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« Théâtre et formation » constitue l’un des quatre axes de la Société québécoise d’études théâtrales (SQET). Il regroupe des personnes engagées dans l’enseignement de l’art dramatique / théâtre en contexte académique, communautaire, socioculturel ainsi qu’en recherche, qui partagent le désir de développer cet art auprès d’élèves, de citoyen·nes, de futur·es comédien·nes et enseignant·es, ainsi que la volonté de communiquer les résultats de leur réflexion. Le présent dossier de la revue Percées propose des contributions d’horizons divers qui s’intéressent à la question de la formation en art dramatique / théâtre et, plus particulièrement, aux approches et aux expériences privilégiées par les professeur·es et les enseignant·es dans ce domaine, aux méthodes et aux stratégies visant le déploiement de la créativité, de l’autonomie et de l’autorégulation de l’élève.

L’enseignement et l’apprentissage du théâtre passent par des occasions de rencontre, par l’expérimentation de différentes situations (Steiger, 2001) incitant l’apprenant·e à s’ouvrir à l’autre, à s’engager, à échanger, puis à donner du sens à ses expériences :

La formation […] doit se faire à partir de pratiques réflexives et dialogiques qui intègrent l’autoréférence, le paradoxe dialogique et la co-construction systémique des savoirs. […] [De fait], la mise en pratique d’une formation [en théâtre] doit être en elle-même une expérience [créative]. Elle implique une dialectique entre les principes, le contexte et les acteurs de la formation

(Galvani, 2016 : 3).

Enseigner exigerait donc une créativité pédagogique favorisant une diversification des approches. Si le·la formateur·trice en art dramatique / théâtre se doit de placer l’étudiant·e « en présence du plus grand nombre possible d’expériences artistiques » (Chouinard, 2001 : 100), il importe de problématiser ces dernières. C’est en ce sens que les autrices de ce numéro rendent compte de travaux de recherche et d’expériences de formation autour de « la tâche du formateur [qui consiste] à repérer, puis [à] dégager, chez les aspirants-comédiens, le canal par lequel ils auront accès à leur propre désir, pour leur permettre de goûter ce désir en eux » (Dubois, 2001 : 144).

Les articles portent tous un regard innovant sur les manières d’enseigner et de nourrir les relations au sein de la situation pédagogique, en abordant l’enjeu de la créativité et les stratégies qui la maintiennent vivante. En contexte de formation théâtrale, questionner la relation pédagogique amène à revoir les modalités d’accompagnement pour guider les élèves dans leurs apprentissages, et ce, dans un rapport dialogique. Il devient alors pertinent de s’interroger sur la présence de l’engagement dans le processus de création avec des participant·es dans un contexte de formation formel ou informel, de même que d’identifier ce que l’on met en place pour mousser la créativité de l’élève tout en l’assistant dans le développement de son autonomie.

Le présent numéro de Percées se divise en deux parties traitant d’approches pédagogiques et artistiques en milieu scolaire, universitaire et communautaire. La première, intitulée « Dossier », présente cinq articles qui réfèrent à des travaux de recherche, alors que la seconde, ayant pour titre « Documents », est composée de quatre textes qui, mettant en lumière des expériences et des récits de pratiques personnels, apportent des éléments de réflexion depuis un autre point de vue.

Dossier

Signant le premier article du dossier, Carole Marceau et Francine Chaîné partagent le résultat d’une recherche réalisée en 2016 auprès d’adultes d’un groupe communautaire et d’étudiant·es d’un groupe universitaire qui se sont engagé·es dans un processus de création en art dramatique. Cette recherche à caractère ethnographique tente de faire émerger les apprentissages qu’ont faits les participant·es et les deux formatrices et autrices de l’article. Par la suite, Mariette Théberge cherche à comprendre comment des modèles référentiels peuvent inspirer, chez des enseignant·es, des approches privilégiées pour favoriser la création théâtrale d’élèves du secondaire. L’autrice fait ressortir les stratégies propices à faire naître chez les adolescent·es un sens d’ouverture à la création théâtrale ainsi qu’une motivation et un engagement malgré les défis qu’il·elles rencontreront en cours de route. De son côté, Marie-Josée Plouffe nous invite à centrer notre attention sur le rapport au commencement de la création. S’appuyant sur la méthodologie de théorisation enracinée (la « grounded theory »), l’autrice approfondit les dimensions ludique et symbolique se rapportant au début de ce processus, dimensions qui ajoutent du sens à l’expérience vécue par les participant·es et qui mènent à une convergence de propositions de création. L’article de Lucie Villeneuve aborde quant à lui la force du langage en contexte artistique et pédagogique. Appuyée des travaux de Charles Taylor et de Paul Ricoeur, elle expose d’abord les composantes de la compétence linguistique, pour ensuite s’intéresser au langage des metteur·es en scène et des enseignant·es en contexte de création théâtrale. La démarche de l’autrice démontre comment le littéraire, en créant des contrastes, des décalages et des effets de surprise, constitue un outil didactique favorable à l’éveil de l’imaginaire. Finalement, Marie-Eve Skelling Desmeules traite des approches et des stratégies privilégiées par cinq professeur·es de voix, d’interprétation et de mouvement d’une formation professionnelle de l’acteur·trice. Prenant la forme d’une étude de cas multiples, cette recherche permet de mieux comprendre de quelles manières ces approches et stratégies sont susceptibles d’établir, au sein des groupes, un climat de confiance, un état de disponibilité au jeu, une différenciation pédagogique et une responsabilisation des étudiant·es, en tendant vers une finalité commune d’autorégulation.

