sont, eux aussi, des images de leur sens, il est forcé d’en venir à la conclusion que les énoncés de négation représentent quelque chose comme des complexes négatifs. Mais l’idée d’un complexe négatif est, conceptuellement parlant, une pure aberration. Ce qu’un énoncé de négation tel que « ~aRb » représente est quelque chose comme le fait que a n’est pas dans la relation R à b. Autrement dit, ce que de tels énoncés représentent et disent être le cas, c’est la non-subsistance d’une certaine combinaison d’objets et, ainsi, ce qui correspond à ces énoncés dans la réalité, lorsqu’ils sont vrais, ne peut pas être un complexe, mais uniquement des objets qui ne sont pas liés les uns aux autres. Bref, peu importe comment on la conçoit, l’entité représentée par un énoncé de négation ne peut pas satisfaire, de par sa nature négative, la condition d’unité. Elle ne peut donc tout simplement pas être un complexe russellien. Ainsi, d’une part, sur le plan sémantique, il semble que, pour Wittgenstein, un énoncé de négation soit bel et bien une image de son sens, d’une entité complexe qu’il n’arrive pas à envisager autrement que comme un complexe russellien, et, d’autre part, sur le plan ontologique, que l’idée d’un complexe négatif ne soit rien d’autre qu’une aberration conceptuelle. D’où l’idée de « mystère de la négation », et d’où l’incapacité de Wittgenstein à rendre compte de la thèse selon laquelle un énoncé est une image de la situation.
Ainsi, ce qu’une étude approfondie des écrits prétractariens montre quant à la question de la position de Wittgenstein en matière d’engagement ontologique, c’est qu’il n’obéit pas du tout à une forme de sens robuste de la réalité en ce qui concerne les situations possibles, ni même à aucune autre objection de principe de nature ontologique. En fait, il privilégie plutôt une ontologie du sens qui admet quelque chose comme des situations possibles. Cela dit, il est vrai qu’il n’arrive pas véritablement à s’y résoudre, mais ce n’est pas parce que l’idée d’admettre de telles entités lui pose problème, mais plutôt parce qu’il n’est pas capable de rendre compte de la nature de ces entités de façon à ce qu’elles soient intelligibles. Autrement dit, son problème ne concerne alors pas la question d’un engagement ontologique, mais plutôt la conception de cette nouvelle catégorie d’entités, inconcevable en termes de complexe russellien, seul modèle que Wittgenstein a à l’esprit. Ainsi, dans les écrits prétractariens, loin d’y être opposé, par principe, ou encore d’être timide à l’idée d’admettre des entités complexes possibles, il y est clairement ouvert, il l’envisage sérieusement, et, lorsqu’il rejette de telles entités, ce n’est jamais pour des raisons de principe, eu égard à une sorte de sens robuste de la réalité, mais uniquement parce qu’il ne peut en produire une ontologie satisfaisante.
4.2 Les motifs au fondement du rejet des entités abstraites
S’il est clair que Wittgenstein rejette les objets abstraits tels que les entités logiques et les entités mathématiques, ainsi que la forme logique des énoncés, il est aussi possible que le rejet de ces entités, jumelé à l’idée que la philosophie est pour lui critique du langage, ait pu contribuer à renforcer l’idée qu’il est opposé par principe, un principe de nature ontologique, à l’admission d’entités inexistantes. Mais, encore une fois, il y a lieu ici de s’interroger sur les motifs qui ont poussé Wittgenstein à ne pas admettre de telles entités. A-t-il, dans son rejet, véritablement été motivé par un principe de nature ontologique ? Rejette-t-il le réalisme en logique et en mathématiques en raison de la conviction qu’il ne peut tout simplement pas y avoir de telles entités ? Qu’est-ce qui, dans les faits, au-delà de ses analyses des énoncés de la logique et des équations mathématiques en termes de Scheinsätze, a pu entraîner son opposition au réalisme ?
