Abstracts
Résumé
Les déficits auditifs dus au bruit comptent parmi les premières maladies professionnelles dans les pays industrialisés, que ce soit en nombre ou en coût de compensation financière, car ces atteintes sont irréversibles. En France, ce sont en moyenne 6,8 % des travailleurs qui sont soumis à des bruits nocifs. Sur les 5 millions de Français ayant des problèmes auditifs, 2 millions sont âgés de moins de 55 ans. Les signes de souffrance auditive ou d’alerte sont notamment des difficultés à la compréhension en milieu bruyant qui peuvent s’ajouter aux effets de la presbyacousie. Une récente directive européenne, applicable dès février 2006, abaisse le niveau maximum de bruit admissible de 90 à 87 dBA (soit une intensité sonore diminuée de moitié), et introduit un niveau déclenchant un plan de prévention à 80 dBA. Enfin, le tableau relatif aux surdités professionnelles a été récemment modifié. Cette modification du calcul de l’indicateur médico-légal sera susceptible de multiplier par 4 le nombre de surdités professionnelles qui pourraient bénéficier d’une compensation financière.
Summary
Noise-induced hearing losses (NIHL) are among the most often encountered occupational diseases in many industrial countries. This is true in terms of the number of exposed workers and in the amount of health insurance or State health care compensations. These handicaps are not reversible. In order to understand why this is, we will explain how high levels of noise pressure can affect the ear, by describing the three parts of the ear, including some details about the inner ear and its sensitive cells. Several epidemiological surveys indicate that an average of 6.8 %, French employees are exposed to dangerous levels of noise with vast differences according to their sector of activity. The most exposed are found in the wood and paper industries (37.4 %), in large plants and amongst intermittent workers. Males are five times more exposed than females, but they are much more numerous in these industries. About 5 million French people suffer from hearing disorders; 2 million of them are under 55 years of age. The Labour Ministry controls the occupational medicine services where exposed workers are subjected to a special check-up, which includes an audiometric examination at least every two years. But for the others, it is useful to know the danger signs of hearing disorders, like hearing fatigue (TTS), tinnitus or difficulties in understanding with background noise. Aging also affects hearing capabilities: this is called presbyacusis, which can be a confusing factor in the assessment of NIHL in older workers. In order to improve the protection of all workers in the EC, a recent European Directive will decrease the maximum level of tolerated noise (from the current 90 dBA) to 87 dBA before March 2006. In addition, the level at which a preventive programme has to be developed (hearing conservation programme) will start at 80 dBA instead of the current 85. The French compensation system for workers suffering from NIHL has also recently been modified. Such a modification will increase the number of compensations (probably by 4 times). The annual cost of the aforementioned compensations was 100 million Ð in 2003.
Article body
Lorsque son niveau de pression sonore dépasse 80 ou 85 décibels (dB), le bruit peut endommager, de façon irréversible, les structures de l’oreille interne ((→) m/s 2005, n° 5, p. 546).
Pour des niveaux sonores extrêmes, tels qu’on les observe dans les explosions, l’énergie mécanique peut provoquer des dégâts de l’oreille moyenne (déchirure du tympan, luxation des osselets), mais également de l’oreille interne. Pour comprendre l’impact de l’énergie sonore sur l’oreille, il faut en décrire très schématiquement le fonctionnement (pour plus d’information, voirwww.iurc.montp.inserm.fr/ cric/audition).
Comment fonctionne l’oreille ?
La partie visible de l’oreille (Figure 1), le pavillon, a pour rôle de concentrer les sons vers le conduit auditif externe tout en évitant, par exemple, le bruit provoqué par les turbulences de l’air. Au fond du conduit auditif externe, dont la longueur est de l’ordre de 2,5 cm[1], le tympan transforme les vibrations de l’air en vibrations mécaniques. Soudé au tympan, le manche du marteau transmet ses vibrations à l’enclume, puis à l’étrier. Ces trois osselets ont une fonction d’amplificateur ou d’atténuateur (par la contraction des muscles qui y sont attachés) des vibrations qui aboutissent à la platine de l’étrier. Celle-ci agit comme un piston qui transmet, à travers la fenêtre ovale, les vibrations mécaniques de l’oreille moyenne en vibrations liquidiennes qui seront perçues par les cellules de la cochlée. La cochlée, ou limaçon, est l’élément sensoriel auditif proprement dit. Avec le vestibule, organe participant à l’équilibre, la cochlée constitue l’oreille interne, organe fragile enfoui dans l’os le plus dur du corps humain : le rocher.
