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Le champ de l’éducation à la santé présente la caractéristique d’être traversé par de nombreuses divergences entre des visions de la santé et de l’éducation, entre des finalités de maîtrise et d’émancipation, des approches individuelles et collectives, qui engendrent des tensions dans l’exercice du métier d’enseignant. Ainsi, même si les gouvernements s’accordent à inscrire l’éducation à la santé dans les textes de cadrage des activités scolaires, la situation de l’éducation à la santé à l’école est très variée selon les contextes nationaux. « Écoles promotrices de santé » en Suisse, elle devient matière scolaire à enseigner en Irlande, est associée, entre autres, à une discipline scolaire comme l’éducation physique au Québec, alors qu’en France, elle est soit inscrite dans des logiques préventives, soit abordée du point de vue du développement personnel de l’élève et mise en relation avec d’autres activités scolaires comme l’éducation à la citoyenneté ou le développement durable.

La place centrale de la santé dans le jeu social et le processus de « sanitarisation » contemporain, l’idéalisation du corps et du bien-être, l’omniprésence du discours préventif dans les médias, le caractère de plus en plus normatif des campagnes de santé publiques, des offres situées entre promotion et prévention, constituent le contexte dans lequel l’éducation à la santé est appelée à prendre place à l’école.

Une communauté de chercheuses et de chercheurs, mais aussi de praticiennes et de praticiens travaillant sur les questions éducatives en lien avec la santé à partir du point de vue des sciences de l’éducation, se constitue peu à peu pour explorer un champ de pratique particulièrement hétérogène. Tantôt discipline scolaire, tantôt activité éducative, l’éducation à la santé est déclinée selon une diversité de points de vue inhérents à des choix pédagogiques qui sont, sans doute, eux-mêmes liés à la variété des contextes. Mais on peut aussi référer cette diversité à des champs épistémiques fondés sur différents modèles de l’éducation à la santé ou des pratiques enseignantes et de formation. Cette diversité constitue néanmoins une richesse enthousiasmante dans une phase de structuration pour saisir un objet complexe.

Participant à l’émergence du champ, ce numéro thématique vise à faire un pas de plus dans la définition de l’objet en explorant les fondements de l’éducation à la santé en milieu scolaire au travers des pratiques éducatives et de formation telles qu’elles sont analysées par la recherche en éducation, à l’aide d’outils ou de dispositifs spécifiquement développés. Reste qu’ils sont peu mis en relation avec les modèles de l’éducation à la santé qui les fondent et qu’il nous faut pointer les éléments susceptibles de constituer des formes d’évolution des pratiques scolaires.

Trois grands axes structurent ce numéro thématique

  • Le premier explore la notion d’éducation à la santé en milieu scolaire, notion qui est avant tout opératoire. L’éducation à la santé est abordée tantôt comme discipline scolaire (au sens de Chervel, 1988)[1] comme dans l’article de Simar et Jourdan, Analyse de l’activité d’enseignants du primaire en éducation à la santé, tantôt dans une mise en oeuvre conjointe avec une discipline scolaire, généralement l’éducation physique (Loizon, Éducation physique et éducation à la santé : quels savoirs communs ?) ou la biologie, ou comme activité éducative ayant une finalité plurielle et mise en relation avec d’autres configurations scolaires plus complexes associant une diversité de finalités, d’activités et d’acteurs justifiant l’exploration du second axe.

  • Le deuxième axe s’intéresse aux caractéristiques originales de l’éducation à la santé en milieu scolaire en particulier par le fait qu’elle fait l’objet de partages entre l’école, l’élève, les familles et les intervenants extérieurs. Comment les équipes organisent-elles collectivement le travail ? Peut-on parler de typologie de fonctionnement ? Dans leur article Les partenariats en éducation à la santé au primaire : analyse comparée, Bizzoni-Prévieux et ses collaborateurs se sont intéressés à ces questions. Dans cette logique de travail partagé, Marcel (Travail partagé et analyse des pratiques d’éducation à la santé) pointe le potentiel développemental qu’offrent ces collectifs et leurs partenariats dans le respect de l’unité des pratiques qui, en ce sens, positionnent l’éducation à la santé au même niveau que les autres activités scolaires.

  • Le troisième axe se situe, lui, au niveau de la formation des enseignants en éducation à la santé. Il explore le champ de l’éducation à la santé en milieu scolaire à partir des besoins de formation des enseignants, identifiés en formation continue (Besoins de formation continue d’éducateurs physiques et à la santé par Turcotte et ses collaborateurs), mais aussi des contenus et des dispositifs de formation initiale proposés aux futurs enseignants (Plouffe et collaborateurs dans CAP-Santé et autoefficacité des enseignants en éducation à la santé).

Au bout du compte, deux interrogations émergent : doit-on cette hétérogénéité aux cadres théoriques investis par les chercheurs ? Simar et ses coauteurs soulignent, par exemple, à partir de l’analyse du travail la place marginale de l’éducation à la santé dans le champ scolaire, quand l’entrée par le partenariat du groupe dirigé par Bizzoni ou le travail partagé de Marcel amènent à l’unité des pratiques et à une certaine forme d’égalité entre elles. Ou doit-on voir dans cette hétérogénéité le résultat d’une réponse du champ scolaire à la régulation postbureaucratique des systèmes d’enseignement comme le décrit Maroy (2005)[2], qui crée des tensions au niveau des enseignants qui sont appelés à une certaine autonomie et à une responsabilisation jusque-là rendue inutile par la description des contenus disciplinaires à investir (Loizon). Les articles dirigés par Plouffe et par Turcotte illustrent ce dilemme au niveau de la formation qui subit elle aussi cette évolution.

Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que cette tension entre la forme scolaire (Vincent, 1994)[3] et des dynamiques éducatives plus transversales est originelle et, de ce point de vue, la diversité des cadres épistémologiques et des méthodologies est un gage de compréhension des enjeux sous-jacents. À notre sens, c’est bien cette démarche qui consiste à éclairer l’objet à partir de points de vue multiples qu’il convient d’encourager en vue de la structuration de l’éducation à la santé en milieu scolaire comme champ de recherche en éducation en tant que tel.