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1. Introduction

Parmi le nouveau personnel enseignant des écoles québécoises, on trouve de plus en plus d’enseignants de migration récente. Selon les données internes du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), sur 3000 enseignants immigrants qui ont obtenu des autorisations d’enseigner de 1998 à 2009, 1771 ont obtenu un emploi dans des commissions scolaires (Gouvernement du Québec, 2010)[1]. Ces enseignants intègrent à la fois un nouveau système d’enseignement et un nouvel environnement culturel. Cela comporte de nombreux défis puisque le rôle de l’enseignant, les modèles pédagogiques et les connaissances professionnelles requises peuvent différer selon les cultures et les systèmes éducatifs (Duchesne, 2010a). La recherche présentée ici porte sur l’adaptation au rôle professionnel des enseignants de migration récente (EMR) dans le contexte éducatif québécois. Dans le cadre de cette étude, la notion d’EMR signifie qu’il s’agit d’enseignants immigrants qui possèdent une formation en enseignement acquise dans leur pays d’origine ainsi qu’une autorisation d’enseigner et une expérience d’enseignement dans ce contexte. Étant donné que l’insertion professionnelle (IP) constitue un processus temporel et dynamique qui peut s’étendre sur environ sept ans (Vonk, 1988), deux autres critères s’appliquent: ils résident au Québec depuis sept ans ou moins et ils exercent la profession enseignante dans le réseau scolaire québécois.

Au Québec, les enseignants immigrants contribuent à combler des besoins de main-d’oeuvre (Vallerand et Martineau, 2006) et peuvent constituer un apport à la réussite des enfants issus de l’immigration (Lefebvre, Legault et De Sève, 2002). Or, il existe peu de connaissances sur le vécu professionnel de ces enseignants dans le monde francophone en général et au Québec en particulier (Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2013). Une récente étude (Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2014) montre déjà que l’expérience de transition professionnelle de ces EMR pour intégrer le marché du travail et le milieu scolaire québécois s’avère difficile et qu’ils ne bénéficient pas de mesures formelles d’accueil et d’accompagnement lors de leur prise de fonction. Qu’en est-il alors de l’adaptation au rôle professionnel d’enseignants dans le contexte scolaire québécois? Ce sujet représente un enjeu social et scientifique important qu’il importe d’éclairer afin de combler un manque de connaissances fondées sur des données empiriques solides (Niyubahwe et al., 2013, 2014). Ces EMR sont un peu comme des débutants dans le système éducatif québécois et une intégration réussie dans la pratique de l’enseignement au Québec aurait des retombées positives tant pour eux-mêmes que pour les élèves et le milieu scolaire en général.

Cet article présente les résultats d’une recherche qualitative d’inspiration phénoménologique (Bachelor et Joshi, 1986) réalisée auprès de 13 EMR travaillant dans les régions de Montréal et Sherbrooke. Nous y abordons à tour de rôle la problématique et l’objectif de recherche, le concept d’insertion professionnelle (IP) qui constitue la toile de fond de l’étude, les choix méthodologiques et les étapes de l’analyse phénoménologique des données, les résultats articulés autour des thèmes dégagés de l’analyse ainsi que leur discussion. Enfin, une conclusion expose certaines limites de la recherche et des perspectives pour des recherches futures.

2. Problématique et objectif de la recherche

Les EMR s’insèrent dans un contexte scolaire et culturel nouveau. Leurs connaissances, valeurs et conceptions de l’éducation peuvent parfois différer de celles du système scolaire québécois, ce qui comporte plusieurs défis d’adaptation (Vallerand et Martineau, 2006). Martineau et Ndoreraho (2006, p. 6) considèrent que les EMR ont besoin «d’un soutien continu et personnalisé afin de développer rapidement les connaissances et les compétences nécessaires pour bien “lire les situations”».

Une recension des écrits sur l’insertion professionnelle des enseignants immigrants (Niyubahwe et al., 2013) montre que la majorité des articles à ce sujet proviennent du monde anglo-saxon et qu’aucun ne porte sur les enseignants immigrants au Québec. L’analyse de ces recherches fait ressortir plusieurs difficultés relatives à l’obtention de l’autorisation d’enseigner, l’obtention d’un emploi en enseignement, l’intégration dans le milieu scolaire et la pratique d’enseignement. Concernant la pratique d’enseignement qui se rapproche plus spécifiquement de l’objet de cet article, les difficultés des enseignants immigrants une fois qu’ils sont embauchés dans le milieu scolaire concernent la pratique pédagogique et la gestion de classe, même si quelques facteurs peuvent faciliter cette adaptation. Leurs difficultés peuvent en partie s’expliquer par leur manque de connaissance du système scolaire dans lequel ils s’insèrent. Ces deux thèmes sont traités dans les sections qui suivent.

2.1 Difficultés relatives aux pratiques pédagogiques et à la gestion de classe

Les études faites au Canada (Deters, 2008; Duchesne, 2010b; Myles, Cheng et Wang, 2006; Wang, 2003), aux États-Unis (Ross, 2003), en Australie (Cruickshank, 2004) et en Nouvelle-Zélande (Butcher, 2012) révèlent que les difficultés des enseignants immigrants proviennent de l’écart entre les pratiques pédagogiques de leur pays d’origine et celles du pays d’accueil, notamment par rapport aux modèles centrés sur l’apprenant. L’étude de Myles et al. (2006) auprès de 18 enseignants immigrants suivant un programme de certification à l’enseignement en Ontario montre que ceux qui viennent des systèmes éducatifs caractérisés par l’enseignement magistral, la mémorisation et l’évaluation des connaissances au moyen des tests standardisés sont désorientés par l’enseignement centré sur l’apprenant. La création de matériel didactique, la préparation et la planification de leçons, l’évaluation des élèves, les stratégies de motivation des élèves et le rôle de l’enseignant en tant que facilitateur de l’apprentissage constituent des défis à relever. Pour s’adapter au nouveau système d’enseignement, ils doivent modifier leurs croyances et pratiques d’enseignement. Wang (2003) et Duchesne (2010b) en Ontario, et Cruikshank (2004) en Australie obtiennent des résultats semblables.

Les enseignants immigrants rencontrent aussi des difficultés relatives à leur méconnaissance des programmes d’étude et leur application, au décalage entre leurs connaissances disciplinaires et celles requises par ces programmes, aux cours en dehors de leur spécialité (Butcher, 2012) ou qui requièrent des connaissances contextuelles et culturelles (Deters, 2008).

La complexité du travail enseignant constitue une autre source de difficultés pour les enseignants immigrants (Butcher, 2012; Duchesne, 2010a; Myles et al., 2006). Les participants à l’étude de Butcher (Ibid.), par exemple, évoquent leurs difficultés à intervenir auprès d’élèves en difficultés d’apprentissage, à faire de la différentiation pédagogique, à animer des activités parascolaires qu’ils ne connaissent pas.

Sur le plan de la gestion de classe, les enseignants immigrants habitués à des systèmes éducatifs où les relations hiérarchiques dominent trouvent difficile d’imposer leur autorité et d’instaurer un climat de classe égalitaire et coopératif (Butcher, 2012; Duchesne, 2010b; Deters, 2008; Remennick, 2002, Myles et al., 2006, Wang, 2003). Ces études rapportent que les enseignants immigrants font face à des comportements d’indiscipline et de manque de respect des élèves à leur égard, ainsi que des difficultés de gestion de classe. Le manque de maîtrise de la langue d’enseignement peut aussi affecter la gestion de classe. Deters (2008) en Ontario et Remennick (2002) en Israël rapportent que certains élèves se moquent de l’accent des enseignants immigrants et font des remarques négatives sur leur prononciation.

