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INTRODUCTION

Du latin interventio (« caution, garantie »), le propre de l’intervention en travail social est de se placer entre l’individu et son milieu, en agissant ou en orientant des actions, ce qui peut induire un rapport de pouvoir, une posture d’autorité ou d’intrusion directe. Acontrario, dans le cadre d’interventions fondées sur l’approche autobiographique, l’intervenant se positionne en tant qu’« intervenant-accompagnant-thérapeute » par le fait même de sa présence et de sa non-intervention qui informent le changement et la transformation de l’individu qui se narre (Desmarais, 2009). Dans cette perspective, l’approche autobiographique en intervention invite le participant à mettre en oeuvre ses propres ressources pour à la fois revisiter son histoire et réaliser une narration de soi afin de mieux s’en distancier. Partant des postulats que l’individu est l’expert de sa trajectoire de vie, qu’il possède ses habiletés et ses ressources inhérentes et que l’intervenant est un « accompagnant-thérapeute » participant de son expertise professionnelle et de ses expériences de vie, l’approche autobiographique est présentée dans une perspective non hiérarchique et de réciprocité.

Plusieurs études ont validé les contributions de l’approche autobiographique en intervention (Birren et Svensson, 2009 ; Birren, 2006 ; Kenyon, 2000 ; Taylor et Mintzer, 2005) ; or les paramètres qui circonscrivent le rapport entre l’intervenant et le sujet qui se raconte, notamment en intervention de groupe auprès d’aînés, semblent avoir été moins explorés jusque-là.

L’article a d’abord pour objectif de présenter une modélisation conceptuelle de l’utilisation de l’approche autobiographique en intervention. Par la suite, les auteures abordent les singularités de cette approche d’intervention de groupe auprès d’aînés autonomes vivant en communauté rurale franco-ontarienne. Dans ce type d’expérience, la posture de l’intervenant-accompagnateur-thérapeute est mise de l’avant. En conclusion, l’article fait état des avantages liés à l’utilisation de l’approche autobiographique en intervention de groupe.

MODÉLISATION CONCEPTUELLE DE L’APPROCHE AUTOBIOGRAPHIQUE EN INTERVENTION

Ce schéma, issu d’une brève recension des savoirs (Capelliez, 2018 ; Reimer, 2017 ; Sanséau, 2005), propose six étapes chronologiques distinctes situant la démarche d’intervention autobiographique.

  1. L’École de Chicago : « issue de la sociologie et de la tradition de l’école de Chicago développée à partir des années 1920, cette méthode est plus couramment utilisée en histoire, en sociologie ou encore en ethnosociologie » (Sanséau, 2005, p. 35).

  2. L’approche (auto)biographique fait référence aux « approches visant à reconstruire le parcours vécu, l’histoire d’une vie, sur la base de récits ou d’autres supports de données narratifs (tels que des entrées de journal intime) » (Reimer, 2017, p. 2).

  3. L’analyse (auto)biographique permet l’accès à l’interprétation subjective et propre à l’individu de son parcours, au potentiel de souffrance et aux réalisations (de résilience notamment) ainsi qu’à la perception qu’a l’individu des réalisations de son entourage (Reimer, 2017, p. 2).

  4. Processus qui nécessite plusieurs séances

  5. Mise en application qui demande à l’individu de mettre en oeuvre ses propres ressources pour à la fois revisiter son histoire, réaliser une narration de soi, pour ultimement mieux s’en distancer.

  6. Avantages : une approche individualisée et unique à soi ; donne la parole et le pouvoir à l’individu. Limites : nécessite un savoir-être ; déconseillée en thérapie dans les cas de dépression (Cappeliez, 2018).

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INTERVENTION AUTOBIOGRAPHIQUE DE GROUPE AUPRÈS D’AÎNÉS EN MILIEU RURAL FRANCO-ONTARIEN

Du fait que le vieillissement est un processus dynamique, interactif et sujet à des transitions majeures (Phoenix et al., 2010) et que plus nous vieillissons, plus nous devenons uniques et distincts (Randall, 2007), un intérêt certain a été accordé aux histoires de vie dans le champ de la gérontologie (Kenyon et al., 2001 ; MacAdams et al., 2001 ; Wyatt-Brown, 2003). Reconnue et validée scientifiquement, l’approche autobiographique selon la méthode Birren a été élaborée au cours des 40 dernières années pour aider les gens à documenter leurs histoires de vie dans un contexte d’intervention de groupe (Birren, 1999 ; 2001). Dans le cadre de nos interventions de groupe à effet thérapeutique au Centre de santé communautaire de l’Estrie, l’objectif de cette méthode structurée[1] est de renforcer l’estime de soi et d’améliorer la communication au sein de la communauté et des familles.

