Abstracts
Résumé
En exposant des animaux en captivité, les zoos modernes s’autolégitiment comme des espaces d’éducation à la conservation de la biodiversité. Alors que ce positionnement soulève régulièrement des critiques, nous avons voulu savoir quelles sont les postures éducatives des pédagogues de zoo, lors de visites scolaires. Les déclarations de quinze d’entre eux montrent que, dans l’espoir de sensibiliser à la protection d’espèces menacées, et sous contraintes institutionnelles, ils développent une pédagogie des émotions visant la transmission de savoirs bioécologiques, adossée à une éthique animale utilitariste et instrumentale. Sachant que le pluralisme des valeurs données aux animaux pourrait faciliter l’entrée des publics dans une éducation critique, nous en appelons au développement au zoo d’une écopédagogie à la fois sensible, cognitive et morale.
Mots-clés :
- éducation au zoo,
- éthiques animales,
- écopédagogie
Abstract
Zoos often legitimize themselves as spaces for biodiversity and conservation education through the exhibition of captive animals. Although this rationale is frequently criticized, we investigated how zoo educators approach the educational dimensions of school visits. Insights from fifteen of them suggest that, in their effort to raise awareness about endangered species conservation, and within the constraints of institutional settings, they develop a pedagogy of emotions, rooted in a utilitarian and instrumentalist ethic towards animal. Given the pluralistic values assigned to animals in society, zoo educators could enhance critical education by introducing students to an ecopedagogy that is both sensitive, cognitive and ethical.
Keywords:
- zoo education,
- animal ethics,
- ecopedagogy
Resumen
Al exhibir animales en cautiverio, los zoológicos modernos se auto-legitiman como espacios de educación para la conservación de la biodiversidad. Aunque esta posición genera regularmente críticas, quisimos saber cuáles son las posturas educativas de los pedagogos de zoológicos durante las visitas escolares. Las declaraciones de quince de ellos muestran que, con la esperanza de sensibilizar sobre la protección de especies amenazadas y bajo restricciones institucionales, desarrollan una pedagogía basada en las emociones que busca transmitir conocimientos bioecológicos, respaldada por una ética animal utilitarista e instrumental. Sabiendo que el pluralismo de valores dados a los animales podría podría facilitar el acceso del público a una educación crítica, hacemos un llamado al desarrollo en el zoológico de una ecopedagogía que sea tanto sensible, cognitiva como moral.
Palabras clave:
- educación en zoológicos,
- ética animal,
- ecopedagogía
Article body
1. Introduction et problématique: les zoos, des espaces éducatifs controversés
Parc animalier, jardin zoologique, réserve zoologique ou encore parc de conservation, le zoo revêt de nombreuses appellations et recouvre des réalités spatiales et temporelles différentes (Baratay et Hardouin-Fugier, 1998; Mullan et Marvin, 1998). Alors que certains prennent l’allure de parcs d’attractions, d’autres se spécialisent dans la conservation génétique d’espèces animales menacées, de taille variable. Aujourd’hui, le zoo est surtout reconnu comme un lieu de divertissement populaire, proposant une rencontre entre des animaux sauvages, le plus souvent exotiques, et des publics hétéroclites (Bekaert et Houadfi, 2019).
Selon l’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ), qui fédère en France une centaine de parcs sur l’ensemble de 350 existants, «chaque année, plus de 140 millions de personnes visitent les parcs zoologiques européens, dont 24 millions en France parmi lesquels 1 million de scolaires».
Patrick et Tunnicliffe (2013) distinguent trois types de discours à propos des zoos: ceux des publics en visite libre, ceux des publics scolaires et ceux des personnels de zoo, avec des intentions de visite différentes. Si les visites libres se font pour des raisons d’ordre social, principalement pour passer du temps avec des amis, des parents, et voir des animaux, les publics scolaires se rendent au zoo avec l’intention d’illustrer ou de compléter les programmes d’enseignement de taxonomie et de biologie animale, à travers une expérience didactique qu’ils considèrent différente de celles vécues en classe, plus divertissante et plus ancrée dans le réel (Kisiel, 2005). Pour les personnels de zoo, même si les motivations sont probablement multiples, l’intention d’une visite au zoo est officiellement éducative, liée à la volonté de transmettre des savoirs sur la conservation des espèces, à travers la rencontre avec des animaux, certains représentant d’espèces menacées. Dans cette étude, nous nous intéresserons aux discours des éducateurs en zoo, que nous appellerons «pédagogues de zoo», en référence au Comité français de la pédagogie zoologique (CFPZ) qui a permis la conduite de cette enquête.
Pour la plupart membres de fédérations supranationales accréditantes, comme l’association World Association of Zoos and Aquariums (WAZA), l’association européenne EAZA ou encore l’Association américaine des zoos et des aquariums (AZA), les zoos se présentent aujourd’hui comme des lieux assurant trois fonctions principales, explicitées officiellement par la communauté zoologique en 1993, dans un texte de l’Union internationale pour la conservation de la nature intitulé The role of zoos and aquaria in global conservation. Les missions déclarées sont les suivantes: la recherche scientifique, la protection et la conservation in situ et ex situ d’espèces menacées, et la mise en place d’actions ciblées de sensibilisation à la préservation des écosystèmes.
