Abstracts
Résumé
Entre 2017 et 2020, un programme de prévention des difficultés d’entrée dans le monde de l’écrit a été mis en oeuvre dans plusieurs écoles expérimentales de Belgique francophone (Dejaegher et al., 2022). Si ces écoles ont reçu une formation et un accompagnement visant à les soutenir dans la mise en oeuvre réussie du programme, ces derniers ne pouvaient être offerts à d’autres écoles. Une plateforme de formation en ligne a donc été conçue en privilégiant la collaboration entre la recherche et le terrain. Durant l’étape de coconception, les retours des utilisateurs portant sur différents prototypes de l’outil ont été analysés afin d’améliorer la qualité de la plateforme en questionnant sa pertinence sociale et sa capacité à provoquer et à soutenir l’apprentissage et le développement professionnel de personnes enseignantes de la maternelle et du primaire.
Mots-clés :
- recherche collaborative,
- formation en ligne,
- lecture,
- ingénierie de formation,
- développement professionnel
Abstract
Between 2017 and 2020, a program to prevent difficulties accessing the world of writing was introduced in several experimental schools in French-speaking Belgium (Dejaegher et al., 2022). The training and support received by the targeted schools to successfully implement the program could not be extended to other schools. Instead, an e-learning platform was codesigned by researchers and stakeholders in the field. Analysis of user feedback to improve the platform during the prototype stage raised questions about its social relevance and ability to stimulate and support learning and professional development in kindergarten and elementary school teachers.
Keywords:
- collaborative research,
- e-learning,
- reading,
- curriculum development,
- professional development
Resumen
Entre 2017 y 2020, se implementó en varias escuelas experimentales de la Bélgica francófona un programa de prevención de dificultades al acceso al mundo de la literacidad (Dejaegher et al., 2022).Aunque estas escuelas recibieron capacitación y apoyo destinados a facilitar la implementación exitosa del programa, no se pudo ofrecer a otras escuelas. Por ello, se diseñó una plataforma de formación en línea centrada en la colaboración entre la investigación y la práctica. Durante la etapa de codiseño, se analizó las opiniones de los usuarios sobre diferentes prototipos de la herramienta con el fin de mejorar la calidad de la plataforma, cuestionando su relevancia social y su capacidad para provocar y apoyar el aprendizaje y el desarrollo profesional de los docentes de educación pre-escolar y primaria.
Palabras clave:
- investigación colaborativa,
- formación en línea,
- lectura,
- ingeniería de formación,
- desarrollo profesional
Article body
1. Introduction
Entre 2017 et 2020, plusieurs écoles de Belgique francophone ont été impliquées dans une recherche expérimentale visant à mesurer les effets de la mise en oeuvre d’un dispositif de prévention des difficultés d’entrée dans le monde de l’écrit: le programme P.A.R.L.E.R. Pour apprendre à lire (Dejaegher et al., 2022). Ce programme, dont les activités se déroulent en ateliers, permet de travailler, dès la troisième année maternelle et jusqu’en deuxième année primaire, plusieurs habiletés qui sous-tendent l’apprentissage de la lecture: la conscience phonologique, la fluence, la catégorisation (vocabulaire) et la compréhension de la langue (Zorman et al., 2015). Étant donné le caractère innovant du programme, sa mise en place dans les écoles expérimentales a été assortie d’une formation et d’un accompagnement dispensés par notre équipe de recherche et orientés vers la transformation et l’enrichissement progressifs des pratiques enseignantes (Portelance et al., 2014). La formation s’est déroulée sur plusieurs journées, organisées par thématiques et réparties sur les différentes années de la recherche afin de renforcer la compréhension des principes organisateurs du programme. L’accompagnement, quant à lui, consistait en rencontres mensuelles favorisant la réflexivité et l’adoption des gestes professionnels nécessaires à la mise en oeuvre réussie du programme.
Au-delà de la période consacrée à la recherche, ce suivi offert aux écoles expérimentales ne pouvait l’être à de nouveaux enseignants et enseignantes souhaitant mettre en place le programme P.A.R.L.E.R. Ainsi, pour faciliter la prise en main du programme par de nouvelles équipes éducatives (externes à la recherche initiale), nous avons effectué un travail de transposition du dispositif de formation-accompagnement pour qu’il soit offert sur une plateforme de formation en ligne accessible au plus grand nombre. Soucieux de construire un outil de formation robuste, nous avons eu recours à un processus de conception privilégiant la collaboration entre la recherche et le terrain. Six modules de formation ont été conçus. Le premier d’entre eux porte sur l’utilisation de la plateforme et la démarche pédagogique qu’elle propose. Le deuxième présente des pistes pour inclure efficacement les ateliers du programme P.A.R.L.E.R. dans la vie de sa classe. Les quatre modules suivants permettent de découvrir les habiletés travaillées par le programme, à savoir la conscience phonologique, la compréhension du langage oral, la catégorisation et la fluence ainsi que les gestes professionnels à mobiliser pour les enseigner. Cette plateforme repose sur l’utilisation de la vidéo comme vecteur de développement professionnel (Flandin et Gaudin, 2014), l’analyse de la pratique d’autres personnes enseignantes donnant à voir les gestes professionnels essentiels pour mener à bien les ateliers qui composent le programme.