Encore une fois, lorsqu’on se penche attentivement sur les textes, il ne semble pas qu’un rejet de principe de nature ontologique ait joué ici un rôle déterminant. En effet, dans le cas des énoncés de la logique et des mathématiques, ce qui semble avoir été déterminant dans le fait que Wittgenstein ait rejeté le réalisme est plutôt sa conviction que la bonne analyse de ces énoncés n’est autre que celle qui consiste à dire que ce sont des Scheinsätze. L’idée qu’il s’agit d’énoncés portant sur une réalité d’entités abstraites est tout simplement erronée, et elle est erronée non pas parce que l’idée d’une telle réalité abstraite est par principe inadmissible, mais bien parce que ce n’est pas là la nature de ces énoncés. C’est notamment ce que l’on peut observer dans l’une des toutes premières critiques de Wittgenstein à l’encontre du réalisme en mathématiques. En effet, dans une lettre de 1913, Wittgenstein critique la validité d’un des piliers du réalisme mathématique de Russell : l’axiome de réductibilité. Cela dit, sa critique ne porte pas sur les implications ontologiques d’un tel principe, mais elle concerne plutôt la nature des énoncés mathématiques. Si l’axiome de réductibilité était vrai, nous dit Wittgenstein, il le serait de manière contingente, puisque l’on peut concevoir un monde possible dans lequel il serait faux. Or, poursuit-il, les énoncés mathématiques sont des énoncés qui ne peuvent jamais être réfutés par une quelconque réalité[28]. Ainsi, le problème avec la thèse réaliste n’est pas, ici, de nature ontologique, mais il est plutôt bel et bien relatif à une mécompréhension de la nature des énoncés mathématiques, et c’est clairement pour ce dernier motif que Wittgenstein le rejette ici.
Dans le cas du réalisme en théorie de la signification, il semble que les motifs de rejet soient différents, mais qu’ils ne soient pas, encore une fois, de nature ontologique. En effet, ce que Wittgenstein dénonce avant tout dans les théories réalistes de la signification telles que celles de Frege et de Meinong, mais surtout, celle de Russell, c’est l’idée que l’on puisse saisir directement des entités abstraites et que l’on ait là tous les éléments d’explication de la saisie du sens ainsi que du caractère sensé d’un énoncé. Pour lui, il va de soi que de telles « explications » n’expliquent absolument rien. Sa critique est donc ici de nature plus épistémologique et repose en partie également sur sa conception de la nature de la philosophie… en tant qu’analyse du langage. C’est ce que l’on peut observer dans les Carnets, où l’on trouve une critique en règle du réalisme de Russell à l’égard des formes logiques des énoncés, formes logiques qui devaient, comme on l’a vu à la section précédente, permettre de rendre compte du sens, de la possibilité du sens et de la compréhension du sens d’un énoncé indépendamment de la connaissance de la vérité ou de la fausseté de cet énoncé. Wittgenstein affirme en effet à ce sujet :
Donc, si tout ce que l’on a besoin de montrer est montré par l’existence de PROPOSITIONS sujet-prédicat, etc., alors la tâche de la philosophie est autre que ce que j’admettais primitivement. Mais s’il n’en est pas ainsi, ce qui manque devrait être montré par quelque espèce d’expérience, ce que je considère comme exclu .
Carnets, p. 2-3
Pour Russell, le fait qu’il y ait des formes logiques est éclairant, car cela constitue la base et la clef même de sa théorie de la signification : un énoncé est sensé, possible, et il est compris de nous dans un acte de jugement, parce que nous saisissons les référents de ses noms et parce que sa forme logique nous indique ce que cet énoncé dit tout en en garantissant la possibilité du fait de son existence objective. Saisir le sens consiste ainsi, pour partie, en la saisie, par « expérience logique » ou acquaintance, d’une forme logique. L’admission de telles formes logiques est donc éclairante dans la mesure où elle permet une telle explication ou position. Or, pour Wittgenstein, cette position n’explique rien. Elle est plutôt problématique. En effet, elle repose sur un présupposé important, soit celui de la possibilité de faire l’expérience directe de telles entités. Mais Wittgenstein nous dit qu’une telle chose est, en ce qui le concerne, exclue. Il semble tout simplement opposé à une telle possibilité épistémique : nous ne saisissons pas directement de telles entités abstraites. Puis, au-delà des considérations épistémiques, il semble que ce soit, pour lui, une éventualité qui ne puisse pas être vraie en raison de la nature de la philosophie, En effet, si cette thèse était juste, la philosophie devrait au moins en partie consister en la saisie de telles entités au moyen d’un type particulier d’expérience qui lui soit propre. Or, pour Wittgenstein, la philosophie consiste plutôt uniquement dans l’analyse du langage. C’est en voyant ce que le langage montre, et non au moyen d’une expérience particulière, que l’on peut comprendre le sens. C’est dans le langage et son analyse uniquement que l’on trouve réponse à nos questions philosophiques, et non dans le monde ou dans un monde philosophique particulier au moyen d’une expérience particulière.
