Abstracts
Résumé
Dans ce texte, nous proposons un cadre, qui vise à intégrer les contributions des approches constructionnistes et biologiques dans un domaine précis, celui des maladies mentales. Pour ce faire, nous utiliserons quelques propositions récentes faites par des philosophes de la biologie — plus spécifiquement les idées avancées par les tenants de la « théorie des systèmes développementaux » (TSD dans ce qui suit ; Griffiths et Gray, 1994 ; Griffiths et Stoltz, 2000 ; Oyama, 1999) ainsi que la notion d’« enracinement génératif » (generative entrenchment ; Wimsatt, 1986, 1999, 2000).
Abstract
In this paper, we are proposing a framework to integrate the core insights of the constructivist and biological approaches of mental illness. In order to do so, we will use some recent propositions by philosophers of biology, specifically ideas put forth by «developmental system theory» (Griffiths et Gray 1994, Griffiths et Stotz 2000 ; Oyama 1999) and the notion of «generative entrenchment» (Wimsatt 1986, 1999, 2000).
Article body
Ce n’est un secret pour personne, il existe de fortes tensions entre les approches dominantes en sciences sociales et celles qui prédominent dans les sciences de la nature. Dans un texte récent, le philosophe de la biologie, D. S. Wilson, résumait la situation ainsi :
Ces débats [entre les constructionnistes sociaux et les scientifiques qui s’inspirent de la théorie de l’évolution] sont devenus si polarisés qu’ils révèlent les pires aspects tribaux de notre espèce. Chaque camp voit en l’autre un ennemi dont les positions n’ont ni contenu ni fondement rationnel, mais sont de nature purement idéologique. Les positions intermédiaires sont devenues des no man’s land où personne n’ose s’aventurer.
D. S. Wilson, manuscrit
S’il est vrai que les échanges entre constructionnistes sociaux et évolutionnistes ont souvent été acrimonieux et la rhétorique utilisée souvent marquée par une agressivité peu commune dans les milieux scientifiques, il reste que le diagnostic de Wilson n’est pas tout à fait exact. Les dernières années ont en effet vu émerger quelques propositions visant à mettre un terme à ce qui semblait bien être un dialogue de sourds. Dans plusieurs domaines (comme l’étude de la religion, des émotions, des races, etc.), des efforts ont été entrepris pour construire des ponts entre des approches jugées de prime abord incompatibles (voir, entre autres, Boyer, 2001 ; Hacking, 1999 ; Mallon et Stich, 2000 ; Sperber, 1996). Nous croyons cependant que ces efforts ont laissé les partisans des deux camps sans terrain d’entente pour développer de véritables interactions. En effet, dans la majorité des cas, les solutions proposées reposent sur l’idée que chacune des approches travaille sur un aspect du même phénomène, plutôt que sur sa totalité. Une division du travail est ensuite généralement suggérée, ce qui permet aux partisans de chaque approche — qui comprennent que leurs recherches ne se contredisent pas, mais portent au contraire sur le même phénomène vu d’un autre angle — d’enterrer la hache de guerre et de travailler paisiblement sans nécessairement avoir à se soucier de ce qui se passe dans l’autre approche. Si cette division du travail a pour résultat de consacrer la fin des querelles stériles et le début du travail progressif, il reste que ce modèle de solution semble laisser les chercheurs chacun de leur côté de la barrière. Or nous croyons qu’il est nécessaire, pour des raisons qui reposent sur certains modèles biologiques (que nous présenterons) et neurologiques du développement (voir Poirier, Faucher et Lachapelle, à paraître), que les rapports entre chercheurs aillent au-delà du respect mutuel et évoluent vers une intégration plus soutenue. Dans ce texte, nous proposons un tel cadre, qui vise à intégrer les contributions des approches constructionnistes et biologiques dans un domaine précis, celui des maladies mentales. Pour ce faire, nous utiliserons quelques propositions récentes faites par des philosophes de la biologie — plus spécifiquement les idées avancées par les tenants de la « théorie des systèmes développementaux » (TSD dans ce qui suit ; Griffiths et Gray, 1994 ; Griffiths et Stoltz, 2000 ; Oyama, 1999) ainsi que la notion d’« enracinement génératif » (generative entrenchment ; Wimsatt, 1986, 1999, 2000). Comme nous l’avons dit plus haut, nous considérons que ces notions non seulement justifient l’intégration des approches, mais peuvent également leur fournir un cadre.
Avant de proposer ce cadre, il est utile de décrire les deux approches en détail. Aussi distinguerons-nous les différentes versions du constructionnisme social et présenterons-nous l’approche biologique dans la section 2. Dans la section 3, nous décrirons l’approche du développement qui inspire notre proposition ainsi que quelques-unes des notions de la philosophie de la biologie nécessaires à l’intégration des approches. Enfin, dans la section 4, nous examinerons trois exemples de maladies mentales dont l’explication demande un cadre comme celui que nous avons proposé.
2. Les deux approches
Un élément important dans la résolution du conflit entre l’approche constructionniste et l’approche biologique réside dans une bonne compréhension de ce que chacune affirme vraiment. Ce travail semble particulièrement important pour le constructionnisme social, qui prend plusieurs formes dans la littérature. Avant d’aller plus loin, cependant, il convient de définir ce qu’est le constructionnisme social. De façon générale, il met l’accent sur le rôle des conditions sociétales dans la constitution des phénomènes étudiés (que ce soit les races, les genres sexuels ou les émotions, par exemple), par opposition aux croyances et désirs individuels, d’une part, et aux forces physiques ou biologiques, d’autre part. Le constructionnisme social est donc distinct de ce que l’on pourrait nommer le constructionnisme psychologique (qui mettrait par exemple dans l’élaboration de traits particuliers, l’accent sur le rôle de l’individu, de ses croyances et désirs ainsi que des circonstances individuelles), mais également du constructionnisme biologique (qui mettrait l’accent sur le rôle des évènements biologiques, la maturation de certaines aires du cerveau, les effets de certains phénomènes physiques sur la constitution du cerveau adulte, etc.).
Il existe plusieurs formes de constructionnisme social. Haslanger (1995), par exemple, en distingue trois : la forme constitutive, la forme pragmatique et la forme causale. Dans sa forme constitutive, le constructionnisme social est une thèse affirmant qu’un x est construit si et seulement si, en le définissant, il est nécessaire de faire référence à des facteurs sociaux (ces facteurs sociaux peuvent être de grands systèmes de signification ou bien des types de relations sociales : par exemple, une personne est « cool » si elle est appréciée par ses pairs pour un certain type de raison). Dans sa forme pragmatique, le constructionnisme social est plutôt une thèse affirmant qu’un x est construit si et seulement son usage est déterminé, au moins en partie, par des facteurs sociaux (dans un sens, il est possible de dire que l’usage de tous les concepts humains est déterminé par des facteurs sociaux) comme l’intérêt. Cette thèse trivialise l’idée de construction. Il existe une forme plus substantielle de construction qui met l’accent sur des facteurs sociaux particuliers, par exemple, sur le rôle des objectifs politiques de domination ou d’oppression dans la formation des concepts). Finalement, dans sa forme causale, le constructionnisme social est une thèse affirmant que l’existence ou la forme d’un x dépend, dans une large mesure, de facteurs sociaux (ces facteurs peuvent être discursifs ou bien d’un autre ordre, comme dans les cas où les comportements sont le résultat de normes comportementales non explicites). Bien que ces formes de constructionnisme ne soient pas incompatibles entre elles et donc que souvent les constructionnistes sociaux défendent simultanément les trois formes de constructions (par exemple, dire que la race de quelqu’un est construite socialement, c’est parfois dire que sa race (1) n’est pas une donnée naturelle, mais que (2) son existence dépend d’un système de signification mis en place au dix-huitième siècle (le racialisme scientifique), (3) que le concept a été utilisé pour masquer les intérêts de domination des Européens et que (4) les effets de ce concept sont visibles à la fois dans l’organisation sociale et dans les comportements individuels), nous nous intéresserons plus particulièrement dans ce qui suit à la construction causale. Comme le remarque Church (2004), affirmer qu’un phénomène est construit socialement (au sens causal) signifie plus qu’affirmer qu’il a des causes sociales. La construction « implique l’émergence de nouvelles structures, dans lesquelles des éléments ou des caractéristiques variés, qui étaient auparavant séparés, sont réunis pour former un nouveau tout » (p. 395). Comment cela est-il possible ? Church identifie deux processus de construction : le premier passe par l’émergence de nouvelles conditions sociales qui créent de nouvelles régularités nomiques entre des comportements et expériences qui étaient auparavant séparés (un exemple de ce type de construction est le lien entre le refus de manger, l’image du corps, le retard dans le développement psycho-sexuel et le désir de contrôle accru qui semble caractéristique de l’anorexie, lien qui n’apparaît que sous l’impulsion de forces sociales au XXe siècle) ; le second fonctionne par l’intermédiaire de croyances en l’existence des régularités nomiques, alors qu’elles n’existent pas en fait (un exemple de ce type de construction est l’hystérie. La forme des comportements des patients que l’on croyait atteints de ce mal était expliquée par les croyances concernant les manifestations de la maladie). Une grande partie du discours constructionniste sur les maladies mentales met l’accent sur le second processus de construction. Comme nous le soutiendrons, cette pratique néglige le premier processus et, de ce fait, restreint le sens de construction sociale.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le constructionnisme social concernant les maladies mentales a pris plusieurs formes. Avant tout, il convient donc de les catégoriser. La catégorisation que nous proposons se fait selon deux axes : tout d’abord, l’ampleur ou l’étendue du scepticisme vis-à-vis des maladies mentales, et, ensuite, la profondeur de la construction.
2.1 Le constructionnisme social: quelques distinctions
Au regard des maladies mentales, le constructionnisme social se réduit souvent à une forme d’anti-réalisme ou de scepticisme. Les théories constructionnistes varient cependant selon l’ampleur ou l’étendue de leur anti-réalisme ou de leur scepticisme. Dans sa version la plus extrême, le constructionnisme social propose une forme de « scepticisme global» ou SG, car les tenants de cette approche maintiennent que le concept même de « maladie mentale » n’a pas de référent dans la réalité (ce scepticisme global n’implique pas nécessairement une forme de scepticisme beaucoup plus globale selon lequel la réalité au complet est une construction sociale. Les tenants de la première approche peuvent donc être réalistes concernant le monde et sceptiques concernant la catégorie « maladie mentale »). Par exemple, dans un texte qui est devenu un classique de l’anti-psychiatrie, Thomas Szasz, un des défenseurs de cette forme de scepticisme, écrivait que :
La croyance en la maladie mentale comme étant quelque chose d’autre que le fait, pour un individu, d’avoir des problèmes à s’entendre avec ses semblables est l’héritière des croyances en la démonologie et en la sorcellerie. La maladie mentale existe ou est « réelle » exactement dans le même sens que les sorcières ont existé ou étaient « réelles »[2].
1960, 117
Pour les constructionnistes comme Szasz, le concept de maladie mentale repose en fait sur une analogie trompeuse avec le concept de maladie physique. Cette analogie aurait deux fonctions principales : premièrement, elle détourne l’attention des véritables sources des problèmes de l’individu (par exemple, de quelques arrangements sociaux fautifs, comme une relation amoureuse dysfonctionnelle) en localisant les causes du comportement déviant à l’intérieur de la tête du patient ; deuxièmement, elle a une fonction de ségrégation et de contrôle des personnes socialement indésirables, fonction qu’elle masque sous l’image de la science objective (en ce sens, Szasz est à la fois un constructionniste causal et pragmatique). Parce que l’analogie ne repose pas sur une base solide (comme nous le verrons bientôt) et qu’elle n’a pour but que de faire diversion et de masquer l’exercice d’un pouvoir arbitraire sur les individus, les tenants du constructionnisme social SG croient que nous devrions nous passer du concept de maladie mentale, aussi en demandent-ils l’élimination.