Dans cet article, nous rendrons compte du processus de conception de la plateforme de formation en ligne et plus particulièrement de l’étape de coconception. Dans un premier temps, nous définirons ce que nous entendons par «situation de formation» et nous préciserons en quoi cette situation est particulière dès lors qu’il s’agit d’une formation à distance et via un outil numérique. Nous proposerons ensuite une définition de l’outil technologique et présenterons les étapes de la démarche à laquelle nous avons eu recours pour l’élaboration de ce dispositif. Cette démarche est fondamentalement collaborative: des enseignants et enseignantes, des formateurs d’enseignants et des conseillers au soutien et à l’accompagnement ont été associés au travail de conception afin d’assurer la rencontre entre le dispositif et leurs besoins de formation respectifs. Nous montrerons également comment, tout au long du processus de conception, l’observation de l’activité de formation et du développement professionnel qui en découlait nous a permis de questionner différentes composantes de la qualité du dispositif numérique – son utilité, son utilisabilité et son acceptabilité (Tricot et al., 2003; Renaud, 2020) – et de l’orienter vers la construction d’un savoir agir mettant en dialogue des savoirs pratiques issus de l’expérience et des savoirs scientifiques (Uwamariya et Mukamurera, 2005).
2. Cadre théorique
2.1. Définir la situation de formation
Toute situation de formation, comme la situation d’enseignement, se compose de trois pôles – l’apprenant, le savoir et le formateur ou la formatrice – (Houssaye, 1988; Legendre, 1988; Rézeau, 2002) entre lesquels se jouent quatre types de processus: apprendre (entre l’apprenant et le savoir), didactiser (entre le formateur et le savoir), animer (entre l’apprenant et le formateur) et enseigner (entre le formateur et la relation savoir-apprenant).
Si les auteurs et autrices s’entendent sur ce que recouvre le processus «apprendre» (la relation que l’apprenant construit avec le savoir), les choses sont moins précises pour les trois autres processus. Dans cet article, nous définissons le processus «didactiser» comme la transposition que le formateur ou la formatrice opère sur le savoir pour le rendre «enseignable» dans une visée de conception/réalisation (Denis, 2003). Dans le cas d’une formation professionnelle, le savoir est un savoir agir en situation. Le processus «animer» quant à lui est la relation sociale ou la médiation humaine qui se joue entre le formateur et le sujet apprenant (Denis, 2003) et le processus «enseigner», comme la capacité de la personne enseignante à réguler la relation que l’apprenant entretient avec le savoir. Il est donc la résultante des processus «animer» et «didactiser». Dans chaque situation de formation, le formateur a donc la responsabilité de ces trois processus.
Lorsque cette situation de formation prend place en ligne, un quatrième pôle doit être pris en compte: l’outil technologique (figure 1). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce pôle ne fait pas naître un cinquième type de relation mais tend plutôt à modifier les relations existantes. La modalité «en ligne» devient une condition intrinsèque du dispositif de formation avec laquelle le sujet apprenant et le formateur ou la formatrice doivent composer.
Tout d’abord, cette modalité a une incidence sur le processus «apprendre» car elle modifie la relation que le sujet apprenant entretient avec le savoir (en vert sur la figure 2). En effet, dans ce contexte, la relation est médiée, c’est-à-dire que l’outil technologique joue le rôle d’intermédiaire entre l’apprenant (le sujet) et les contenus de formation (l’objet) sur de multiples plans imbriqués (sémiocognitif, relationnel, praxéologique, réflexif…).
Par ailleurs, la présence de l’outil technologique tend à déplacer le processus «enseigner» du formateur vers l’outil, ce qui impacte par ricochet les processus «animer» et «didactiser» dont il est la résultante. Ce déplacement pourrait laisser penser que le formateur disparaît, remplacé par l’outil. Il n’en est cependant rien car le formateur contribue à son remplacement (Rézeau, 2002) en intervenant dans la conception. Dans le contexte de la formation en ligne, ce processus d’ingénierie de formation est appelé «médiatisation» (en mauve sur la figure 2). Peraya (2010) la définit comme «les opérations conceptuelles et les processus créatifs et techniques qui aboutissent à une “mise en média” des contenus, des connaissances, des informations qui font l’objet d’une communication» (p. 38). L’objectif de ce processus est de choisir les médias les plus en adéquation avec les contenus de formation et les compétences à enseigner. Pour ne pas tomber dans une approche technocentrée, il est important de se rappeler que le média possède une triple dimension (communicationnelle, sémiotique et matérielle) à prendre en compte. La communication n’a pas seulement pour vocation de transmettre des contenus, elle crée et entretient une relation. Revenons donc sur les deux processus à médiatiser: «animer» et «didactiser».
2.1.1 Animer: la relation entre l’apprenant et le formateur
Les dispositifs de formation recourant aux technologies imposent une rupture temporelle entre le sujet apprenant et le formateur ou la formatrice (Peraya, 2006). Le défi lors de leur développement est alors de maintenir une relation sociale entre le formateur et le sujet apprenant car cette dernière permet de susciter et d’entretenir l’activité individuelle à distance (Denis, 2003). La relation pédagogique dont personne ne doute en présentiel doit ainsi faire l’objet d’une médiatisation (Charlier et al., 2006). Le formateur absent tente de rester présent dans l’environnement de formation en laissant des traces qui sont des manières de s’adresser aux personnes apprenantes pour les impliquer (Peraya, 2019). Il exprime son style pédagogique à travers les textes explicatifs, le graphisme, la mise en page, les enregistrements vocaux… Ces éléments relèvent de l’interactivité interactionnelle (Barchechath et Etpouts-Lajus, 1990) qui tente de reconstruire une situation d’interlocution entre un destinataire et un énonciateur physiquement absent.
