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Introduction

Ce numéro est le deuxième volet d’un dossier thématique consacré à mettre en discussion la philosophie pour enfants et adolescents (PPEA) et les éthiques du care. Il réunit trois articles qui complètent les quatre articles précédemment publiés en proposant de nouvelles voies à travers lesquelles PPEA et éthiques du care se rencontrent. Nous présentons ci-dessous chacune de ces nouvelles contributions et renvoyons au premier numéro pour consulter l’introduction complète du dossier.

Plus particulièrement, ces trois nouvelles contributions ont en commun de mobiliser les éthiques du care pour interroger les enjeux sociaux et politiques des pratiques philosophiques en contexte éducatif. Elles apportent ainsi de nouvelles perspectives, contribuant principalement à l’axe 3 de ce dossier thématique portant sur le rôle politique de l’éducation au sein des éthiques du care.

Anne-Sophie Cayet propose une contribution portant sur la pratique de la philosophie en contexte d’hétérogénéité linguistique et socioculturelle. Elle s’appuie sur une recherche-action ayant consisté en la conduite d’ateliers de philosophie en contexte scolaire avec des adolescents allophones nouvellement arrivés en France. En mobilisant de manière croisée l’éthique du care et l’éthique de l’hospitalité (Daniel Inerrarity), l’autrice analyse cette pratique comme un agir éthique susceptible de contribuer à l’inclusion de ces adolescents. Le protocole de l’«atelier philo en langues» présenté dans l’article consiste à mettre à profit les ressources de la diversité des langues pour la réflexion philosophique, suivant une conception performative qui considère que les langues produisent des mondes. La pratique philosophique, conçue ici comme interprétative, devient alors le lieu d’une hospitalité réciproque et non plus unilatérale. Les résultats de la thèse d’Anne-Sophie Cayet sont éclairés par le double corpus théorique choisi, afin de conduire progressivement le lecteur vers une compréhension de plus en plus complexe des enjeux éthiques et politiques de la question étudiée. Cette analyse met finalement en lumière une éthique relationnelle au fondement de la pratique de la philosophie, mettant en dialogue des langages pluriels et susceptible de favoriser le développement d’un sentiment capacitaire chez des élèves migrants. Soutenant l’idée d’une pratique de la philosophie capable de (re)légitimer des voix rarement entendues, l’autrice interprète ainsi la PPEA comme une pratique du care permettant l’expression de voix différentes et met en lumière sa portée politique.

L’article de Layla Raïd aborde la question du genre dans le programme de philosophie pour enfants de Matthew Lipman et Ann Margaret Sharp, et plus largement dans les pratiques de PPEA actuelles, à partir d’une analyse théorique inspirée en particulier par les travaux de Sharp. L’autrice commence par exposer un paradoxe: si Sharp inscrit clairement la PPEA dans la lignée des éthiques féministes (en l’occurrence dans le cadre d’une éthique du care), elle ne mentionne que très peu la variable de genre. Or, ces éthiques féministes mettent justement en lumière l’influence de l’éducation dans la construction de l’identité de genre, en particulier en ce qui concerne l’acquisition de dispositions au care. Dès lors, en l’absence de prise en compte spécifique de cette variable, l’ambition de la PPEA de mettre en oeuvre des valeurs de care risque d’être mise en péril par la construction sociale du genre qui a cours en parallèle. L’article développe les enjeux de ce problème en analysant les rapports entre care et genre en PPEA. Il propose ensuite une analyse du roman Pixie rédigé par Lipman et issu du programme de philosophie pour enfants, dans lequel il identifie une piste de solution, en montrant comment ce roman invite les enfants à des formes de construction de soi alternatives aux stéréotypes de genre. Cette analyse conduit l’autrice à considérer la PPEA comme une pratique de transformation de soi et du monde social qui aurait la capacité de contrecarrer la construction des stéréotypes de genre, à la condition d’être pratiquée tôt durant l’enfance. Cette contribution aborde ainsi une question peu explorée dans les travaux en PPEA et met en lumière, par une analyse rigoureuse et étayée, tout autant la dimension subversive de la PPEA que la délicatesse avec laquelle elle entend transformer le monde social et les sujets qui le composent.

La contribution de Pénélope Dufourt mobilise les éthiques du care et la PPEA dans le cadre d’une réflexion sur le droit à l’éducation aux droits humains, proclamé en 2011 par les Nations unies. L’autrice cherche à penser les conditions de possibilité d’une éducation aux droits humains qui se voudrait garante du pluralisme culturel, c’est-à-dire qui échappe au risque d’ethnocentrisme souligné par les critiques de ce droit. Pour ce faire, l’article explore comment la philosophie pour enfants, telle qu’elle a été pensée par Lipman et Sharp, pourrait contribuer à éclairer les conditions de possibilité d’une éducation favorisant la reconnaissance de la pluralité des points de vue sur les droits humains sans pour autant encourager une posture relativiste. Pour approfondir son intuition, l’autrice montre d’abord en quoi les éthiques du care participent à penser les conditions de possibilité d’une éducation pluraliste, pour ensuite interroger dans quelle mesure les communautés de recherche philosophique théorisées par Lipman et Sharp peuvent prétendre instituer des pratiques éducatives de care. Par cette analyse théorique soutenue et rigoureuse, l’autrice montre en quoi les éthiques du care peuvent être mobilisées pour souligner la capacité de la PPEA à instaurer un rapport pluraliste et pragmatiste aux savoirs tout en évitant l’écueil du relativisme. Ce travail contribue ainsi à éclairer la portée éthique et politique de la PPEA à la lumière des éthiques du care.