Ces missions sont le résultat d’une histoire fortement marquée par une mutation des sensibilités envers la souffrance et la liberté animale, amorcée en Angleterre à la fin du xviiie siècle (Larrère, 1997). Alors que de nombreux mouvements associatifs antizoos s’organisent à travers l’Europe dans les années 1960, le philosophe utilitariste australien Peter Singer lance en 1975 le débat éthique contemporain en faveur du bien-être et de la libération animale (Jeangène Vilmer, 2016). La mission éducative au sein des zoos émerge à la même époque avec la naissance des départements d’éducation dans ces institutions, et dans le contexte d’une crainte de déconnexion entre enfants urbanisés et faune sauvage (Conway, 1969). Les zoos urbains occidentaux assument alors progressivement un rôle éducatif, à côté des missions de conservation des espèces et de recherche scientifique.
Dans les années 1980, alors que les philosophes continuent de débattre de la sensibilité, du bien-être et des droits des animaux, dans un cadre éthique qui cherche à étendre les droits de l’homme à l’animal sensible (Larrère, 1997; Jeangène Vilmer, 2016), les zoos sont contraints de développer une argumentation légitimant l’utilité publique de la captivité animale, en hybridant éthique animale et éthique environnementale. Ainsi, tout en déclarant oeuvrer pour l’amélioration continue des conditions de vie des animaux en captivité, s’inscrivant alors dans une éthique animale utilitariste, ils défendent officiellement leurs missions d’éducation et de conservation des espèces à partir d’animaux en captivité, en se référant à une éthique environnementale de portée holistique (Larrère et Larrère, 2016; Guichet, 2013; Partoune, 2019a).
Aujourd’hui encore, ces espaces de captivité animale soulèvent des controverses et débats éthico-éducatifs. Plus globalement, et comme nous allons le préciser, ce qui est questionné au zoo, ce sont les valeurs socioéducatives et environnementales qui sont données aux animaux captifs.
1.1 Un univers éthiquement controversé
Sur le registre éthique, les conditions de détention des animaux, leur bien-être, leur utilisation comme objets de divertissement des publics, la pertinence de conserver dans des enclos des représentants d’espèces menacées, loin des spécificités de leur mode de vie (Minet, 2019), animent les discussions critiques à l’encontre des zoos. À titre d’exemple récent, les courants antizoos, qui s’inscrivent dans les éthiques animales antispécistes et abolitionnistes des années 1970 (Paoli, 2019; Partoune, 2019a), se sont mobilisés contre les euthanasies pratiquées dans certains zoos, aux motifs de surpopulation ou de consanguinité. «Moins considéré comme un être singulier que comme le représentant d’une espèce dont la fonction est de préserver son patrimoine génétique» (Mouret, 2014, p. 83), soutenu par un alibi à la fois éducatif et écologique (Jeangène Vilmer, 2016), ce droit de mort sur l’animal (Canel-Depitre, 2024), dans une logique de «gestion des collections», révèle l’adhésion à une éthique environnementale biocentrique (Larrère, 2010), donnant une valeur à l’animal, non pas en tant qu’individu, mais en tant que représentant génétique d’une espèce menacée.
Pour les mouvements antispécistes, la stratégie du zoo consisterait à faire croire qu’il sauvera des espèces de l’extinction, grâce à des «individus ambassadeurs» dont il garantit le bien-être, afin de déculpabiliser les visiteurs (Partoune, 2019a). Selon la définition proposée par l’Association américaine des zoos et des aquariums (AZA, 2015), un animal ambassadeur peut être manipulé et formé par le personnel ou les bénévoles pour interagir avec les publics, en vue d’atteindre des objectifs d’éducation et de conservation. Le zoo se place ainsi dans une éthique animale utilitariste et instrumentale, puisqu’il déclare assurer le bien-être de ces êtres sensibles qu’il considère comme de puissants catalyseurs d’apprentissage et d’empathie, à travers l’expérience de rencontre avec les visiteurs.
Si l’on considère la pédagogie comme un agir éthique (Pereira, 2020), les pédagogues de zoo se trouvent alors aux prises avec deux éthiques à concilier dans une approche éducative de la conservation de la biodiversité: une éthique animale individualiste et utilitariste, et une éthique environnementale holistique (Larrère et Larrère, 2016). Les zoos posent alors la question suivante: quelle serait l’éthique qui s’appliquerait au monde des animaux en captivité? Ni domestiques, ni sauvages, ils font partie d’une communauté mixte (Larrère et Larrère, 2016) qui les relie par un contrat tacite aux humains présents dans cet espace d’enfermement (Herzeld, 2016).
1.2 Une mission éducative critiquée
Un autre registre de controverses, intimement lié au précédent, est celui portant sur les supposées vertus éducatives de ces espaces de captivité animale. De nombreux parcs proposent des animations et des ateliers lors de visites scolaires encadrées par des pédagogues de zoo.
Au Royaume-Uni, la publication en 2007 du rapport de l’association de défense des droits des animaux, la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA), avait alimenté des débats sur les intentions éducatives des zoos. D’après la revue de littérature réalisée par l’association, le zoo doit encore démontrer sa pertinence en matière d’éducation. L’intention éducative ne suffit pas (RSPCA, 2007). Pour les mouvements antizoos, comme la Captive Animals Protection Society en 2010, les apprentissages résultant de la visite d’un zoo pourraient être plus négatifs que positifs (Jensen, 2013).