2.1.2 Didactiser: la relation entre le formateur et le savoir
Comme détaillé ci-avant, le processus de médiatisation amène le formateur ou la formatrice à réfléchir à la manière la plus adéquate de transposer les contenus de formation dans un contexte numérique. Comment scénariser une capsule vidéo? Quels types d’activités proposer? Comment structurer les informations entre elles? Ce travail se concrétise dans la réalisation d’un scénariogramme (Denis et Fontaine, 2013) qui organise le processus d’apprentissage en ligne sur les plans pédagogique, technique et ergonomique (Ghourabi, 2012). Il propose de mettre en correspondance les activités et tâches qui y sont associées avec différents types d’usage des ressources technologiques et le rôle que tient le formateur même absent physiquement. Par exemple, si le concepteur désire évaluer de manière formative (rôle du formateur) la compréhension d’une vidéo par les sujets apprenants, il peut proposer de placer un test (activité) sous la forme d’un questionnaire en ligne (usage des ressources technologiques) permettant de récolter des données sur leur niveau de compréhension. Cette médiatisation des contenus pédagogiques confère ainsi au formateur le rôle de concepteur, il devient formateur-concepteur. Par ailleurs, la rupture temporelle et les interactions asynchrones qu’elle entraîne impliquent l’impossibilité pour le formateur de réaliser des ajustements en situation qui soutiennent principalement la réflexivité des personnes apprenantes. Cette forme de didactisation en cours d’activité pédagogique doit donc être analysée en amont et introduite par d’autres moyens dans le dispositif.
Malgré la contrainte que représente la modalité «en ligne», l’objectif est de proposer un enseignement d’une qualité égale à celle qui pourrait être proposée dans un dispositif en présentiel. Pour ne pas altérer le processus «enseigner», les besoins d’apprentissage des sujets apprenants doivent être pris en compte en amont de la formation pour que le dispositif en ligne y réponde le plus adéquatement possible.
2.2 Définir l’outil technologique: un dispositif de formation en ligne incluant de la vidéoformation
La situation de formation en ligne inclut un outil technologique, intermédiaire entre le sujet apprenant et le savoir et le formateur ou la formatrice. Dans la présente étude, cet outil est un dispositif de formation défini comme
un ensemble cohérent de ressources, de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un ou mieux (peut-on faire apprendre?) de permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose.
Lebrun et al., 2011, p. 22
Plus précisément, le dispositif de formation spécifie les objectifs à atteindre, les prérequis éventuels, la méthodologie de formation ainsi que le déroulement des activités. Ce déroulement se concrétise à l’aide d’activités d’apprentissage ciblées sur différents savoirs, savoir-faire à acquérir de même que des compétences à développer pour les personnes apprenantes. Le développement de ces compétences est amené par l’utilisation de vidéos présentant des pratiques de classe accessibles et appropriables. Le sujet apprenant (ici une personne enseignante), en comparant sa pratique personnelle à la pratique qu’il lui est demandé d’observer, peut remettre en question son action en vue de l’améliorer (Flandin et Gaudin, 2014). Cette comparaison n’est cependant pas suffisante pour assurer un développement professionnel. Elle doit être accompagnée d’une activité réflexive (Flandin et Gaudin, 2014) qui rend visibles les gestes essentiels pour conduire les ateliers du programme P.A.R.L.E.R. L’observation de ces vidéos est donc guidée par des questions d’analyse précises proposées par le dispositif de formation.
Cependant, le dispositif ne prend sens que s’il est vécu et expérimenté par un sujet (Linard, 1998). Dès lors, il apparaît nécessaire d’étudier la manière dont les utilisateurs et utilisatrices se saisissent de cet outil technologique ou artefact et d’en analyser les usages puisqu’il transforme l’activité humaine (la formation) qu’il médiatise (Peraya, 2019). Pour ce faire, l’observation des utilisateurs en action est essentielle mais pas suffisante. Il semble aussi déterminant de dialoguer avec ceux-ci et celles-ci pour comprendre leurs logiques d’action et leurs besoins. Ce discours méta ouvre un espace d’échanges et de négociations qui permet d’améliorer l’efficacité du dispositif de formation.
2.3 Concevoir un outil de formation en ligne en collaboration avec ses utilisateurs
Pour créer un outil de formation de qualité qui promeuve l’autodidaxie, il semble donc essentiel de proposer une méthodologie de conception qui intègre ses utilisateurs. Qu’on l’appelle design participatif (Esnault et al., 2006 cités par Charlier et Henri, 2007) ou dialogue collaboratif (Kervyn et Goigoux, 2021), ce processus de développement associe des acteurs hétérogènes dont les préoccupations et les intérêts diffèrent pour aligner la formation à leurs besoins respectifs.
Parmi les options méthodologiques qui s’offrent aux concepteurs, l’approche de la conception continuée dans l’usage (Béguin et Cerf, 2004; pour une description détaillée de la démarche générale voir Goigoux et Cèbe, 2009; Goigoux, 2017; Goigoux, et al., 2020) se révèle particulièrement pertinente pour travailler en collaboration avec les acteurs du système éducatif, pour construire un outil vecteur de développement professionnel et intégrant des ressources robustes (Kervyn, 2020; Dejaegher et al., 2023), à la fois fiables scientifiquement et pertinentes pour le terrain, c’est-à-dire utiles, utilisables et acceptables (Tricot et al., 2003; Renaud, 2020).
De manière générale, le schéma de conception continuée dans l’usage se compose de trois étapes clés que sont la conception d’un prototype initial, la coconception et l’évaluation du prototype final (en bleu foncé sur la figure 3). Cette conception continuée repose sur l’étude des genèses instrumentales (Rabardel, 1995) mettant au jour l’écart entre l’activité modélisée (modèle de l’utilisateur) pour la conception et l’activité réelle avec l’outil.