Par contre, plusieurs facteurs favorables à la réussite de l’adaptation professionnelle des enseignants immigrants sont relevés: le soutien et la collaboration des collègues et de la direction dans l’appropriation des programmes et la gestion de classe (Deters, 2008; Remennick, 2002), l’accompagnement par un mentor (Deters, Ibid.; Peeler et Jane, 2005) et certaines qualités personnelles comme l’ouverture d’esprit et la capacité d’autocritique (Deters, Ibid.). De plus, Deters (Ibid.) rapporte que les collègues et la direction peuvent fournir de l’aide par des conseils, des rétroactions et le partage de matériel pédagogique.

2.2 Le contexte de l’enseignement au Québec

Pour comprendre la réalité scolaire à laquelle les EMR s’intègrent au Québec, il importe de clarifier les grandes orientations de l’enseignement qu’ils doivent mettre en oeuvre. Le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), en vigueur au primaire depuis 2001 et au secondaire depuis 2005, repose entre autres sur le passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage, l’approche par compétence et le décloisonnement de la formation (Gouvernement du Québec, 2007). Fondé sur les courants cognitiviste, constructiviste et socioconstructiviste, le PFEQ fait de l’élève le principal acteur dans son processus d’apprentissage et l’enseignant, plutôt que d’être un transmetteur de connaissances, devient un guide ou un accompagnateur des élèves dans la construction de leurs connaissances (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2008). L’enseignant n’est pas non plus perçu comme un technicien qui exécute des programmes, mais comme un professionnel qui doit «définir des situations à l’intérieur desquelles les élèves peuvent construire des connaissances et développer des compétences» (Maury et Caillot, 2003, p. 114).

Définie comme «un savoir agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficace d’un ensemble de ressources» (Gouvernement du Québec, 2007, p. 11), la compétence ne s’enseigne pas, mais elle se développe par des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAE) complexes, signifiantes et contextualisées, en prise avec les situations et les problèmes liés à la vie courante (Ibid.). Lors de la conception de SAE, l’enseignant doit être «sensible à la diversité des élèves qui composent le groupe-classe» et tenir compte de «la dimension affective des élèves dans leur processus d’apprentissage» (Ibid., p. 21). Il est aussi appelé à travailler en collégialité avec ses collègues et les autres intervenants «pour créer les conditions d’enseignement-apprentissage les plus favorables» (Gouvernement du Québec, Ibid., p. 22).

Les orientations du PFEQ requièrent, de la part des enseignants, le développement de compétences professionnelles spécifiques. C’est ainsi qu’une formation professionnalisante et un référentiel de 12 compétences professionnelles ont été mis en place pour former les enseignants (Gouvernement du Québec, 2001). Ces compétences concernent la maîtrise des contenus disciplinaires et culturels, la maîtrise du français oral et écrit, la conception de SAE, le pilotage de SAE, l’évaluation des apprentissages et des compétences, la gestion de classe, l’adaptation des interventions aux élèves en difficulté, l’intégration des TIC, la coopération avec les partenaires éducatifs, le travail en équipe pédagogique, le développement professionnel et l’éthique professionnelle. Or, les EMR ont souvent une formation plus traditionnelle axée sur la discipline d’enseignement plutôt que sur la pédagogie, la pratique et le travail en collaboration. Mais, comme les autres enseignants, ils doivent agir en cohérence avec l’esprit et les orientations du PFEQ.

2.3 Objectif de recherche

La recension des écrits a montré qu’il existe peu d’écrits scientifiques sur la transition professionnelle des enseignants immigrants et plus spécifiquement sur l’adaptation au rôle professionnel. Au Québec en particulier, aucune étude empirique n’a été faite sur le sujet. Même les quelques études réalisées ailleurs dans le monde ne nous permettent pas d’appréhender comment ces enseignants vivent réellement leur processus d’adaptation professionnelle jusqu’à un niveau de consolidation qui leur permet d’être relativement à l’aise dans leur travail. D’ailleurs, ces études portaient sur des enseignants immigrants stagiaires inscrits à un programme de certification à l’enseignement ou sur des enseignants qui ont déjà leur certification pour enseigner dans les pays d’accueil, ce qui n’est pas le cas pour les EMR au Québec. Ces derniers peuvent en effet obtenir une autorisation d’enseigner temporaire et commencer à exercer l’enseignement avant d’entreprendre une formation complémentaire requise pour l’obtention ultérieure du brevet d’enseignement, qui est l’autorisation permanente d’enseigner (Niyubahwe et al., 2014). Ainsi, indépendamment des difficultés spécifiques aux enseignants immigrants, ils peuvent aussi faire face à d’autres difficultés inhérentes aux exigences liées à l’exercice du rôle professionnel dans leur nouveau contexte éducatif. Eu égard à cette problématique, l’objectif de recherche est de décrire et de comprendre l’expérience d’adaptation au rôle professionnel des EMR dans le contexte scolaire québécois.

3. Cadre conceptuel

D’entrée de jeu, il importe de souligner que notre recherche phénoménologique est de nature descriptive et compréhensive. Par conséquent, nous ne partons pas d’un cadre théorique explicatif. Toutefois, étant donné que les EMR intègrent à la fois un nouveau système éducatif et un nouvel environnement de travail ayant une culture et une organisation qui leur sont propres, ces enseignants font figure de débutants jusqu’à un certain point. Par conséquent, la clarification du concept d’insertion professionnelle (IP) et des concepts connexes permet d’appréhender des éléments pouvant éclairer leur transition et adaptation au rôle professionnel d’enseignant au Québec.

3.1 Le concept d’insertion professionnelle

Selon Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho (2013), l’insertion professionnelle (IP) est un processus multidimensionnel qui comporte cinq dimensions complémentaires et interdépendantes. Selon ces auteurs, tout IP commence par l’accès à l’emploi. Ainsi, la première dimension concerne l’intégration à l’emploi et «renvoie aux conditions d’accès et aux caractéristiques des emplois occupés» (Ibid., p. 16). Au Québec, la précarité d’emploi et l’instabilité professionnelle caractérisent largement les situations de travail des nouveaux enseignants et les EMR seraient aussi touchés par cette réalité.

La deuxième dimension touche «l’affectation spécifique et les conditions de la tâche, notamment en ce qui concerne la nature, les composantes et l’organisation de la tâche, le lien entre la tâche spécifique et le champ de formation, la stabilité de la tâche et de milieu, la charge de travail, etc.» (p. 16). Tous ces facteurs influent sur la façon dont le nouvel enseignant va vivre son intégration aux plans organisationnel et professionnel.