Si Moss et Esson (2013) appellent les chercheuses et les chercheurs en éducation à la vigilance critique face à des missions autolégitimées dans le discours des zoo eux-mêmes, plus de 10 ans après ces critiques, les recherches internationales proposent quelques résultats qui appelleraient une méta-analyse quant aux apprentissages suscités par les zoos. Plusieurs travaux montrent que la visite développe chez des jeunes publics un rapport émotionnel d’empathie à l’animal (Clayton et al., 2009; Vitores, 2012), facilité par la présence d’un éducateur (Jensen, 2013). Dans cette approche sensible (Partoune, 2019b), les discours des publics sont marqués à la fois par un apprentissage de la distinction humain/non humain (Servais, 2012). Ils sont teintés d’anthropomorphismes, ce qui pourrait, selon Nicholl (2024), amorcer des approches éducatives d’ordre éthique. Au-delà de cette sensibilisation à l’animal, dont il reste à démontrer l’effet transformateur sur les attitudes des publics, Patrick et Tunnicliffe (2013) soulignent que les jeunes développent également des connaissances à propos du nom, des caractéristiques et de la biologie de l’animal rencontré.
1.3 Une pédagogie entre sensibilisation à l’animal et éducation à la conservation des espèces?
Pour passer le cap entre empathie pour l’animal et action éducative en faveur de la conservation des espèces, Patrick et Tunnicliffe (2013) estiment que les discours des publics à propos de l’animal et de son comportement devraient faire l’objet d’un travail pédagogique. Ils proposent aux pédagogues de zoo d’intégrer les discours des jeunes publics dans un modèle linéaire socioconstructiviste d’éducation à la conservation des espèces, qu’elles illustrent à travers trois étapes cognitives (Patrick et Tunnicliffe, 2013):
Mais pour être complet, ce modèle écopédagogique de Patrick et Tunnicliffe (2013) devrait également intégrer des considérations éthiques, puisque chacune de ses étapes s’appuie sur des valeurs différentes données à l’animal (Larrère, 2010; Larrère et Larrère, 2016). Lors d’une expérience pédagogique au zoo, ce pluralisme des valeurs est-il perçu et mobilisé par ceux qui font vivre la pédagogie au zoo?
1.4 Problématique: quel agir éthique pour le pédagogue de zoo?
Considérer le zoo comme un espace éducatif nécessite de conduire des recherches focalisées sur les discours et les pratiques des visiteurs, mais aussi des éducateurs qui souvent les accompagnent (Patrick et Tunnicliffe, 2013). Tout en étant vigilants par rapport aux discours d’autolégitimation (Moss et Esson, 2013), nous avons inscrit notre recherche dans l’appel à des recherches critiques et compréhensives auprès des pédagogues de zoo.
Ainsi, les questions qui orientent nos recherches sont les suivantes: comment la question sensible de la captivité animale est-elle considérée, voire prise en charge par les pédagogues de zoo lors de situations de visite scolaire? Éventuellement, comment se positionnent-ils face au pluralisme des éthiques animales et environnementales? Quelles postures éducatives et quelles stratégies pédagogiques déclarent-ils déployer dans ces espaces d’éducation visant officiellement à sensibiliser les publics à l’animal et à transmettre des savoirs à propos de la conservation des espèces?
2. Cadre conceptuel: question sensible, pédagogie et postures éducatives
Dans certains parcs animaliers, en contexte de visite scolaire, l’enfermement de représentants d’espèces menacées peut devenir une question sensible pour les publics. Par question sensible, nous entendons une question toujours située, objet de polémique, et qui suscite une diversité d’émotions et de craintes (Reiss, 2019). Hirsch et al. (2015) précisent qu’un «thème sensible» se rabat essentiellement sur des conflits de valeurs, de croyances et de représentations sociales, en lien avec le contexte particulier dans lequel il est discuté et traité. Une question sensible possède une dimension éthique et politique (Tutiaux-Guillon, 2006), ce qui supposerait pour Kelly (1986), à des fins d’éducation critique, l’explicitation par le pédagogue de sa position sur la question. Pourtant, les recherches montrent que certains pédagogues peuvent adopter une posture d’évitement (Hess, 2004; Cotton, 2006; Urgelli et al., 2018), soit parce qu’ils considèrent qu’il ne s’agit pas de sujets importants en ce qui a trait à l’éducation, soit par crainte de la réaction de la communauté éducative et par refus du politiquement sensible en éducation (Audigier, 1993). Ces pédagogues transforment alors les thèmes sensibles en «sujets tabous» (Moisan et Hirsch, 2022). Notons que cet évitement pourrait également être lié à une représentation qui sous-estime la capacité des élèves à entrer dans la complexité et la nuance d’argumentaires épistémiques, éthiques et politiques.
En d’autres termes, une question sensible comme celle de la captivité animale au zoo peut mettre les pédagogues dans des situations de conflictualité et d’épreuve (Lemieux, 2018), qui les poussent à argumenter, à émettre des jugements de valeur et à adopter une attitude, une stratégie, une manière de faire et d’être, que nous qualifierons de posture, toujours liée à la situation et au contexte.