Pour concevoir le prototype initial, trois sources de connaissances sont à mobiliser. La première consiste en une analyse des besoins de formation, permettant de définir les cibles de l’outil ainsi qu’un curriculum de formation. Les deux suivantes sont les pratiques habituelles des enseignants en formation pour définir le «modèle de l’utilisateur» (ici principalement des sujets enseignants du cycle 2) et les connaissances sur les techniques de formation (et notamment de formation en ligne) qui ont fait leur preuve pour définir les caractéristiques à privilégier dans la scénarisation pédagogique.
Ce prototype initial fait alors l’objet d’un dialogue entre les personnes porteuses du projet de conception et des utilisateurs qui l’expérimentent et formulent des propositions de modification. Dans cette seconde étape du processus, nommée coconception, l’enjeu est alors l’amélioration de la qualité du dispositif. Il s’agit notamment d’analyser la pertinence sociale du dispositif (Kervyn, 2020) en observant différentes dimensions ergonomiques: l’utilité du dispositif, c’est-à-dire sa pertinence dans l’atteinte des objectifs, son utilisabilité, caractérisée par son adéquation aux usages et sa facilité d’appréhension et, enfin, son acceptabilité relative au degré d’adéquation avec les croyances et pratiques des personnes enseignantes. La productivité du dispositif, à savoir sa capacité à susciter les apprentissages des personnes apprenantes, à provoquer et à soutenir leur développement professionnel, est aussi étudiée dans cet objectif d’amélioration.
Enfin, la troisième étape de la démarche de conception continuée dans l’usage porte sur l’évaluation des effets du dispositif construit dès lors que celui-ci quitte l’espace de coconception et s’adresse à un public plus large.
La question de recherche à laquelle nous tentons de répondre ici concerne principalement l’étape de coconception et peut être formulée de la manière suivante: comment l’analyse du dialogue entre les coconcepteurs sur l’usage du dispositif de formation en ligne permet-elle d’améliorer la qualité du processus «enseigner» et d’assurer l’apprentissage et développement professionnel des sujets?
3. Méthodologie
Concrètement, entre janvier 2019 et septembre 2021, 74 acteurs du système éducatif belge francophone ont été impliqués dans l’étape de coconception du dispositif de formation P.A.R.L.E.R. Ils représentaient huit types d’acteurs du système éducatif (recherche, enseignement, formation initiale et continue des personnes enseignantes, conseil, soutien et accompagnement pédagogique, direction d’établissement scolaire, logopèdes ou encore inspection). Plus précisément, trois temps de régulation ont été proposés pour évaluer successivement trois prototypes du dispositif de formation en ligne (voir la figure 3).
Le prototype initial a été soumis à l’évaluation d’un groupe de travail interprofessionnel (nommé «GT Plateforme») composé de 21 personnes. Ce groupe s’est réuni neuf fois pendant trois années consécutives pour assurer le suivi de l’ensemble de la conception de la plateforme. Celle-ci s’est déroulée module par module. Les commentaires formulés à propos de certaines activités, vidéos ou autres éléments du dispositif ont été utilisés pour réguler la conception des modules suivants. Le scénario pédagogique global et principalement les scénarimages des capsules vidéo ont été analysés et révisés par les membres du «GT Plateforme». Ce travail, qui s’est déroulé sur papier, a permis d’aboutir au deuxième prototype. Cette première phase d’évaluation s’est donc clôturée par la mise en ligne du dispositif de formation par un prestataire extérieur. Quatre laboratoires cognitifs visant l’évaluation de l’utilisabilité de la plateforme de formation ont alors été menés. Deux personnes enseignantes (l’une se considérant à l’aise avec la technologie, l’autre non) et deux experts ont été sollicités.
Les deuxième et troisième prototypes ont été évalués de la même manière. Cette évaluation a pris place dans le cadre d’un institut supérieur de pédagogie: nous avons inscrit une «recherche collaborative» au catalogue de formation. Douze séances ont été proposées, alternant des temps d’échanges en présentiel avec des temps d’expérimentation de la plateforme en autonomie. Ce sont principalement les activités de formation et le contenu des différentes vidéos qui ont fait l’objet du travail d’analyse et de commentaires des participants. Le deuxième prototype a été évalué par 52 acteurs de l’enseignement entre janvier et juin 2020 tandis que le troisième prototype a été évalué entre janvier et juin 2021 par 28 personnes dont 17 avaient déjà participé à la première évaluation. Quatre personnes intégraient également le «GT Plateforme».
Cette étape de coconception nous a donc fourni l’occasion de recueillir un discours méta composé de deux types de données: des commentaires formulés par les utilisateurs à propos de la pertinence sociale du dispositif produit (son utilité, son utilisabilité et son acceptabilité), et des commentaires relatifs à la productivité du dispositif (les apprentissages qu’il suscite et le développement professionnel qu’il provoque et soutient).
3.1 Cinq sources d’information pour recueillir les commentaires
Au cours de ces trois moments d’évaluation, cinq sources différentes d’information (en vert dans la figure 3) ont permis d’améliorer le dispositif de formation en ligne.
3.1.1 Les réunions du groupe de travail interprofessionnel
Lors de ces réunions, un travail a été réalisé sur des objets précis comme des storyboards de vidéos, des activités, des feedbacks à proposer aux apprenants en version papier. Une prise de notes des principaux points d’échanges est réalisée.
3.1.2 Les laboratoires cognitifs
Ils concernaient l’étude de l’utilisabilité de la plateforme de formation. En effet, cette méthodologie permet d’étudier les processus mentaux d’individus accomplissant une tâche en les invitant à répondre aux questions en verbalisant leurs pensées, ici durant l’action (Zucker et al., 2004). Les 14 questions qui ont composé l’entretien ont permis de vérifier la navigation des utilisateurs, leur orientation dans l’espace virtuel, leur capacité à retrouver des informations précises, à comprendre le langage visuel et l’organisation des informations. Ces entretiens ont été enregistrés en screencast pour obtenir l’image des actions des participants sur la plateforme en plus de leurs verbalisations.