Documents

Les quatre articles de la seconde partie s’inscrivent également dans des projets touchant la formation en art dramatique / théâtre, mais ils rendent visible une posture qui s’ancre davantage dans « un mode plus organismique et plus holistique de la connaissance » (Sévigny, 2003 : 129). En effet, cette deuxième série de textes fait place à un partage d’expériences et de récits de pratiques en insistant sur « la signification à la fois concrète et personnelle de ce qui est vécu » (idem). Ils font ainsi ressortir certains aspects de la préparation et de la réalisation de différents types d’expériences d’enseignement et d’apprentissage dans ce domaine, dont les contraintes, les conditions particulières appartenant à chaque contexte, les événements importants qui ponctuent le déroulement de l’activité, les réflexions qui nourrissent les approches et celles qui en découlent, les actions commises et les réactions éprouvées, puis l’impact de celles-ci sur le plan de la connaissance de soi et de l’autre, sur la pratique individuelle à l’intérieur d’une collectivité. Les autrices s’appuient « sur l’idée que l’analyse “d’histoires vraies”, liées à une pratique donnée, exploitée sous forme de résolution de problèmes auprès de groupes restreints, contribue à développer le jugement de ceux qui s’initient à la pratique professionnelle » (Desgagné et al., 2001 : 42) et élèvent, au rang de données sensibles, les réflexions qu’ont des professionnel·les au regard de leur milieu de pratique.

Dans cet esprit de partage, Aline Carrier relate l’odyssée qu’elle a vécue avec d’ancien·nes élèves de la Polyvalente Benoît-Vachon de Sainte-Marie. S’étant aventurée dans un travail d’exploration et de mise en scène du jeu bouffonesque en vue de présenter, dans des lieux variés, la pièce Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons) de Marc Doré, elle réfléchit ici au concept de la zone proximale de développement (ZPD) de Lev Vygotski afin d’alimenter ses stratégies pédagogiques. Pour sa part, Claire Fogal traite des méthodes d’enseignement de quatre artistes issu·es des lignées d’Étienne Decroux et de Jerzy Grotowski et ayant contribué de manière significative à la formation théâtrale à Vancouver durant les quatre dernières décennies. En effet, son texte ouvre une fenêtre sur les pratiques de Dean Fogal, de Linda Putnam, de Kathleen Weiss et de David MacMurray Smith, centrées à la fois sur le développement de l’autonomie des acteur·trices et de leur bien-être psychologique, sur l’instauration d’un sentiment respectueux et d’unicité, puis sur la conscience d’une connexion à l’espace et à autrui. Par la suite, Emily Lombi se penche sur diverses perspectives d’étudiant·es qui ont suivi, auprès d’elle, une formation en études théâtrales à l’Université Bordeaux Montaigne et qui se sont livré·es à l’exercice de mettre en récit leur vision du théâtre et de l’acteur·trice ainsi que leurs aspirations au regard de ce domaine. C’est d’abord dans une visée d’évaluation linguistique que les étudiant·es ont brodé autour de leurs expériences et de leurs opinions personnelles, qu’il·elles ont partagé leurs incertitudes et leurs interrogations. Dans le cadre de son article, Lombi présente une mise en dialogue des voix multiples qui dévoilent autant de postures d’apprenant·es et d’enjeux sous-jacents. Puis, en clôture de ce dossier, nous retrouvons les propos de Lise Roy qui, prolongeant les réflexions entamées, s’en distinguent néanmoins. Cet article nous invite à suivre les parcours de formation théâtrale pouvant être vécus dans des institutions situées à Stockholm, à New York et à Montréal. Ce qui est proposé par ces écoles, se demande Roy, est-il comparable et en phase avec les impératifs actuels du métier? C’est en se rapportant à des entrevues tenues auprès de membres de ces institutions ainsi qu’à ses propres expériences de comédienne et d’enseignante, et en tissant des liens avec ce qui est offert comme formation, que l’autrice tente une réponse.

Au terme de l’élaboration de ce numéro, il va s’en dire que les pratiques et les expériences vécues par une personne demandent que nous les interprétions puisqu’elles impliquent « une imposition arbitraire de sens sur le flot de la mémoire[,] en ce que nous mettons en lumière certaines causes et en discartons d’autres » (Bruner, cité dans Desmarais, 2009 : 371). Si l’expérience vécue dépasse toujours le discours disponible pour la traduire (Savoie-Zajc, 2004), nous osons croire que la lecture de ces textes, référant à une diversité de contextes et reposant sur un contenu riche, conduira à nourrir les réflexions, les dialogues, tout comme les inspirations présentes ou à venir.