La troisième dimension concerne la socialisation organisationnelle et renvoie à l’intégration dans le milieu du travail, l’adaptation à la culture de l’école et l’intégration à l’équipe-école. Selon Bengle (1993, dans Mukamurera, 2011), la socialisation organisationnelle est un «processus par lequel une personne en arrive à apprécier les valeurs, les habiletés, les comportements attendus et les connaissances sociales essentielles afin d’assumer un rôle dans l’organisation et d’y participer en tant que membre» (p. 20). Lacaze et Fabre (2005) notent que la socialisation organisationnelle concerne non seulement les jeunes qui débutent dans la profession, mais aussi les personnes qui sont en transition professionnelle ou qui changent de milieu de travail. C’est particulièrement le cas des EMR qui intègrent un nouveau système scolaire et une nouvelle culture organisationnelle et professionnelle. Campoy, Waxin, Davoine, Charles-Pauvers, Commeiras, et Goudarzi (2005) indiquent que l’intégration dans une nouvelle culture organisationnelle comporte plusieurs défis, dont l’adaptation au travail:

La nouveauté de la culture organisationnelle augmente l’incertitude due au changement de l’environnement de travail et retarde l’adaptation. Plus la culture organisationnelle de l’organisation hôte est éloignée de celle de l’organisation d’origine, plus l’adaptation au travail de l’expatrié s’en trouve difficile.

p. 358

La quatrième dimension éclaire particulièrement notre étude et renvoie à la professionnalité nécessaire à l’exercice de sa fonction. L’insertion au niveau de la professionnalité a trait à l’adaptation et à la maîtrise du rôle professionnel «par le développement des savoirs et compétences spécifiques au métier. Il s’agit ici, dans le cas des enseignants, du savoir “faire la classe”, de devenir compétent et efficace dans les diverses facettes du travail» (Mukamurera et al., 2013, p. 16). Perez-Roux (2012) souligne aussi que la maîtrise du rôle professionnel requiert le développement d’un certain nombre de compétences, comme celles relatives à la maîtrise de la discipline à enseigner, à la conception des situations d’apprentissage et d’évaluation qui tiennent compte des prescriptions du programme de formation et de la diversité des élèves, ainsi qu’aux compétences en gestion de classe «pour créer les conditions favorables à la réussite de tous les élèves» (Ibid., p. 12). Au Québec, comme nous l’avons mentionné dans la problématique, le référentiel de compétences professionnelles pour la formation à l’enseignement compte 12 compétences (Gouvernement du Québec, 2001). Le fait que les enseignants immigrants aient des conceptions de l’enseignement propres à leur culture conduirait ceux-ci à réaliser des apprentissages pour répondre aux exigences du système scolaire québécois. Perez-Roux (2012) souligne d’ailleurs que «la professionnalité suppose […] une adaptation au contexte et de fait, inscrit l’enseignant dans une dynamique de changement» (p. 13).

La dernière dimension, l’insertion sur le plan personnel et psychologique, réfère aux aspects émotionnels et affectifs de l’insertion. Comme l’indiquent Mukamurera et al. (2013), l’insertion professionnelle s’avère une expérience humaine complexe où chaque nouvel enseignant, déjà porteur d’attentes et d’idéaux personnels associés à l’enseignement, fait face émotionnellement à sa nouvelle situation et interprète ce qu’il vit d’une façon qui lui est propre.

La cible de notre étude qui porte sur l’adaptation au rôle professionnel vise surtout la quatrième dimension de l’insertion. Étant donné l’interdépendance entre les différentes dimensions, l’expérience d’adaptation au rôle professionnel peut impliquer certains aspects d’autres dimensions comme la précarité d’emploi et l’instabilité de la tâche. De même, une intégration déficiente au sein de l’équipe-école et/ou une rupture importante entre les attentes personnelles et la réalité de la pratique peuvent affecter la manière dont sera vécue l’adaptation au rôle professionnel.

4. Méthodologie

Pour atteindre l’objectif de décrire et de comprendre l’expérience d’adaptation au rôle professionnel des EMR dans le contexte scolaire québécois, une logique descriptive et compréhensive a été privilégiée. L’approche phénoménologique permet d’étudier les phénomènes sous l’angle du sens qu’ils ont pour les personnes qui les vivent (Giorgi, 1997). Les participants ont été recrutés dans les régions de Montréal et de Sherbrooke en fonction de leur pertinence théorique. La région de Montréal a été choisie en raison du grand nombre d’EMR qui y sont recensés (données internes du MELS, voir note 1) et celle de Sherbrooke, en raison de la proximité géographique et de la disponibilité des personnes. L’échantillon intentionnel (Fortin, 2010) est ainsi formé d’EMR, c’est-à-dire d’enseignants qui ont une formation initiale à l’enseignement, une qualification et une expérience d’enseignement dans leur pays d’origine. Pour être considérés comme EMR, les enseignants immigrants devaient aussi résider au Québec depuis sept ans ou moins. Dans le but d’avoir accès à des expériences significatives, nous avons également ciblé des EMR ayant au moins une année d’expérience d’enseignement au Québec. L’échantillon final est diversifié quant au genre, à la société d’origine, au champ de formation et à l’expérience d’enseignement, ce qui comporte un avantage quant à la richesse et à la variété des expériences recueillies. La description des participants est présentée au tableau 1. Des pseudonymes sont utilisés afin de préserver leur anonymat.

Tableau 1

Description des participants

Description des participants
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La Licence correspond à un diplôme couronnant une formation universitaire de cinq ans avec mémoire de recherche. Mais, au Québec, elle est considérée comme équivalente à un baccalauréat.

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L’échantillon de 13 enseignants comprend neuf femmes et quatre hommes. La majorité des enseignants (Dora, Prima, Olivia, Nadia, Latifa, Francis, André, Karim) viennent d’Afrique; deux viennent d’Europe de l’Est (Mariya et Eva); un des Caraïbes (Michaël) tandis que deux autres viennent d’Amérique du Sud (Rocío et Alessandra). Certains ont de l’expérience dans des postes de responsabilité dans leurs pays d’origine, notamment comme direction d’école (Olivia et Prima), conseiller au ministère de l’Éducation (André) et cadre d’entreprise (Mariya). Six enseignants (Karim, Nadia, Olivia, Prima, Eva, Mariya) oeuvrent dans le domaine de l’enseignement des langues, plus précisément en français; quatre enseignants (Dora, Francis, André et Latifa) enseignent les mathématiques, les sciences et technologies; un enseignant (Michaël) est dans le domaine de l’univers social; une enseignante est en adaptation scolaire (Alessandra) et une autre (Rocío) enseigne l’espagnol dans une école primaire privée. La majorité des enseignants, 9/13, sont de la région de Montréal (Karim, André, Michaël, Dora, Nadia, Latifa, Eva, Mariya et Olivia) et quatre enseignants sont de Sherbrooke (Francis, Prima, Rocío et Alessandra).

La collecte des données a eu lieu du mois d’août 2011 au mois de mai 2012 dans les régions de Montréal et de Sherbrooke, au moyen d’entrevues semi-dirigées (Deschamps, 1993) sur les thèmes suivants: la formation antérieure et l’expérience d’enseignement, le parcours migratoire, l’adaptation au pays d’accueil, l’insertion en emploi, l’intégration dans le milieu scolaire et l’insertion au rôle professionnel. Les entrevues d’une durée de 60 à 90 minutes ont été transcrites intégralement et analysées en suivant les orientations de l’analyse phénoménologique (Bachelor et Joshi 1986, Dechamps, 1993; Giorgi, 1997). Soulignons que l’analyses des 13 entrevues a permis d’atteindre le critère de saturation des données (Deslauriers, 1991; Fortin, 2010) puisque nous n’avons relevé aucun nouveau thème dès la dixième entrevue.