Pour ce type de constructionnisme, les maladies mentales sont des rôles sociaux qui sont plus ou moins imposés à une classe de déviants sociaux (plus ou moins imposés, parce que, parfois, il semble que ce soit l’individu lui-même qui décide qu’un certain rôle lui convient). Les rôles sociaux sont internalisés par un processus dans lequel les déviants en viennent à se conformer aux attentes de la société. Scheff (1966) écrit par exemple que :
Pendant une crise, quand la déviance d’un individu devient une affaire publique, le stéréotype traditionnel de la folie devient une image guidant l’action, à la fois pour ceux qui réagissent au déviant et pour le déviant lui-même. Lorsque les agents sociaux et les membres de l’entourage du déviant réagissent à celui-ci de façon uniforme, du point de vue des stéréotypes traditionnels de la folie, son comportement iconoclaste (rule-breaking), sans forme et non-structuré, tend à se cristalliser en conformité avec ces attentes. Il devient similaire au comportement des autres déviants classifiés comme malades mentaux, puis il devient stable avec le temps. Le processus d’uniformisation et de stabilisation est complété quand l’imagerie traditionnelle en vient à faire partie de l’orientation du déviant pour guider son comportement[3].
p. 82 ; cité par Jovanovski, 1995Nous soulignons
Ainsi, la stabilité d’un type de maladie mentale — c’est-à-dire le fait que le comportement et les réactions des patients « souffrant de la même maladie » sont similaires et que la maladie persiste dans une société pendant une certaine période de temps — dépend des représentations, normes et attentes particulières d’une société. Sans elles, les maladies mentales n’existeraient pas. Nous reviendrons sur cette idée plus tard.
Le SG n’est plus, de nos jours, la forme la plus populaire du constructionnisme social. Celle qui semble plutôt avoir la faveur des historiens, anthropologues et philosophes est une forme plus restreinte d’anti-réalisme ou de scepticisme, que nous nommerons scepticisme ponctuel (SP). Le SP, contrairement au SG, remet uniquement en question la réalité de certaines maladies mentales particulières. Il ne remet donc pas en cause le concept de « maladie mentale », mais il doute du fait que le concept s’applique vraiment à certains cas qu’on considère comme étant des cas de maladie mentale. Par exemple, certains constructionnistes doutent de l’existence (permanente, puisqu’il faut dire que certains peuvent accepter l’existence temporaire d’une maladie (Hacking, 1998) ou de la réalité de certaines maladies mentales du passé comme l’hystérie (Micale, 1993) ou la neurasthénie (Abbey et Garfinkel, 1991) ; d’autres sont sceptiques au sujet d’entités actuellement considérées comme des maladies, telles que l’alcoolisme (Fingerette, 1988), le trouble de personnalité multiple (Hacking, 1995 ; Borch-Jacobsen, 2002 ; Mulher, 2001) et le syndrome de stress post-traumatique (Young, 1995, 2001) ; d’autres encore (Bartholomew, 2000) dénoncent l’« impérialisme médical » occidental qui fait en sorte que les psychiatres considèrent erronément comme maladifs certains comportements exotiques du point de vue culturel (le latah[4], par exemple). Si tous ces constructionnistes sont sceptiques quant à certaines maladies mentales anciennes ou contemporaines, ils reconnaissent généralement l’existence de certaines maladies universelles et transculturelles comme l’autisme ou la schizophrénie (Hacking, 1999, 2000 ; Jovanovski, 1995 ; Borch-Jacobsen 2002). Selon eux, les maladies du premier groupe sont des « idiomes culturels locaux de détresse », exprimant les problèmes ou les sentiments de mal-être d’une façon qui est sanctionnée par la société. Pour utiliser l’expression de Hacking (1999), ce sont des « maladies mentales transitoires » (par contraste avec les « maladies mentales permanentes ») : elles apparaissent à un moment particulier de l’histoire dans certaines cultures, se développent et prospèrent pendant un certain temps, puis elles disparaissent.
Hacking résume en fait assez bien ce que nous considérons comme le noyau de la version SP du constructionnisme social en invoquant deux idées. La première est que nous sommes des « créatures ou des espèces interactives » en ce que nous réagissons aux étiquettes qui nous sont accolées. En effet, contrairement aux simples objets, que Hacking nomme « espèces indifférentes », nous sommes touchés et transformés par les étiquettes que l’on nous attribue ou que nous nous appliquons. Il nomme « effet de rétroaction » cette transformation qui fait que l’étiquette change l’objet qu’elle est censée décrire :
Les auteurs et les frères sont des espèces d’individus, tout comme le sont les enfants télespectateurs et les Zoulous. Les individus qui appartiennent à ces classes peuvent prendre conscience du fait qu’ils sont classifiés ainsi. Ils peuvent faire des choix tacites ou même explicites, s’adapter ou adopter certaines manières de vivre de façon à se conformer à la classification qui pourrait leur être appliquée ou à s’en distancier[5].
Hacking, 1999, p. 5
La seconde idée est que la propagation des étiquettes (et des conceptions qui leur sont associées) et leur « degré de contagion », pour utiliser le vocabulaire de l’épidémiologie, dépendent des vecteurs culturels qui les maintiennent. Ces vecteurs en viendraient-ils à disparaître que les troubles qui en dépendent deviendraient moins contagieux et disparaîtraient peut-être. Dans Rewriting the Soul (1995), Hacking explique que le concept du trouble de personnalité multiple s’est propagé par des vecteurs tels que la croyance en la mémoire traumatique, le féminisme, le mauvais traitement des enfants, une certaine conception de la personnalité héritée des romantiques, les rites sataniques, mais également les thérapies de groupe et certains types d’émissions de télévision. Les coups portés à certaines de ces idées, comme le travail d’Élizabeth Loftus (1993) sur la validité de la remémoration des souvenirs réprimés ainsi que les doutes concernant le succès des thérapies de groupe (ou individuelles) à réunifier les personnalités fragmentées, ont énormément freiné la progression exponentielle du trouble de personnalité multiple, à tel point que maintenant plusieurs pensent qu’il disparaîtra bientôt[6].
L’examen des idées de Hacking nous conduit au second axe : les constructionnistes sociaux défendent une forme soit superficielle, soit profonde de la construction. La position de Szasz ou de Scheff concernant la construction peut être comprise comme affirmant que celle-ci est superficielle. Ils espèrent que l’élimination du concept de maladie mentale et des pratiques d’exclusion qui lui sont associées entraînera la disparition du rôle social imposé à la classe de déviants auxquels le concept est appliqué. Ils ne croient pas que ces rôles soient « essentiels », c’est-à-dire qu’ils fassent en quelque sorte partie de la nature des déviants. La position de Hacking concernant les maladies mentales transitoires indique elle aussi un certain degré de superficialité dans la construction. Cela est particulièrement évident si l’on contraste sa conception des maladies mentales « transitoires » avec ce qu’il pense des maladies mentales « permanentes ». Hacking maintient que, dans le cas des maladies mentales permanentes (à savoir celles qui ne disparaissent pas avec les vecteurs culturels sur lesquels la conceptualisation de la maladie repose), les étiquettes réfèrent à des espèces biologiques indifférentes, c’est-à-dire que les propriétés phénotypiques de surface (les symptômes) sont expliquées par un substrat biologique commun à toutes les instances d’une maladie particulière (par exemple, un groupe de gènes défecteux).
Nous pouvons comprendre ainsi ce qu’il dit : imaginez que vous vous cassez la clavicule. Parce que vous n’avez jamais fait l’expérience de ce genre de blessure auparavant, il est possible que vous pensiez que vous souffrez en fait d’une luxation. La façon dont vous percevez votre blessure changera la façon dont vous allez vous comporter (vous allez peut-être demander aux gens autour de vous de vous tirer sur le bras pour le remettre en place), mais ce comportement n’affectera pas ce que montreront les radiographies, soit une clavicule cassée. Une histoire similaire vaudrait pour les maladies mentales : une « chose » biologique (des gènes défectueux, une lésion, une partie du cerveau dont le développement n’est pas normal) cause un trouble, mais cette « chose » n’est pas affectée par les étiquettes qui sont utilisées pour y faire allusion (ni par les conceptions qui les accompagnent). S’il y a véritablement un substrat biologique B commun à tous ceux qui souffrent de la maladie mentale M, alors B est ce à quoi se rapporte le concept M. Les stéréotypes associés à M (les idées à propos de son étiologie, les expériences vécues par ceux qui en sont atteints, le type de personne qui en souffre, etc.) susceptibles d’affecter le comportement de ceux qui les subissent peuvent varier d’une culture à l’autre, mais ils n’affectent pas B dans son essence. Ils peuvent, au mieux, faire varier la façon dont les individus se pensent eux-mêmes, le type de symptômes qu’ils exprimeront (parce que ces symptômes seront renforcés par les thérapeutes qui entretiennent certaines théories au sujet de la maladie) ou la manière générale dont on conçoit celle-ci. La construction est ainsi superficielle, laissant l’essence biologique du trouble intacte[7]. Dans le cas des maladies mentales transitoires, où il n’y a pas, par définition, d’essence biologique (unique) commune à tous ceux qui « ont » la maladie et où l’existence de celle-ci dépend de vecteurs culturels passagers, il semble que l’idée de la construction soit superficielle. Au tournant du siècle, les gens souffraient d’hystérie ou de neurasthénie, ils souffrent aujourd’hui d’un trouble de personnalité multiple, d’un syndrome de stress post-traumatique ou de fatigue chronique.
Il se trouve cependant quelques chercheurs qui considèrent le genre de constructionnisme à la Hacking trop superficiel. Comme on vient de le voir, pour ces constructionnistes, l’influence de l’environnement culturel et social semble limitée dans le cas des maladies permanentes. Cette influence ne transforme pas la nature de la maladie. Kleinman décrit cette version — que l’on pourrait qualifier de dualiste — des relations entre les facteurs biologiques et sociaux en ces termes :
Dans cette version révélée de la vérité psychiatrique, la biologie est censée «déterminer» la cause et la structure du trouble, alors que les facteurs culturels et sociaux, tout au plus, en «informent» ou en «influencent» le contenu. L’exemple classique est celui des délires paranoïdes dans la schizophrénie ou dans la psychose dépressive : le trouble, biologique à la base, cause le processus de pensées délirantes, mais le système de croyances culturelles organise le contenu de la pensée paranoïde — ici ce sera la peur que la CIA tente de vous faire du mal, là, l’idée que le coupable est le KGB ».
1987, p. 450Nous soulignons
La forme superficielle du constructionnisme ne semble pas pouvoir (ou même vouloir) rendre compte du fait que les facteurs sociaux ou culturels peuvent jouer un rôle majeur dans la constitution des maladies mentales. Pour cette raison, certains considèrent qu’un autre type de constructionnisme est nécessaire (un constructionnisme compatible avec ce qu’avancent les tenants de la psychologie culturelle concernant le rôle de la culture dans l’élaboration de l’esprit ; voir par exemple Shweder, 1990[8]), type que nous nommerons « constructionnisme social profond» (CSP ; notez que celui-ci correspond à la première des formes de constructionnisme auquel faisait référence Church et dont nous avions dit qu’elle avait été négligée dans la littérature). Pour Byron Good, un partisan de ce genre de position, les maladies mentales sont « fortement influencées par les processus macro-sociaux, informées par les univers locaux de pouvoir et de signification et constituées en psychologies culturelles distinctives » (p. 231 ; Good défend ici un mélange de constructionnisme constitutif et causal). Eisenberg (1988) défend un point de vue similaire. Pour lui, les étiquettes (et les conceptions afférentes) que nous utilisons pour désigner les maladies mentales influencent les manifestations de celles-ci et leur évolution même :
La façon dont on formule le diagnostic et la façon dont la société répond aux patients a des conséquences sur l’évolution et l’état final de la maladie [...].