Il en tirera d’ailleurs un enseignement important qu’il résume dans sa célèbre sentence : « La logique doit prendre soin d’elle-même » (5.473 et Carnets). Quand il s’agit de trancher des questions de logique comme celles que Russell cherchait à trancher à l’aide de formes logiques, ou encore des questions sur la nature des énoncés logiques, on ne doit pas chercher la réponse à l’extérieur de la logique en faisant appel à certaines catégories d’entités et à des expériences d’un type particulier. La logique doit plutôt prendre soin d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle doit s’en tenir aux énoncés eux-mêmes et chercher à voir, au moyen de l’analyse, ce que ces énoncés montrent. C’est de l’analyse du langage que doit venir l’explication et non d’une prétendue expérience d’entités abstraites. En fait, selon Wittgenstein, chaque fois que l’on cesse de s’en tenir aux énoncés et que l’on est tenté de trouver réponse à nos questions dans une telle expérience du monde, nous sommes, dit-il, sur une voie fondamentalement erronée :
Notre principe est que toute question susceptible d’être en général décidée par la logique, doit pouvoir être décidée sans autre apport.
(Et si nous nous trouvons en situation de devoir résoudre un tel problème en observant le monde, cela montre que nous nous sommes engagés dans une voie fondamentalement erronée.)
5.551
Encore une fois, le problème que Wittgenstein éprouve avec les entités abstraites telles que les objets logiques ne procède pas d’un rejet de principe de ces entités. Ce qui le pousse à rejeter le platonisme est plutôt de nature épistémologique, épistémique et méthodologique : le platonisme est épistémologiquement inopérant et épistémiquement insoutenable, et l’idée que la philosophie procède par l’analyse du langage rend cette approche inadmissible.
4.3 De la neutralité et du pragmatisme de Wittgenstein
S’il est indéniable que Wittgenstein a subi l’influence de Russell, notamment dans sa conception de la philosophie comme « Sprachkritik », cela n’implique pas forcément qu’il concevait l’analyse comme devant nous mener ultimement à une forme de déflation ontologique. Dans les faits, la vertu que Wittgenstein semble avoir d’abord retenue de l’analyse logique telle que pratiquée par Russell est le gain en clarté : « Le but de la philosophie, nous dit Wittgenstein, est la clarification logique des pensées » (4.112). Le langage ordinaire, bien que fondamentalement correct, comporte son lot d’ambiguïtés, de sorte qu’il nous trompe souvent et nous plonge dans des confusions lourdes de conséquence. De telles confusions peuvent être évitées lorsque l’on pratique l’analyse logique du langage, et les erreurs procédant de l’ambiguïté du langage peuvent ainsi être éliminées. Certes, ces erreurs conduisent parfois à des erreurs d’engagement ontologique consistant à admettre des entités qui, en réalité, n’existent pas du tout, comme c’est le cas de la compréhension meinongienne des noms propres et des descriptions définies. Mais ce n’est pas forcément le cas, et de tels engagements vont toujours se dissiper d’eux-mêmes lorsqu’on arrive à clarifier les pensées en cause. Ainsi, contrairement à ce que la lecture russellienne soutient, le fait que Wittgenstein reconnaisse à Russell le mérite d’avoir vu que la philosophie est essentiellement critique du langage n’implique pas forcément que l’esprit du Tractatus soit attaché à un sens robuste de la réalité et cherche avant tout à éliminer, pour cette raison, toute forme d’engagement à l’égard d’entités inexistantes.