Les étapes de l’analyse ont été les suivantes: saisie du sens global du texte, identification des unités de signification, délimitation des thèmes centraux, élaboration de récits individuels, analyse des thèmes centraux en portant un regard sur l’ensemble des récits. Plus précisément, après la transcription des entrevues, chacun des verbatim a été lu et relu afin d’approcher le phénomène et d’en saisir le sens (Bachelor et Joshi, 1986). Comme le souligne Deslauriers (1991, p. 81), «le meilleur outil d’analyse est encore la lecture, la relecture et la relecture des notes prises au cours des observations et des entrevues». Après avoir saisi le sens global de chacun des verbatim, nous sommes passées à l’identification et à la délimitation des unités de signification qui émergeaient du texte. Comme le proposent Bachelor et Joshi (1986), il s’agit de découper le texte en unités de sens et de passer d’une unité à une autre chaque fois que le contenu exprimé par le sujet change de sens. Deschamps (1993) note que ces unités représentent la structure même du phénomène. Une fois les unités de signification décelées, il a été question de «délimiter les énoncés redondants et d’articuler le thème principal exprimé autour d’une ou de plusieurs unités naturelles» (Bachelor et Joshi, 1986, p. 51). Comme le suggèrent ces auteurs, nous avons formulé les thèmes centraux dans le langage utilisé par les participantes et les participants. Après la délimitation des thèmes centraux, nous avons rédigé le récit d’expérience spécifique à chaque participant, ce dernier étant par la suite invité à le valider et, s’il y a lieu, à signifier des corrections. À cet égard, Pourtois et Desmet (1997) soutiennent que l’approbation des interprétations par les personnes participantes donne une validité phénoménologique ou validité de signifiance des interprétations. Enfin, l’analyse transversale des thèmes centraux a été faite sur l’ensemble des récits pour repérer des convergences, des différences ou des particularités.

5. Résultats

L’analyse fait ressortir quatre thèmes principaux: rapport aux élèves, communication et gestion de classe; rapport au savoir et à l’apprentissage; perception du système scolaire québécois; éléments favorables à l’adaptation au rôle professionnel.

5.1 Rapport aux élèves, communication et gestion de classe

Dès leur première rencontre avec les élèves, les EMR ont été surpris, voire choqués par la différence des relations enseignant-élèves dans leurs pays d’origine et au Québec. Sauf Latifa, Mariya et Eva qui enseignent à des élèves immigrants en classe d’accueil, les autres ont été déstabilisés par l’attitude et le comportement des élèves. Habitués à des relations enseignant-élèves très hiérarchiques, ils ne comprenaient pas qu’un élève puisse tutoyer son enseignant, l’appeler par son prénom ou s’adresser à lui comme à un égal: Je n’étais pas habitué à leur façon de parler aux enseignants sans le moindre respect. […] C’était pour moi la première fois de voir un élève qui tutoie son enseignant. Je ne trouvais pas cela normal (Karim). Ces enseignants ne savaient pas comment établir un contact positif avec des élèves qu’ils trouvaient irrespectueux et indisciplinés: Dans mon pays, on a l’habitude de voir des élèves très sages, obéissants et on arrive ici où un élève peut te dire n’importe quoi, c’est vraiment très difficile (Olivia). Les différences culturelles par rapport aux relations garçons-filles, à la façon de s’asseoir en classe et à la façon de parler ont constitué des sources de choc et de déstabilisation pour Karim, Prima, Dora et Francis. Par exemple, Dora rapporte le choc de voir un garçon et une fille s’embrasser en classe en présence de l’enseignant et des autres élèves et un élève assis qui appuie ses pieds sur son bureau: Ce sont des situations qui me dérangeaient et que j’interprétais comme des signes d’impolitesse, car cela n’est pas permis dans ma culture.

La communication avec les élèves constitue un autre défi pour les EMR, quel que soit leur degré de maîtrise de la langue française. Karim, Dora, Prima, Rocío, Alessandra et Eva disent avoir vécu des difficultés de communication avec les élèves en raison de leur incompréhension réciproque. Karim croit que cela provient de l’accent, des expressions et des structures de phrases différentes:

Les premières semaines, j’avais de la difficulté à comprendre. Il y avait des expressions que je ne comprenais pas. Je captais, je cherchais dans le dictionnaire et, petit à petit, j’ai fait mon petit dictionnaire québécois. De mon côté, j’étais habitué à utiliser des structures de phrases, des terminologies, alors, ils ne comprenaient pas.

Pour Rocío et Alessandra, le manque de maîtrise du français était frustrant. Enseignante d’espagnol, Rocío qui doit parfois donner des explications en français relate que les élèves se sont déjà moqués d’elle à cause de sa prononciation. Alessandra a eu des conflits avec ses élèves, car elle n’arrivait pas à s’exprimer correctement.

Sauf pour les EMR qui travaillent en classes d’accueil auprès d’élèves immigrants, la gestion disciplinaire des élèves constitue un grand problème. Habitués à une discipline autoritaire et uniforme, ils ont été déstabilisés devant le comportement des élèves au Québec: La première journée, c’était infernal. Les élèves ne m’écoutaient pas, ils étaient indifférents à mon discours, à tout ce que je leur disais (André). Michaël et Alessandra ne savaient pas comment faire face aux comportements violents d’élèves dans leurs groupes-classes d’adaptation scolaire et sociale: Je me sentais vraiment perdue, si démunie que j’ai décidé, le même jour, de retourner à l’université pour étudier et connaître un peu plus le système scolaire québécois (Alessandra). Cinq enseignants ont subi de la violence verbale (Karim, Dora, Olivia, Nadia) et physique (André) de la part d’élèves. Dépassés par les événements, ils ne savaient pas quoi faire dans de telles situations: Une élève m’a frappé, je dis bien frappé, et j’étais impuissant en tant qu’adulte. C’était très humiliant et j’ai appelé la sécurité pour venir la sortir de ma classe (André). Ces enseignants estiment qu’au Québec, l’enseignant n’a aucune autorité sur les élèves, comparé à leur pays d’origine: Au niveau de la gestion de classe, je trouve que c’est le jour et la nuit (André). Ici la gestion de la discipline prend trop de temps au détriment de l’enseignement. Même si leurs collègues québécois vivent aussi des difficultés de gestion de classe, ces enseignants estiment que cela ne les affecte pas au même titre: Comme ils ont étudié ici et ont vécu ça en tant qu’élèves, ils supportent ça facilement et ils savent comment faire dans ces cas-là (Olivia). En raison du problème de gestion de classe, Michaël, Olivia et Alessandra ont développé des sentiments de culpabilité et d’incompétence et même une perte de confiance en soi: Quand ça ne marche pas avec un groupe, tu n’arrêtes pas de te questionner. En rentrant à la maison, tu es vraiment fatigué, ton estime chute pour un coup, car tu te dis: est-ce que c’est moi qui ai mal fait les choses? (Michaël).

Avec le temps, les EMR parviennent à développer des relations positives avec les élèves et des stratégies de gestion de classe: Mes relations avec les élèves sont allées en s’améliorant. Au début, en janvier, c’était difficile, mais au mois de juin, j’avais réussi à créer de bonnes relations avec certains élèves (Karim). Karim rapporte avoir réussi à ramener à l’ordre l’élève le plus difficile de l’école: Mon objectif c’était de ramener cet élève à l’ordre. Alors, là, j’ai réussi à le faire et on avait vraiment du mal à se quitter la fin juin. Afin d’améliorer leurs relations avec les élèves, Karim, Nadia, Dora, André et Francis, Prima disent avoir fait preuve de souplesse avec les élèves et même fait des concessions au niveau culturel: «Avec le temps, j’ai compris qu’il fallait tolérer certaines choses et ça m’a beaucoup aidé dans la façon d’apprivoiser les élèves et d’avoir une autre relation avec eux (André).