Parler de « l’histoire naturelle » de la schizophrénie — comme de tout autre trouble, d’ailleurs — c’est employer une expression trompeuse qui implique le développement de déterminants biologiques intrinsèques. Ce que l’évolution de la maladie révèle est son histoire sociale, c’est-à-dire les facteurs qui la caractérisent à un moment donné, dans une communauté donnée. L’évolution et l’état final de la maladie [...]sont déterminés par la signification que la culture attribue à la maladie, par le traitement auquel le patient a accès et par la pathologie du processus du trouble, lui-même le résultat de l’interaction entre l’agent toxique et la résistance de l’hôte.
Eisenberg, 1988, p. 5Nous soulignons
Pour les partisans du CSP, les maladies mentales particulières ont une essence non seulement biologique mais également culturelle et sociale. Autrement dit, les causes biologiques et les causes culturelles ou sociales contribuent, chacune, à la construction du trouble. Parce qu’ils pensent que le rôle de la culture ou de la société a été négligé par la psychiatrie biologique « sans esprit » (mindless), les tenants de cette forme de constructionnisme mettent l’accent sur le rôle des systèmes culturels ou sociaux dans la constitution des maladies mentales, au détriment des facteurs biologiques (ce qui entraîne une certaine distorsion dans la compréhension de ce qu’ils affirment vraiment).
Par conséquent, cette position remet en question l’idée d’une nosologie transculturelle. En effet, le CSP implique que les nosologies (y compris la nôtre) sont liées à des cultures particulières (Lopez et Guarnaccia mentionnent la réticence des responsables du DSM-IV à inclure des troubles comme l’anorexie et le syndrome de fatigue chronique dans la liste des syndromes liés à la culture, comme si les syndromes culturels devaient être exotiques).
Un exemple du type de dialectique entre les facteurs culturels et biologiques qu’ont à l’esprit les défenseurs du constructionnisme profond est celui qu’ils présument être à l’oeuvre dans le koro, cet état d’anxiété aiguë doublé d’une dépersonnalisation partielle qui amène un individu à croire que ses organes génitaux ont été volés ou ont rapetissé. Dans un article classique sur le sujet, Yap (1965) explique ainsi le rôle du concept de koro dans la genèse du trouble :
Les peurs banales liées aux pollutions nocturnes, à l’impuissance ou à l’incapacité qui y sont associées sont répandues et, en soi, n’ont rien de spécial ou de particulièrement anormal (voir, par exemple, Carstairs, 1956). Cependant, sans le koro et les croyances à son sujet, seule une petite portion des gens qui ont ces problèmes se présenteraient chez le médecin. Ainsi la croyance n’est pas simplement pathoplastique, elle est réellement pathogénique[9].
p. 47
Donc, selon Yap, le koro n’est pas simplement un cas de modulation culturelle d’un état biologique quelconque, mais plutôt un cas où une croyance culturelle à propos d’un état biologique cause l’état pathologique. On peut comprendre ce que dit Yap de deux façons, une seule d’entre elles étant compatible avec le CSP. La première façon de l’interpréter serait de dire que la croyance dans le koro a pour conséquence que les gens interprètent leur état comme étant maladif et se présentent pour cette raison chez leur thérapeute ou leur médecin pour se faire soigner. En ce sens, la croyance « cause » le fait que les gens croient être malades. Autrement dit, sans cette croyance, les gens ne croiraient pas que leur impuissance ou leurs pollutions nocturnes sont le résultat d’un état pathologique et n’iraient pas consulter (de la même façon que vous n’iriez pas voir votre médecin si vous ne pensiez pas que vos quintes de toux sont causées par une bronchite plutôt que par la poussière). La seconde façon d’interpréter ce que dit Yap consiste à supposer que la croyance dans le koro provoque une angoisse très forte chez certains patients, et que cette angoisse leur fait faire des gestes pour échapper à la source de leur peur. Cette version est compatible avec le CSP parce que, dans ce cas, les croyances jouent véritablement un rôle dans le processus causal menant à la maladie (Hacking parle de « bio-looping » pour décrire ce genre de cas).
2.2 L’approche biologique
Même s’ils reconnaissent le fait que la psychiatrie est une entreprise qui a pour fonction de tracer la frontière entre ce qui constitue un comportement normal et un comportement anormal (comme le soutiennent Szasz et Foucault), les tenants de l’approche biologique ne considèrent pas que cette situation est particulièrement problématique. La plupart d’entre eux comptent (implicitement ou explicitement) sur une théorie naturaliste du fonctionnement mental pour déterminer ce qui est véritablement une maladie mentale et éliminer les abus de la psychiatrie (Wakefield, 1992, 1999). Quant à l’idée que les maladies mentales puissent n’être que des constructions sociales, elle est écartée du revers de la main :
[La maladie mentale] a une réalité indépendante des conventions de genres et de classes, et cette réalité peut être décrite [mapped], comprise et traitée de façon systématique et scientifique. Tout comme personne n’insisterait pour dire que la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques sont des construits sociaux, personne ne devrait soutenir que la schizophrénie ou la dépression sont des construits sociaux n’ayant pas de bases physiques[10].
Shorter, 1997, p. viiii
Le noyau de l’approche biologique consiste en l’idée que les comportements déviants et les processus mentaux qui caractérisent les maladies mentales sont en fin de compte le résultat d’altérations du fonctionnement des gènes responsables du fonctionnement correct des neurones ou de la production de neurotransmetteurs impliqués dans les fonctions mentales, ou encore d’altérations de la cytoarchitectonique du cerveau dues soit à ces mêmes gènes ou à des conditions environnementales extrêmes (exposition à un haut niveau de toxines pendant la grossesse, par exemple). Comme Eric Kandel, un champion du réductionnisme, l’écrit : « La base du nouveau cadre intellectuel de la psychiatrie est que tous les processus mentaux sont biologiques, et donc que toute altération de ces processus est nécessairement organique » (1998, p. 464).
Le corrélat de cette position est qu’il n’y a pas d’autre forme de psychiatrie que la psychiatrie biologique, comme l’affirme Guze (1989). Dans son livre de 1992, il soutient de plus que cette psychiatrie biologique place le cerveau « au coeur de la pensée psychiatrique » (p. 59).
Même si les partisans du modèle biologique semblent prêts à admettre le fait que certaines maladies mentales sont causées par les conditions sociales, ils ajoutent généralement, comme Schaffner dans un article commentant le modèle biosocial en médecine, que la référence à ces causes n’est qu’heuristique (1992, p. 315), quelque chose que nous faisons en attendant que les « véritables » causes soient identifiées (ces causes étant habituellement moléculaires ou neuronales ; voir également Schaffner, 1994).
Une illustration de ce point de vue est donnée par Robert Kendell, qui formule ainsi l’approche biologique dans le cadre d’un article sur la schizophrénie :
Le coeur du concept de schizophrénie est l’hypothèse qu’il existe une différence biologique, quantitative ou qualitative, entre ceux qui sont ainsi étiquetés et les autres, et que les schizophrènes sont fondamentalement désavantagés par cette différence. L’élément le plus important, même si c’est loin d’être le seul, qui sert de preuve de cette différence biologique est génétique, la preuve génétique étant au coeur de la différence entre les psychiatres et les chercheurs en sciences sociales. Les psychiatres et les généticiens ont la ferme conviction d’avoir démontré que des facteurs génétiques jouent un rôle majeur dans l’étiologie de la schizophrénie.
1991, p. 70-71
En d’autres termes, les partisans de cette position croient en l’idée que les véritables maladies mentales sont des espèces naturelles, c’est-à-dire qu’il existe quelques propriétés discrètes de la structure du cerveau ou du génome qui sont communes à tous les individus souffrant d’une maladie particulière. Ce sont ces propriétés qui sont causalement responsables des caractéristiques observables de la maladie.
*
Récapitulons brièvement. La version SG du constructionnisme social voit dans la psychiatrie une entreprise de répression qui se cache derrière le manteau de la science. Elle reproche, entre autres, à la psychiatrie son usage d’une analogie trompeuse entre les lésions physiques et les lésions psychologiques. En un sens, le SG et l’approche biologique partagent une hypothèse fondamentale, c’est-à-dire le fait que les véritables maladies mentales sont au fond des maladies du cerveau (cela est vrai, du moins, des versions du SG de Szasz[11] et de Foucault). Le désaccord entre les deux positions semble reposer sur une sorte de pari empirique : les tenants du SG croient qu’aucune des maladies mentales d’hier ou d’aujourd’hui n’a de base physique (ou si elles en ont une, alors elles sont non pas des maladies mentales, mais plutôt des maladies physiques), alors que les tenants de l’approche biologique croient qu’au moins certaines maladies mentales ont une base physique ou sont réductibles à cette base (ce qui ne les empêche pas de croire que les concepts employés pour référer aux maladies demandent peut-être à être raffinés, comme dans le cas de l’autisme qui semble regrouper au moins deux sous-genres, soit les cas hautement fonctionnels d’Asperger et les cas moins fonctionnels de Kanner). Les tenants de la version du constructionnisme SP, quant à eux, s’en prennent à la psychiatrie pour avoir considéré, à tort et pour des raisons parfois (mais pas toujours) liées à celles invoquées par les partisans de la SG, que certains états ou certaines conduites (par exemple l’hystérie, la drapétomanie, l’orgasme clitoridien ou l’homo-sexualité) comme des maladies mentales. Contrairement aux partisans du SG, ils ne remettent pas en cause l’édifice même de la psychiatrie et, pour cette raison, ils sont plus sympathiques aux partisans de l’approche biologique. Dans le cas des « véritables maladies mentales », les partisans de la version SP semblent endosser l’approche biologique dans ses grandes lignes. Pour eux, les facteurs culturels et sociaux ne sont que périphériques lorsque vient le temps d’identifier les causes majeures des « véritables » maladies mentales. Il est en fait possible de concevoir un certain genre d’interaction entre les partisans de la SP et ceux de l’approche biologique où le travail des historiens ou des anthropologues consisterait à tracer le portrait des différentes conceptions d’une maladie à travers le temps ou les cultures, ou bien d’identifier, en vue d’une éventuelle élimination, les troubles qui n’ont pas de bases biologiques et qui dépendent uniquement de vecteurs culturels. Finalement, la CSP suggère que les facteurs culturels ou sociaux jouent un rôle important dans l’élaboration des phénotypes caractéristiques des maladies mentales. Cette forme de constructionnisme se distingue du SG et du SP en ce qu’elle ne s’attaque pas à la psychiatrie dans son ensemble ni aux catégories psychiatriques individuelles, mais accorde aux facteurs culturels et sociaux un rôle important dans la constitution des maladies mentales. Parce qu’elle inclut des facteurs causaux qui sont locaux (les systèmes de signification, les pratiques, etc.), la CSP conduit cependant à critiquer, dans certains cas, lée que les maladies mentales sont transculturelles. Elle se propose donc comme solution de rechange à l’approche biologique classique, sans toutefois être, à notre avis, anti-biologique. Au contraire, les thèses qui sont défendues sous le couvert de cette approche sont totalement compatibles avec certaines approches récentes en biologie. La CSP pourrait, à cet égard, être un vecteur de changement en psychiatrie en motivant l’abandon de l’ancien paradigme biologique de la psychiatrie pour un nouveau paradigme permettant, entre autres, des interactions plus dynamiques et significatives entre les chercheurs des sciences humaines et ceux des sciences de la nature.
3. La théorie des systèmes développementaux et l’enracinement génératif
Dans cette section, nous présentons deux idées récentes provenant de la philosophie de la biologie qui peuvent fournir un cadre favorisant les interactions dynamiques et significatives dont nous avons parlé dans l’introduction. Ce cadre permettrait d’une part de comprendre comment le constructionnisme n’est pas nécessairement anti-biologique, mais également de réinterpréter les thèses constructionnistes sous un nouveau jour (ce que nous ferons à la section 3.3).