Cela est d’autant plus juste que, contrairement à ce qui prévaut chez Russell et chez Meinong, il n’y a rien de tel, dans le Tractatus, que des principes de base auxquels Wittgenstein s’en remettrait en matière d’engagement ontologique. Autrement dit, on ne trouve ni principe de respect du sens robuste de la réalité, ni même quelque chose comme le principe meinongien de non-préjugé en faveur de la réalité, car l’idée même d’une objection de principe à la Russell ou à la Meinong relativement à l’existence de quelque type entité que ce soit est en réalité contraire à l’esprit du Tractatus. En effet, on pourrait même aller plus loin et dire que non seulement de tels principes sont absents, mais que l’idée de tels principes n’est pas conforme à la position de Wittgenstein en matière d’engagement ontologique qui se veut, dans les faits, beaucoup plus pragmatique que théorique. Pour Wittgenstein, ce qui décide, dans le fond, de ce qu’il y a, autrement dit, ce qui tranche les questions d’engagement ontologique, ce n’est jamais un quelconque principe théorique supposé bien le régir, mais uniquement le langage. Pour lui, ce qui décide ultimement, c’est le langage, une fois qu’il a été correctement analysé. Les questions relatives à ce qu’il y a sont effectivement des questions non sensées de la philosophie (4.1272). Elles n’appartiennent toutefois pas aux questions qui sont absolument dénuées de sens, mais font plutôt partie de ces questions philosophiques auxquelles Wittgenstein cherche à apporter une réponse dans le Tractatus, c’est-à-dire de ces questions qui nous demandent de dire ce qui ne se laisse que montrer. En effet, de par son isomorphie avec le monde (2.18-2.182), de par le fait qu’il est le miroir de la réalité (4.121), le langage montre un certain nombre de choses concernant ce qu’il y a dans le monde, ainsi que la nature de ce qu’il y a. Wittgenstein nous dit par exemple qu’il y a des relations internes, et que la subsistance de telles relations « se montre dans les énoncés qui représentent ces états de choses et traitent de ces objets » (4.122). De même, les concepts formels tels que « objet », « complexe », « fait », etc., sont présents dans la syntaxe logique du langage sensé sous la forme de variables qui en sont les signes, et chacune de ces variables « représente une forme constante, que possèdent toutes ces valeurs, et qui peut être conçue comme leur propriété formelle » (4.1271). Ainsi, bien que l’on ne puisse pas dire qu’il y ait des choses telles que des propriétés formelles (4.1272), que les énoncés qui disent cela sont non sensés, les énoncés sensés dans lesquels de telles variables sont présentes sous une forme respectant leur syntaxe logique montrent qu’il y a des propriétés formelles correspondant aux concepts formels dont ces variables sont les signes. Dans tous ces cas, c’est le langage qui tranche les questions d’engagement, et uniquement lui. Il y a, dans tous ces cas, ce que le langage sensé représente ou montre, et c’est à lui que Wittgenstein s’en remet comme seule autorité en la matière.
Ainsi, en fin de compte, s’il devait y avoir un seul principe régissant l’engagement ontologique dans le Tractatus, on peut penser que ce ne serait pas celui qui commande d’observer le respect du sens robuste de la réalité, mais plutôt celui qui dirait : il y a tout ce dont le langage sensé montre ou indique l’existence. En matière d’ontologie, c’est le langage qui tranche en nous montrant ce qui existe, et non un sens robuste de la réalité ou quelque autre principe que ce soit de nature ontologique. De tels principes de nature ontologique constituent plutôt de beaux exemples de thèses philosophiques qui font appel au monde et à la nature de celui-ci pour venir nous dicter des solutions à des problèmes logiques et philosophiques que l’on ne devrait régler plutôt que par l’analyse du langage.
