Abstracts
Résumé
Cet article interroge le rôle singulier des arts plastiques dans les apprentissages fondamentaux, en particulier « respecter autrui » présenté par le ministère de l’Éducation nationale française comme un savoir à acquérir par tous les élèves durant leur parcours scolaire (Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports [MENJS], 2020). L’étude présentée ici s’appuie sur l’implantation d’un dispositif ayant pour but d’établir, à partir d’une situation d’apprentissage menée dans une école française auprès d’élèves âgés de 6 à 8 ans, une corrélation entre les arts plastiques, le tinkering (Bianchi et Chippindall, 2018, p. 4) et le développement du « respect d’autrui » (Marpeau, 2013; Plante, 2013). L’hypothèse développée est que l’éducation artistique s’appuyant sur le tinkering à l’école élémentaire pourrait développer l’empathie qui permettrait de s’ouvrir et de s’intégrer au monde en respectant l’Autre.
Mots-clés :
- arts plastiques,
- respect d’autrui,
- enseignement,
- école élémentaire
Abstract
This article examines the special role of the visual arts in fundamental learning, and more particularly “respect for others,” which the French ministry of education presents as knowledge that all pupils must develop throughout their schooling (Ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports [MENJS], 2020). The study presented here focuses on a program seeking to establish a correlation between the visual arts, tinkering (Bianchi & Chippindall, 2018, p. 4) and the development of “respect for others” (Marpeau, 2013; Plante, 2013) based on a learning situation carried out in a French school with pupils aged 6 to 8. The hypothesis is that art education involving tinkering in elementary school may help develop the empathy that enables individuals to open up to and integrate into the world by respecting the Other.
Keywords:
- visual arts,
- respect for others,
- teaching,
- elementary school
Resumen
Este artículo examina el papel único de las artes visuales en los aprendizajes fundamentales, en particular el “respeto a los demás”, presentado por el Ministerio de Educación Nacional francés como un conocimiento que todos los estudiantes deben adquirir durante su trayectoria escolar (Ministerio de Educación Nacional, Juventud y Deportes [MENJS], 2020).El estudio aquí presentado se basa en la implementación de un dispositivo destinado a establecer, a partir de una situación de aprendizaje realizada en una escuela francesa con estudiantes de 6 a 8 años, una correlación entre las artes visuales, el tinkering (Bianchi y Chippindall, 2018, p. 4) y el desarrollo del “respeto por los demás” (Marpeau, 2013; Plante, 2013). La hipótesis desarrollada es que la educación artística basada en el tinkering en la escuela primaria podría desarrollar una empatía que permitiría abrirse e integrarse en el mundo respetando al Otro.
Palabras clave:
- artes plásticas,
- respeto por los demás,
- enseñanza,
- escuela primaria
Article body
1. Introduction
L’expérience de terrain décrite dans cet écrit s’appuie sur une recherche effectuée dans le cadre d’une thèse en cours dont l’objectif est de présenter un dispositif pédagogique interdisciplinaire basé sur une éducation par le «faire», l’expérience et l’expérimentation en adéquation avec les prescriptions officielles en vigueur (Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports [MENJS], 2020). Fondé sur une démarche interdisciplinaire mettant en lien les sciences, la technologie, l’ingénierie, les arts et les mathématiques (Science, Technology, Engineering, Arts, Mathematics, STEAM[1]), le tinkering for learning (Bianchi et Chippindall, 2018), propose une démarche de l’apprentissage du raisonnement et du vivre ensemble (respect d’autrui). Inscrit dans le mouvement maker se développant depuis 2005 (Turner, 2019), le tinkering est une forme d’enseignement axée sur l’expérience et l’expérimentation, le sujet est ainsi engagé et impliqué dans des projets concrets pour lesquels il est nécessaire de travailler avec autrui afin d’arriver à une production finale. Le tinkering se rapporte à ce que certains auteurs francophones appellent le mouvement «bricoleur». En France, le bricolage est défini comme «passer d’une occupation à une autre, se livrer à toutes sortes d’activités, de métiers peu rentables» ou «procéder à des modifications techniques; falsifier» (TLFi, s.d.). Au regard de l’aspect péjoratif de ces définitions, nous garderons dans cet article l’expression anglo-saxonne, en alternance avec « bricolage pour apprendre ».