3.1 La théorie des systèmes développementaux
La première idée que nous entendons utiliser a été proposée par les partisans de la théorie des systèmes développementaux (TSD). Ce cadre théorique, systématisé entre autres par Oyama, Griffiths et Gray (Oyama, 1999 ; Griffiths et Gray, 1994, 2001) s’oppose aux dichotomies entre gènes et environnement, ou entre biologie et culture, et propose de considérer à la fois le développement et l’évolution comme des « processus de construction et reconstruction dans lesquels des ressources hétérogènes sont réassemblées de façon contingente, certes, mais d’une manière plus ou moins stable à chaque cycle de vie » (Oyama, Griffiths et Gray, 2001, p. 1). Parmi les thèmes au coeur de la TSD, deux idées nous intéresseront particulièrement. La première est ce qu’Oyama nomme « la démocratie causale » (2000), et que Griffiths et Knight (1998) nomment plutôt la « thèse de la parité », et selon laquelle :
[...] les gènes ne sont qu’une des ressources disponibles pour le processus du développement. Il y a une symétrie fondamentale entre le rôle des gènes et celui du cytoplasme maternel ou de l’exposition infantile au langage. L’ensemble complet des ressources développementales représente un système complexe qui est répliqué dans le développement.
Griffiths et Gray, 1994, p. 277
Ainsi, selon la TSD, d’autres facteurs que les gènes doivent être considérés comme des sources d’information à part entière dans le développement (et pas seulement comme faisant partie de l’arrière-plan causal) : la nourriture, la température, la présence de congénères, l’environnement physique, la culture, etc. Un exemple de ce genre d’informations non génétiques est fourni par Fleming et ses collègues (2002). Ceux-ci rapportent que les rats qui sont plus léchés par leur mère présentent un plus haut taux de léchage de leur propre progéniture que ceux du groupe témoin, qui en reçoivent moins. Si les portées des rates qui lèchent moins sont transférées à des rates qui lèchent beaucoup, les petits ratons deviendront de grands lécheurs. Fleming et ses collègues font l’hypothèse que les rates qui ont été léchées davantage sont moins peureuses et timides et développent plus rapidement une attraction pour leurs petits et leurs caractéristiques (odeurs et sons de leurs cris)[12]. Ainsi, il semble que la qualité du comportement maternel d’une jeune rate envers sa portée est le résultat du style de soins maternels qu’elle a reçus. Le phénotype maternel serait donc transmis par l’intermédiaire du comportement de la mère et non par des moyens génétiques. Un autre exemple, qui met en évidence le rôle de l’activité de l’organisme lui-même dans la production de l’information, est cité par Gottlieb (2001) dans ses études sur la reconnaissance des cris maternels de rassemblement chez les canards. Cet auteur a montré, en coupant les cordes vocales des embryons, que les canetons ayant subi cette intervention ne montraient aucune préférence pour le cri de leur mère, par opposition aux canetons normaux. Il semble donc que les propres vocalisations de l’embryon soient suffisantes pour la mise en place du phénotype[13]. Bien sûr, les gènes ont un rôle spécifique à jouer dans le développement, mais cela n’empêche pas les autres facteurs d’avoir également un rôle important (en fait, une autre thèse de la TSD, beaucoup plus controversée, est qu’il est impossible d’isoler la contribution des différents facteurs causaux autrement qu’artificiellement pour des raisons pratiques). Donc, plutôt que de porter notre attention exclusivement sur les gènes, nous devrions prendre en considération le « système développemental » au complet, celui-ci étant « la matrice des ressources qui servent comme causes physiques réelles du développement » (Griffiths et Stoltz, 2000, p. 34).
Le second thème qui constitue le noyau de la TSD est celui de l’héritage étendu, c’est-à-dire le fait qu’un organisme hérite de ses parents plus que leurs gènes : il hérite de « tout ce qui est présent à chaque génération et qui aide à reconstruire le cycle de la vie » (Ibid., p. 35). Cela peut être de la nourriture qu’un insecte laisse à sa progéniture en pondant des oeufs dans une proie paralysée ou bien le langage écrit ou un système symbolique (comme un certain type de notation mathématique) que les organismes trouvent dans le monde à leur naissance et qu’ils peuvent utiliser pour leur développement. En deux mots, un organisme hérite de ses parents des gènes, mais également (entre autres) une niche (environnementale, cognitive ou sociale) que ceux-ci ont partiellement contribué à construire par leurs activités[14]. Cette niche, qui est un environnement structuré et typique de l’espèce, est « attendue » (expected) par l’organisme en développement, si bien qu’une modification de celle-ci peut entraîner un phénotype atypique (ce que plusieurs voient comme étant une des voies utilisées par la sélection naturelle pour provoquer des changements phénotypiques à l’échelle de l’espèce).
Griffiths et Stoltz (2000) utilisent ces idées pour briser le lien entre les traits cognitifs universels et le nativisme. Si la thèse de la parité est vraie, les gènes ne devraient pas être considérés comme les seules sources de stabilité inter-générationnelle et inter-spécifique d’un trait cognitif.
Les régularités typiques à une espèce devraient [plutôt] être comprises comme le résultat de l’interaction réciproque entre les divers éléments du système développemental. Le même ensemble de ressources est réuni comme il a été réuni en de nombreuses autres occasions dans la même lignée d’organismes. L’impression de guidage devrait disparaître à partir du moment où l’on prend conscience du fait que, étant donné la fixation d’un vaste ensemble de paramètres, les états de tous les systèmes complexes tendent vers des attracteurs.
Griffiths et Stoltz, 2000, p. 37
Une conséquence très importante de la thèse de la parité est que le projet qui consiste à tenter d’identifier les caractéristiques biologiques (les gènes) formant notre véritable nature ne peut plus être poursuivi. En fait, la TSD rejette une forme de préformationnisme moderne qui consisterait à soutenir (au sens strict) que l’information programmant le développement est « présente » dans les gènes. Cette thèse propose plutôt de considérer le développement comme une construction dont le résultat (le phénotype) provient tout autant des interactions entre l’organisme et ce qui l’entoure que des interactions à l’intérieur de l’organisme. Dans ce cadre contructionniste, plusieurs éléments de l’environnement social et culturel de l’organisme sont considérés comme des ressources développementales, au même titre que les gènes. Selon Griffiths et Stoltz « la nature humaine doit inévitablement être le produit d’une matrice développementale qui comporte une grande part d’échafaudage culturel » (p. 45).
3.2 L’enracinement génératif
Une seconde idée que nous aimerions introduire dans le débat est le concept d’enracinement génératif tel que proposé par Wimsatt (1986, 1999, 2000) pour remplacer l’ancien concept d’innéisme, devenu inadéquat[15].
Dans la construction de toute structure ou de tout système, certains éléments doivent souvent en précéder d’autres puisque l’existence et les caractéristiques des premiers sont des conditions nécessaires à l’existence et aux caractéristiques des seconds. Ainsi, l’existence d’une fondation de même que certaines de ses propriétés, notamment mécaniques, sont des conditions nécessaires à l’existence et aux caractéristiques de tout bâtiment d’une certaine dimension. À cause de cette relation de dépendance, les architectes n’ont pas le loisir de doter ou non un bâtiment d’une fondation, pas plus qu’ils n’ont une liberté infinie quant aux propriétés à donner à celle-ci. Pour cette raison, tous les bâtiments (d’une certaine grandeur) possèdent une fondation (universalité structurelle) dotée de certaines caractéristiques précises, et l’on pourrait croire, si c’étaient des organismes, que les fondations sont innées chez les bâtiments. Or, selon Wimsatt, il serait plus juste de dire que les fondations sont « enracinées » de manière générative dans la conception des bâtiments : elles sont enracinées parce que l’élaboration d’une grande partie de la structure du bâtiment dépend de leur existence et de leurs propriétés. Par opposition, le nombre, l’emplacement et la présence même des fenêtres ne sont pas nécessaires à la présence d’autres structures du bâtiment et ne sont donc pas enracinés. Pour expliquer la présence quasi universelle des fenêtres dans les bâtiments, il faudra alors faire appel à des facteurs autres que développementaux. Il est à noter que même parmi les caractéristiques qui sont enracinées, certaines le sont plus que d’autres. Dans un bâtiment, la résistance à la charge est plus nécessaire que la présence de béton. Si le bâtiment est construit dans une société qui offre d’autres moyens que le béton pour assurer une résistance à la charge (de l’acier par exemple), alors on trouvera dans cette société des bâtiments dont la fondation est faite de béton ou d’acier. Ainsi, l’enracinement génératif n’est pas un phénomène de tout ou rien : des caractéristiques peuvent être plus ou moins enracinées. En somme, pour tout système ou toute structure, il y aurait une asymétrie de dépendance parmi l’ensemble des caractéristiques de sa construction, de telle sorte que l’existence de certaines caractéristiques dépend d’autres caractéristiques antérieures à celles-ci. Comme l’écrit Wimsatt : « Les caractéristiques (contingentes ou non) qui accumulent plusieurs dépendances en aval deviennent de profondes nécessités de plus en plus importantes et, en fin de compte, irremplaçables dans le développement des organismes individuels » (1999, p. 142).
La même chose vaut pour les structures biologiques. Sur ce plan, la construction de la structure correspond au développement (à l’ontogénie) du phénotype de l’organisme. Les caractéristiques qui pourront être générativement enracinées peuvent alors être antérieures à la conception même de l’organisme, par exemple la sélection d’un gène dans son espèce ou la construction d’une niche par ses ancêtres. Dans d’autres cas, elles seront postérieures à la conception de l’organisme, mais antérieures par rapport à d’autres structures construites lors du développement (pensons, par exemple, à la construction du cerveau, qui va de l’intérieur vers l’extérieur). Cela montre que les caractéristiques enracinées peuvent être de nature génétique, neuronale, environnementale ou même culturelle. Dans ce sens, l’enracinement génératif respecte la thèse de la parité de la théorie des systèmes développementaux. Mais elle ajoute à celle-ci l’idée qu’il existe une structure de dépendance parmi les événements de la construction du phénotype d’un organisme.
3.3 Biologie développementale et maladies mentales
Pour appliquer la théorie des systèmes développementaux et de l’enracinement génératif à la question qui nous occupe, nous devons commencer par concevoir l’organisme individuel comme un système développemental et nous attarder aux sources de l’information utilisée pour construire son phénotype, y compris ses mécanismes cognitifs et son comportement. Selon les théories que nous avons présentées, il y a parité causale entre ces sources, bien que certaines soient plus enracinées que d’autres et qu’il existe plusieurs systèmes de transmission de cette information. Parmi les traits phénotypiques ainsi construits, certains fonctionneront de façon optimale, d’autres non[16]. Parmi ces derniers, quelques-uns sont de nature mentale (neurologique, cognitive ou comportementale) et sont ce qu’il est convenu de nommer des « maladies mentales ».
Maintenant, prenons n’importe quelle maladie mentale. Selon la TSD, l’information utilisée pour construire les structures dysfonctionnelles peut venir de plusieurs sources : des gènes, de l’environnement physique (les virus, les toxines, etc.), social (la présence de frères et soeurs, d’une mère dépressive, etc.) ou culturel (par exemple certaines croyances à propos des araignées). Suivant la thèse de la parité causale, chacune de ces sources peut être impliquée de façon causale dans le développement d’un trait. Bien sûr, certaines sources peuvent être en cause de manière plus importante que d’autres. Par exemple, certaines maladies mentales sont fortement canalisées au point de vue génétique, au sens où elles se développeront dans presque n’importe quel environnement (physique, social ou culturel). D’autres troubles seront peut-être fortement canalisés par la culture : ils se développeront dans un environnement culturel donné quel que soit le génome et l’environnement physique ou social des individus appartenant à cette culture. Les cas les plus intéressants, bien sûr, se situent entre ces deux formes de canalisation forte, et ils sont de deux types. Premièrement, il y a les maladies mentales qui sont conjointement causées par des facteurs d’ordre génétique et culturel, et nous en verrons des exemples à la prochaine section. Deuxièmement, et c’est ici que nous sommes d’accord avec la forme superficielle du constructionnisme, il y a des cas où un des éléments culturels en cause dans le développement du trouble complet, tel qu’il est décrit dans le DSM, par exemple, est l’étiquette culturellement utilisée pour désigner la dysfonction affligeant les individus[17]. Dans ces cas, la dysfonction existe, et il est possible qu’elle soit causée par des facteurs génétiques (neuronaux, ou encore environnementaux, physiques et sociaux), mais le fait d’utiliser cette étiquette (et tout ce qui lui est associé, comme les connotations morales, les réactions prescrites, etc.) pour la décrire est causalement responsable de sa transformation en cette maladie décrite par le DSM. Faites disparaître l’étiquette, et le trouble, tel que décrit par le DSM, disparaît, même si la dysfonction demeure (c’est ce à quoi Yap semble faire allusion dans la citation sur le koro que l’on retrouve à la section 2.1).