5. Du caractère non problématique des situations possibles et des faits négatifs
Si Wittgenstein adopte, en matière d’engagement ontologique, une attitude pragmatique plutôt que des principes de nature ontologique visant à limiter son engagement aux entités existant dans la réalité, rien ne s’oppose, en principe à ce qu’il admette des entités telles que des situations possibles et des faits négatifs. Cela dit, même s’il n’a pas d’objection de principe à admettre de telles entités, il pourrait tout de même y avoir des raisons propres à ces entités faisant qu’il ne les admet pas dans son ontologie. Un peu comme l’idée de complexe russellien négatif, celle de forme logique d’un énoncé de Russell, et celle d’ombre de l’énoncé des Carnets, celles-ci pourraient lui paraître, étant ce qu’elles sont, suffisamment problématiques pour qu’il refuse de les admettre. Or il n’en est rien, car, premièrement, contrairement aux entités problématiques, les situations possibles et les faits négatifs sont conçus de manière tout à fait intelligible et ne présentent aucun problème de cohérence interne[29]. Deuxièmement, ils sont le fruit de l’analyse correcte du langage sensé et, troisièmement, ils ne sont pas le fait d’une explication platonicienne de la signification. J’ai traité de manière approfondie de la première de ces trois raisons dans un article à paraître sur la nature des entités complexes, et je pense que les sections 3.1 et 3.2 du présent article suffisent à elles seules à montrer que les situations possibles et les faits sont bel et bien admis par Wittgenstein en raison de son analyse de la proposition sensée. Je me concentrerai donc ici sur le fait que cet engagement n’est pas problématique pour la dernière des trois raisons susmentionnées.
Si les situations possibles et les faits ne contreviennent pas à l’anti-platonisme de Wittgenstein, c’est essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, contrairement aux entités logiques abstraites de Frege et de Russell, les situations possibles et les faits du Tractatus ne sont pas pleinement abstraits. En effet, comme nous l’avons souligné à la section 3.1, les situations possibles ont pour constituants les objets simples qui subsistent dans le monde (4.1211). Il ne s’agit donc pas d’entités complètement séparées du monde dans lequel nous sommes, mais plutôt des entités qui dépendent, pour leur existence, des objets simples qui les constituent : ces entités ne peuvent exister que si leurs constituants existent. Mais on pourrait penser qu’elles sont même dépendantes des objets simples en un sens encore plus fort : leur possibilité est inscrite dans leurs constituants (2.012). Ainsi, si l’on peut dire qu’il y a de telles entités, ce n’est pas sur la base d’un réflexe platonisant qui consiste à invoquer l’existence, dans une réalité extérieure au langage, d’entités abstraites qui seraient possibles de tout temps et indépendamment de la réalité, mais bien parce que ces entités sont ontologiquement fondées dans la réalité concrète. Le fait qu’il y ait, en un certain sens, une situation possible correspondant en la possibilité que a soit dans la relation R à b n’est pas qu’une vaine postulation platonicienne, mais découle en bonne partie de la nature des entités concrètes, de la forme de la réalité, et de la forme logique du langage. On pourrait dire qu’il n’y a pas de telle entité si la forme de la réalité, la nature des objets simples est telle qu’une telle situation n’est pas possible ou que la forme logique du langage ne permet pas pareille possibilité.