3.1.3 Le journal de bord des coconcepteurs
Ce journal accompagnait l’utilisation de la plateforme par les coconcepteurs et coconceptrices et servait à consigner leurs commentaires à propos de celle-ci. Ces commentaires touchaient principalement à deux dimensions propres à l’ergonomie de conception: l’utilité et l’utilisabilité, notamment les difficultés de navigation. Chaque activité de chaque module a fait l’objet d’un questionnement dans ce journal de bord.
3.1.4 Les séances d’échanges avec les coconcepteurs
Lors de ces moments d’échanges en présentiel, les personnes chercheuses sont revenues sur les questions et les commentaires laissés par les participants dans leur carnet de bord. Ce dialogue a permis non seulement de comprendre plus précisément les attentes des personnes enseignantes mais aussi d’améliorer directement le point discuté pour l’intégrer à la plateforme lorsque cela était nécessaire.
3.1.5 Le rapport réflexif des coconcepteurs
Ce travail proposait quatre axes de réflexion. Le premier portait sur les découvertes et les apprentissages réalisés par les participants au cours de la consultation de la plateforme de formation et de ses contenus. Le deuxième axe interrogeait la mobilisation des apprentissages dans la pratique professionnelle alors que le troisième proposait de questionner la relation que les participants entretenaient avec la formation en ligne. Enfin, le quatrième axe était la synthèse des commentaires des participants sur les activités de formation en ligne. Il nous a permis de recueillir des informations sur l’utilité et l’acceptabilité du dispositif de formation.
L’ensemble des commentaires recueillis au travers de ces cinq sources ont été compilés dans un tableau de bord des propositions d’adaptation. Celles-ci ont ensuite été discutées en équipe de recherche ou avec le groupe de travail avant d’être, pour certaines, introduites sur la plateforme de formation.
3.2 Instruments d’analyse des données
Pour analyser les commentaires des sujets et ensuite décider des modifications à opérer dans le dispositif, nous avons utilisé des indicateurs proposés par Renaud (2020) que nous avons adaptés à la formation en ligne. Dans cette perspective, le sujet utilisateur est principalement la personne enseignante alors qu’il s’agit du formateur lorsque la formation se déroule en présentiel.
Ces 15 indicateurs permettent d’éclairer la qualité du dispositif selon plusieurs dimensions. Les trois premières (utilisabilité, utilité et acceptabilité) sont ergonomiques (Tricot et al., 2003). L’évaluation de la qualité du dispositif selon ces dimensions permet d’améliorer sa pertinence sociale, c’est-à-dire son adéquation avec les besoins des destinataires. La qualité repose aussi sur le caractère productif de l’outil conçu. Dans un second temps, il s’agit donc d’observer si le dispositif provoque et soutient les apprentissages et le développement professionnel des sujets (Renaud, 2020). Leur permet-il d’apprendre et de progresser? Rencontre-t-il leurs intérêts personnels? Leur offre-t-il une reconnaissance ou une valorisation de leur travail? Les aide-t-il à y trouver du sens?
Pour mener à bien ces analyses, chaque commentaire a été classifié en fonction des indicateurs de qualité. Les commentaires portant sur l’ergonomie de la plateforme ont été lus attentivement pour déterminer s’ils indiquaient un accord avec le critère ou s’ils indiquaient qu’un changement devait être opéré pour qu’un accord avec le critère soit possible. Concernant les commentaires à propos de la productivité de la plateforme, les propos utilisant des mots reflétant une modification ou un enrichissement sans nécessairement parler des pratiques en classes ont été classés dans la catégorie «apprentissage» tandis que ceux qui mentionnaient des changements dans les classes ont été intégrés dans la catégorie «développement professionnel». Il en est de même pour les propos renvoyant à une transformation de l’identité professionnelle.
4. Résultats
Le premier volet des résultats concerne les dimensions ergonomiques du dispositif de formation et rend compte de l’évolution de la plateforme de formation au regard des commentaires des coconcepteurs. Le second s’attache à observer les apprentissages réalisés et les trajectoires de développement professionnel des sujets à travers leur discours méta sur ceux-ci.
4.1 Modifier l’outil technologique: des améliorations de la plateforme de formation en ligne
À l’issue du travail avec le «GT Plateforme» autour du premier prototype produit par l’équipe de recherche, les changements opérés pour concevoir le prototype 2 sont plutôt de l’ordre de l’utilité et relèvent spécifiquement de la pertinence de la nature et de l’ordre des tâches proposées (indicateur I.B.2). Les commentaires recueillis ont permis de retravailler la structure générale de la plateforme, de proposer un séquençage différent des vidéos pour les rendre plus ciblées, plus accessibles et moins injonctives (indicateur I.B.3). Travaillant sur papier, le groupe ne pouvait pas encore s’interroger sur l’utilisabilité de l’outil. Cependant, pour proposer davantage d’ajustement au niveau d’expertise des sujets apprenants (enseignants), des vidéos bonus ont été ajoutées à la fin de certains modules (indicateur I.A.5).
Si les commentaires formulés sur le prototype 2 étaient majoritairement positifs, plusieurs modifications ont été apportées pour augmenter la qualité de celui-ci à l’issue du deuxième test. Le tableau 2 détaille les indicateurs non rencontrés (Χ), partiellement rencontrés (●) et rencontrés (√) à l’issue de l’évaluation du deuxième prototype.