En ce qui concerne l’enracinement génératif, nous avons vu que les facteurs génétiques ou culturels impliqués dans la construction d’un trouble mental donné peuvent être plus ou moins enracinés, dans la mesure où ils sont causalement responsables d’une partie plus ou moins grande de la structure phénotypique qui se trouve en amont sur le plan du développement. Si les caractéristiques responsables des maladies mentales sont profondément enracinées, elles seront alors difficiles, sinon impossibles à retirer, et ce, peu importe si l’enracinement est génétique ou culturel. En conséquence, les troubles dont elles sont responsables pourraient être des traits caractéristiques de notre constitution psychologique. Cela signifie que les troubles canalisés par des vecteurs culturels permanents ou du moins très stables (pensons à une caractéristique culturelle comme l’apprentissage de la lecture ou le fait de porter des vêtements) pourraient être aussi permanents que les « vrais » troubles biologiques, contrairement à ce que Hacking semble croire. D’autre part, les dysfonctions causées en partie par des facteurs génétiques ou culturels qui ne sont pas profondément enracinés pourraient être aisément modifiées[18], et les troubles dont ils sont responsables, éliminés.
4. La psychologie culturelle des maladies mentales: quelques exemples
Dans la section précédente, nous avons proposé une conception du développement qui, nous le soutenons, devrait aider à intégrer quelques-unes des idées maîtresses des approches biologiques et de la variété d’approches que l’on retrouve sous le nom de construction sociale. Il semble que cela puisse se faire de plusieurs façons. Par exemple, l’enracinement génératif peut être utilisé pour expliquer la différence entre les maladies mentales « transitoires » et « permanentes ». Les premières dépendraient de caractéristiques (biologiques ou culturelles) qui ne sont pas profondément enracinées, alors que les secondes dépendraient de caractéristiques plus enracinées. Une autre façon d’intégrer les approches consiste à expliquer comment les facteurs culturels peuvent jouer un rôle dans la formation des maladies mentales, une idée qui est assez similaire à celles qui sont défendues par les psychologues culturels (Shweder, 1990)[19]. C’est principalement cette idée que nous explorons dans la présente section.
4.1 Le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention
Plusieurs chercheurs notent, parfois avec affolement, l’augmentation de la prévalence du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) chez les jeunes (mais aussi, de plus en plus, chez les adultes). Certains voient dans cette hausse le résultat d’un raffinement taxonomique et de la médicalisation accrue d’une condition normale (selon eux, les enfants atteints de ces problèmes n’étaient vus auparavant que comme des enfants turbulents). D’autres (nous verrons qu’ils se rapprochent des premiers sur certains aspects) maintiennent que cette hausse est plutôt due à l’émergence de nouvelles configurations sociales et à la difficulté de certains enfants de s’ajuster aux attentes qui en résultent :
Les attentes standardisées en éducation, de pair avec l’intolérance grandissante à l’égard de l’enjouement des enfants, pourraient, en fait, mener à ce que de plus en plus d’enfants soient étiquetés comme souffrant de THADA [...] L’explosion du nombre de cas de THADA pourrait surtout refléter le fait que de plus en plus d’enfants n’ont plus d’occasions adéquates d’exprimer un besoin naturel — celui de jouer ensemble chaque jour, dans des épisodes de vigoureux chamaillage.
Panksepp, 1998, p. 91
Cette thèse repose sur des bases empiriques sérieuses et illustre à merveille le cadre de recherche que nous proposons. Nous nous y attarderons donc dans ce qui suit.
Dans une série d’articles (2000a, 2000b) axés principalement sur ses travaux sur les rats, Panksepp défend l’idée qu’il existe sept circuits émotionnels fondamentaux chez les mammifères. Panksepp compte, au nombre de ceux-ci, un circuit qu’il nomme le système de jeu, associé à l’émotion de joie. L’activation de ce système produirait, entre autres, le besoin d’épisodes de chamaillage (rough-and-tumble-play) chez les jeunes mammifères. Sans exutoire approprié, ces besoins pourraient faire intrusion dans certaines activités où ils ne sont pas les bienvenus (par exemple, pour les humains, en classe). L’idée de Panksepp est que les enfants souffrant de THADA sont en fait des individus chez qui le besoin de jouer serait plus grand que chez la plupart des autres. Mais doit-on considérer ces besoins comme pathologiques ?
Revenons d’abord sur la fonction du jeu. Bjorklund et Pellegrini (2000) suggèrent que le jeu est une « adaptation ontogénique », c’est-à-dire une activité qui a un rôle important dans le développement et qui aurait été sélectionnée pour remplir cette fonction dans la « niche écologique de l’enfance ». Cette idée est particulièrement intéressante à la lumière du fait que les psychologues (tout comme les éthologues) définissent habituellement le jeu comme une activité qui n’a pas de but ou de fonction apparente. Selon Bjorklund et Pellegrini, le jeu physique (ils introduisent des distinctions entre le jeu symbolique et le jeu physique) permettrait, entre autres, aux enfants d’apprendre et de pratiquer la signalisation sociale (communiquer l’intention de jouer, indiquer que le contexte n’est pas un contexte sérieux), d’établir qui est le leader parmi les pairs[20] et, enfin, de développer leur musculature (sans compter, comme nous le verrons plus bas, certaines aires du cerveau). Les mêmes auteurs suggèrent qu’il est possible que ce que nous appelons les troubles de l’attention soient en fait une variation normale d’un trait adaptatif. Comme ils le notent : « l’impulsivité, la capacité de scruter rapidement l’environnement et l’hyperactivité pourraient avoir été des traits avantageux pour les premiers Homo Sapiens » (2000, p. 1703). Si tel est le cas, comme le note à son tour Panksepp :
Les difficultés sociétales que nous avons présentement avec de tels types de personnalité pourraient refléter notre évolution culturelle récente plus que l’existence d’une quelconque déviance pathologique de la personnalité. Si cette thèse s’avère défendable, peut-être que la société devrait essayer d’entretenir [nurture] ce type de variabilité humaine ou de s’ajuster à elle, plutôt que de chercher à en faire une pathologie et à l’éliminer à l’aide des psychostimulants qui aident à concentrer l’attention. Il est certainement plus rationnel de tenter de résoudre les problèmes sociaux avec des solutions sociales qu’avec des médicaments.
Panksepp, 1998, p. 93
Panksepp ne nous fournit malheureusement pas d’argument pour justifier son hypothèse évolutionniste ou l’idée selon laquelle « il est plus rationnel de tenter de résoudre les problèmes sociaux avec des solutions sociales »[21]. En ce qui concerne cette dernière idée, cependant, il invoque dans le même article des raisons qui montrent que l’usage de psychostimulants (comme le Ritalin, généralement prescrit aux enfants souffrant de THADA) n’est pas sans danger. Par exemple, ces médicaments agissent sur les systèmes qui sont responsables des dépendances aux drogues et, pour cette raison, ils pourraient être la cause d’un taux de toxicomanie plus élevé dans cette population à l’âge adulte (l’hypothèse reste à être confirmée). Dpart, il ne semble pas qu’il y ait, à long terme, d’amélioration des fonctions cognitives à la suite de l’utilisation de ces médicaments. Panksepp croit par ailleurs que certains facteurs de croissance (les neurotrophines) pourraient être sécrétés par un type particulier de stimulation sensorielle que l’on retrouverait en abondance dans le jeu. De plus, le jeu pourrait bien servir à promouvoir le développement des systèmes supérieurs du cerveau, comme les fonctions exécutives des lobes frontaux, fonctions dont la maturation s’étend jusqu’à l’adolescence (on sait que l’ablation de ces lobes cause l’augmentation du jeu chez les rats et que la maturation des lobes s’accompagne d’une diminution de la tendance à jouer). Il est donc possible que l’administration des psychostimulants ait des effets extrêmement dommageables sur les enfants. Si tel est le cas, il devient impératif de trouver des « solutions sociales » à ce problème.
Panksepp propose justement une telle solution basée sur ses travaux sur les rats[22]. Ces travaux reposent sur l’idée, avancée par Barkley (1999), que les enfants affligés de THADA souffrent non pas d’un problème dû à un trouble (résultant peut-être d’un développement plus lent que la normale) des structures cérébrales responsables de l’attention, mais bien plutôt d’un problème avec les structures responsables de l’inhibition du comportement et du contrôle. Les études sur les patients atteints de lésions ainsi que les études par tomographie sur les sujets normaux montrent que les structures en question se trouvent dans les aires frontales. Or le cerveau frontal des enfants chez qui on a diagnostiqué un THADA montre une réduction de volume de 5 %, (surtout du côté droit). L’idée de Panksepp est d’utiliser des rats avec une lésion aux aires frontales comme modèles des patients souffrant de THDA.
L’expérience de Panksepp est la suivante : utilisant ce que nous savons à propos des patients souffrant de THADA, il induisit d’abord des lésions unilatérales du côté droit du cortex frontal des rats. Il observa ensuite si les rats se comportaient comme les patients souffrant de THADA, c’est-à-dire si leur chamaillage augmentait. Les rats montrant un attrait pour le jeu beaucoup plus élevé que la normale, il se demanda ensuite si une « thérapie par le jeu » (qui consiste en une heure de jeu par jour) ferait diminuer l’impulsion ludique de manière significative, ce qui fut confirmé. Leur comportement après cinq mois était le même que celui des rats qui n’avaient pas été soumis à cette thérapie. Panksepp divisa ensuite un groupe de rats lésés en deux et soumit un des groupes à la thérapie par le jeu, alors que l’autre n’y fut pas exposé. Les résultats montrèrent que les rats soumis à la thérapie par le jeu avaient un degré d’attention (évalué au moyen d’une condition qui mesure l’inhibition béhaviorale) plus élevé que ceux qui n’avaient pas été soumis à cette thérapie.
La solution au problème des THADA serait donc la suivante. D’abord, reconceptualiser le trouble pour le considérer comme le produit de conditions sociales particulières, plutôt que le résultat d’une anomalie intrinsèque du fonctionnement du cerveau :
Le THADA devrait peut-être faire l’objet d’une reconceptualisation considérable afin d’être conçu comme un symptôme de la société actuelle et de nos façons de réguler le comportement de nos enfants, plutôt que comme le symptôme d’un débalancement neurologique ou d’un trouble.
Panksepp, 1998, p. 91-92
Ensuite, puisque la cause de ce mal se trouve dans ces conditions sociales particulières qui semblent affecter un type particulier d’individus (et qu’il est possible de changer ces conditions), Panksepp propose un cadre offrant plus de temps aux enfants pour dépenser leur énergie.
4.2 Les comportements antisociaux (ou troubles de conduite chronique)
Selon le DSM, la caractéristique essentielle des troubles de conduite est d’être « un ensemble de conduites répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet ». Figurent parmi ces comportements le vol et la fraude, les conduites agressives où des personnes sont blessées ou menacées, ainsi que des violations graves de règles établies. Pour qu’un diagnostic de trouble de conduite soit établi, les patients souffrant de ce genre de troubles ne doivent pas répondre aux critères de la « personnalité antisociale » telle que définis par le DSM (ce que l’on nomme habituellement « sociopathie » ou « psychopathie »)[23]. Il semble que la prévalence de ce type de troubles ait augmenté au cours des dernières décennies, et on estime maintenant que le taux de prévalence chez les garçons se situe entre 6 % et 16 % (ce sont eux qui sont responsables de 50% de tous les comportements violents recensés). Pour bon nombre d’individus, ces troubles disparaissent après l’adolescence, bien qu’une partie des individus développent une « personnalité antisociale ». On distingue généralement deux sous-types de patients selon le moment où apparaissent les conduites antisociales, soit pendant l’enfance ou à l’adolescence. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons au premier groupe.