Ensuite, ce ne sont pas des entités que Wittgenstein a été contraint de postuler afin de rendre compte de la question de savoir comment on comprend le sens d’un énoncé indépendamment de sa valeur de vérité. Contrairement à la théorie de Russell sur la question, Wittgenstein a une explication de la façon dont on en arrive à saisir le sens qui ne fait pas appel à une supposée « expérience logique » ou « acquaintance logique », une explication du type de celle que l’on obtient, pour ainsi dire, lorsque la logique prend soin d’elle-même. En effet, même si la compréhension du sens consiste, pour Wittgenstein, en la saisie d’une situation possible, l’existence de celle-ci n’est pas une condition nécessaire à la possibilité de la compréhension du sens. Elle n’est que le résultat de la compréhension. Pour Wittgenstein, on comprend le sens d’un énoncé en voyant que les noms de l’énoncé réfèrent à tel et tel autre objet, et la forme de l’énoncé, sa structure logique, montre quant à elle dans quelle configuration ces objets sont dits être ou ne pas être. C’est en ce sens, nous dit-il, que l’énoncé « construit » ce qu’il représente (4.023 et Carnets, 16(3)) et ainsi « montre son sens » (4.022). Tout ce qui est impliqué dans le processus de compréhension du sens n’a donc rien de mystérieux : il ne s’agit que de symboles linguistiques, de leurs propriétés syntaxiques et sémantiques qui montrent ce qu’il y a à comprendre, et qui peut ainsi être directement saisi à partir de ces seuls symboles. Autrement dit, tout ce qui est nécessaire à cette compréhension est présent dans le langage, et on peut en rendre compte uniquement à partir de celui-ci. Sa position est donc l’inverse de celle de Russell pour qui on ne peut comprendre un énoncé que si, au préalable, il y a une forme logique abstraite de l’énoncé et que si l’on saisit cette forme logique dans une acquaintance logique. Chez Wittgenstein, s’il y a, dans le processus, une entité abstraite, une situation possible, ce n’est qu’au terme du processus : ce que je saisis lorsque je vois que les noms dans l’énoncé réfèrent à tel et tel autre objet et qu’ils sont dits subsistés dans telle configuration, c’est une situation consistant en la possibilité de cette configuration. Mais il n’est nullement nécessaire de postuler l’existence d’une telle entité pour expliquer la compréhension. C’est en ce sens que son explication n’est pas platonicienne et ne contrevient aucunement à son anti-platonisme.
6. Conclusion : dans quelle mesure Wittgenstein est-il russellien ou meinongien ?
Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Wittgenstein n’a pas d’objection de principe de nature ontologique à l’idée d’admettre des entités inexistantes. Sa position en matière d’engagement ontologique est donc distincte aussi bien de celle de Russell que de celle de Meinong. Contrairement à ces deux penseurs qui ont effectivement une position plus dogmatique ou théorique sur la question, Wittgenstein a adopté une position beaucoup plus pragmatique. Pour lui, seul le langage et la bonne analyse du langage peuvent trancher cette question. Ainsi, quelle que soit leur catégorie, la question de l’admission ou non des entités inexistantes est ouverte et dépend, en définitive, de la bonne analyse des énoncés concernés. L’analyse montre ainsi que, comme les partisans de la lecture russellienne l’ont bien vu, il n’y a pas de raison d’admettre des objets simples ou complexes simplement possibles ou des objets logiques, mathématiques, ou des formes logiques d’énoncés. Toutefois, comme les partisans de la lecture meinongienne l’ont souligné, il en va autrement de l’admission des situations possibles et des faits négatifs. Dans ce cas-ci, on a tout lieu de penser que Wittgenstein admet de telles entités, d’une part, parce que le langage sensé nous y engage, et d’autre part, parce que Wittgenstein n’a pas d’objection de principe à l’idée d’admettre de telles entités ni même d’objections spécifiques à l’idée d’admettre précisément ces entités parce que leur admission ne procède pas d’une explication platonicienne de la saisie du sens, mais bien de l’analyse des énoncés sensés. Loin d’être incompatible avec sa conception de la philosophie du langage comme analyse du langage, en fait, lorsqu’elle est bien comprise, cette conception nous permet de voir et de comprendre pourquoi il n’y a rien de problématique dans l’admission de telles entités et qu’il n’y a pas, dans le Tractatus, de position paradoxale relativement à la question de l’engagement ontologique à l’égard de situations possibles et de faits. Ainsi, entre sens robuste de la réalité et préjugé en faveur de la réalité, il semble bien qu’il y ait un point de vue wittgensteinien qui ne soit pleinement réductible ni à l’un ni à l’autre, et qui ait pour conséquence de nous donner un monde relativement peu peuplé d’entités inexistantes, bien qu’il n’en soit pas complètement dénué.