La cochlée, enroulée sur deux tours et demi de spire, est séparée longitudinalement, par l’intremédiaire de deux membranes (la membrane basilaire, qui supporte l’organe de Corti, et la membrane de Reissner) en trois compartiments remplis de liquide, l’endolymphe, riche en K+ et dépourvue de Na+, dans le canal cochléaire, et la périlymphe, dans les rampes tympanique et vestibulaire. L’organe de Corti comporte, outre les cellules de soutien, environ 16 000 cellules sensorielles réparties sur quatre rangées : trois rangées de cellules ciliées externes et une rangée de cellules ciliées internes. Les cellules ciliées internes sont les véritables cellules sensorielles : elles possèdent à leur pôle basal des synapses avec les premiers neurones, rassemblés dans le nerf auditif qui, par des voies de conduction plus ou moins croisées, aboutit au cortex temporal. Les cellules ciliées externes ont une activité contractile régulée par des fibres centripètes (voies efférentes). Lorsque la vibration sonore est transmise à la membrane basilaire, les canaux ioniques localisés sur les cils des cellules ciliées s’ouvrent, produisant une dépolarisation membranaire, responsable à son tour de la stimulation synaptique à l’origine de l’influx nerveux. Comme la membrane basilaire possède, dans le sens de sa longueur, une capacité à résonner différente selon la fréquence des vibrations, l’ensemble se comporte en analyseur de fréquences : les sons aigus étant perçus par la base de la cochlée, les graves par son apex. Les cellules ciliées externes, de par leur fonction motrice, ont la capacité d’amplifier les sons de très faible intensité ; elles réalisent un filtrage fréquentiel dont la largeur de bande peut atteindre 1/200e d’octave.
À cette extrême sensibilité des structures de l’oreille interne correspond une certaine fragilité, notamment des cils qui, soumis à des forces sonores de l’ordre de 120 dB, répondent par des battements dont l’amplitude atteint le tiers de leur longueur. Aussi, les traumatismes sonores peuvent-ils casser les cils des cellules, aboutissant, si les intensités sonores sont suffisantes ou si la contrainte correspondante dure trop longtemps, à la destruction cellulaire. Il n’existe pas, chez l’homme, de régénération naturelle des cellules ciliées détruites : l’atteinte est irréversible.
Le « risque bruit » en chiffres
D’après les données de l’enquête Sumer (surveillance médicale des risques professionnels) 2003, dont les résultats ont été publiés en décembre 2004, près de 7 % des salariés sont exposés à des niveaux de bruit dépassant le seuil de 85 dBA pendant au moins 20 heures par semaine, ou à de nombreuses impulsions ou chocs sonores [1]. Ces bruits, qualifiés de nocifs, sont susceptibles de provoquer une atteinte auditive. Dans l’industrie, 18 % des salariés sont exposés à des bruits nocifs, répartis inégalement selon les secteurs : 37 % dans le secteur du bois-papier, 12 % dans l’agriculture et le bâtiment, et moins de 3 % dans le secteur tertiaire. Ce sont les intérimaires qui sont les plus exposés (20 %), mais il faut dire que les 2/3 d’entre eux travaillent dans l’industrie ou le bâtiment. Les hommes sont cinq fois plus souvent exposés à des bruits nocifs que les femmes (Tableau 1).
À côté de l’exposition professionnelle, les fréquences et niveaux d’exposition au bruit des loisirs sont assez mal connus. Pour ce qui est des bruits potentiellement traumatisants, citons le bricolage (outils électriques), le tir, la moto à grande vitesse, le sport automobile, la pratique de la musique… et, bien sûr, l’écoute ou la pratique de la musique amplifiée. D’après le Medical research council, 600 000 personnes sont, en Grande-Bretagne, exposées à un risque auditif lié à la musique amplifiée. Par ordre d’importance décroissante, ces risques proviennent des concerts de rock/variétés, de l’écoute intensive du baladeur et de la fréquentation régulière des discothèques [2]. En France, d’après une enquête réalisée pour la Journée nationale de l’audition, 5 millions de Français sont concernés par la malentendance, dont 2 millions ont moins de 55 ans.