En quoi l’utilisation du tinkering for learning dans l’enseignement des arts plastiques peut contribuer au développement du savoir fondamental «respecter autrui»?
Dans un premier temps, nous présenterons ce qu’est le « bricolage pour apprendre ». Nous aborderons ensuite ce dispositif au regard des enseignements artistiques, en particulier les arts plastiques, avant de présenter ses effets sur l’apprentissage du «respect d’autrui» dans le cadre d’une séquence expérimentale conçue et mise en oeuvre dans une classe d’une école classée en réseau d’éducation prioritaire renforcée (REP+).
2. Le « bricolage pour apprendre », un dispositif pédagogique au service des apprentissages fondamentaux
2.1 L’enseignement des arts plastiques
La discipline scolaire des arts plastiques se caractérise par un «déficit de prescription» (Espinassy et Terrien, 2018), les programmes d’enseignement ne mentionnant pas de tâches clairement définies. C’est pourquoi les personnes enseignant les arts plastiques doivent faire preuve d’inventivité afin de proposer des démarches pédagogiques adaptées, un aspect intégré à leur formation. En revanche, la formation pluridisciplinaire des professeures et professeurs des écoles met l’accent sur l’enseignement des mathématiques et du français et a tendance à négliger les domaines scientifiques et artistiques (Baillat et al., 2001). Ce déficit de formation des enseignantes et enseignants de l’école primaire explique la difficulté de mettre en oeuvre des séquences d’apprentissages dans un cadre horaire très restreint puisque seules deux heures hebdomadaires sont consacrées à l’éducation musicale et aux arts plastiques (MENJS, 2020).
En France, le ministère de l’Éducation nationale a fait du polyptyque «lire, écrire, compter, raisonner et respecter autrui» une priorité nationale à acquérir tout au long du parcours de l’élève (MENJS, 2020). Priorité réaffirmée avec la publication du programme d’enseignement moral et civique (EMC) du cours préparatoire jusqu’à la classe terminale dans lequel «respecter les autres permet d’apprendre et de vivre ensemble, de faire en société et de vivre en république» (MENJS, 2024). Même si une enquête par questionnaire[2], réalisée dans le cadre de notre thèse, montre que 91,8 % des personnes enseignantes interrogées considèrent le respect d’autrui comme un savoir fondamental, elles ne sont que 41,1 % à concevoir des modalités de travail spécifiques à cet enseignement et seules 22,8 % d’entre elles procèdent à son évaluation.
L’enseignement des arts plastiques permet, par la mise en oeuvre de projets interdisciplinaires, de développer, d’une part, la sensibilité aux questions de l’art (MEN, 2015) sous toutes ses formes mais aussi l’ouverture à l’autre. De plus, face à un accès inégal à la culture, cet enseignement implique des enjeux institutionnels et sociétaux considérables (Kerlan, 2007). Le parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC), en particulier, est une priorité gouvernementale (MEN, 2013) qui souligne le fait que les apprenantes et apprenants peuvent, au contact des domaines artistiques, acquérir une reconnaissance et un respect de la singularité d’autrui (MEN, 2015).
2.2 Le tinkering for learning, un dispositif ancré dans l’interdisciplinarité
Introduit en septembre 2014 dans une vingtaine d’écoles du Grand Manchester au Royaume-Uni (Bianchi et Chippindall, 2018), le tinkering for learning a comme objectif d’encourager des élèves âgés de 5 à 11 ans à s’intéresser aux métiers de l’industrie et de l’ingénierie et à s’orienter vers eux.
Le « bricolage pour apprendre » repose sur l’apprentissage de sujets concrets et pratiques ancrés dans des situations de vie réelle, donnant ainsi du sens aux savoirs (Bragow et al., 1995). Cette approche permet d’accroître les capacités de résolution de problème, d’innovation et d’invention, afin de former des apprenants et apprenantes aptes à penser de façon logique et autonome (Morrison, 2006).