Pour ce faire, diverses techniques sont utilisées pour permettre d’accéder à des mémoires significatives et enfouies dans le but d’en effectuer une intégration. Erikson (1958 ; 1963) a décrit l’intégrité de l’ego comme étant « l’acceptation du seul et unique cycle de vie comme quelque chose qui devait être » et plus tard, comme « un sentiment de cohérence et d’intégrité ». Selon lui, au dernier stade de la vie, l’individu est à la recherche d’un sentiment de plénitude : il doit faire un bilan positif pour atteindre une certaine intégrité, ce qui l’aide à faire face à la finitude de la vie avec sérénité. Ce cheminement invite à un dépassement, à une mise en perspective des éléments marquants de la vie et à une profonde transformation d’ordre spirituel et existentiel, notamment grâce aux interactions vécues en groupe. Il est en effet notoire qu’écrire et partager des histoires de vie en petit groupe sont des moyens idéaux de valoriser et de mettre les événements de sa vie en perspective (Collins, 2005 ; Haight et Gibson, 2005). En se connectant les uns aux autres dans leur voyage à la découverte d’eux-mêmes, les participants gagnent une meilleure appréciation de leur propre vie ainsi que de la vie des autres personnes (Alea et al., 2009).

Dans cette perspective, l’autobiographie guidée qui est utilisée au Centre de santé communautaire de l’Estrie est une méthode puissante pour mieux se comprendre et se comprendre dans le monde grâce au processus structuré utilisant à la fois les réminiscences, la thérapie narrative et l’exploration psychologique, et intégrant en groupe des expériences individuelles. La recherche a démontré qu’à l’issue du cheminement, les participants sont en mesure de retrouver une connexion intérieure avec leur être profond et de donner un sens à leur vie (Reker et al., 2009) ; de nourrir des relations de confiance et de développer des liens d’amitié avec les autres membres du groupe (Hoffman, 2004) ; de développer plus de pouvoir personnel et d’agir en raison d’une meilleure estime de soi (Bohlmeijer et al., 2003) ; d’identifier leurs propres besoins d’apprentissage et d’approfondir leur processus d’actualisation de soi (Kelly et Mosher-Ashley, 2002). D’autres bénéfices majeurs ont également été identifiés, tels que croissance personnelle, diminution de l’anxiété, recrudescence d’intérêt pour des activités passées et capacité à faire face à la vie avec le sentiment d’avoir contribué au monde (Thornton, 2008).

LA POSTURE INTERVENANT-ACCOMPAGNATEUR-THÉRAPEUTE

Outre ses effets thérapeutiques, nous avons pu observer que l’approche autobiographique crée un momentum spécifique permettant de générer de nouveaux apprentissages. Dans cette perspective, nous nous sommes questionnées quant à notre posture et à notre rôle : intervenante-accompagnante ou intervenante-thérapeute ? Quel est notre rapport avec les narrateurs ? Nous tentons d’y apporter une réponse en nous référant à la littérature existante sur les limites de cette différenciation.

Pour nous aider à distinguer les limites de cette différenciation, citons Legrand (1993a) pour qui, « il y a thérapie lorsqu’il y a travail sur la souffrance psychique ». Lévy (1983) considère, de son côté, qu’« il y a antinomie entre le processus de formation visant à faire acquérir des objets préexistants (connaissances, attitudes) et le processus thérapeutique qui implique une évolution vers un état interne propre au sujet ne pouvant être défini au départ ». Cependant, selon Lainé (2007), puisque la démarche « histoire de vie » constitue un processus de formation où s’acquiert du savoir, il serait erroné de distinguer le processus de formation du processus thérapeutique. Nous le rejoignons lorsqu’il explique de plus que : « l’être apprenant est aussi un être désirant et souffrant, qui est en apprentissage parce qu’il désire et souffre, et qui en retour, est profondément transformé par le processus de formation » (Lainé, 2007, p. 123). Dans cette perspective, selon Hillman (1993), « parfois, ce ne sont pas les personnes qui ont besoin d’être soignées, mais leur histoire » (p. 316). Il s’agit donc de se pencher sur l’histoire de vie en la revisitant et en y accueillant la dimension souffrante et universelle de l’existence. Dans la démarche autobiographique, il est question de revoir la vie dans sa globalité et dans ce qu’elle a d’universel pour y retrouver du sens (Legrand, 1993b), l’histoire de vie devenant un moyen privilégié d’autoformation, soit une activité qui consiste à « se donner une forme c’est-à-dire de mettre ensemble des éléments dispersés (Pineau et Marie-Michèle, 1983). Ainsi, donner une forme à son histoire permet une intégration des événements en un tout cohérent, d’où la valeur formative de l’expérience.