Comment mettre ce risque en évidence ?
Nous avons vu dans un précédent article que la sonométrie permet d’évaluer un risque auditif a priori, mais l’examen de la fonction auditive des sujets exposés est nécessaire dès qu’un doute apparaît. Le dépistage des atteintes s’effectue par audiométrie tonale, qui consiste à mesurer la sensibilité de l’oreille à différents sons purs. L’audiométrie de haute résolution (Békésy ou Audioscan), qui permet de repérer précocement des atteintes limitées à une plage de cellules ciliées, constitue une aide précieuse pour prévenir leur aggravation [3]. Les atteintes audiométriques liées aux traumatismes sonores se manifestent généralement par une encoche centrée sur 3, 4 ou 6 kHz. Plus les traumatismes sonores sont intenses ou répétés, plus ces encoches augmentent en largeur et en profondeur, indiquant une plus grande destruction de cellules ciliées dans cette zone fréquentielle, la plus fragile de l’oreille (Figure 2).
Actuellement, les salariés exposés à des bruits nocifs (à partir de 85 dBA, Leq de 8h) sont soumis à une surveillance médicale renforcée par la médecine du travail, qui doit effectuer des audiogrammes selon une fréquence dépendant du niveau sonore[2].
Pour les autres sujets, non salariés, exposés au bruit, il n’existe pas de système de surveillance auditive systématique et il est utile de connaître les signes de souffrance auditive ou d’alerte : fatigue auditive, acouphènes et difficultés de compréhension en milieu bruyant. La fatigue auditive (en anglais : TTS[3]) est une impression d’oreille cotonneuse qui disparaît normalement en quelques heures ou jours. Elle témoigne d’une difficulté des premières synapses à régénérer leur potentiel enzymatique. Si ce phénomène dure plus d’une semaine, une atteinte définitive des cellules ciliées est probable. Les acouphènes sont, dans ce contexte, des sifflements d’oreilles de bande étroite, de tonalité aiguë, qui eux aussi doivent disparaître en quelques heures ou jours. Leur origine se situe dans l’oreille interne et ils ont la même signification que la fatigue auditive. Dans ces situations, il est prudent de consulter un spécialiste et d’effectuer un audiogramme.
L’atteinte des cellules ciliées ne se limite pas à une diminution de la sensibilité mais, puisqu’elles participent à la discrimination des sons et notamment des différentes fréquences (filtrage), se manifeste souvent par une diminution de la compréhension de la parole. Cette fonction est évaluée par l’audiométrie vocale qui consiste à mesurer le pourcentage de mots reconnus à différents niveaux d’émission sonore. Cet examen n’est pas (ou très rarement) effectué en dépistage, malgré son grand intérêt, notamment s’il est effectué en milieu bruyant.
Le point sur un facteur de confusion : l’âge
Comme toutes les fonctions de l’organisme, l’audition est soumise à l’effet du vieillissement, la presbyacousie. La norme ISO 7029, récemment révisée, donne des équations (modèles quadratiques) permettant de calculer la perte auditive en fonction de l’âge et du sexe, pour une certaine fréquence et un percentile donné. Ces données, insuffisamment connues en France, proviennent d’une trentaine d’études, dont deux françaises, effectuées sur des populations otologiquement normales[4]. Les courbes audiométriques qui en résultent devraient servir de références pour l’interprétation des anomalies audiométriques observées chez un patient d’âge et de sexe donnés (Figure 3). Ainsi, l’effet de traumatismes sonores peut-il parfois se manifester sous la forme d’un vieillissement accéléré de l’audition, notamment dans les hautes fréquences (Figure 4).
Évolution récente de la prévention et ses conséquences
La prévention contre le « risque bruit » prend trois formes : la prévention primaire (limitation des niveaux sonores), la prévention médicale et l’effet dissuasif, conséquence de la compensation des surdités professionnelles.