Les enseignements STEAM dans leurs dimensions artistiques reposent sur quatre aspects: créativité, communication, collaboration et pensée critique (Creativity, Communication, Collaboration[3] et Critical thinking). Dans le cadre de cet article, nous nous attarderons sur le principe de collaboration, central à notre recherche puisque impliquant le respect de l’autre. Le but et les objectifs sont communs aux membres du groupe afin d’optimiser les apprentissages de chacun (Johnson et Johnson, 1990). Partager une direction commune entraînerait une «activité collective», où chaque membre du groupe s’engage dans l’accomplissement d’une tâche, décuplant ainsi des compétences telles que l’échange, l’entraide et la coopération (Baudrit, 2007, p. 5).
L’effet de groupe peut toutefois s’avérer inhibiteur. À ce sujet, Bion (1961) parle de «névrose de groupe», en considérant que «le groupe-même est imparfait et empêche l’individu de satisfaire ses besoins et ses désirs». Johnson et Johnson (1980) complètent les limites de ce type de dispositif, en précisant que les élèves travaillant en groupe «peuvent atteindre leurs objectifs d’apprentissage si, et seulement si, les autres élèves avec qui ils sont coopérativement associés atteignent les leurs» (Johnson et Johnson, 1980, p. 94). Ainsi, réussir collectivement dans l’accomplissement d’un but commun semble dépendre de l’efficacité et de la contribution individuelle de chaque membre du groupe, de manière symbiotique et «interdépendante» (Baudrit, 2007, p. 6).
Cette dimension collaborative est essentielle à notre recherche car, c’est à partir de ces apprentissages que le « bricolage pour apprendre » peut permettre le développement du respect d’autrui. Bevan et al. (2014) développent quatre dimensions travaillées dans «l’apprentissage au bricolage» (learning in tinkering) que sont l’engagement, l’initiative et l’intentionnalité, l’entraide et enfin la compréhension. Nous nous intéresserons à l’entraide, observée lors des situations de résolution de problème induite par une séquence pédagogique d’arts plastiques. Outre ces quatre dimensions que l’on peut qualifier d’aptitudes et compétences transversales, sept principes résident dans la mise en oeuvre du dispositif (figure 1). Placés au centre de leurs apprentissages (2-taking ownership), les apprenantes et les apprenants s’approprient et s’engagent dans des situations de résolution de problèmes (1-problem solving) en s’affranchissant de la notion d’erreur (3-embracing failure). Incitant le développement de la curiosité et l’épanouissement de la créativité (4-curiosity and creativity) des apprenants, le dispositif favorise la maîtrise des autres domaines du curriculum (5-mastery). En effet, les élèves sollicitent ainsi des aptitudes de réflexion et des capacités personnelles (6-personal capabilities). Le dernier principe réside dans la mise en oeuvre des expériences d’apprentissages (7-whole school) des élèves.
L’état de la littérature a permis de constater que ce dispositif contribue à l’acquisition de savoirs en mettant le sujet en activité. Lorsqu’un individu pratique cette activité de bricolage, il est amené à réfléchir, faire, tester, ajuster, améliorer (Resnick et Rosenbaum, 2013). Ces actions réitérées, favorisées par le bricolage, sont construites par l’expérimentation et le partage des créations avec les autres. C’est notamment au travers de processus de résolutions de problèmes que les élèves développent leur réflexion, ainsi que d’autres capacités telles que la persévérance, la créativité et la collaboration (Bianchi et Chippindall, 2018).
L’étude de la littérature consacrée au « bricolage pour apprendre » permet de faire des corrélations avec les prescriptions institutionnelles pour la mise en oeuvre de l’apprentissage des arts plastiques comme nous le montrons dans le tableau 1.
Au regard des caractéristiques de l’enseignement des arts plastiques et du dispositif tinkering for learning, il semblerait que le «faire ensemble» et les liens sociaux soient indispensables pour obtenir une production artistique collective (MENJS, 2020). Or, «le lien social ne va pas de soi, il va sans dire que cette volonté de vivre ensemble […], doit dès le départ être suscitée parce que non naturelle, c’est-à-dire qu’il doit être inculqué» (Plante, 2013, p. 157).