Le concept de posture s’appuie sur une vision particulière de la pédagogie et de la recherche pédagogique. Selon Chalmet (2010), en référence à Jean Houssaye (2000), l’action du pédagogue est sous-tendue par une rationalité critique et singulière née de la confrontation du sens d’un problème avec la mise en pratique. Ancrée par rapport à un individu et à sa liberté, l’action éducative émerge d’un débat entre praxéologie, axiologie et théories. Dans cette vision, le pédagogue, en tant que praticien théoricien, est capable d’analyser sa pratique, à l’interface du monde des idées pédagogiques et de celui des réalités pratiques. La pédagogie est donc une expérience marquée par le sens du problème et celui de l’épreuve, dans laquelle «le faire est à la source du dire» (Houssaye, 2000). Pour le chercheur, cela suppose de reconnaître la complexité et l’incertitude des situations, en renonçant à tout projet de totalisation. Au contact du pédagogue à qui est reconnue la capacité à débattre d’un projet éducatif et à tisser du sens, le chercheur essaie de détricoter le réseau complexe de significations agrégées entre elles, d’élucider les modalités de mise en relation, pour les retricoter à nouveau, en montrant que le résultat obtenu forme un modèle conforme à celui d’origine, sans affirmer pour autant sa possible reproduction hors du contexte culturel d’émergence (Chalmet, 2010). Cela suppose pour le chercheur, en quête de sens, à la fois de l’immersion et de la distanciation par rapport au pédagogue, afin de développer une lecture critique de la synthèse empirique et subjective que ce dernier esquisse.
Pour comprendre ses logiques d’action et de justification, ce qui motive ses choix, ses préférences mais aussi contraint sa liberté d’action, le concept de posture nous aide à réaliser cette lecture critique de la rationalité singulière du pédagogue, en détricotant et en retricotant le sens donné à l’action éducative. Les postures sont donc pour nous des analyseurs de discours et de pratiques pédagogiques facilitant la description et la compréhension des attitudes des pédagogues et les systèmes de représentations sociales qui les fondent. Nous considérons que ces représentations, ou «connaissances socialement élaborées et partagées, ayant une visée pratique» (Jodelet, 2013, p. 53) s’articulent pour définir des logiques d’action et de justification, des postures, c’est-à-dire des attitudes habitant une position pédagogique, un agir éthique, intimement liée aux contextes et aux situations.
Selon Ledrapier (2010) et Urgelli (2023), une posture éducative est liée à trois dimensions: la position du pédagogue par rapport aux dimensions sensibles, cognitives et morales de la question, sa vision des publics scolaires (leurs connaissances, leurs capacités et manières d’apprendre), et les missions éducatives qu’elle ou il se donne.
Décrire et comprendre les postures des pédagogues de zoo qui accompagnent les publics scolaires suppose une méthode d’enquête s’appuyant sur la sociologie pragmatique (Barthe et al., 2013; Lemieux, 2018). Au plus près des discours et des pratiques des actrices et des acteurs, cette méthode reconnaît la valeur intrinsèque de la parole des pédagogues pour comprendre leurs manières de faire et d’être.
3. Méthodologie
3.1 Une démarche inductive et participative
Pour comprendre les logiques d’action et de justification, et donc les postures des pédagogues engagés dans des visites de zoo, nous avons procédé à des analyses thématiques inductives et participatives de leurs discours. Ces analyses sont inscrites dans une logique de découverte. Loin de l’approche visant à vérifier des hypothèses élaborées a priori, elles consistent à élaborer des catégories de représentations de la captivité animale et de la pédagogie au zoo, à partir de l’étiquetage des déclarations recueillies (Lejeune, 2019). Les catégories progressivement construites ont été discutées et enrichies progressivement par le corpus disponible et en cours de construction. Cette méthode vise à définir un modèle d’éducation au zoo, au sens de Bruter (2001), c’est-à-dire un ensemble cohérent de contenus, de pratiques pédagogiques et de finalités éducatives, qui caractérise un groupe d’éducateurs exerçant la même profession, et qui le démarque par rapport à d’autres professionnels de l’éducation.
Notre recherche se voulant également participative, visant ainsi à produire des connaissances qui aient un intérêt pour les scientifiques et qui répondent en même temps aux besoins des partenaires de la recherche (Anadon, 2013), nous avons soumis notre modélisation à la validation critique collective de nos partenaires du Comité français de la pédagogie zoologique (CFPZ).
Dans l’étude du discours des pédagogues, nous avons essayé de caractériser les catégories de représentations correspondant aux trois dimensions du concept de posture éducative, à savoir leurs représentations de la captivité animale, leurs visions des publics et de l’apprentissage, et enfin à ce qui semble être les missions éducatives défendues. Ces catégories de représentations nous ont ainsi permis de modéliser des postures éducatives dans le contexte de visites scolaires au zoo.
Ce travail de modélisation s’est appuyé sur les déclarations de quinze pédagogues associés au CFPZ. L’enquête a été conduite sous forme de réponses à un questionnaire en ligne, d’un entretien de groupe, suivi de cinq entretiens semi-directifs.
3.2. Notre enquête auprès de pédagogues de zoo
Au printemps 2022, nous avons commencé par élaborer un questionnaire en ligne en collaboration avec deux responsables du CFPZ avec lesquels nous avions des contacts localement. Le questionnaire comporte onze questions articulées en trois parties faisant sens à la fois pour les scientifiques et pour les pédagogues de zoo.