Parmi les études longitudinales les plus complètes sur les sujets souffrant de problèmes de conduite antisociale, on retrouve celle de Caspi et ses collègues (2000) qui ont suivi une cohorte (presque intacte) de 1037 enfants à partir de l’âge de 3 ans jusqu’à 21 ans en les rencontrant en moyenne tous les trois ans. Les résultats de Caspi montrent que les individus entrant dans la classe des « sous-contrôlés » (undercontrolled)[24] à l’âge de 3 ans sont plus susceptibles d’avoir des problèmes d’externalisation (être impliqués dans des bagarres, faire de l’intimidation, mentir, désobéir) à l’âge de 5 ans, 7 ans et 11 ans.
[À l’âge adulte, ces individus] sont caractérisés à 18 ans non seulement par leur haut degré d’impulsivité et de recherche de sensations fortes, mais aussi par leur degré d’agressivité et leur aliénation dans les rapports interpersonnels. À l’âge de 21 ans, ceux qui furent des enfants sous-contrôlés rapportent plus de difficultés reliées à l’emploi [difficultés à trouver et à conserver un emploi] et de nombreux conflits interpersonnels à la maison et dans leurs relations amoureuses. Ils ont eu des contacts répétés avec les forces de l’ordre, et leur capacité à assumer avec succès leur rôle d’adulte a été compromise par l’abus d’alcool. Les gens qui les ont connus corroborent ce profil d’ajustement interpersonnel conflictuel en décrivant ces enfants sous-contrôlés devenus adultes comme n’étant ni fiables ni dignes de confiance.
Caspi, 2000, p. 168
Quels sont les facteurs responsables de cette remarquable continuité des traits psychologiques ? Le reste de la section tentera de montrer que cette continuité s’explique par un pas-de-deux complexe où les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux contribuent à l’élaboration du phénotype considéré comme anormal.
Mentionnons d’abord les travaux récents de Caspi et ses collègues (2002) sur la violence des individus adultes qui avaient été identifiés comme ayant un tempérament sous-contrôlé alors qu’ils étaient enfants. Tout d’abord, Caspi observe que des travaux antérieurs ont montré qu’il existe un lien entre les déficiences génétiques dans la production de la MAOA (monoamine oxydase A) et l’agression chez les humains ainsi que chez les souris (chez les souris, une « suppression » du gène encodant pour la MAOA accroît le comportement agressif tout comme les niveaux de norépinéphrine (NE), de sérotonine (5-HT) et de dopamine (DA), alors que l’agression revient à la normale lorsqu’on restaure l’expression du MAOA). On sait également que les études sur les animaux ont montré que la tension reliée à un mauvais traitement dans les premières années de la vie altère la production des neurotransmetteurs comme la NE, la 5-HT et la DA (sans parler des effets sur les structures neuroanatomiques en cause dans la production des émotions, comme l’amygdale ; voir Joseph, 1999). Caspi a montré que le comportement antisocial est prédit par l’interaction entre une variante du gène responsable de la production de la MAOA (ce qu’il nomme le génotype de faible production de MAOA) et un environnement particulier, soit les mauvais traitements à un très jeune âge (par mauvais traitements, il faut entendre des pratiques parentales de punitions sévères et imprévisibles). Comme il l’écrit :
Les hommes possédant un génotype de faible activité de la MAOA qui ont été maltraités pendant l’enfance ont des scores antisociaux significativement plus élevés en regard de ceux qui ont un génotype de faible activité de la MAOA mais qui n’ont pas été maltraités. Par contraste, les hommes qui ont un haut niveau d’activité de production de MAOA n’avaient pas un niveau élevé de scores antisociaux, même lorsqu’ils avaient subi des mauvais traitements pendant l’enfance[25].
2002, p. 853
Les pratiques parentales jouent donc un rôle majeur dans l’établissement du phénotype déviant. En fait, on a longtemps cru, et l’on croit encore, qu’un facteur influençant le phénotype était la pauvreté (d’autres facteurs comme l’exposition à la violence à la télévision à un très jeune âge, l’accès aux armes ainsi que certaines attitudes culturelles encourageant la violence sont parfois également mentionnés ; voir Huesmann et al., 2003 ; Nisbett et Cohen, 1996). Caspi, encore une fois, a montré que le fait de grandir dans un milieu pauvre explique une partie de l’effet des facteurs environnementaux partagés par les membres d’une même famille (Caspi et al., 2000). Les analyses de Sampson et Laub (1994) montrent toutefois que ce n’est pas la pauvreté en tant que telle qui explique la majeure partie des effets (les deux tiers), mais plutôt les pratiques parentales de punition physique sévère (harsh punishment), de supervision inadéquate du comportement des enfants et d’attachement faible entre enfant et parent. Ce qui semble faire problème est qu’un certain type d’enfant demande plus de patience et une supervision plus constante, chose qui est difficile dans un contexte où la tension, la fatigue, la désorganisation et le manque d’accès aux ressources prévalent. Les travaux en psychologie du développement confirment que le type de réaction des parents envers leurs enfants est un facteur crucial menant à l’établissement du phénotype. Comme le notent Lemerise et Dodge :
Les mères qui répondent à la colère de leur poupon avec une calme neutralité et même avec une démonstration de joie ont des poupons qui montrent de l’intérêt pour l’environnement, des émotions positives et des réponses positives aux étrangers pendant l’absence de la mère. [...] D’un autre côté, [...] des réponses maternelles de colère aux comportements difficiles des poupons sont associées avec des colères persistantes de la part des poupons, des comportements de désobéissance et une tendance à répondre avec moins d’empathie aux autres.
Lemerise et Dodge, 2000, p. 597 ; voir aussi Kochanska, 2005, p. 19
Les enfants de parents colériques et dont les pratiques disciplinaires sont sévères acquièrent donc une moins bonne compétence sociale (et se perçoivent également comme de moins bons agents sociaux, ce qui modifie par la suite leur comportement). Cela se traduit plus tard, entre autres, par une difficulté à s’entendre avec les autres. Cette difficulté entraîne un rejet de la part des pairs, qui mène souvent à l’isolement et les prive donc encore plus des occasions de développer leurs compétences sociales. Plus tard, tout dépendant du milieu[26] et du degré de supervision parentale, ces enfants peuvent s’acoquiner avec d’autres enfants déviants (peut-être parce que ces enfants leur ressemblent ou bien tout simplement parce qu’on les a placés dans les mêmes classes ou institutions). Ils se retrouvent alors dans une niche qui ne fait qu’exacerber leurs tendances antisociales. En deux mots donc, un style disciplinaire sévère et imprévisible ouvre la porte à une plus grande influence de la part des pairs déviants.
Enfin, certains biais cognitifs ainsi que les étiquettes que l’on met sur les enfants qui posent problème font partie des facteurs pouvant jouer un rôle important dans la stabilisation du phénotype (Dodge et Pettit, 2003). La psychologie sociale nous enseigne que nous avons une tendance naturelle à attribuer la mauvaise conduite (ou l’échec) des individus à une disposition stable de leur caractère (c’est ce que les auteurs nomment « l’erreur de l’attribution fondamentale ») plutôt qu’à des causes environnementales ou circonstancielles. Cette tendance peut mener à étiqueter les enfants comme étant fondamentalement agressifs. On sait qu’une fois qu’ils sont identifiés comme agressifs, leurs pairs ainsi que leurs professeurs modifient leurs façons de traiter l’information les concernant. Par exemple, ils sont plus enclins à filtrer l’information de façon à ne conserver que ce qui confirme leur jugement ou à répondre de façon plus agressive que la normale à ces enfants. Dans ce cas, le comportement de l’enfant encourage certains biais cognitifs ainsi que l’attribution de certaines étiquettes qui, à leur tour, renforcent le trait.
Le portrait peut sembler bien noir pour ces enfants victimes de mauvais traitements. Leur sort semble être joué d’avance. Il n’en est rien, cependant, car, à toutes les étapes du développement, des possibilités de correction permettent d’éviter la stabilisation du phénotype anormal. Mentionnons deux exemples. D’abord, comme l’un des facteurs qui favorise l’éclosion de conduites antisociales est l’association avec des pairs déviants dans des lieux non surveillés, une façon de contrer le développement de la tendance antisociale est de promouvoir l’affiliation à des institutions sociales positives et structurées (école, sport, activités extra-curriculaires). On a montré que la participation aux activités dans ce cadre constitue une protection contre le développement des tendances antisociales (voir Dodge et Pettit, 2003). Ensuite, Laub et al. (1998) notent qu’un mariage harmonieux à un époux ou une épouse non déviant(e) (ou un emploi stable et gratifiant) a un effet significatif sur l’abandon des comportements antisociaux à l’âge adulte (malheureusement, la tendance est souvent plutôt d’épouser quelqu’un dont le comportement est également antisocial !).
4.3 Le cas de la phobie des araignées
Les explications récentes des phobies ont précisément postulé qu’un mauvais fonctionnement des « mécanismes préparés pour la peur » étaient à la source de celles-ci. La théorie de la « préparation biologique » suppose que nous avons des dispositions particulières à acquérir la peur de certaines classes de stimuli qui ont été dangereux dans l’histoire de notre évolution (les serpents, le feu, les araignées, l’eau profonde, les hauteurs, les étrangers ; voir Marks, 1987 ; Nesse, 1990 ; Mineka et Cook, 1993). Être biologiquement préparé veut dire que nous sommes disposés à associer rapidement ces stimuli à des conséquences aversives (parfois après y avoir été exposé une seule fois) et à former des associations plus résistantes à l’extinction qu’avec des stimuli tout aussi dangereux, mais plus récents du point de vue de l’évolution (les voitures, les armes à feu, les prises électriques, etc.). Ces stimuli sont également plus susceptibles d’attirer l’attention qu’une autre classe de stimuli et de provoquer des réactions physiologiques, même lorsque ceux-ci sont présentés si rapidement que le sujet n’est pas conscient de les avoir vus (Öhman, 2000 ; Faucher et Tappolet, 2002).
Graham Davey a proposé un portrait assez différent des phobies. Dans son article intitulé « Preparedness and Phobias » (1995), il soutient que le phénomène de préparation, qu’on explique habituellement par l’existence de mécanismes spécifiques qui seraient notre héritage évolutionniste, s’expliquerait mieux en fait par un modèle humain du conditionnement classique. Ce modèle humain (décrit en détail dans Davey, 1992) est différent des modèles animaux en ce qu’il ajoute une dimension cognitive au modèle traditionnel du conditionnement : les déterminants des associations « stimulus conditionné (SC) » — « stimulus non conditionné (SNC) » (par exemple, l’association entre une araignée et un choc électrique ou une sensation douloureuse) ne sont pas seulement et exclusivement dépendants de la contiguïté des stimuli (le fait que le sujet a ressenti de la douleur ou reçu un choc électrique juste après avoir vu l’araignée), mais ils dépendent aussi de l’évaluation antécédente du sujet de la probabilité qu’une rencontre avec l’araignée soit suivie d’une conséquence aversive aussi bien que l’évaluation du degré de douleur qu’une telle rencontre risque de causer. Davey nomme ces déterminants les « biais d’attente cognitive » (cognitive expectancy biases). En d’autres termes, votre peur antécédente d’un objet tout aussi bien que votre évaluation de la douleur qui résultera de sa rencontre sont plus importants pour établir la force de l’association entre l’objet et la conséquence aversive que ce qui s’est vraiment produit pendant la rencontre. Les déterminants expliquent, entre autres choses, pourquoi certains stimuli dangereux comme les automobiles ou les prises électriques ne sont pas en général l’objet de phobies (nous en faisons l’expérience trop souvent sans que s’ensuivent des conséquences aversives pour que des conséquences négatives soient facilement associées à ceux-ci[27]). Ils expliquent également pourquoi certaines associations durent plus longtemps que prévu (les patients anxieux ont tendance à ruminer ou à rejouer dans leur tête l’événement traumatique, créant une inflation du SNC, et une association plus forte entre le SC et le SNC sans que le sujet ait besoin de rencontrer le SC une autre fois. Il explique ainsi le problème des phobiques :
Arntz et ses collègues (1993) ont constaté que les personnes ayant une phobie des araignées croyaient que les araignées étaient plus venimeuses [poisonous] et qu’elles les attaqueraient et les mordraient. Les phobiques croient aussi qu’une rencontre avec une araignée est une cause probable de crise cardiaque ou qu’ils mourraient de peur. Les patients souffrant de troubles paniques, plus que les sujets témoins non anxieux, évaluent aussi les sensations corporelles associées avec l’anxiété et la panique comme étant plus dangereuses, et ils sont plus enclins que ces derniers à interpréter les sensations corporelles et intéroceptives ambiguës comme étant menaçantes.