2.3 Le tinkering for learning appliqué aux arts plastiques, vecteur de l’apprentissage du respect d’autrui
En mettant en place un enseignement des arts plastiques qui se fonde sur les principes et les dimensions du tinkering, les élèves pourraient apprendre à créer du lien social et à «respecter autrui». La définition de ce savoir fondamental telle que préconisée dans les instructions officielles (MENJS, 2020) s’avère complexe.
Présent depuis le 18e siècle avec l’idée de la morale kantienne, le respect de l’autre est indispensable à la vie en société et concerne tout individu doté de raison et capable de réflexion. Respecter autrui, c’est reconnaître l’autre en tant que personne qui nous est semblable (Abdallah-Pretceille, 1997).
Plante (2013) part du constat que le vivre ensemble n’est pas une évidence et qu’il est nécessaire d’éduquer et de former à cette aptitude. Dans des sociétés de plus en plus diversifiées dans lesquelles les individus peuvent être tentés par des formes de communautarisme (Garnier, 2014), il semble important de «générer une volonté de vivre ensemble» (Plante, 2013, p. 157) en reconnaissant la diversité (MENJS, 2024). Pour cela, il est nécessaire d’entrer en interaction avec l’autre par le dialogue et le respect mutuel (UNESCO, 2005) en étant capable d’écoute et d’empathie comme le précise l’institution (MENJS, 2020, 2024). Il s’agit donc d’«améliorer les interactions entre personnes différentes» (Deardoff, 2020, p. 19) en travaillant sur la compréhension de l’autre en passant par la découverte des origines d’un comportement, d’une pensée ou d’une action par exemple (Plante, 2013).
3. Cadre de l’étude
3.1 Question de recherche
En nous appuyant sur la littérature scientifique (Abdallah-Pretceille, 1997; Plante, 2013) et sur les prescriptions institutionnelles (MENJS, 2020, 2024), nous définissons le respect d’autrui par quatre axes: adapter son langage et son comportement au contexte scolaire, s’exprimer en respectant les codes de la communication orale, les règles de l’échange et le statut de l’interlocuteur, accepter les différences et s’estimer capable d’écoute et d’empathie; ces deux derniers éléments étant au coeur du respect d’autrui.
Accepter les différences consiste à les appréhender avec curiosité et respect (MENJS, 2024). En prenant conscience de la diversité des croyances, des origines et de genre, il s’agit de développer chez les élèves une culture leur permettant de lutter contre les préjugés et les stéréotypes (MENJ, 2020) et d’être à l’écoute de l’autre pour comprendre ce qu’il peut vivre, ressentir. Ainsi, comme le montrent un certain nombre d’écrits: l’empathie joue un rôle majeur dans le développement social d’un individu (Dahman et al., 2004). L’empathie peut être définie (Baron-Cohen et Wheelright, 2004) comme la réponse émotionnelle d’un individu «face à un état émotionnel d’autrui (composante affective) et face à la compréhension cognitive des sentiments de cette personne (composante cognitive)» (Girard et al., 2014, p. 464).
La littérature scientifique consacrée au « bricolage pour apprendre » met en avant l’importance de la collaboration entre pairs. L’étude des programmes d’enseignements d’arts plastiques montre qu’il existe des liens entre ce dispositif et les objectifs de cette discipline artistique. Les modalités de travail sont semblables et nécessitent de prendre en considération l’autre dans toute sa diversité.
Notre question de recherche est la suivante: en quoi l’utilisation du tinkering for learning dans l’enseignement des arts plastiques contribue au développement du savoir fondamental «respecter autrui»? Par conséquent, nous faisons l’hypothèse que le dispositif « bricolage pour apprendre » développe chez les élèves la capacité à accepter les différences d’une part et l’empathie d’autre part et ainsi à créer du lien avec les autres, qui sont nécessaires pour que le respect d’autrui puisse exister.