La première vise à caractériser les profils des pédagogues en fonction de leur parcours de formation scolaire et professionnel. La deuxième partie questionne les objectifs d’une visite scolaire en parc animalier et la spécificité des pédagogies utilisées. La dernière partie tente d’approcher le sens éthique et éducatif que les pédagogues donnent à la captivité animale, durant les visites scolaires.
L’analyse des quinze réponses aux questionnaires a été présentée lors du sixième congrès national du CFPZ, en novembre 2022. Elle a été discutée sous la forme d’un entretien de groupe focalisé, pointant les limites et les nuances à apporter aux postures éducatives identifiées, notamment en fonction des contextes d’exercices et des situations vécues par les pédagogues. Comme nous nous y attendions, une forme de «doxa» s’est exprimée lors de cet échange collectif (De Cheveigné, 1997). Une des participantes, en se référant ouvertement à l’ouvrage militant de Paoli (2019), a défendu les zoos comme une communauté de protecteurs de la nature, «des acteurs majeurs dans la défense de la biodiversité, via leurs missions de préservation, de recherche et d’éducation». Pour nuancer ce discours engagé et entrer dans les contradictions, l’analyse a été complétée par des entretiens individuels semi-directifs auprès de cinq pédagogues volontaires, trois ayant préalablement répondus au questionnaire, deux s’étant portés volontaires à la suite de notre présentation au congrès du CFPZ.
3.3 Profil des pédagogues ayant participé au questionnaire et aux entretiens
L’échantillon de pédagogues ayant répondu au questionnaire est composé de quinze personnes travaillant dans des parcs animaliers français différents. Ils seront notés «R» (pour Répondant) associé à un numéro (R2 par exemple). Ce panel comprend quatorze personnes ayant obtenu un master (dont un doctorat), et une personne ayant un bachelor. Les masters obtenus se divisent à parts égales entre éthologie (avec parfois des spécialisations ou des connaissances antérieures en sciences cognitives) et biologie (dans diverses spécialités telles que l’écophysiologie ou l’écologie). Trois répondants ont eu une formation complémentaire relative aux sciences de l’éducation (formation en didactique muséale ou en sciences cognitives).
Les années d’expérience en zoos sont hétérogènes. Certains individus travaillent dans ces espaces depuis un an et demi, d’autres depuis 26 ans. Huit ont exercé antérieurement dans des structures muséales, périscolaires ou associatives. Toutes et tous possèdent une expérience pédagogique préalable dans des institutions muséales de sciences de la nature et/ou des associations d’éducation scientifique populaire.
L’échantillon d’individus volontaires ayant participé aux entretiens semi-directifs est composé de quatre personnes ayant un niveau master (dont un niveau doctorat), et une personne possédant un niveau bachelor. Leurs déclarations notés «RXE» correspondent à celles du répondant (R) numéro X du questionnaire ayant également participé à un entretien (E). Les pédagogues n’ayant pas participé au questionnaire et seulement à l’entretien sont notés «E» (pour Entretien), associé à un numéro (E2 par exemple).
4. Résultats à propos des postures des pédagogues de zoo
4.1 Des objectifs éducatifs sous contraintes
Plusieurs objectifs transparaissent dans les déclarations des pédagogues responsables de visites scolaires. Certains objectifs sont reliés directement aux curricula scolaires de l’école primaire française, notamment à l’enseignement des sciences et des technologies, et plus particulièrement la découverte du monde vivant et de sa diversité taxonomique et écosystémique (programmes des cycles 1 et 2, pour des enfants de 3 à 9 ans). Dans les questionnaires, les pédagogues déclarent vouloir développer des compétences explicitées dans les textes officiels de l’Éducation nationale telles que «observer les relations inter-espèces» (R1), ce qui faciliterait la compréhension par les élèves de «la place qu’occupe chaque espèce dans son écosystème» (R5). Les entretiens semi-directifs confirment cet objectif, principalement sur des thématiques abordant des connaissances en biologie animale et en écologie. Les pédagogues abordent entre autres la reproduction des espèces, la locomotion, le régime alimentaire et les réseaux trophiques, la classification phylogénétique du monde vivant. Toutes ces thématiques viseraient à illustrer et développer les savoirs scolaires. L’univers des connaissances scolaires est donc particulièrement présent et contraignant pour les pédagogues de zoo. Comme le rappelle un des pédagogues, de nombreux parcs élaborent leurs offres pédagogiques avec des responsables enseignants au fait des programmes scolaires, considérés comme «la bible» (R15E).
Dans le cadre d’une visite scolaire, l’objectif de sensibilisation à la conservation de la biodiversité et des écosystèmes est mis en avant par les répondants, en accord avec les missions données aux parcs animaliers par les fédérations supranationales comme la WAZA, l’AZA ou l’EAZA: «éveiller un intérêt pour la conservation de l’environnement» (R6), «sensibilisation à l’environnement» (R8).
D’autres intentions éducatives apparaissent dans les déclarations. Certaines sont relatives à l’acquisition de compétences comme éveiller et «développer la curiosité» (R2, R5), pour que les élèves ressortent de ces lieux avec «plus de questions qu’à leur arrivée» (R2E). Certains pédagogues souhaitent apporter des connaissances liées au bien-être et à la captivité animale, affiliée ou non à des expériences sensorielles de rencontre avec les animaux pour «développer une certaine empathie» (R5), le «respect du vivant» (R8), «sensibiliser les enfants sur la cause animale, […] sur la réalité de la captivité» (R9). Ces déclarations ne traduisent donc pas, a priori, des postures d’évitement de cette question sensible. Elles pourraient cependant traduire la volonté de neutraliser la question par anticipation de critiques éventuelles et pour déculpabiliser les visiteurs.