5.2 Rapport au savoir et à l’apprentissage

Les difficultés des EMR dans le rapport au savoir et à l’apprentissage sont toutes liées au changement de système d’enseignement: passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage, manque de maîtrise de l’approche par compétences et méconnaissance du programme d’enseignement et des contenus à faire apprendre.

Outre Rocío et Alessandra, les autres participants viennent de pays où l’enseignement magistral est la norme. Pour eux, le passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage a été source de déstabilisation, de confusion et de stress, en raison de la nécessité d’impliquer les élèves dans les activités d’apprentissage: Chez nous, c’est un système d’enseignement magistral et on n’avait pas à faire beaucoup d’activités avec les élèves. Ici c’est tout à fait différent. L’adaptation à cette approche n’était pas facile (Eva). La préparation des cours et la création de matériel pédagogique posent aussi problème. Olivia, André, Alessandra, Latifa, Eva et Mariya ont rapporté leur stress à ce sujet: Je n’avais pas beaucoup de temps pour préparer et, des fois, je ne savais pas par où commencer (Olivia). Les enseignantes en classe d’accueil (Latifa, Eva et Mariya) ont trouvé cela encore plus compliqué à cause de leur inexpérience. Dans leurs classes, elles se sentaient perdues sans documentation et ne savaient pas quoi préparer ni comment faire. Ces enseignantes déplorent le fait d’avoir été laissées à elles-mêmes sans formation préalable, ni soutien formel: J’étais livrée à moi-même et je n’avais aucun matériel, aucune documentation… je me suis débrouillée toute seule (Latifa).

La différenciation pédagogique pose un autre défi aux EMR. Mariya et André rapportent leurs difficultés à préparer et à présenter des leçons qui tiennent compte des besoins, des caractéristiques et des capacités des élèves et des groupes-classes. Enseignante en classes d’accueil multiniveaux, Mariya trouvait difficile de tenir compte de toute la complexité de la situation. André qui enseigne les mathématiques aux élèves en classe d’accueil, en classe d’adaptation scolaire et dans les classes ordinaires considère que l’adaptation de l’enseignement aux élèves constitue un grand défi à relever, en particulier dans les groupes-classes où certains sont en difficultés d’apprentissage: J’avais donc des réajustements à faire par rapport à ce que je faisais chez moi. Je devais tenir compte du contexte des élèves.

Les interventions d’accompagnement qui doivent susciter la motivation envers l’apprentissage constituent un autre type de difficulté. Dora, André, Michaël et Eva rapportent qu’avec les approches centrées sur l’apprenant, les élèves doivent être actifs et suffisamment motivés pour apprendre par eux-mêmes. Or, comme ils étaient habitués à des élèves passifs qui écoutent leur discours, accompagner les élèves et les intéresser à apprendre par eux-mêmes s’avère difficile d’autant plus qu’ils étaient portés à faire des cours magistraux. Ils considèrent que la transition a été difficile et qu’ils ont mis beaucoup de temps à comprendre comment agir dans leurs nouvelles classes.

Le manque de connaissances contextuelles et culturelles constitue un autre obstacle. Par exemple, Olivia qui doit traiter de textes littéraires dont la compréhension requiert des connaissances de la culture et de l’histoire du Québec souligne qu’elle ne peut faire apprendre aux élèves des choses qu’elle-même ne connaît pas. Latifa et Dora rencontrent les mêmes difficultés en mathématiques et en sciences et technologies où, pour introduire des notions ou concepts, elles avaient besoin de connaître le contexte socioculturel: Cela me demandait de savoir réellement ce qui se passe dans la communauté, de me cultiver (Dora).

L’approche par compétences pose un problème de taille aux EMR habitués à l’approche par objectifs. Dora, Karim, Nadia, André, Michaël, Olivia, Latifa et Eva rapportent leurs difficultés en ce sens: Imaginez-vous quelqu’un qui enseigne pendant 15 ans dans une approche par objectif et qui subitement doit faire une approche par compétence. C’est un tout petit peu difficile (Dora). De plus, ils ne connaissaient pas les compétences disciplinaires et transversales à développer: La première semaine, je ne savais pas ce que voulaient dire les compétences disciplinaires et les compétences transversales. Je me suis renseigné sur Internet et auprès des collègues (Karim). En outre, ils ont de la difficulté à concevoir et organiser des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAE) basées sur les compétences. Karim, Michaël et Latifa considèrent qu’ils n’évaluaient pas les élèves correctement: Avec l’approche par compétences, il faut non seulement des situations d’apprentissage, mais aussi il y a l’évaluation qui s’en suit. Souvent, cela n’était pas fait (Michaël).

La méconnaissance des programmes d’étude et des contenus est un autre obstacle à l’adaptation professionnelle des EMR. N’ayant pas de vue d’ensemble du programme et de la progression des apprentissages, la planification s’avère un problème important. Michaël, Nadia et Karim mentionnent leurs difficultés à planifier, à estimer le temps par rapport aux contenus et évaluations. Les EMR déplorent que les enseignants au Québec sont trop laissés à eux-mêmes contrairement à ce qui se passe dans leurs pays d’origine, comme le rapporte Nadia: Chez moi, tout est planifié au début de l’année: on sait ce qui sera vu en octobre, en novembre, etc. Donc, les enseignants sont plus encadrés. Karim rapporte qu’il ne connaissait pas le contenu, les objectifs et les exigences du programme qu’il devait enseigner. Michaël ne connaissait pas le document du MELS sur la progression des apprentissages et rapporte que le manuel utilisé n’allait pas en ce sens.

Enfin, le manque de maîtrise des TIC constitue un autre obstacle pour beaucoup d’EMR. Latifa, Karim, Nadia, Francis, Dora et Eva relèvent leur manque de compétence dans l’usage des ordinateurs et autres outils technologiques. Ainsi, faire les bulletins, prendre les présences, consulter des documents en ligne les stressait. Ils auraient eu besoin de formation à leur arrivée dans les écoles: Les gens qui travaillent dans les écoles tiennent pour acquis que les enseignants qui viennent d’ailleurs savent tout. Personne ne se donne la peine de nous expliquer ces petits détails (Latifa).

Ces difficultés ont conduit les EMR à prendre conscience que leurs pratiques pédagogiques habituelles ne fonctionnaient pas dans le contexte scolaire québécois et à commencer à apprendre de nouvelles approches d’enseignement: J’ai dû alors revoir ma façon d’enseigner (Nadia). Plusieurs stratégies permettent d’y arriver: rechercher de l’information sur Internet, demander de l’aide et des conseils auprès des collègues, suivre des cours pour comprendre le système scolaire québécois. Peu à peu, plusieurs ont changé leurs pratiques, comme en témoigne Nadia: J’avais une collègue qui donnait la même matière que moi, je discutais beaucoup avec elle sur les étapes et la façon de procéder. Cela m’a aidé à améliorer ma façon d’enseigner et quand je vois que les élèves comprennent, ça me fait du bien. Michaël est le seul EMR qui n’a pas osé demander de l’aide à ses collègues de peur d’être jugé incompétent, même s’il donnait un cours pour lequel il n’avait pas de formation. Seul face aux problèmes, il a fini par développer un sentiment d’incompétence: J’avais l’impression de faire du sur place. Des fois, je me rendais compte que les élèves ne progressaient pas comme il fallait et j’avais de la culpabilité. Je me demandais ce que je devais améliorer, mais tout ça donne un sentiment d’incompétence.