Du côté de l’utilisabilité de la plateforme, les coconcepteurs, qu’ils soient ou non à l’aise avec les technologies, ont souligné la facilité à en comprendre l’organisation et à naviguer à l’intérieur de celle-ci (indicateurs I.A.1 et I.A.2). La charge de travail pour le troisième module a quant à elle été jugée trop importante (indicateur I.A.3).
Du côté de l’utilité, les coconcepteurs, ont reconnu la pertinence des activités de formation proposées même si elles n’étaient pas toujours nécessaires (importance de maintenir la flexibilité choisie au départ) (indicateurs I.B.1 et I.B.2). Ils ont affirmé que ces activités les rendaient actifs et que les vidéos permettaient de prendre connaissance de la théorie de manière structurée et ciblée. Cependant, un nombre important de commentaires visaient les modules 3 et 4. Si elles étaient utiles, certaines vidéos théoriques étaient trop complexes et surtout trop longues (indicateurs I.B.3 et I.B.5). Concernant les activités centrées sur le déroulement en classe, les coconcepteurs, ont pointé une difficulté à déterminer les gestes pédagogiques essentiels pour mener les ateliers du programme P.A.R.L.E.R. (indicateur I.B.2).
La majorité des propositions de modification formulées pour l’ensemble des modules ont été intégrées dans le troisième prototype. Précisément, les vidéos théoriques du module 3 ont été raccourcies. Les activités d’analyse des pratiques de classe des modules 3 et 4 ont été retravaillées pour proposer une découverte plus claire des gestes professionnels spécifiques aux habiletés ciblées et des difficultés des élèves, ceci dans un souci d’harmoniser le contenu proposé dans chaque module.
Au terme de l’évaluation du troisième prototype, les coconcepteurs ont trouvé la charge de travail plus raisonnable (indicateur I.A.3), validant ainsi l’ensemble des indicateurs d’utilisabilité.
Les améliorations les plus importantes se situent au niveau de l’utilité. Les coconcepteurs ont mis en évidence la pertinence des objectifs de formation poursuivis par la plateforme et le fait qu’ils rencontraient leurs propres objectifs de développement (indicateur I.B.2). Ils ont rapporté que l’ordre des tâches proposé était plus pertinent par rapport au prototype 2 (indicateur I.B3).
Entre le prototype 2 et le prototype 3, les indicateurs d’acceptabilité de l’outil de formation n’ont pas réellement évolué. Dès le prototype 2, la majorité des coconcepteurs et des coconceptrices ont indiqué que la vision qu’ils avaient d’une formation (en ligne) s’est modifiée au cours du temps (indicateur I.C.1), notamment grâce à la grande utilisabilité du dispositif. S’ils étaient au départ réticents à l’idée de suivre une formation offerte à distance, leurs craintes, qui étaient pour la plupart liées au manque de maîtrise de l’outil informatique, ont disparu au fur et à mesure de l’utilisation du dispositif de formation.
Honnêtement quand j’apprends que la formation est (en ligne), je suis mal à l’aise car je ne suis pas fan de l’informatique. C’est un super outil mais de là à me former en ligne, j’appréhende. À ma grande surprise, accéder à la plateforme est un jeu d’enfant et à la portée de tous. Et l’utilisation est très facile, il suffit de suivre les instructions.
coconceptrice 61
La flexibilité permise par le dispositif de formation a également modifié positivement leur vision de la formation en ligne: possibilité de travailler à son rythme, limitation des déplacements et donc gain de temps… : « Pour nous, la formation en ligne est plus flexible, c’est-à-dire qu’on la (suit) quand on veut et où on veut, qu’on travaille à son rythme » (coconcepteurs 26, 27 et 66).
Toutefois, les coconcepteurs et coconceptrices sont restés partagés quant au format de formation proposé. Confrontés au dispositif de formation en ligne, beaucoup de sujets ont mis en avant leur besoin d’échanger avec leurs pairs et avec les formateurs ou les formatrices en temps réel, de confronter les points de vue et de partager les expériences. Nombreux sont ceux qui ont déploré le manque d’interactions en présentiel qui leur semblaient essentielles pour se lancer dans un tel projet. Par ailleurs, certains ont émis l’envie ou le besoin de rencontrer une tierce personne pour les accompagner dans la mise en pratique du programme P.A.R.L.E.R. Notons que cette affirmation peut avoir été colorée positivement ou négativement par la crise sanitaire qui a considérablement augmenté le nombre d’événements (de formation ou non) tenus en ligne.
J’ai pris conscience de l’importance des contacts directs, parfois personnalisés, parfois spontanés, qui permettent à chacun d’évoluer dans son projet professionnel. En effet, la diversité de ces interactions permet non seulement d’enrichir notre pratique professionnelle mais aussi de participer à la construction de notre identité pédagogique.
coconceptrice 46
Enfin, nous avons recueilli des informations relatives à la compatibilité du contenu de la formation avec le style pédagogique des coconcepteurs et coconceptrices (indicateur I.C.3). Il ne s’agissait pas d’aligner parfaitement les contenus de la formation aux styles de chacun, mais plutôt de vérifier qu’il était possible pour les sujets apprenants d’intégrer ces contenus de façon cohérente dans leurs démarches habituelles. Dans la totalité des rapports réflexifs, nous avons pu relever des traces témoignant de cette compatibilité.
Les expériences pédagogiques osées cette année et l’analyse de ces dernières m’ont permis de m’investir complètement dans la philosophie du programme P.A.R.L.E.R.
coconceptrice 46
C’est une méthode que je trouve riche et qui rentre bien dans mon organisation de travail. Je pense malgré tout retravailler mon planning afin de consacrer le nombre de périodes adéquat pour la mise en application des activités.
coconcepteur 50
Le format de formation (indicateur 1.C.2) proposé a été reconnu dans les prescrits légaux à la fin de notre recherche, il est donc peu répandu dans les pratiques de formation.