3.2 Le public visé
Cette expérimentation cible des élèves de cycle 2 âgés entre 6 et 8 ans. Cette tranche d’âge correspond à une étape importante du développement moral de l’enfant (Kohlberg, 1963) durant laquelle la pensée évolue vers la décentration cognitive. L’enfant prend en considération l’autre alors même qu’il se construit comme individu. Il commence en effet à être en capacité d’évaluer ses propres compétences en comparaison avec ses pairs (Alaphilippe et al., 2010). C’est aussi à ce moment de la scolarité que «respecter autrui» est explicitement introduit dans les programmes d’enseignements (MENJS, 2020, 2024). De plus, le dispositif tinkering for learning convoqué dans cette étude s’adresse initialement à des élèves âgés entre 5 et 11 ans ce qui correspond, dans le système éducatif français, à la fin du cycle 1, au début du cycle 3 mais surtout à l’ensemble des classes du cycle 2 (cours préparatoire, cours élémentaire 1re année, cours élémentaire 2e année, CE1, CE2). L’étude porte sur deux classes de cours préparatoires dédoublées (n = 30) d’une école classée en (REP+)[4]. Le groupe expérimental est formé par 15 élèves pratiquant le « bricolage pour apprendre » en arts plastiques, le groupe témoin comporte 15 élèves ne pratiquant pas le tinkering for learning.
3.3 Méthodes et recueil de données
Afin d’établir des liens entre le tinkering for learning appliqué aux arts plastiques et le respect d’autrui, une séquence d’apprentissage a été conçue avec comme objectif de réaliser un projet d’animation sur la thématique des phénomènes météorologiques (Carlier, 2024)[5]. Composée de huit séances qui se déroulaient une fois par semaine entre octobre et janvier, les vendredis après-midi avant ou après la récréation. Elle vise à développer le respect d’autrui au travers de la pratique artistique[6], en amenant les élèves dans une démarche créative propice au travail collaboratif entre pairs. Dans chaque séance, on prévoit une phase de mise en commun, afin que chaque élève puisse appréhender l’importance du travail collectif et le rôle de chaque individu.
Nous allons donc évaluer la construction du rapport à l’autre que peuvent développer les élèves en fonction du concept du respect d’autrui préconisé par les instructions officielles. Pour cela, nous avons choisi de tester les élèves sur deux des quatre axes qui cadrent et définissent le respect d’autrui: l’acceptation des différences et la capacité à s’estimer capable d’empathie.
Deux questionnaires centrés sur ces deux axes ont été soumis aux groupes expérimental et témoin avant et après la séquence par les deux enseignantes stagiaires. Au regard de l’âge des élèves (6-8 ans) et de leur maîtrise de la lecture, la passation s’est faite oralement: les enseignantes stagiaires posant les questions aux élèves, reçus individuellement dans un espace calme de la classe. Chacun des sujets avait la possibilité d’arrêter à tout moment l’échange; nous avons aussi veillé à ce que le temps de passation ne dépasse pas 10 minutes afin de ne pas altérer la concentration des élèves.
Pour mesurer l’acceptation des différences, ont été relevés des comportements entre élèves pouvant être perçus comme discriminants: le genre, l’origine ethnique, le physique, le handicap, la religion et les résultats scolaires (Italiano et Jacquemain, 2014).
La capacité à s’estimer capable d’écoute et d’empathie a été évaluée à partir du questionnaire Basic Empathy Scale (BES) (Jolliffe et Farrington, 2006) traduit en français (Carré et al., 2013). Cet outil est composé de 20 items variant selon une échelle de Likert (0-4). Dans la version adaptée aux élèves de CP, nous avons fait le choix d’une échelle de Likert à trois possibilités: «D’accord», «Pas d’accord», «Je ne sais pas». Au regard de la version originale, nous avons codifié les réponses de la manière suivante: Pas d’accord = 0; Je ne sais pas = 1, D’accord = 2. Un item a été ôté de l’enquête parce qu’il employait un vocabulaire inaccessible pour le public visé. La consigne donnée aux élèves est la suivante: «Dis-moi si tu es d’accord avec les phrases que je te lis.»