Davey, 1995b, p. 321
Parce que les déterminants des conditions d’attente peuvent être une estimation du caractère dangereux de quelque chose ou une similarité sémiotique entre deux stimuli (les visages en colère et les cris, par exemple) et les peurs antécédentes concernant certains stimuli, il devient clair que les facteurs culturels et ontogéniques peuvent jouer un rôle important dans l’explication des phobies.
Si la thèse de Davey est juste, alors les mécanismes innés d’association que les psychologues évolutionnistes ont postulés ne sont pas nécessaires. De plus, les cultures pourraient bien différer les unes des autres dans ce qu’elles craignent et ce qu’elles sont préparées à craindre. La peur et la phobie des araignées sont une illustration de la façon dont certaines maladies mentales sont informées culturellement. D’abord, Davey (1994a) note que la peur des araignées est plus fortement conditionnée que les stimuli effrayants du point de vue ontogénique (c’est-à-dire les stimuli qui ont été récemment associés avec le danger, comme les armes à feu, les prises électriques ou les automobiles). Deuxièmement, il a découvert que la peur des araignées covarie avec la peur d’autres animaux auxquels on attribue un caractère dégoûtant (comme les chauves-souris, les vers, les lézards, les rats, les limaces, les escargots), c’est-à-dire un groupe d’animaux pour lesquels il est très improbable que des pressions sélectives aient été exercées en vue de nous en faire acquérir la peur. Comme Davey le dit à la blague, « il est très peu probable que nos ancêtres aient jamais eu à éviter des troupeaux de limaces ou d’escargots ! » (1994a, p. 2). Ce qui est plus important, c’est que les études sur le dégoût ont montré que, contrairement à la peur, il n’existe rien que nous soyons particulièrement préparés à trouver dégoûtant (même si quelques éléments attracteurs tendent à provoquer en nous le dégoût, comme la viande ou les fluides corporels ; Rozin et al., 1993 ; Fessler, à paraître). Troisièmement, Davey a découvert une corrélation entre les mesures utilisant les rapports à la première personne concernant la peur des araignées et le degré de sensibilité au dégoût, ainsi qu’entre la sensibilité au dégoût des parents et le degré de peur des araignées ressentie par les enfants (1994b).
L’hypothèse de Davey est que la connaissance générale des classes d’objets dégoûtants et leurs conséquences peut être acquise par l’intermédiaire de la famille. La connaissance générale transmise par les parents biologiques et l’information concernant le caractère dangereux d’objets particuliers transmise par les parents culturels (ceux-ci comprennent non seulement les parents biologiques, mais aussi les professeurs, les amis, les frères et soeurs, les modèles) par différents moyens (que ce soit l’information explicite concernant le fait que les araignées sont dangereuses ou bien les expressions émotionnelles devant les araignées) se combinent pour former les conditions d’attente. Toutefois, cela n’explique pas comment les araignées ont acquis leur statut d’objet de dégoût dans notre culture. Davey suggère qu’il est possible que la peur des araignées, entre autres, se soit propagée à cause des associations persistantes entre les araignées et des maladies et infections, associations qui se sont répandues en Europe depuis le dixième siècle (sous la forme du tarentisme[28], par exemple) et qui sont renforcées aujourd’hui par certaines histoires d’horreur (telles que le film Arachnophobia). Comme le dit Davey :
Le développement de cette association entre les araignées et la maladie semble être lié de près à plusieurs épidémies dévastatrices et inexplicables à l’époque, qui ont traversé l’Europe à partir du Moyen Âge [...] ; la tendance des Européens et de leurs descendants à craindre les araignées ne semble pas être partagée par les gens de cultures non européennes[29].
1994a
Il semble donc que la peur des araignées des gens de descendance européenne soit basée sur l’association (non valable) entre les araignées et certaines maladies, et qu’elle ne soit pas présente dans toutes les cultures. Les cultures où l’on ne fait pas cette association auront une attitude différente envers les araignées (par exemple, dans plusieurs endroits, on mange les araignées ou on les révère). On s’attend donc à trouver dans ces cultures un taux beaucoup plus bas de phobie des araignées que dans la nôtre.
Une explication possible du fait que l’association non valable entre les araignées et le danger semble persister (ou de ce que Nisbett et Cohen nomment le « décalage conservateur » ; 1996, p. 93) a peut-être à voir avec une particularité du dégoût. Réfléchissant sur l’épidémiologie des normes, Nichols (2002) suggère que les normes qui sont « appuyées par des affects » du dégoût ont plus de chance de survivre et de rester dans la culture que les normes qui sont ne le sont pas. Selon lui, c’est parce que les émotions comme le dégoût rendent plus saillants et donc plus facilement mémorisables les informations ou les objets auxquels elles sont liées. Il est fort possible que l’information concernant les propriétés « contaminantes » des araignées explique le fait que les croyances à leur propos se soient répandues et continuent à se répandre.
4.4 Retour sur les cas
Revenons brièvement sur ces cas et voyons comment ils mettent en lumière différents aspects du modèle que nous proposons. Rappelons que, selon ce modèle, il y a parité causale entre les différentes sources d’information qui participent à l’élaboration du phénotype, bien que certaines de ces sources soient plus enracinées que d’autres, et il existe plusieurs systèmes de transmission de l’information.
Dans chacun des cas que nous avons examinés, l’information provient de plusieurs sources, et le phénotype est issu de l’interaction de celles-ci. Dans chaque cas il y a une cause biologique (un cerveau qui affiche un retard dans le développement des structures nécessaires à l’inhibition du comportement, un tempérament difficile, un mécanisme de conditionnement) ainsi que des mécanismes sociaux (un environnement demandant une attention soutenue, des parents colériques et des étiquettes sociales, un mécanisme qui assure la contagion et le « décalage conservateur » dans la révision des croyances au sujet du danger que représentent les araignées), lesquels doivent nécessairement être invoqués pour expliquer le phénotype anormal. Ni les gènes ni les facteurs sociaux ou culturels ne suffisent à eux seuls. Dans les cas que nous avons présentés, les phénotypes anormaux sont le résultat de l’interaction entre divers types de causes, les facteurs biologiques comme les facteurs sociaux et culturels contribuant à la construction du phénotype. Nos exemples sont des cas où certains facteurs biologiques et certains facteurs sociaux ou culturels sont tout aussi enracinés les uns que les autres. Pour ce type de cas, les interactions entre chercheurs en sciences sociales et en biologie devront être autrement plus dynamiques que pour les cas où un des deux facteurs est plus enraciné que l’autre.
Maintenant, revenons brièvement sur chacun des exemples. Nous avons vu que le THADA pourrait bien être causé par le fait que, dans notre niche contemporaine (qui demande une longue période de scolarisation, laquelle exige elle-même une grande capacité d), certains individus présentent des problèmes. Panksepp utilise la théorie évolutionniste pour dénoncer ce qui pourrait être un abus : les enfants que nous disons souffrir de THADA sont des enfants qui sont normaux, c’est notre niche qui est anormale ! Le problème résiderait non pas chez les enfants, mais dans le fait qu’ils évoluent dans une niche qui ne leur est pas favorable. On le voit, le fait de prendre une approche résolument biologique n’est pas incompatible avec l’approche constructionniste SG d’un Szasz ou d’un Foucault.
Pour sa part, le cas des conduites antisociales illustre non seulement le rôle des pratiques parentales dans la production du phénotype anormal, mais également le rôle actif que peut avoir l’individu (par le choix de ses amis, de sa ou son partenaire de vie, par exemple) dans la construction de sa propre niche. Il illustre également la façon dont les étiquettes peuvent jouer un rôle dans la production du phénotype (comme l’affirmaient les tenants de la SP, par exemple Hacking), entre autres en produisant des attentes chez les autres, attentes qui modifient l’interprétation et l’évaluation des comportements qu’on affuble d’une étiquette. D’autre part, bien qu’il semble que la trajectoire suivie par l’individu devienne de plus en plus déterminée et que certains événements se produisant dans les premières phases du développement soient plutôt enracinés, il reste que ce développement n’est pas complètement déterminé. Un environnement structuré et supervisé, un(e) partenaire non déviant(e), la présence de grands-parents aimants sont des facteurs qui peuvent modifier la trajectoire développementale et produire un phénotype normal.
Si les deux cas précédents illustrent le fait que des facteurs culturels ou sociaux autres que les croyances jouent un rôle dans le développement des phénotypes normaux, le cas de la phobie des araignées place les croyances au centre de l’explication. Ce genre de cas semble offrir un terreau particulièrement fertile aux anthropologues cognitifs ainsi qu’aux historiens, dont le travail devrait permettre d’expliquer pourquoi certaines croyances se sont répandues dans certains groupes humains plutôt que d. Nous croyons que les modèles d’épidémiologie des représentations (dont ceux proposés par Sperber, 1996) ou les modèles de transmission des informations culturelles (Boyd et Richerson, 2004) pourraient avantageusement être exploités dans ce genre de cas.
Conclusion
Au début de ce texte, nous avons cité un passage d’un article de Wilson qui signalait que personne ne semble vouloir s’aventurer dans ce « no man’s land» situé entre les approches constructionnistes et biologiques. Ne reculant devant aucun danger, c’est précisément là que nous nous sommes aventurés pour proposer un cadre permettant des interactions importantes entre les deux approches, qui ont été ignorées jusqu’à maintenant. Nous avons montré, au moyen de nombreux exemples, que la culture ou la société peuvent jouer un rôle important dans la formation de certaines maladies mentales. Loin de nous l’idée d’affirmer qu’elles peuvent jouer ce rôle dans tous les cas. Notre modèle permet cependant de comprendre dans quel type de cas le rôle de la culture, sous forme de croyances ou de pratiques, sera particulièrement important. Dans ces cas, l’interaction entre les chercheurs sera de rigueur. Notre cadre permet également de comprendre la proposition des constructionnistes les plus radicaux ou celle des constructionnistes ponctuels à partir du concept d’enracinement génératif : ainsi, les premiers affirmeraient que les maladies mentales ne sont tout simplement pas enracinées générativement, tandis que les seconds affirmeraient que certaines maladies mentales seulement ne le sont pas. En fait, nous croyons que notre cadre peut également être utilisé pour comprendre un éventail plus vaste de troubles du développement comme la schizophrénie et l’autisme (voir Gerrans, 2003, et ce volume : Karmiloff-Smith, 1998). Dans ces cas, croyons-nous (mais nous devons garder l’esprit ouvert), la culture joue un rôle moins grand que la biologie (mais pas nul, voir Barrett, 1998). Enfin, rappelons que les facteurs biologiques et culturels n’épuisent pas l’ensemble des facteurs qui participent au développement.
Appendices
Notes
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[1]
Des versions de cet article ont été présentées à la conférence de la European Society for Philosophy of Medicine and Health Care (Malte), à l’Université Texas Tech (Lubbock), à la Southern Society for Philosophy (Memphis), à Dayton University, à l’Association canadienne de philosophie (Winnipeg) et à l’Université du Québec à Montréal. Nous tenons à remercier tous ceux qui ont assisté à ces conférences pour leurs questions et leurs commentaires. Nous tenons également à remercier Andrew Snedon, Peter Zachar et Magalie Bouthiller. La rédaction de cet article à été rendue possible grâce à deux subventions du FQRSC.