4.2 Modifier le sujet: des traces d’apprentissage et de développement professionnel
La pertinence sociale de la plateforme ayant été améliorée au fil de l’évaluation des prototypes 1, 2 et 3, l’intérêt s’est alors porté sur la capacité du dispositif à se montrer productif en suscitant des apprentissages et du développement professionnel auprès des personnes enseignantes.
Dans les commentaires émis par les coconcepteurs et coconceptrices, nous avons pu identifier des traces d’apprentissage et de développement professionnel dans son volet opératif, voire identitaire. Ces informations ont été principalement recueillies à travers les rapports réflexifs des coconcepteurs et coconceptrices.
Par «traces d’apprentissage», nous désignons les déclarations des sujets apprenants qui indiquent une modification ou un enrichissement de leurs conceptions et connaissances préalables sans nécessairement qu’un changement de pratique en ait résulté.
Concernant le développement professionnel, nous parlons du volet opératif dès lors qu’un changement (ou une intention de changement) dans l’activité des apprenants transparaît dans leur discours, lorsque leurs manières habituelles de fonctionner ont été réorganisées pour répondre différemment et plus efficacement aux situations auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, dans leurs écrits, certaines personnes apprenantes ont rendu compte des modifications qu’ils ont apportées à leur pratique à la suite de leur formation, ou bien ils ont formulé des intentions de le faire. Certains verbatim, qui relevaient du volet identitaire du développement professionnel, traduisent quant à eux une transformation partielle de cette identité ou, surtout, une prise de conscience de leur identité enseignante et une affirmation de celle-ci.
4.2.1 Traces d’apprentissage
L’indicateur II.A.1 de notre grille d’analyse concerne précisément le constat des progrès des sujets apprenants. Il s’agit d’analyser la qualité et la pertinence des apprentissages réalisés. La majorité des apprentissages mentionnés par les coconcepteurs et coconceptrices concernaient les fondements mêmes du programme P.A.R.L.E.R., ses principes organisateurs ainsi que la définition et l’enseignement des différentes habiletés qu’il permet de travailler.
Ainsi, comme le montre l’extrait ci-dessous, certaines personnes enseignantes prennent conscience de l’importance de proposer, très tôt dans la scolarité et de manière régulière, des activités de développement du langage oral : «Le processus de formation a contribué à renforcer ma conviction que les activités langagières jouent un rôle prépondérant dans l’acquisition de nombreuses compétences et qu’elles constituent un préacquis solide à la lecture» (coconceptrice 46).
D’autres apprentissages concernent les principes organisateurs du programme, tels que le recours à un enseignement explicite, la formation de groupes de besoins et la structuration des apprentissages.
En outre, j’ai également pu prendre à nouveau conscience de l’intérêt pédagogique de l’enseignement explicite lorsqu’il s’agit de modéliser des démarches d’apprentissage, et plus spécifiquement lorsque nous accompagnons des enfants en difficulté.
coconceptrice 46
Nous avons repris la mesure de l’importance de former des groupes de besoins en partant de testings pour bien cibler où se situe le problème, à quel niveau se trouve l’apprenant et ce pour les différentes compétences.
coconceptrices 31, 46 et 53
Enfin, les personnes enseignantes ont également témoigné de leur meilleure compréhension des habiletés qui sous-tendent l’apprentissage de la lecture (en particulier, dans le domaine de la catégorisation) et des méthodologies efficaces pour les travailler avec leurs élèves.
J’ai, tout d’abord, découvert les deux types de catégorisation (taxonomique et thématique). J’ai pris conscience que la catégorisation demandait un enseignement explicite.
coconcepteur 42
Nous nous rendons compte que nos activités sont plus centrées sur la reconnaissance et la segmentation des syllabes alors que nous travaillons peu la fusion et la suppression.
coconcepteurs 40, 59 et 67
Ce que j’ai retenu essentiellement, c’est que la conscience phonologique comme son nom l’indique, se travaille prioritairement à l’oral et non à l’écrit comme on l’observe parfois dans les classes.
coconcepteur 73
Je dispose désormais d’un cadre théorique mais j’ai également découvert un outil, et enfin une méthodologie pour développer la fluence des élèves.
coconceptrice 46
Ce module m’a fait prendre conscience qu’il était nécessaire de travailler dans un premier temps, la compréhension séparément du décodage afin de soulager les élèves.
coconcepteur 73
4.2.2 Traces de développement professionnel
Qu’ont dit les personnes enseignantes de leur propre développement professionnel? L’analyse de leurs commentaires relatifs à ces questions a permis de montrer l’effet du dispositif de formation sur l’activité des enseignants et de répondre à l’indicateur II.B.1 de la grille d’analyse.
Dans certains cas, le dispositif a constitué pour les personnes enseignantes un incitatif à modifier leur pratique: ils ont alors tenu un discours en ce sens, qui dévoilait un développement opératif projeté. Dans d’autres cas, le dispositif a joué un rôle de véritable soutien au changement de pratique: les sujets apprenants ont exposé des modifications qu’ils ont effectivement apportées à leur activité.
Ces traces de développement concernent d’abord la mise en oeuvre des principes organisateurs du programme, comme l’explicitation des démarches (élément le plus souvent cité par les apprenants), la formation de groupes de besoins et la mise en place de pratiques de différenciation.