L’ensemble des réponses a été, ensuite regroupé dans un tableau excel afin d’obtenir des moyennes du nombre de réponses. Les réponses binaires du questionnaire sur l’acceptation des différences ont été codées (non = 2/oui = 0). Nous avons calculé pour chaque sujet le score, sachant que plus ce dernier est élevé, moins de discriminations ont été observées par le sujet interrogé. Afin de chiffrer les réponses obtenues au questionnaire du Basic Empathy Scale, nous avons remplacé les possibilités de l’échelle de Likert par des valeurs (0-1-2). Cela nous a permis de générer des moyennes afin de déterminer des scores globaux. Le nombre restreint d’élèves (n = 30) est lié au contexte de stage durant lequel cette expérimentation s’est déroulée. S’il peut être considéré comme une limite dans le traitement des résultats, il permet néanmoins une analyse qualitative individuelle des résultats.
4. Résultats
4.1 Acceptation des différences
Le tableau 5 répertorie les moyennes obtenues, sur une échelle allant de 0 à 16 (score maximum). Nous pouvons constater qu’avant de débuter la séquence d’apprentissage s’appuyant sur le dispositif « bricolage pour apprendre », le groupe expérimental a réalisé un score de 9,4 contre 11,5 pour le groupe témoin. En revanche, après l’expérimentation, le score du groupe expérimental témoigne d’une diminution de l’observation des discriminations à l’école contrairement au groupe témoin.
Pour conclure cette présentation chiffrée, le groupe expérimental a vu son score augmenter de 2,6 points quand le groupe témoin voit sa moyenne diminuer de cette même valeur. Il nous a donc semblé important d’étudier les résultats obtenus au Basic Empathy Scale de façon individuelle. Les tableaux 6 et 7 mettent en valeur les moyennes de chaque sujet.
Nous constatons que les élèves qui ont pratiqué le tinkering for learning observent moins de discriminations à l’école. Nous pouvons en déduire que le travail collaboratif entre pairs favorisé par un tel dispositif a des répercussions favorables sur les élèves et aide a priori à l’acceptation des différences.
4.2 La capacité à s’estimer capable d’écoute et d’empathie
Le tableau 8 recense les résultats au Basic Empathy Scale. Remarquons que le score moyen (arrondi à l’unité près) pour le groupe expérimental avant la pratique du « bricolage pour apprendre » est de 22 contre 20 après sa mise en oeuvre. Au même titre que le groupe témoin, l’utilisation du dispositif ne semble pas avoir permis un accroissement et un développement favorable de la capacité à s’estimer capable d’écoute et d’empathie.
L’étude réalisée nous démontre que les élèves de cette tranche d’âge pratiquant le « bricolage pour apprendre » n’ont pas acquis davantage de compétences pouvant être au service de l’empathie.
5. Discussion et conclusion
L’expérimentation pédagogique menée dans deux classes d’une école classée REP+ a mis en lumière que ce type de dispositif enrôle de façon quasi immédiate les élèves. Le tinkering les intéresse, ils osent s’impliquer dans un groupe et participent à la démarche de création tout en prenant confiance en eux. L’utilisation du « bricolage pour apprendre » dans l’enseignement des arts plastiques a contribué en partie au développement du savoir fondamental «respecter autrui», en particulier l’axe «acceptation des différences». En effet, les résultats du questionnaire sur l’acceptation des différences semblent révéler chez les élèves pratiquant le dispositif tinkering for learning une diminution de l’observation des discriminations pouvant être présentes à l’école (Italiano et Jacquemain, 2014). Par conséquent, il semblerait que ce dispositif pourrait aider à développer chez les élèves la capacité à créer du lien avec les autres (travail collaboratif), nécessaire pour que l’Autre puisse être et considéré comme semblable. Les deux enseignantes stagiaires en classe sur l’année ont pu le constater: le fait que les élèves observent moins de discriminations au sein de l’école résulte peut-être d’une diminution des comportements discriminatoires.