Un des pédagogues (R10) souligne également un objectif de développement de l’écocitoyenneté, ne relevant pas seulement de l’acquisition de savoirs scientifiques scolarisés, mais également de compétences d’ordre psychosocial et politique.
En accord avec cette diversité d’objectifs éducatifs déclarés, les pédagogues évoquent des pratiques pédagogiques qui s’éloigneraient des pratiques scolaires. Leur familiarité avec les animaux pensionnaires serait un atout pour s’adresser aux élèves. Cette expertise revendiquée constituerait d’ailleurs la spécificité des pédagogues de zoo par rapport aux enseignantes et aux enseignants.
Dans notre enquête, les pédagogues semblent portés par une représentation particulière de l’apprentissage en lien avec la rencontre d’une nature en captivité. Certains entretiens (R2E, R15E) montrent la convergence vers la définition d’un «apprentissage dans la réalité» (Acheroy et al., 2020, p. 12), engageant le corps dans des activités sensibles, et ancré au sein d’un dispositif donnant un sentiment de réel et d’immersion (Sohier et al. 2019), à travers une nature sauvage reconstituée.
4.2 La pédagogie de zoo: une «expérience de nature», loin de l’ordinaire
Dans l’ensemble des déclarations recueillies, les pédagogues précisent que leur statut hors du cadre scolaire les autorise à aborder des sujets plus larges, tout en reconnaissant être explicitement contraints par les programmes de l’Éducation nationale et implicitement par la vision éducative des organismes accréditeurs supranationaux. Les sujets traités en visite peuvent donc, selon eux, s’éloigner de ces contraintes ou au contraire approfondir des points spécifiques. Le contexte du parc animalier, hors des murs et de l’ordinaire de l’établissement scolaire, expliquerait la différence d’approches pédagogiques entre les pédagogues de l’école et les pédagogues de zoo. Le parc favoriserait une expérience sensorielle et récréative (Planche, 2017; Partoune, 2019b), génératrice d’émotions chez les élèves en situation de visite. Considérée comme une «expérience de nature», dont Paoli (2019, se référant à Colléony, 2016) déclare qu’elle affectera profondément les visiteurs, l’approche sensible au zoo développerait un lien affectif à l’animal et un ancrage émotionnel positif (Partoune, 2019b), en utilisant des «animaux ambassadeurs de la nature où ils vivent» (Estebanez, 2014, p. 63). Cette expérience est ainsi perçue par certains pédagogues comme le principal vecteur d’apprentissage, en lien direct avec les missions du zoo. Rappelons que c’est cet apprentissage dont les recherches anglophones et francophones précédemment citées semblent confirmer l’existence.
Selon les pédagogues de zoo, ce contexte générerait des questionnements chez les élèves et des interactions qui n’auraient jamais émergé dans un contexte de classe, du fait de l’immersion dans un espace «où on va être dans le changement de l’ordinaire» (E2). Ces rencontres avec les animaux en captivité, hors les murs de l’établissement scolaire, seraient porteuses d’apprentissages qui, pour Partoune et al. (2020), «touchent à la globalité de la personnalité de l’enfant» (p. 29), ce qui reste à démontrer, comme le rappellent Moss et Esson (2013).
En ce qui concerne les apprentissages cognitifs, d’autres pédagogues précisent que le zoo offrirait une transmission de savoirs plus horizontaux qu’en contexte scolaire, notamment entre élèves, comme le suggère d’ailleurs la revue de littérature de Patrick et Tunnicliffe (2013). R6 précise que «notre pédagogie [...] se veut moins verticale que les cours magistraux». Le pédagogue E2 parle d’une pédagogie active, porteuse d’interactions où les enfants sont «acteurs de leurs découvertes». Cette pédagogie se déploie à travers des visites guidées et des ateliers thématiques d’observation, d’écoute, de manipulation sensorielle, associés à des exercices d’argumentation scientifique, toujours adaptés à l’âge des publics et en rapport avec les programmes scolaires.
Par une approche sensible et cognitive, le pédagogue de zoo en visite scolaire serait donc un vecteur de liaison, un médiateur, entre un sujet apprenant et l’animal, objet de connaissances (Albert et Boutinet, 2009) et d’émotions. La pédagogie est au service de plusieurs objectifs contraints, entre sensibilisation à l’animal, transmission de connaissances bioécologiques et éducation à la conservation des espèces. Ces objectifs évoquent le modèle pédagogique linéaire et progressif de Patrick et Tunnicliffe (2013). Mais chacun d’eux ne donnant pas la même valeur à l’animal captif, les pédagogues font-ils le choix d’en discuter avec leurs publics, dans le cadre d’une approche éducative critique?
4.3 La captivité animale, pour sensibiliser et éduquer
Sur les quinze pédagogues ayant répondu au questionnaire, treize disent aborder le sens de la captivité animale en zoo de manière spontanée ou si la question est posée par les élèves. Cela varierait avec le type de publics, son âge ou le thème de la visite ou de l’atelier pédagogique. S’il ne semble donc pas y avoir de tabou pédagogique vis-à-vis de cette question sensible, il faudrait néanmoins s’assurer, par des observations de pratiques, que la prise en charge de cette question n’est pas seulement orientée par le discours officiel mettant l’accent sur le bien-être de l’animal en captivité. Une telle orientation pourrait en effet neutraliser les débats à propos de la diversité des éthiques animales (Jeangène Vilmer, 2016) et leurs convergences avec les éthiques environnementales (Larrère et Larrère, 2016).