5.3 Perception du nouveau système d’enseignement

L’adaptation des EMR constitue un cheminement au cours duquel ils rencontrent des difficultés qui les déstabilisent et les amènent à des remises en question. C’est ainsi qu’ils cherchent peu à peu à s’adapter à leur rôle professionnel et à comprendre la logique du système scolaire québécois, voire à y trouver des éléments positifs. Au fil du temps et une fois le choc initial passé, les EMR en viennent même à apprécier positivement le système scolaire québécois, mais ils déplorent le manque d’informations au début: Franchement, je trouve que le système éducatif québécois est bon. Seulement, c’est qu’on n’est pas au courant de toutes les armes qu’on a en main dès le départ (Nadia).

Ces enseignants considèrent que le système scolaire québécois est plus inclusif: Il y a de l’ouverture pour tout le monde et c’est une plus-value par rapport au système scolaire de chez moi (Alessandra). Le fait qu’il vise la réussite pour tous contrairement au caractère élitiste des systèmes de leurs pays d’origine est très apprécié: Chez nous, c’est la sélection des meilleurs tandis qu’ici, même le moins intelligent doit réussir à sa manière (Olivia). Néanmoins, les EMR estiment qu’on donne trop de droits et de liberté aux élèves, ce qui rend leur travail difficile: Je n’aime pas le fait qu’on ait donné trop de liberté aux enfants ici, car aujourd’hui, on n’est plus capables de les contrôler (Dora). Par ailleurs, André et Olivia trouvent que les sanctions infligées aux élèves ne sont pas proportionnelles aux actes commis. Par exemple, André a été frustré de voir que l’élève qui l’avait giflé est revenue dans sa classe. Selon lui, elle aurait dû être renvoyée de l’école.

Les EMR en viennent à apprécier l’approche d’enseignement centrée sur l’élève. Dix enseignants estiment que cette approche comporte plusieurs aspects positifs par rapport au modèle traditionnel: Chez nous, l’élève est un réceptacle que l’enseignant doit charger, bourrer et bourrer. […] alors qu’ici, les élèves construisent le savoir (Dora). De plus, ils apprécient la prise en compte des intérêts et des besoins des élèves et l’hétérogénéité en classe. Karim relève que cela lui a donné de la motivation pour changer: Je dois aussi tenir compte de l’état émotionnel de l’enfant, de ses intérêts, de son origine sociale et culturelle, etc. […] Cela m’a amené à changer beaucoup, ce que je trouve positif, car si l’élève est satisfait, l’enseignant l’est aussi. Bien que Michaël, Latifa et André reconnaissent plusieurs qualités au modèle constructiviste, ils trouvent que cela doit être utilisé à bon escient. Par exemple, Michaël estime que si l’enseignant ne le maîtrise pas bien, il passe à côté. André considère qu’il est difficile d’utiliser l’approche constructiviste dans une classe difficile. Latifa qui enseigne dans une classe de soutien composée d’élèves faibles trouve que les élèves sont trop laissés à eux-mêmes et combine les deux modèles d’enseignement pour obtenir de bons résultats:

Personnellement, je vise toujours d’amener les élèves, avec des situations, à déduire eux-mêmes les conclusions. Néanmoins, je fais toujours une partie du cours magistral... j’ai des élèves qui ont passé de 50 % à 83 %.

En outre, Dora, Latifa, André, Alessandra, Prima et Francis estiment que l’abondance d’outils et de manuels pédagogiques, le bon équipement des laboratoires et le système informatique sont favorables à l’enseignement: L’enseignant est beaucoup soutenu au niveau des supports pédagogiques, ce qui n’est pas toujours le cas dans mon pays (André). De plus, le nombre moins élevé d’élèves en classe que dans leurs pays d’origine facilite l’interaction avec les élèves et leur accompagnement, comme le souligne Alessandra: Avec une petite classe, j’ai du temps pour mieux connaître chaque élève, de faire des liens avec lui, mais aussi avec les autres.

5.4 Facteurs favorables à l’adaptation au rôle d’enseignant dans un nouveau contexte éducatif

Plusieurs facteurs internes aux EMR et des facteurs contextuels contribuent à atténuer les difficultés de l’enseignement dans leur nouvel environnement scolaire et socioculturel. Ils ont tous développé des stratégies d’adaptation. Pour faire face au problème de gestion de classe, plusieurs ont appris à mettre en oeuvre des règles de disciplines (Dora, Karim, Michaël et Prima), à trouver un équilibre entre la fermeté et la souplesse (Karim et Nadia), à sanctionner les élèves conformément au règlement de l’école (Nadia, Olivia et André), à travailler avec les parents et instaurer un système de récompenses pour valoriser et encourager les élèves (Nadine). Certains ont préféré démissionner et changer d’école: André a démissionné pour éviter une évaluation négative; Michaël a quitté une école malgré le renouvellement de son contrat pour tourner la page et ne pas revivre une expérience négative; Olivia s’est orientée vers l’éducation des adultes où elle s’est bien intégrée.

L’ouverture aux nouvelles façons d’enseigner et d’être en rapport avec les élèves a facilité l’adaptation de Karim, Michaël, André, Dora, Nadia, Prima et Francis. Ayant pris conscience que les relations autoritaires avec les élèves ne convenaient pas pour instaurer un climat de classe propice à l’apprentissage, ces enseignants se sont résolus à apprivoiser les élèves, à s’approcher d’eux pour mieux les comprendre et adapter leur enseignement en fonction de leurs besoins. De plus, ils ont décidé de s’approprier de l’approche par compétence et des modèles d’enseignement centrés sur l’apprenant pour mieux répondre aux exigences du système scolaire québécois. En ce sens, Karim, Alessandra, Eva, Dora, Mariya et Prima ont suivi les cours universitaires requis pour l’obtention du brevet d’enseignement, notamment les cours sur le système scolaire du Québec, la didactique, l’évaluation des apprentissages, l’intervention auprès des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage: Ces cours-là m’ont beaucoup aidé à me réadapter, à m’adapter vraiment au milieu et à la réalité de l’enseignement ici au Québec (Karim). De plus, Dora, Karim, Eva, et Mariya ont fait des stages ou ont observé des pairs: Avec mon stage, j’ai eu l’occasion d’observer comment les autres enseignants enseignent (Eva).

Des caractéristiques personnelles comme être ouvert aux autres et à la critique, être tenace, persévérant, patient, déterminé ont été citées par Karim, Dora, Alessandra et Nadia comme des qualités nécessaires pour réussir la transition au nouveau système d’enseignement: Je suis une personne très ouverte à la critique et cela m’a beaucoup aidée (Dora). Moi, tout le monde me qualifie de tenace. Même devant des remarques très sévères de la direction, je ne lâche pas (Karim).

Au niveau institutionnel, même s’il n’y avait pas de structure d’accueil et d’accompagnement dédiée aux EMR, le soutien, la collaboration et les rétroactions positives des collègues, de la direction et du personnel de soutien ont été cités par Dora, Nadia, Latifa, Mariya, Karim, André, Eva, Alessandra et Rocío comme des facteurs favorables à leur adaptation au rôle professionnel, comme en témoigne Nadia:

La première année, la directrice adjointe m’a donné la remarque que je ne gère pas bien ma classe. […] Cette année, elle est venue dans ma classe, elle est restée 10 minutes puis elle m’a dit que tout est bien. Je trouve cela encourageant. Quant à mes collègues, ils sont vraiment formidables, ils m’encourageaient beaucoup. […] ils sont vraiment très gentils, très coopératifs.