Outre la production d’écrits, l’approche autobiographique selon Birren (1999) favoriserait l’apprentissage des adultes dans trois domaines (Thornton, 2008) : 1. la découverte de soi ; 2. la découverte sur les autres en partageant leurs histoires de vie ; et 3. les apprentissages découlant de la structure et des activités propres à l’atelier[2]. C’est ancrées dans une posture humaniste-existentielle, que nous favorisons une relation fondée sur la transparence et l’égalité, en encourageant la spontanéité et la créativité de chaque individu. L’intervention devient alors le fruit de notre rencontre avec l’histoire personnelle, familiale et sociale des participants. À l’instar de Renaud (2001), nous choisissons de nous ouvrir à la richesse de l’être et l’intervention se présente alors comme un processus de consolidation de la capacité d’être de la personne.

Afin de mieux situer notre implication au Centre de santé communautaire de l’Estrie, nous proposons la métaphore d’un voyage organisé dans lequel notre rôle et notre responsabilité sont de conduire les participants en sécurité, tout en leur présentant des paysages à découvrir et à commenter. Les participants deviennent alors des « compagnons de route » qui écrivent et partagent leurs histoires de vie, mettent les événements en perspective et découvrent un nouveau sens à leur vie. Ce paradigme idéologique rejoint celui de Yalom (2018) selon qui : « nous sommes ensemble engagés dans cette entreprise et aucun thérapeute, ni personne, n’est à l’abri des tragédies de l’existence », illustrant de manière éloquente l’interrelation et le rapport égalitaire qui existe entre l’aidé et l’aidant. Plutôt qu’intervenir à tout prix, nous cherchons donc à nous détacher de notre expertise professionnelle pour accompagner et ainsi ouvrir un possible sans chercher nécessairement à résoudre les problèmes des autres à leur place. L’intervention se construit alors comme une relation significative produisant une « efficacité symbolique » par l’écoute, le contact, la chaleur, le temps et la confiance (Renaud, 2001). Notre défi est d’inciter les participants à prendre la responsabilité de leur vie pour découvrir la trame de leur existence et donner du sens à leurs expériences, le tout dans un cadre thérapeutique. En tant qu’accompagnatrices, notre rôle est donc délicat, car il s’agit de guider sans influencer et d’agir sans agir. Dit autrement, agir en tant que catalyseur positif, ce qui signifie d’être attentionnées, d’observer, d’identifier, de mettre en valeur des résonances au sein du groupe et de rallier l’individu autour de la « destination » du changement.

CONCLUSION

Au travers de l’intervention présentée, de type thérapeutique auprès de groupes d’aînés, nous avons examiné l’approche autobiographique en nous questionnant sur le rapport entre l’intervenant et le sujet qui se raconte. L’objectif n’était pas de présenter un argumentaire sur le bien-fondé de l’approche autobiographique du fait que d’excellentes sources se sont déjà penchées sur ces questions. Notre intention était, d’une part, de présenter un contexte d’intervention ancré dans son milieu de pratique afin de mieux comprendre l’usage de l’approche autobiographique et, d’autre part, de distinguer le rôle et l’influence de l’intervenant dans ce contexte. Partant du principe que le propre de l’intervention en travail social peut induire une posture d’autorité de laquelle dérive un certain pouvoir, nous avons mis en évidence que le fait d’encourager une démarche narrative, permettant à l’individu de se raconter, favorise le déclenchement d’une série d’autorévélations, une vision intégrative et cohérente de son histoire de vie, renforce la capacité à définir son identité et à prendre en main son destin. Notre posture pourrait dès lors s’apparenter à celle d’un agent-catalyste ou d’un accompagnateur soutenant l’individu, en l’occurrence le participant-aîné, dans sa quête identitaire, tout en respectant son autonomie. Cette exploration nous permet de conclure que l’utilisation de l’autobiographie offre un espace de liberté qui fait abstraction des rapports de domination, ce qui crée inévitablement un lien égalitaire de réciprocité entre l’intervenant et l’individu, en permettant à ce dernier de donner de la consistance et de la cohérence à son histoire de vie.