En revanche, si le « bricolage pour apprendre » aide les élèves à acquérir des compétences permettant l’acceptation des différences, il ne permet pas (encore) l’acquisition de la capacité d’empathie qui participe pourtant au respect d’autrui. En effet, les scores obtenus au test du Basic Empathy Scale restent quasiment inchangés, quel que soit le groupe. Nous constatons donc que les élèves concernés par cette expérimentation ne montrent pas plus de capacité d’empathie, qu’elle soit cognitive ou affective. Bien que l’empathie fasse partie intégrante des compétences qu’un élève doit acquérir, nous estimons qu’au cours préparatoire les élèves ne sont peut-être pas en mesure de la développer (sans en aborder encore la compréhension des sentiments de l’autre [aspect cognitif] qui s’avère encore plus complexe à acquérir vraisemblablement). L’empathie est en effet une capacité complexe qui nécessite une décentration et une acceptation de l’état émotionnel de l’autre alors que des observations empiriques relevées par les enseignantes stagiaires montrent que ces élèves inscrits en cours préparatoire (6-8 ans) rencontrant des obstacles à s’exprimer à l’oral comme à l’écrit ont des difficultés à appréhender et à gérer leurs émotions (Gentaz, 2017; Pasquier et al., 2021).
Le temps de l’expérimentation (séquence hebdomadaire, étalée sur six semaines uniquement) ainsi que l’effectif restreint constituent des limites importantes à cette étude. Les résultats présentés (dans les tableaux 5, 6, 7 et 8) ne peuvent donc qu’être descriptifs. La passation orale des questionnaires a montré des problèmes de compréhension de certains items de la part des élèves: les enseignantes stagiaires ont donc été amenées à en reformuler certains, ce qui a pu biaiser les réponses. Le contexte de l’expérimentation a aussi pu influencer les affirmations des élèves: même si les enseignantes stagiaires insistaient fortement sur le fait qu’il n’y avait pas «de bonnes ou de mauvaises réponses», les élèves de CP ont pu vivre ces entretiens comme des situations d’évaluation plus ou moins anxiogènes.
Néanmoins, le dispositif du tinkering for learning appliqué aux arts plastiques participe au développement de l’acceptation de l’autre dans toute sa diversité, condition essentielle pour apprendre à s’intégrer au monde. Il nous paraît intéressant que le « bricolage pour apprendre » ancré dans une éducation aux et par les arts soit utilisé fréquemment et mis au service de tous les enseignements.
Appendices
Notes
-
[1]
L’appellation STEAM correspond aux STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics) après intégration depuis 2010 des arts (arts visuels, musique, danse et théâtre).
-
[2]
Un questionnaire a été généré par l’outil Sphinx Online et diffusé par courriel auprès de personnes enseignantes afin de recueillir leurs représentations du respect d’autrui et de mesurer l’importance qu’elles lui accordent. À la date de la rédaction de cet article, 158 réponses ont été obtenues.
-
[3]
«Collaboration» et «coopération» sont des termes souvent confondus car tous deux appellent à une structure particulière: le groupe» (Baudrit, 2007). La collaboration désigne «la participation à l’élaboration d’une oeuvre commune» (CNRTL). Ce terme renvoie davantage à la capacité «de travailler ensemble dans un but commun» (Baudrit, 2007) et à la façon de mettre en relation les sujets afin de solliciter une activité collective, incite une responsabilité individuelle pour atteindre un but (Henri et Lundgren-Cayrol, 1997). Chaque sujet réalise la tâche à sa manière. Quant à la coopération, elle renvoie à «l’action de participer (avec une ou plusieurs personnes» (CNRTL) à un travail tout en poursuivant des objectifs communs. Chaque individu réalise une partie de la tâche globale (Henri et Lundgren-Cayrol, 1997).
-
[4]
Afin d’améliorer les conditions d’apprentissages des élèves, un dédoublement engagé depuis la rentrée 2017 des classes de CP et CE1 situées en réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+). Les élèves participant à l’expérimentation représentent la deuxième génération de familles migrantes aux revenus très faibles. L’école est située dans une cité d’habitations à loyers modérés.
-
[5]
Cette recherche est basée sur les travaux des deux étudiantes en master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (Carlier et Merati, 2024) réalisant leur mémoire respectivement sur l’acquisition du respect d’autrui par la pratique plastique et sur la résolution de problèmes en cycle 2 dans le cadre d’un stage d’observation et de responsabilité accompagnée. Ce stage se déroule sur l’année avec un jour hebdomadaire en classe et une période massée de cinq semaines de janvier à février.
-
[6]
On entend par pratique artistique toutes activités pouvant inciter une démarche dite de création et impliquant une forme d’expression.
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