De même, l’accompagnement informel par un enseignant expérimenté a aidé Dora, Michaël et Karim à résoudre des problèmes relatifs à l’enseignement et à la gestion de la classe: j’ai vu que l’élément qui fait la différence est vraiment quand il y a un enseignant ancien qui a de l’expérience, qui donne vraiment correctement de ce qu’il a comme stratégies, comme astuces pour gérer la classe (Karim). Cependant, ce soutien semble plutôt ponctuel et rarement prodigué dès la prise de fonction.

6. Discussion des résultats

Les résultats permettent de comprendre que les EMR font face, à des degrés divers, à plusieurs défis et difficultés d’adaptation au rôle professionnel, mais qu’une fois le choc de la réalité passé, ils réapprennent peu à peu le métier, développent des stratégies et arrivent à modifier leurs pratiques pédagogiques et à développer un rapport positif au système éducatif québécois. Ces EMR passent par différentes étapes avant de se sentir à l’aise dans leur rôle professionnel.

6.1 Choc de la réalité et perte des repères culturels

Les EMR ont immigré dans l’espoir d’améliorer leurs conditions économiques et d’assurer un avenir meilleur à leurs enfants. Comme d’autres, ils ont dû surmonter plusieurs obstacles avant d’accéder à l’emploi en enseignement: lourdeur des exigences et des procédures administratives pour obtenir un permis d’enseigner, barrières culturelles et linguistiques, manque d’expérience et de référence au Québec, discrimination à l’embauche (Niyubahwe et al., 2014). L’obtention d’un emploi en enseignement, quels que soient le statut et la durée, signifiait pour eux l’aboutissement d’un rêve, voire la fin des problèmes. C’est avec enthousiasme et espoir qu’ils ont commencé à enseigner et ils pensaient relever ce défi sans difficulté. Toutefois, lorsqu’ils entrent en classe, ils vivent plutôt un choc, car ils découvrent une autre réalité. Il semble, comme l’indique Duchesne (2010b), que les enseignants immigrants ont des attentes et des représentations qui ne correspondent pas à la réalité du nouveau contexte scolaire. Les différences culturelles sur le plan du comportement des élèves, de la communication, des relations enseignant-élèves, de la gestion disciplinaire des élèves et de la philosophie d’enseignement sont des sources de frustration, de déstabilisation et de perte de repères. Berry (1997) soutient que l’écart culturel, voire l’incompatibilité des cadres de référence rend pénible et déstabilisant le processus d’adaptation. Les EMR venant des cultures caractérisées par des relations enseignant-élèves hiérarchiques et une discipline autoritaire éprouvent des difficultés non seulement à établir des relations positives et moins distantes avec les élèves, mais aussi à instaurer un climat de classe favorable aux apprentissages. Ces résultats confirment ceux des études faites en Ontario par Myles et al. (2006) et Wang (2003). Dans le cas de nos participants, le choc et la frustration relatifs à la gestion de classe, au manque de respect à leur égard ainsi qu’à la violence verbale et physique subie semblent terribles, d’autant plus qu’ils étaient confiants en leur autorité, en leur longue expérience d’enseignement et en leur formation universitaire poussée. Aucune autre étude n’a rapporté ce phénomène de violence envers les enseignants immigrants.

On remarque que l’adoption du paradigme de l’apprentissage et de l’approche par compétences pose d’énormes défis aux EMR habitués à l’enseignement magistral et à l’approche par objectifs. Comme l’indiquent Collerette, Delisle et Perron (2008), la rupture des habitudes comporte de très grands défis d’autant plus qu’elle implique de désapprendre et de réapprendre en même temps. Ces enseignants traversent une période de doute, d’incertitude et de stress. Bridges (1995, p.196) soutient qu’il en est ainsi pour toute transition, parce que la personne «se trouve entre deux façons de faire et d’être, l’ancienne désormais perdue et la nouvelle qui reste à trouver». Par ailleurs, Collerette (2005) souligne qu’un changement de paradigme peut occasionner un état de fatigue intense, une confusion, une incapacité à accomplir son travail efficacement, une perte des repères professionnels et des frustrations en raison du manque de maîtrise des compétences attendues. La plupart de nos participants ont vécu cela. Privés de leurs anciens repères alors que les nouveaux s’installent à peine, ils se sont sentis perdus et ont eu des difficultés à préparer et à créer du matériel pédagogique, faire de la différentiation pédagogique, évaluer les élèves, les accompagner et maintenir leur motivation dans les activités d’apprentissage. Ces résultats ressemblent à ceux de l’étude de Myles et al. (2006), à la seule différence que leurs participants étaient des stagiaires qui avaient déjà suivi une formation d’appoint sur le fonctionnement du système scolaire ontarien. Il est intéressant de constater que les difficultés pédagogiques des EMR de notre étude sont directement liées aux spécificités de l’enseignement au Québec et aux compétences professionnelles visées par la formation des enseignants au Québec (Gouvernement du Québec, 2001), auxquelles s’ajoutent, pour certains, des tâches en dehors de leur domaine de formation et d’expérience (adaptation scolaire, classe d’accueil, classes multiniveaux, classes avec élèves en difficulté intégrés).

6.2 Désenchantement, remise en question du système éducatif et stratégies de survie

Du jour au lendemain, les EMR se rendent compte que ce qu’ils faisaient sans effort dans leurs pays d’origine comme la gestion disciplinaire des élèves et le pilotage de cours devient un calvaire dans le nouveau contexte. Dans un premier temps, confiants en leur expérience d’enseignement dans leur pays d’origine, ces enseignants ne réalisent pas que les problèmes peuvent se situer à leur propre niveau. Au contraire, déçus et frustrés, ils remettent en question le nouveau système scolaire; ils lui reprochent de donner trop de droits et de liberté aux élèves. Ils se plaignent que l’enseignant au Québec n’a aucun pouvoir d’autorité sur les élèves, ce qui justifie leurs difficultés de gestion de classe. Dans un deuxième temps, à cause de la persistance des problèmes, de commentaires de collègues et de remarques de leurs directions d’école, ces enseignants prennent conscience que les problèmes se situent à leur propre niveau et tentent d’y remédier. N’ayant pas de connaissance de la culture du milieu et du fonctionnement du système scolaire, ils interprètent les différents problèmes à partir de leur cadre de référence initial et tentent de les résoudre en appliquant des solutions traditionnelles, voire des stratégies de survie comme, par exemple, appliquer des sanctions aux élèves, imposer un travail noté pour ramener les élèves au calme, démissionner, changer d’école ou quitter le secteur des jeunes pour aller à l’enseignement aux adultes. Mais, ils se rendent compte que certaines de leurs stratégies sont inadaptées et rarement efficaces à long terme. Woods (1997) relève que le recours à différentes stratégies de survie sous forme de sanctions n’aboutit pas à la résolution du problème et peut même l’amplifier ou causer «un nouveau problème pour lequel il faut inventer une autre stratégie de survie» (p. 357). On constate d’ailleurs, dans le cas des participants à notre recherche, que certaines situations ont dégénéré jusqu’à donner lieu à des violences verbales ou physiques envers eux. Constatant les limites de leurs interventions, certains perdent confiance en eux-mêmes, se sentent coupables et responsables des problèmes de leurs classes et développent un sentiment d’incompétence pédagogique. Cela marque cependant le début d’une réelle prise de conscience de la nécessité de revoir en profondeur leurs pratiques et de s’engager dans un processus actif et délibéré de changement.

