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Ce petit volume consacré à Hilbert est le vingt-neuvième de la collection « Figures du savoir » publié aux éditions Les Belles Lettres. Nous avons rendu compte du Cantor de Jean-Pierre Belna dans la même collection ici-même (Philosophiques, vol. 28, no.1, 2001, pp. 238-239). La vocation pédagogique de cette collection ne se dément pas dans le présent opuscule : il s’agit en fait d’une présentation simplifiée (trop simplifiée à certains moments) des aspects les plus connus de l’oeuvre de Hilbert. L’ouvrage est d’un mathématicien philosophe qui n’est manifestement pas logicien, puisque les questions délicates de la métamathématique hilbertienne semblent lui échapper.
Sur un ton résolument vulgarisateur, l’auteur présente la méthode axiomatique (chap. II) et le programme formaliste (chap. III) après avoir consacré un long chapitre initial à l’homme et à l’oeuvre. L’oeuvre, l’auteur l’a peu lue si l’on se fie à son rapport. Il n’a pas lu Kronecker non plus, dont il répète (pp. 26 et 42) qu’il a peu écrit, ignorant du même coup les cinq tomes des Werke (deux mille pages) édités par les soins de Kurt Hensel et qui contiennent le texte séminal de 1882 « Grundzünge einer arithmetischen Theorie der algebraischen Grössen » qui fait à lui seul près de 150 pages. Cette ignorance n’est pas sans conséquence, puisqu’elle pousse l’auteur à des déformations historiques importantes lorsqu’il tente de faire reposer le finitisme de Hilbert sur les critiques de Poincaré alors que de l ‘aveu même de Hilbert, c’est Kronecker qui a inspiré sa démarche dès le départ. Les premiers travaux sur la théorie des invariants réfèrent constamment à Kronecker et utilisent même le langage kroneckerien des domaines de rationalité « Rationalitätsbereiche » plutôt que celui de la théorie dédékindienne des corps « Körper » . Jusqu’à la fin, Hilbert reconnaîtra sa dette envers Kronecker et l’auteur ici n’a pas pris la peine de chercher plus loin que les lieux communs habituels sur le nombre tout en reprenant le barbarisme « contentuel » calqué sur l’anglais « contentual » pour rendre l’allemand « inhaltlich » que des auteurs plus avertis ont traduit par « logique interne ». Pour le reste, l’exposé de la méthode axiomatique et du programme formaliste ne dépasse guère le commentaire scolaire d’une initiation élémentaire. S’il y a peu d’erreurs factuelles — on doit lire 15 au lieu de 14 (en page 47) pour le problème de Waring résolu par Hilbert qui stipule que tout entier s’écrit comme somme d’au plus quatre carrés, d’au plus neuf cubes, etc. et Gödel (page 158) n’a pas démontré en l938 l’indépendance de l’axiome du choix et de l’hypothèse du continu, mais leur consistance relative — on ne peut s’attendre à une interprétation neuve d’un auteur et d’une oeuvre parmi les plus importantes du vingtième siècle.
Trois appendices contiennent des définitions (I) et des notices biographiques (III). Le deuxième sur la philosophie du signe tente un curieux rapprochement entre Gentzen et Derrida. La contribution philosophique de l’auteur se résume à déclarer que le raisonnement linéaire, que Gentzen désignait comme « lineares Räsoniren », se prête à la lecture derridienne du privilège de la voix ! On pourrait ajouter que ce sont les séries de puissances infinies (en analyse mathématique) qui en notent les intonations. En somme, cet ouvrage d’initiation ne servira qu’à un public peu averti qui n’en sortira pas beaucoup plus instruit.