Pour la plupart des pédagogues, les élèves abordent souvent la captivité animale sous différentes formes. Elles ou ils demandent parfois si les pensionnaires ne sont pas tristes, avec des formes d’empathie plus ou moins anthropomorphiques, largement documentées dans la littérature scientifique. Les scolaires questionnent également la taille des enclos, certains élèves de l’école primaire les qualifiant de «prisons» (R4). Les élèves s’interrogent également sur l’origine et les techniques de prélèvement des animaux exposés, «en demandant si les animaux ont été prélevés directement dans la nature» (R3). Certains pédagogues déclarent se saisir de ces questionnements pour construire une séance de débat, en partant des représentations des publics. Pour R9, il s’agit de «casser les idées reçues ou véhiculées, en les exposant à des points de vue divergents», «de lancer l’échange en tenant compte des perceptions des enfants» pour R4. Il reste ici à observer et à analyser la mise en oeuvre de cette pédagogie dialogique, et les contenus mobilisés.
A priori, ces déclarations seraient révélatrices d’une posture d’éducation critique, inscrite dans le modèle de pédagogisation des questions sensibles proposé par Levinson (2018): le questionnement et les représentations des publics seraient source de problématisations puis d’investigations et de débats visant un agir pédagogique. Mais ces pédagogues de zoo ont-ils vraiment la liberté de développer une approche critique du zoo, dans ces institutions éducatives sous la contrainte des curricula scolaires et des accréditations supranationales de la communauté zoologique? Rien n’est moins sûr, surtout lorsqu’en entretien, certains pédagogues, qui se déclarent friands d’entendre les remarques et questions des élèves, rappellent que des contraintes logistiques les empêchent de s’écarter facilement du «fil rouge» des animations (R15E), construit lors de la préparation de la visite.
Si les déclarations des pédagogues concordent sur le fait que le sens de la captivité animale ne fait pas l’objet d’un traitement thématique spécifique lors de la visite scolaire, cette question serait abordée, indépendamment des questions des élèves, à travers des approches historiques, des éclairages sur le fonctionnement et la nécessité des zoos, très probablement en lien avec les discours officiels des programmes internationaux de conservation ex et in situ de la biodiversité.
Dans les déclarations des pédagogues, l’animal captif se présente comme un support pédagogique amenant les élèves à appréhender le vivant et à le respecter. Lors des entretiens, les pédagogues disent insister avec les enfants sur l’importance de la protection des écosystèmes, à travers la présentation d’animaux menacés d’extinction, en abordant par exemple la thématique du braconnage ou du réchauffement climatique. R3E précise que la visite scolaire, en s’appuyant sur les animaux en captivité, facilite le développement d’une position critique sur les actions humaines menaçant la biodiversité, en évoquant par exemple les influences du tourisme de masse sur les écosystèmes. Confirmant cette éthique qui donne une valeur instrumentale à l’animal captif, inscrite dans la vision officielle de l’animal ambassadeur de l’AZA (2015), R2E précise que les zoos sont là pour illustrer, «pallier ou aider les programmes de conservation». D’autres précisent que le zoo donne accès à la notion de nature sauvage avec des publics qu’ils considèrent comme pas toujours avertis. Dans la lignée des intentions qui ont fait émerger les missions éducatives des zoos (Conway, 1969), R8 déclare que «les jeunes publics, urbains notamment, étant déconnectés de la nature, n’ont plus toujours conscience de ce qu’est l’état sauvage».
Pour les pédagogues, l’intérêt pédagogique des animaux en captivité est aussi de susciter émerveillements et émotions chez les enfants, par un contact immersif dans la «vraie nature […]. L’émotion est dans le réel!» (R5). Comme le propose l’écopédagogue Christine Partoune (2019b), émotions et empathie, et donc approche sensible du vivant, seraient les moteurs d’une sensibilisation des publics à la préservation de la biodiversité et au «respect de la vie» (R5), que l’on ne retrouverait avec aucun autre support pédagogique.
L’ensemble de ces déclarations s’inscrit donc dans une éthique utilitariste et instrumentale de l’animal en captivité, à travers une pédagogie des émotions liées à la rencontre des publics avec un représentant vivant de la faune sauvage.
Notons que d’autres justifications à l’existence des zoos sont exposées par les pédagogues et inscrites dans des éthiques environnementales biocentrées et écocentrées (Larrère, 2010). Elles attribuent à ces institutions un rôle clé dans la préservation de la biodiversité, à travers la fonction de réservoir génétique ou l’engagement des parcs animaliers dans des programmes internationaux de conservation et de protection in situ d’espèces menacées. Reprenant le discours institutionnel, les pédagogues soulignent alors les diverses retombées du système actuel des parcs animaliers: engagement dans la préservation ex situ d’espèces menacées, protection de certaines espèces qui ne peuvent pas être réintégrées dans la nature. Certains rappellent alors que cette approche environnementale biocentrée est également adossée à une éthique animale soucieuse de maximiser en permanence le bien-être des animaux en captivité, ce qui est désormais une préoccupation centrale visible dans les missions officielles affichées par les zoos. Ces pédagogues tiennent ainsi à souligner les «efforts» réalisés par les parcs en vue d’améliorer ce bien-être: «enrichissement, training et conception d’enclos» (R8).
