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Sept ans après sa publication chez le même éditeur, Jean-Marc Narbonne propose donc une nouvelle édition de sa Métaphysique de Plotin. Cette deuxième édition est présentée comme « revue et augmentée », mais elle prend en vérité le parti explicite (p. 6) de laisser inchangés, « mises à part les corrections cosmétiques d’usage », la table des matières et le contenu de l’ouvrage initial, auquel l’auteur se contente d’ajouter une étude d’une vingtaine de pages, consacrée à une confrontation entre Heidegger et Plotin, étude déjà publiée elle aussi dans Les études philosophiques, 1999, n° 1, p. 105-121. Ce nouvel appendice fait écho, par ailleurs, à la direction prise par les recherches de Jean-Marc Narbonne dans un autre ouvrage publié la même année, mais chez un autre éditeur : Hénologie, ontologie et Ereignis (Plotin — Proclus — Heidegger), Les Belles Lettres, Collection de l’Âne d’or, Paris, 2001, 377 p.
On retrouve donc, jusqu’à la fin du deuxième appendice, p. 148, la même progression (et la même pagination) que dans l’ouvrage original. Une « Préface à la seconde édition » (p. 5-6) a cependant été insérée, dans laquelle l’auteur explique que ses recherches postérieures à la première édition l’ont fait passer du problème de l’« originalité » à celui de la « spécificité » de l’entreprise néoplatonicienne, par opposition à l’ontologie d’Aristote et à son interprétation par Heidegger. On notera cependant que, dans son « Avant-propos » de 1994, Narbonne parlait déjà de faire ressortir la « spécificité » (p. 7) de la pensée de Plotin, mais qu’alors il n’était pas encore question de Heidegger, cité à une seule reprise dans la première édition (n. 1 p. 15). La même « Préface » revient aussi, très brièvement, sur un débat entre l’auteur et J.-L. Marion autour de la paternité de la notion de causa sui, que le premier attribue à Plotin et le second à Descartes (p. 6).
Suivent alors les développements déjà présents dans la première édition : l’avant-propos (p. 7-10), l’introduction (p. 11-12), puis les chapitres sur la conception aristotélicienne de l’être (p. 13-17), sur l’être et le possible (p. 18-25), sur la conception plotinienne de l’être (p. 26-42), sur l’opposition entre nihil negativum et nihil privativum (p. 43-57), sur les origines (notamment stoïciennes) de la conception plotinienne de l’être (p. 58-87), sur les liens entre Histoire et métaphysique (p. 88-97), sur ceux entre métaphysique et possibilité (p. 98-110), et enfin la conclusion (p. 111-112), suivie des appendices sur l’irréalité de la matière et la réalité du mal (p. 113-132), et sur la question de savoir si la matière est inengendrée ou engendrée (p. 133-148). C’est là que s’intercale le troisième et nouvel appendice sur Plotin et Heidegger (p. 149-172), l’ouvrage se terminant (p. 167-180) par un index locorum et un index des auteurs médiévaux et modernes (qui n’incluent pas les références données dans le nouvel appendice), une bibliographie (inchangée, elle aussi, par rapport à la première édition) et une table des matières.
Dans l’étude comparatiste intitulée « Henôsis et Ereignis », où il commence par noter que Heidegger ne mentionne Plotin et le néoplatonisme que de façon très générale, en les incluant sans pitié dans la tradition métaphysique occidentale caractérisée par le fameux « oubli de l’être » (p. 149-150), J.-M. Narbonne souligne deux raisons qui rendent indispensables la confrontation entre Plotin et Heidegger : 1) le fait que la métaphysique de Plotin pourrait modifier ou infirmer certaines thèses heideggériennes ; 2) les affinités entre les deux penseurs, qui pourraient renvoyer à un « réseau d’influences indirectes » (p. 150) passant, par exemple, par Maître Eckhart. Concernant le premier point, l’auteur discute les interprétations de J. D. Caputo, P. Aubenque et W. Beierwaltes (p. 150-151), et, pour le second, celles de K. Kremer, A. Charles-Saget, P. Hadot, et surtout R. Schürmann, lequel soulignait particulièrement les affinités entre l’Ereignis heideggérienne, d’une part, et l’Un plotinien, d’autre part, conçu comme processus et non comme chose. Ce dernier point est contesté vigoureusement par J.-M. Narbonne, qui fait valoir que Plotin envisage bel et bien l’Un comme une « hypostase » et une « nature » antérieure aux choses dont il est le principe, et non comme un facteur d’unification, un événement, un processus ou une sorte d’épiphénomène (p. 151-157).
Pour l’auteur, lorsque Plotin déclare que l’Un n’est pas un ti, un « quelque chose », ce n’est pas pour dire que « l’Un serait en quelque sorte en-deçà du quelque chose », mais bien qu’il se situe au-delà de et antérieurement à toute détermination, tout en étant « la cause effective et la source objective — quoiqu’en soi in-objectivable — de la totalité du fini qui est » (p. 158). La confusion pourrait provenir de l’ambiguïté de l’expression « quelque chose », qui signifie : 1) une chose déterminée ; 2) une chose déterminée, mais inconnue de nous ; 3) une chose indéterminée et inconnaissable, mais bien réelle. L’Un plotinien, s’il n’est pas « quelque chose » dans les deux premières acceptions, l’est cependant au troisième sens du terme : « il est une sorte de ti avant tout ti » (p. 159), une « subsistence » (huparxis), une « simplicité » (haplotès) qui précède et conditionne le fait d’être lui-même, comme le dira Damascius (p. 160), et qui est antérieur au « complexe » des étants ou à la sunthèsis impliquée par « l’être relationnel » (p. 160-161).
Vient alors la question de la détermination de ce principe comme « Un ». On pourra s’étonner au passage de l’absence de toute référence aux travaux de Lambros Couloubaritsis sur cette question. Plotin, qui enseigne que l’être est fonction de l’unité, n’aurait-il pas dû conclure qu’« à l’unité la plus haute et la plus achevée correspond aussi l’être le plus haut et le plus achevé » (p. 162) ? En d’autres termes, l’hénologie héritée de Platon n’est-elle pas traduisible dans les termes d’une métaphysique de l’être (p. 163) ? Quoi qu’il en soit, la « double transcendance » (expression de Carlos Steel pour désigner la transcendance de l’Être par rapport aux multiples étants et celle de l’Un par rapport à l’Être), est un trait essentiel du néoplatonisme (p. 164). Et, pour Plotin, l’Un n’est pas « l’indéfini tracé en creux par les formes finies, mais le positivement infini ; non pas l’en deçà ou l’en-creux du quelque chose, mais l’au-delà positif et insaisissable de toutes choses […] en amont de la superstructure de l’être et de toute superstructure concevable » (p. 165).
J.-M. Narbonne en conclut que la métaphysique de Plotin est bien, d’un certain point de vue, « une métaphysique de la fondation et par là une onto-théologie », mais que celle-ci « institue à son sommet un existant tout à fait singulier dont la nature transcende la figure classique de l’étant fondateur ». La nouveauté de Plotin n’est donc pas d’avoir interrompu le projet classique d’une recherche du fondement, mais bien de lui avoir communiqué « une dimension nouvelle, celle d’une réflexion arc-boutée sur l’infini » (p. 165-166).