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[2]
Voir également Foucault qui affirmait quelque chose de similaire concernant la réalité des maladies mentales : « Une pathologie unifiée utilisant les mêmes méthodes et concepts pour les domaines psychologiques et physiologiques est maintenant purement mythique, même si l’unité du corps et de l’esprit est de l’ordre du réel » (1954).
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[3]
Encore une fois, Foucault a une position similaire : « Non seulement la conscience de la maladie mentale n’est pas ici exclusive du rôle social, mais elle demande même ce rôle » (1954).
-
[4]
« Le latah est une réponse béhaviorale stéréotypée, chronique et conditionnée, à une variété de stimuli externes, réponse qui est caractérisée par l’imitation verbale (écholalie), l’imitation des comportements corporels (échopraxie), des profanations verbales (coprolalie), l’imitation des actions générales d’une autre personne (échomanie), «l’obéissance automatique» et «l’hypersuggestibilité» » (Bartholomew, 2000, p. 40). Dans son livre de 1996, Simons défend l’idée selon laquelle le latah est une maladie mentale qui résulte de la combinaison d’une propension anormale à sursauter et de certaines pratiques culturelles qui exploitent ce potentiel anormal chez certains individus. Ainsi, il écrit que « c’est le comportement des autres envers les latahs potentiels qui fait que ceux-ci développent le latah » (1996, p. 168). En fait, il n’est pas clair que Simons considère que le latah est toujours une maladie, mais, dans certains cas, il note que ceux qui en souffrent peuvent en venir à désirer consulter un médecin pour se débarrasser de ce problème. Murphy (2001) n’est pas aussi prudent et considère le latah comme une maladie. Bartholomew soutient que ce sont principalement les vieilles femmes esseulées qui sont sujettes à la forme sérieuse du latah, et le fait qu’elles en soient « victimes » uniquement dans les grands rassemblements sociaux indique que nous sommes en présence non pas d’une maladie mentale, mais d’une performance, d’« une exagération consciente, ritualisée, du sursaut soudain » (2000, p. 42).
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[5]
Elster, dans son livre sur les émotions et la dépendance, donne l’exemple suivant : « Une fois que le patron comportemental est conceptualisé comme une dépendance, avec les croyances causales concomitantes, il peut changer considérablement. Une croyance spécialement tenace concernant la dépendance est qu’il est très difficile, voire impossible d’y résister [...] » (1999, p. 129 ; voir également Fingerette, 1988). Une telle croyance peut conduire l’individu, une fois sa dépendance reconnue, à ne plus lutter contre les désirs destructeurs qui l’habitent.
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[6]
Une maladie transitoire peut exister pendant une longue période de temps. Prenons un exemple célèbre tiré de la psychiatrie culturelle : le koro (la croyance qu’ont certains individus que leurs organes génitaux ont été volés ou ont rapetissé) était mentionné dans les textes médicaux de la Chine ancienne en 300 avant J.-C. Or des cas de koro sont encore signalés dans les pays asiatiques aujourd’hui (en Chine et en Malaisie, mais aussi au Nigéria). Le koro semble dépendre de vecteurs culturels persistants, principalement des idées traditionnelles à propos de la physiologie sexuelle. Yap (1965) décrit ces idées ainsi : « La croyance selon laquelle, durant le coït sain, un échange normal des humeurs yin et yang a lieu semble être obscurément entretenue sous une forme ou une autre. Avec la masturbation et les pollutions nocturnes cependant, cet échange ne peut avoir lieu, et un déséquilibre causé par la perte de l’humeur yang produit le koro » (p. 47).
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[7]
Pour un point de vue similaire, voir par exemple Jovanovski (1995) : « Alors qu’il est vrai que les normes et valeurs culturelles affectent ou peuvent affecter les présentations névrotiques, ces mêmes caractéristiques culturelles stimulent minimalement (si elles le font) le déclenchement des réactions psychotiques [...] en fait, pour autant que la canalisation génétique précède le processus de socialisation, il s’ensuit que la culture est un épiphénomène de la biologie et, donc, un principe beaucoup moins puissant » (p. 283 ; voir également p. 287).
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[8]
La psychologie culturelle met l’accent sur le rôle des systèmes symboliques et culturels dans la formation de l’esprit humain : « L’idée de base de la psychologie culturelle implique que “l’unité intrinsèque de la psyché” humaine ne devrait pas être présupposée ou attestée. Elle suggère que les processus décisifs dans le fonctionnement psychologique [...] peuvent être inhérents aux systèmes de représentation et à l’organisation sociale dans lesquels ils sont incorporés et desquels ils dépendent » (Stigler, Shweder et Herdt, 1990, viii).
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[9]
Les délires sont sérieux, les « «victimes» (paniquées) utilisent souvent des pinces [clamps], des cordes, des bandes élastiques et même des pinces à linge dans le but d’empêcher la rétractation perçue. Ces méthodes entraînent parfois des dommages sérieux à l’organe. Dans quelques cas, les amis et les parents doivent se relayer pour tenir le pénis jusqu’à ce que l’on obtienne l’aide du médecin ou des guérisseurs locaux » (Bartholomew, 2000, p. 97).
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[10]
Ce que Haslam (2000) appelle le disease model des maladies mentales (et ce que nous nommons l’approche biologique) repose sur quatre thèses, l’une d’entre elles étant que les « maladies mentales ne sont pas profondément culturelles ni historiques, ce que Reznek (1991) nomme la «thèse de l’universalité». Les variations historiques ou transculturelles sont généralement mineures et circonstancielles, parce que l’expression des maladies mentales est d’abord conçue comme la résultante des processus biologiques [...] » (p. 1033-1034).
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[11]
« Si les maladies mentales sont des maladies du système nerveux central (par exemple, une parésie), alors elles sont des maladies du cerveau, pas de l’esprit ; et si elles sont des normes pour des écarts de comportement (misbehaviors), par exemple, l’usage de drogues illégales, alors elles ne sont pas des maladies ».
Szasz, 1994, p. 35 -
[12]
Ces réponses semblent être modulées par une activation accrue de l’axe hypothalamique-pituitaire-adrénal (HPA).
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[13]
Lickliter (1990), reprenant le paradigme de Gottlieb, montra que si on exposait les embryons à des stimuli visuels en perçant la coque de l’oeuf, les cailles montraient des capacités de discrimination visuelle supérieures aux autres, mais pas de préférence pour la voix de leur mère, malgré le fait qu’ils avaient pu entendre leurs propres vocalisations. Cela semble indiquer qu’un changement dans la norme environnementale entraîne une conséquence négative pour le développement.
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[14]
Cette niche, comme l’ont montré de nombreux biologistes, peut modifier les pressions sélectives qui s’exercent sur l’organisme (voir le recueil de textes colligés par Weber et Depew, 2003 ; ainsi que Odling-Smee etal., 2003 ; Lachapelle et al., 2006) et produire chez lui des changements biologiques ou culturels.
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[15]
Ici, nous n’examinerons pas si la notion d’enracinement génératif réussit à remplacer adéquatement la notion d’innéisme. Nous croyons qu’indépendamment du fait qu’elle y réussisse ou non, elle reste une notion importante de la philosophie de la biologie.
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[16]
Nous laisserons de côté la question de l’arrière-plan contre lequel la question de l’optimalité ou de la non-optimalité d’un trait est décidée ; cette question est le sujet de débats houleux (voir par exemple Woolfolk, 1999, et Wakefield, 1999).
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[17]
Nous ne voyons aucune raison a priori de rejetter cette possibilité, bien que nous croyions qu’elle est probablement plus lointaine que certains constructionnistes ne le croient et que ce n’est pas la norme générale pour les maladies mentales.
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[18]
Les changements aisés dans l’évolution peuvent prendre beaucoup de temps, mais les changements difficiles prendront encore plus de temps — et, bien sûr, quelques-uns des facteurs sont si enracinés qu’il est virtuellement impossible pour l’évolution de les changer, pensons au bauplan, par exemple.
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[19]
Notre position générale est plus inclusive que celle des psychologues culturels. Alors que le sujet de la psychologie culturelle consiste en « ces aspects du fonctionnement mental des individus, qui ont été ontogénétiquement activés et historiquement reproduits par l’intermédiaire de quelques conceptions culturelles particulières des choses et en vertu de la participation aux activités et pratiques d’un groupe particulier, de leur observation et de la réflexion à leur sujet » (Shweder, 2000, p. 212), notre proposition laisse la porte ouverte à des facteurs sociaux ou culturels plus étendus et moins locaux, comme le type d’arrangements sociaux dans lesquels les humains vivent (en grands groupes, plus grands que chez les autres primates), ou l’existence du langage.
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[20]
Chez les animaux non humains, les éthologues s’entendent pour voir dans le jeu une fonction de préparation à la chasse et au combat. On pourrait penser que le jeu joue le même rôle chez les humains.
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[21]
Nous préférons au dernier énoncé, celui-ci qui nous semble plus juste : « Nous devrions toujours considérer des solutions de rechange environnementales pour traiter nos problèmes culturels » (Panksepp, 1998, p. 95)
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[22]
Barkely (1999) propose d’autres solutions, comme un entraînement qui utilise des méthodes permettant de gérer les comportements problématiques des enfants, mais Panksepp est sceptique quant aux résultats à long terme de ces techniques.
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[23]
Il est à noter cependant que, selon le DSM, les enfants souffrant de ce genre de problème peuvent en venir à développer une personnalité antisociale.
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[24]
C’est-à-dire des enfants qui sont plus impulsifs, agités, résistants au contrôle et labiles dans leurs réponses émotionnelles, et qui ont de la difficulté à rester concentrés.
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[25]
Raines (2002) confirme également la forte interaction gène-environnement. Il montre que, dans les études sur les enfants adoptés, le taux de criminalité est nettement supérieur (40 %) lorsque les enfants ont des parents biologiques qui étaient des criminels et des parents adoptifs qui en sont aussi que lorsque l’on combine les taux de criminalité pour les conditions « ayant eu des parents biologiques criminels » seulement et « ayant des parents adoptifs criminels seulement » (18 %). Notons qu’il existe d’autres facteurs prénataux qui prédisposent les enfants aux comportements antisociaux. On sait, par exemple, que l’exposition à certaines substances (comme l’alcool ou les opiacés) dans l’environnement prénatal peuvent causer des problèmes de conduite à long terme.
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[26]
Il semble que ce genre de groupe d’enfants déviants et violents se rencontre plus fréquemment dans les contextes urbains que dans les contextes ruraux, ce qui expliquerait que les effets du style disciplinaire parental soient différents en ville par comparaison avec la campagne (voir Tolan et al., 2003).
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[27]
Davey mentionne une expérience où l’on utilise des couteaux comme stimulus, qui montre que les attentes peuvent changer l’aspect effrayant de l’objet. Les expérimentateurs ont réalisé l’expérience dans deux conditions : l’une normale, et l’autre tout juste après qu’un étudiant s’est fait poignarder sur le campus. Ils ont montré que, dans la seconde condition, les sujets étaient plus enclins à surestimer l’appariement des couteaux avec le choc et que cette association durait plus de six mois après l’accident.
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[28]
Le tarentisme était supposé être produit par une morsure d’un type particulier d’araignée (la tarentule). Une fois mordus, les gens couraient dans la rue, habituellement pour en trouver d’autres qui avaient été également mordus. Le tarentisme ne pouvait être guéri que par une cure de musique de danse.
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[29]
En un sens, la peur des araignées est plus enracinée culturellement que la peur des armes à feu : « Par définition, les stimuli phylogénétiquement reliés à la peur nous entourent depuis plus longtemps que les stimuli ontogénétiquement reliés à cette émotion ; donc, tout lien à la peur se serait établi sur un laps de temps plus long par l’absorption des traditions culturelles et des valeurs » (Davey, 1995a).
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