Ensuite, les coconcepteurs et coconceptrices font référence à des changements dans la gestion du groupe classe: ils indiquent avoir osé (ou prévoir d’oser) un mode de fonctionnement en ateliers dans lequel ils s’occupent spécifiquement d’un groupe d’élèves, surmontant ainsi leurs craintes de devoir gérer l’autonomie des groupes laissés en dehors de leur supervision directe. Dans leurs écrits, certains sujets apprenants qui ont véritablement mis en oeuvre ce mode d’organisation ont d’ailleurs constaté ses bienfaits tant sur leur travail que sur les apprentissages des élèves et le climat de la classe.
Enfin, le développement consiste également en l’enseignement d’habiletés qui, précédemment, ne figuraient pas parmi les apprentissages proposés aux élèves, ou du moins pas complètement. Ainsi, les testeurs et testeuses ont mis en avant des «manquements» dans les objets d’apprentissage présentés aux élèves et ont proposé les contenus qui pourraient les combler.
Si je devais retourner dans ma classe, je retiendrais une série de gestes professionnels essentiels pour les apprentissages de tous les élèves et des plus faibles en particulier: opter pour un enseignement explicite des démarches, montrer aux enfants comment, moi adulte, je procède, insister plus sur la démarche que sur le résultat.
coconcepteur 73
Nous aimerions repenser notre planning afin de consacrer une période par jour à ces activités, en petits groupes. L’interaction avec une autre de nos collègues et la puéricultrice va nous permettre de constituer des groupes de niveaux plus homogènes.
coconcepteurs 32 et 50
Nous nous sommes rendu compte qu’il manquait dans notre enseignement de la conscience phonologique pas mal d’apprentissages qui ne sont pas prévus dans la méthode des alphas et qu’il nous faut donc mettre en place.
coconcepteurs 8, 22 et 62
Pour les aider, j’ai essayé de les guider en mettant des mots sur la démarche de compréhension.
coconcepteur 59
C’est grâce à la volonté d’instaurer les ateliers du programme P.A.R.L.E.R. que j’ai osé mettre en place de nouveaux processus structurels engageant l’autonomie des enfants.
coconceptrice 46
Au fur et à mesure des séances, le climat de classe est beaucoup plus calme et serein mais j’ai trouvé cela (la mise en oeuvre des ateliers) très difficile au départ.
coconcepteur 72
J’ai alors mis en place des ateliers de conscience phonologique après avoir bataillé sur l’autonomie et l’indépendance, sur les fonctions exécutives et sur le métier d’élève de chacun.
coconcepteur 59
5. Discussion conclusive
Dans la conception d’un dispositif de formation en ligne, le rôle du formateur est de participer à son remplacement par ce dispositif. La rupture temporelle imposée par l’outil de formation en ligne ainsi que son caractère relativement fixe et stable une fois produit nécessitent d’évaluer, dès les premières étapes de sa conception et à l’aide des utilisateurs auxquels il s’adresse, la qualité du dispositif et d’y apporter les ajustements nécessaires. Le processus «enseigner» se retrouve donc au coeur des préoccupations et du processus de coconception.
Le recours aux commentaires des coconcepteurs et coconceptrices nous a d’abord permis d’évaluer différents indicateurs de qualité de ce dispositif de formation conçu pour être vecteur d’apprentissage et de développement professionnel. L’analyse de ces commentaires nous a aidés en tant que chercheurs, qui tenions aussi le rôle de formateurs, à prendre des décisions relatives à la modification des contenus, de la scénarisation pédagogique et des outils techniques utilisés pour améliorer la qualité de l’enseignement dispensé dans ce dispositif.
Si la troisième étape de conception continuée dans l’usage (CCU) entamée en septembre 2021 nous en apprendra davantage sur l’utilisation de la plateforme par des personnes enseignantes novices et leur développement professionnel, les données recueillies dans le cadre de la coconception laissent penser que le dispositif, encore au stade de prototype, possédait déjà une puissance transformatrice favorable aux apprentissages et au développement de personnes enseignantes désireuses de mettre en place le programme P.A.R.L.E.R. dans leur classe. Nous avons ainsi pris la décision de conserver les caractéristiques du dispositif qui faisaient sa robustesse. Nous avons également déterminé ses «manquements» pour proposer des améliorations. Par exemple, le manque d’interactions entre sujets apprenants sera pris en compte par la création d’un forum.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger le développement qu’on vécu les coconcepteurs et coconceptrices. Une réelle communauté d’apprentissage est née sous nos yeux. Si le travail de coconception a permis de construire un outil de formation prometteur proposant une logique productive répondant à la double contrainte de la robustesse (Kervyn, 2020), il a aussi été source de développement pour les personnes impliquées dans le groupe de travail du fait qu’elles ont accompagné la construction de la plateforme malgré leurs connaissances des outils du programme P.A.R.L.E.R.
En effet, ce groupe de travail a permis d’établir une interrelation entre les conditions nécessaires pour que le groupe fonctionne (relation symétrique, responsabilités réparties amenant un investissement de chacun et une prise de conscience de l’utilité du groupe d’étude, prise en compte des contraintes organisationnelles) et le processus de travail à mettre en place (coconstruction entre partenaires, valorisation de l’expertise de chacun, sentiment de reconnaissance). De cette manière, un climat de confiance et de bien-être propice aux échanges s’est installé et a généré la construction de nouvelles connaissances et permis le développement des participants comme le signalent aussi Van Nieuwenhoven et Colognesi (2015) et Desgagné (1997).
Si, à la fin de cette recherche, nous plaidions pour que les formations en ligne et la participation à la recherche soient reconnues par le ministère de l’Éducation en Belgique francophone comme formation, car elles sont vectrices de développement professionnel, nous pouvons à présent nous réjouir que la réforme de la formation continue en Belgique francophone les intègre toutes les deux comme modalité de formation continue.
Appendices
Bibliographie
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