Appendices
Remerciements
La rédaction de ce texte a été en partie rendue possible par une subvention de recherche octroyée par le fonds de recherche de la Direction de la recherche et du développement du collège Édouard-Montpetit. Je tiens ici à la remercier de son soutien. Mes remerciements vont également à Denis Fisette pour son invitation à présenter une version abrégée de ce texte lors des conférences Hugues Leblanc ainsi qu’aux participants à cette conférence, et plus particulièrement à Kevin Mulligan à qui mes travaux sur Wittgenstein sont redevables plus qu’à quiconque.
Notes
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[1]
L. Wittgenstein, Logisch-philosophische Abhandlung/Tractatus Logico-philosophicus, édition critique, édité par B. McGuiness et J. Schulte, Francfort, Suhrkamp, 1998 (désormais : Tractatus). Les références à cet ouvrage ont été faites directement dans le texte où j’ai tout simplement indiqué le numéro de la remarque citée. Toutes les traductions sont de moi.
-
[2]
Il s’agit des remarques 1 à 2.063 du Tractatus.
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[3]
Selon von Wright, Wittgenstein aurait fait envoyer une copie de son manuscrit à Frege en décembre 1918 (cf., von Wright, 1982, p. 76-77). Frege a répondu à l’envoi du manuscrit par des commentaires critiques et des questions dans une première lettre datée du 28 juin 1919, puis, par la suite, en réponse à d’autres missives de Wittgenstein, dans trois lettres datées respectivement du 16 et du 30 septembre 1919 et du 3 avril 1920 (cf., Frege, 1989, p. 19-26). La toute première remarque de Frege au sujet du Tractatus sera d’ailleurs qu’il trouve le traité « difficilement compréhensible » (« Ich finde sie schwer verständlich », Frege, 1989, p. 19), une accusation qu’il répètera à maintes reprises dans toutes ses lettres et qu’il attribuera à un certain nombre d’ambiguïtés particulièrement présentes dans les remarques exposant l’ontologie. Quant à Russell, nous savons que Wittgenstein a réussi à lui faire envoyer le dernier exemplaire du manuscrit en sa possession en juin 1919, alors qu’il était encore détenu au camp de Monte Cassino (cf. von Wright, 1982, p. 72). La lettre contenant la réponse de Russell à l’envoi de Wittgenstein a été perdue, mais nous avons la réponse de Wittgenstein à cette lettre dans laquelle il reprend les questions de Russell et y répond succinctement. Cette dernière est parue en appendice des Carnets (à ce sujet, cf. Correspondance, p. 130-131). On y trouve un bon nombre de questions de compréhension au sujet des différentes catégories de l’ontologie.
-
[4]
Cf. Frege, 1989, p. 24-26.
-
[5]
Les meilleurs exemples d’incohérence ou d’apparence d’incohérence dans la section exposant l’ontologie se trouvent, d’une part, aux remarques 2 et 2.06, et, d’autre part, aux remarques 2.04, 2.06 et 2.063. Ces incohérences seront à l’origine d’un certain scepticisme à l’égard de la possibilité de comprendre l’ontologie du Tractatus, un scepticisme qui s’est exprimé dès les années 60 dans l’oeuvre de Favrholdt et qui semble expliquer en partie que l’on se soit détourné de cette section pour se concentrer sur la philosophie du langage du jeune Wittgenstein (cf. Favrholdt, 1964, p. 40).
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[6]
Frege soulève la question notamment pour les états de choses (cf. Frege, 1989, p. 20).
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[7]
Cf. Russell, 1984, p. 97-100.
-
[8]
L. Wittgenstein, Notebooks, 1914-1916, 2e éd., édité par G. H. von Wright et G. E. M. Anscombe, avec une traduction anglaise de G. E. M. Anscombe, Chicago, Chicago University Press, 1979 (désormais : Carnets). Toutes les références à cet ouvrage seront dorénavant données directement dans le texte entre parenthèses avec le numéro de la page et le nombre ordinal de la remarque à partir du haut dans une seconde paire de parenthèses. Les traductions sont de moi).
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[9]
Carruthers, 1989, p. 24.
-
[10]
Cf. Carruthers, 1989, p. 25.