6.3 Prise de conscience de la culture du milieu et adaptation progressive

Avec le temps, le regard externe et les observations personnelles amènent les EMR à prendre conscience de la culture du milieu, à relativiser les problèmes et à vouloir se prendre en charge. Plusieurs ont ainsi mis en place des stratégies de gestion de classe efficaces et développé des relations positives avec les élèves, grâce notamment au soutien des collègues et aux cours d’appoint suivis dans les universités québécoises. De plus, une meilleure lecture de la réalité du milieu leur a permis de prendre conscience qu’ils doivent modifier leur rapport au savoir et à l’apprentissage pour répondre aux exigences du PFEQ. Comme le souligne Duchesne (2010c, p. 38), «Lorsque les points de vue adoptés ou les actions posées par un individu deviennent problématiques ou inappropriés au regard d’une situation donnée, ses cadres de références peuvent être transformés par un processus de réflexion critique». L’autoréflexion lui permet de se «remettre en question, puis de modifier les suppositions sur lesquelles ses croyances d’origine étaient fondées» (Ibid., p. 38). Ce fut le cas pour les EMR. La remise en question de leurs croyances a suscité l’engagement et l’ouverture à la culture du milieu, aux nouvelles façons d’enseigner et d’être en rapport avec les élèves. Ces enseignants se sont investis à apprendre l’approche par compétences et les approches d’enseignement centrées sur l’apprenant. À cet égard, on remarque que la collégialité, le soutien des collègues et celui de la direction, l’observation des pairs, l’accompagnement par un enseignant expérimenté ainsi qu’une formation d’appoint conduisent les EMR qui en bénéficient à apprivoiser peu à peu à la réalité de l’enseignement au Québec et à adapter leur pratique. Utilisant une métaphore fort significative, Wheeler (2003, p. 267) indique aussi que l’homme, à l’image du crustacé, «évolue de façon incroyable» en se débarrassant de sa vieille carapace.

6.4 Sentiment de compétence et aisance dans l’exercice du rôle professionnel

Avec une meilleure compréhension du fonctionnement du système scolaire québécois, les EMR se sentent plus à l’aise et en confiance. Ils ont terminé les cours (15 crédits) obligatoires pour l’obtention du brevet d’enseignement. Plusieurs ont complété le stage requis et ont déjà le brevet ou l’attendent, tandis que d’autres suivent leur stage en cours d’emploi. Tous ces cours et stages leur ont permis de développer les connaissances et les compétences nécessaires à l’adaptation à leur rôle professionnel. À cette étape, ils apprécient positivement le système éducatif québécois comparativement à leur système d’origine. On remarque alors que les EMR trouvent plus d’éléments positifs dans le système scolaire québécois: son caractère inclusif, l’approche par compétence, les modèles d’enseignement centrés sur l’apprenant, la prise en compte des intérêts des élèves, de leurs besoins affectifs et de l’hétérogénéité de la classe, l’abondance des supports pédagogiques et la petite taille des groupes-classes. Ainsi, ils sont enthousiastes à l’idée d’obtenir la stabilité d’emploi pour ainsi demeurer dans l’enseignement au Québec dans une perspective de long terme. Il importe de souligner que seuls deux enseignants ayant le statut de suppléants n’ont pas encore atteint cette dernière étape en raison de l’instabilité professionnelle accrue et de l’impossibilité d’exercer pleinement la fonction enseignante dans toutes ses facettes. Par ailleurs, même ceux qui ont déjà atteint cette étape déplorent que leur transition a duré longtemps du fait de l’absence de soutien et d’accompagnement dès leur prise de fonction. Bridges (1995) souligne d’ailleurs que la transition peut être plus longue faute de soutien.

En somme, cette étude permet de comprendre que l’adaptation des EMR au rôle professionnel dans un nouveau contexte éducatif s’étend sur une plus ou moins longue période de temps en fonction de plusieurs facteurs: la distance culturelle, l’écart entre les orientations de l’enseignement et les pratiques pédagogiques du contexte d’origine au nouveau contexte éducatif, le statut d’emploi, l’aide des collègues, le sentiment de collégialité avec leurs collègues, le leadership de la direction et les qualités personnelles de l’enseignant.

7. Conclusion

Les EMR traversent une période de déstabilisation et de perte des repères au cours de leur adaptation au rôle professionnel, souvent sans soutien spécifique lors de la prise de fonction. Ces enseignants doivent modifier leurs perspectives sur l’éducation et leurs représentations du travail enseignant afin de devenir efficaces dans le nouveau contexte scolaire. Leur processus d’adaptation est long et pénible, parsemé de ruptures, de remises en question et de réapprentissages. Mais ils semblent résilients et finissent généralement par devenir efficaces et se sentir à l’aise dans le nouveau contexte scolaire. La maturité liée à leur haut niveau de formation universitaire (maîtrise ou équivalent et doctorat) et leur expérience d’enseignement y est sans doute aussi pour quelque chose.

Cette étude comporte une limite méthodologique relative à la composition de l’échantillon. D’une part, les EMR recrutés pour la recherche avaient tous du travail en enseignement au moment de l’entrevue. En ce sens, nos résultats n’éclairent pas la réalité d’autres EMR qui ont pu accéder à l’enseignement, mais qui ont abandonné en cours de route pour diverses raisons. Il serait donc intéressant de retracer ces enseignants et de mener une recherche sur leurs motifs d’abandon, ce qui pourrait aider à réfléchir sur des moyens de favoriser la rétention du personnel enseignant immigrant dans la profession. D’autre part, les milieux de Montréal et de Sherbrooke dont est issu notre échantillon ne sont pas représentatifs des différentes régions du Québec sur le plan de la diversité ethnoculturelle. Il serait intéressant de connaître la réalité des EMR dans les milieux ruraux, par exemple, où il existe une faible densité d’immigrants.

Malgré cette limite, notre étude a traité d’un sujet peu couvert dans le monde francophone et au Québec en particulier. De plus, les résultats permettent d’envisager certaines pistes de soutien formel susceptible de faciliter l’adaptation au rôle professionnel des EMR. Par exemple, ceux et celles qui ont suivi quelques cours d’appoint en formation à l’enseignement au Québec reconnaissent en avoir retiré des bénéfices. De même, les commissions scolaires, en collaboration avec les directions d’écoles, pourraient organiser des ateliers de formation pour les EMR nouvellement embauchés. Ces ateliers pourraient les familiariser avec la culture pédagogique, les valeurs de l’école québécoise, la gestion de classe, la planification pédagogique, la gestion des élèves en difficulté, les approches d’enseignement, les attentes vis-à-vis des enseignants et les ressources (humaines et matérielles) disponibles dans les écoles au Québec. Enfin, étant donné qu’une compétence à enseigner «se construit dans la pratique et en contexte professionnel réel» (Duchesne, 2010b, p.110), les directions d’école pourraient par la suite mettre en place un dispositif d’accompagnement professionnel personnalisé comme le mentorat ou le jumelage avec un collègue expérimenté dès la prise de fonction. Il va sans dire que pour être efficaces rapidement, les EMR ont besoin d’un accueil personnalisé, de soutien, d’information et d’une équipe pédagogique empathique et ouverte à la collaboration.