Dans ces déclarations, il y a donc une diversité de représentations de l’animal en captivité, et la tentative de faire converger éthiques animales et environnementales, entre missions de sensibilisation et d’éducation, à travers la figure de «l’animal ambassadeur».
4.4 Éduquer autrement, sans les zoos?
Des pédagogues émettent cependant des réserves à propos de l’intérêt éducatif de la rencontre avec des animaux en captivité: «la captivité́ encourage un rapport de domination […] qui va à l’encontre du discours pédagogique» pour R6, «l’idéal serait de les voir dans la nature» pour R5, même si pour R8 «le zoo est un mal nécessaire (à ce jour), mais jamais la panacée».
Dans la situation actuelle, et au regard des enjeux éducatifs, la plupart des pédagogues rencontrées ne voit pas de solutions alternatives à la captivité animale en zoo. R3E, qui déclare ne pas être «une pro-zoo», précise «qu’on ne cache rien aux enfants», à propos des faiblesses de ce modèle de préservation. D’autres imaginent qu’il serait possible de mobiliser des stratégies différentes d’éducation à la conservation de la biodiversité, comme les nouvelles technologies de réalité virtuelle, les musées d’histoire naturelle ou encore certaines réserves naturelles, l’ensemble pouvant se substituer au zoo dans les rôles de sensibilisation et d’éducation. Le développement de la curiosité et de l’intérêt pour la faune et la flore de proximité semble également être une piste pédagogique d’intérêt, de même que l’idée de favoriser la collaboration entre les parcs animaliers, les associations et les différentes institutions oeuvrant pour la protection animale.
5. Conclusion, discussion et perspectives
Contraints par les curricula scolaires et les institutions fédératives supranationales qui autolégitiment les fonctions éducatives du zoo, la quasi-totalité des pédagogues ayant participé à notre enquête déclarent contribuer au partage de savoirs bioécologiques et à la sensibilisation à la conservation de la biodiversité chez les publics scolaires. Ces éducatrices et ces éducateurs précisent aborder le sens de la captivité animale lors des visites scolaires, soit intentionnellement par anticipation, soit si le thème sensible émerge d’un questionnement spontané de la part des élèves. Même si nous ne disposons pas actuellement d’informations sur les pratiques et les contenus réellement transmis, l’évitement des questionnements éthiques serait donc peu présent dans cet univers éducatif.
Certains précisent que partir des représentations controversées de la captivité animale en zoo serait l’occasion de générer des débats éthiques chez les élèves, dont il faudrait analyser la teneur. D’après les déclarations, ces débats semblent surtout destinés à justifier l’utilité du zoo dans la conservation de la biodiversité, à travers la figure de l’animal ambassadeur. Aborder la question du sens de la captivité animale au zoo apparaît donc comme un prétexte pédagogique pour légitimer le fonctionnement et l’utilité sociale des zoos, sans pour autant entrer dans une approche critique en contexte de visite. Tentant la convergence éducative entre éthiques animales et éthiques environnementales, l’idée d’animal ambassadeur légitime une éthique utilitariste et instrumentale, à partir d’animaux en captivité, pour lesquels les pédagogues soulignent le souci officiel permanent d’assurer leur bien-être.
Du point de vue des pratiques, les pédagogues de zoo déclarent prendre en compte les questions des élèves et construire leurs discours autour de ce qu’il se passe dans l’instant de la visite. En favorisant un apprentissage sensible au zoo, en procurant empathie et émerveillement, cette pédagogie des émotions reste questionnable en matière de pédagogie critique et transformative, puisque, sur le plan des éthiques animales et environnementales, les finalités et les modalités de la conservation ne semblent pas remises en question au-delà du discours officiel.
Dès 2025, pour lever les interrogations liées aux limites d’un travail fondé sur le déclaratif, nous conduirons des observations de visites scolaires et des analyses de discours des publics et des éducatrices et éducateurs qui les accompagnent. L’idée sera d’explorer quelles conditions permettraient aux pédagogues de zoo de développer avec les publics une conscience écologique critique et transformative, dans cet espace éducatif d’hyper-réalité utilisant des animaux en captivité.
Notre hypothèse est qu’un tel projet supposerait de clarifier la diversité des valeurs données à l’animal et à sa relation avec les humains, en fonction des cultures et des environnements biophysiques (Partoune, 2019b; Fraser et Switzler, 2021). Cette écopédagogie, en faisant confluer les approches sensibles, cognitives et les éthiques animales, environnementales et humaines, permettrait à l’éducateur d’aider son public à entrer dans un monde problématique et à maîtriser avec courage des antinomies et des situations conflictuelles (Ricoeur, 1985, dans Hocquard, 1996).
Nos recherches participatives pariant sur le fait que les expertises des pédagogues peuvent contribuer à l’élaboration d’approches créatrices de sens et d’engagement en faveur de la conservation de la biodiversité, nous souhaitons les impliquer à l’avenir dans la conception et l’expérimentation de nouveaux programmes d’éducation au zoo. Nous lançons donc ici un appel à une contribution collective à ces visées.
Appendices
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