-
[11]
J’ai soutenu et défendu cette dernière position dans ma thèse de doctorat (Cf. Plourde, 2004, chapitre 7). Guido Bonino a soutenu récemment une thèse proche de celle-ci puisque, selon lui, ce qu’une proposition représente, son « contenu descriptif » est, comme les objectifs meinongiens, « au-delà de l’être et du non-être » et, par conséquent, jamais actuel (Cf. Bonino, 2008, p. 110).
-
[12]
Sur ce sujet, voir également Bonino, 2008, p. 60-90 et McDonough, 1986, p. 16-33.
-
[13]
Stenius, 1960, p. 98 (c’est moi qui souligne).
-
[14]
Stenius, 1960, p. 141 (c’est moi qui souligne).
-
[15]
Simons, 1992, p. 335. Voir également Simons, 1993.
-
[16]
Simons, 2004, p. 4 (c’est moi qui souligne).
-
[17]
À ma connaissance, seuls Guido Bonino et Ray Bradley ont osé renoncer complètement à une telle idée. Bonino a ainsi fait des états de choses possibles des entités meinongiennes en ce sens qu’il s’agit selon lui d’entités qui, comme les objectifs meinongiens, sont au-delà de l’être et du non-être, tandis que Bradley en fait des entités en partie actuelles et en partie simplement possibles (cf. Bonino, 2008, et Bradley, 1992). La principale difficulté avec la thèse de Bonino est qu’il n’y a pas de preuve directe de l’adhésion de Wittgenstein à une telle thèse et qu’il n’est nullement question d’une telle distinction dans le Tractatus, ni même dans les écrits prétractariens. Sa thèse ne repose en fait que sur son interprétation de la théorie tractarienne du sens, une interprétation qui rencontre plusieurs difficultés (cf. Plourde, à paraître). Quant à la thèse de Bradley, elle n’est tout simplement pas crédible. En effet, comme j’ai eu l’occasion de le montrer, sa démonstration ne repose, en définitive, que sur une pétition de principe en faveur de la lecture possibiliste (cf. Plourde, 2004, chapitre 5 et Plourde, 2001).
-
[18]
À ce sujet, voir Plourde, 2005.
-
[19]
Russell, 1984, p. 97.
-
[20]
Russell, 1984, p. 99.
-
[21]
Sur les liens entre la théorie du jugement de Russell et la théorie de l’image du Tractatus, cf. Pears, 1987, Plourde, 2005, et Bonino, 2008.
-
[22]
Ce sont notamment sur ces passages que David Pears a élaboré son interprétation de la théorie de l’image selon laquelle celle-ci n’engagerait pas à admettre des situations possibles (cf. Pears, 1987). Je l’ai présenté et critiqué longuement dans mon article sur Wittgenstein et les théories du jugement de Russell et de Meinong. À ce sujet, cf. Plourde, 2005.
-
[23]
Cf. Simons, 1992. Sur la distinction entre les complexes ou les faits russelliens et les faits chez les Autrichiens de l’école de Brentano, cf. Correia et Mulligan, 2008.
-
[24]
Cf. Plourde, 2005.
-
[25]
Sur cette question, cf. Simons, 1992.
-
[26]
NL, p. 96.
-
[27]
Russell, 1984, p. 79.
-
[28]
Correspondance, p. 127
-
[29]
Cf. Plourde, 2005a, et Plourde, 2004, chapitre 7. La position qui y est exposée prend au sérieux l’idée que les situations et les faits sont, respectivement, des possibilités de subsistance ou de non-subsistance d’états de choses (2.11, 2.201) et la subsistance ou la non-subsistance d’états de choses (2.1 et 2.06). Autrement dit, ce sont des entités complexes de second ordre, un peu comme les objectifs meinongiens, et non des complexes russelliens. Bref, pour l’exprimer dans les mêmes termes que Kevin Mulligan et Fabrice Correia ont employés, ce sont plutôt des faits autrichiens que des faits anglais. Sur cette question, cf. Correia et Mulligan, 2008.
Bibliographie
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