Nous avons déjà évoqué la réglementation française destinée à protéger les salariés. Une directive européenne de 2003, non encore transposée en droit français, doit entrer en application le 15 février 2006[5]. Cette directive abaisse le niveau déclenchant l’action à 80 dBA (Leq 8h), c’est-à-dire que des mesures de prévention technique devront être planifiées et que les salariés « pourront bénéficier d’une surveillance audiométrique » jusqu’ici seulement obligatoire à partir de 85 dBA. Par ailleurs, le niveau limite de 90 dBA sera abaissé à 87 dBA, ce qui signifie que l’énergie acoustique devra être divisée par deux. Enfin, ces dispositions devront explicitement être appliquées au monde des loisirs, y compris aux professionnels du spectacle, à partir de février 2008 ; cela ne devrait pas être simple à obtenir.
Les modalités de reconnaissance des surdités professionnelles sont décrites dans le Tableau n° 42[6] des maladies professionnelles, révisé fin 2003[7]. Avant cette date, le critère de gravité de l’atteinte auditive reposait sur un indice « calculé en divisant par 10 la somme des déficits mesurés sur les fréquences 0,5, 1, 2 et 4 kHz, pondérés respectivement par les coefficients 2, 4, 3 et 1 », cet indice devant « faire apparaître au minimum sur la meilleure oreille un déficit moyen de 35 dB ». Cet indicateur, donnant plus de poids aux fréquences conversationnelles, était représentatif du handicap, de la « socio-acousie ». Un peu moins de 1 000 surdités professionnelles sont reconnues en France chaque année, ce qui représente un budget d’indemnisation de l’ordre de 100 millions d’Ð, intégralement couvert par les cotisations sociales des employeurs, qui sont calculées selon un système équivalent au bonus-malus.
Depuis fin 2003, l’« atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels » repose sur la concordance d’examens audiométriques tonaux et vocaux devant être « réalisés en cabine insonorisée, avec un audiomètre calibré ». Mais la modification la plus importante concerne le mode de calcul de l’indicateur qui devient la simple moyenne arithmétique des seuils tonaux à 0,5, 1, 2 et 4 kHz. Cette suppression des coefficients revient à multiplier par 2,5 le poids du déficit à 4 kHz qui, nous l’avons vu, est très sensible aux effets du vieillissement, même en dehors de toute exposition au bruit. La Figure 5 montre clairement les conséquences de ce nouveau mode de calcul qui, ajouté à l’allongement de la durée d’activité, risque d’entraîner une augmentation considérable du nombre des surdités professionnelles indemnisées. Aucune statistique n’est encore disponible, mais il est prévisible que ce nombre atteindra 4 000 cas par an, ce qui posera un nouveau problème en termes d’économie de la santé.
Conclusions
Que ce soit dans la vie professionnelle ou dans le monde des loisirs, les niveaux de bruit excessifs sont susceptibles de provoquer des lésions irréversibles de l’oreille conduisant à une surdité partielle. Les réglementations européennes et nationales évoluent vers une meilleure prévention de ce risque ; elles doivent cependant rester réalistes face à des contraintes techniques et économiques qui conduisent à des compromis parfois difficiles à accepter quand ils concernent la santé.
Appendices
Notes
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[1]
Cette dimension est à noter, car elle entraîne des phénomènes de résonance acoustique pour des fréquences de l’ordre de 4 kHz.
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[2]
Code du travail. Article R232-8 et suivants.
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[3]
Temporary threshold shift : élévation temporaire des seuils d’audition, contrairement à PTS, permanent threshold shift, qui indique une hypoacousie définitive. On trouve aussi l’acronyme NIHL, noise-induced hearing loss.
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[4]
Composées, selon la norme, de sujets sans antécédent otologique, non exposés à des bruits traumatisants, indemnes de toute pathologie pouvant avoir un effet auditif et sans surdité génétique.
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[5]
Directive 2003/10/CE du Parlement Européen et du Conseil du 6 février 2003 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (bruit).
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[6]
Le Tableau n° 42 concerne le régime général d’assurance maladie. Pour le régime agricole, il s’agit du Tableau n° 46 qui, lui, n’a pas été modifié depuis 1996. Les anciennes modalités de reconnaissances sont donc toujours applicables pour les salariés du monde agricole.
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[7]
Décret 2003-924 du 25 septembre 2003. JO du 28 septembre 2003.
Références
- 1. Les expositions aux risques professionnels par secteur d’activités. Résultats SUMER 2003. Document d’étude du Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité. DRT-DARES, 2003 : 124 p. www.travail.gouv.fr/publications/picts/titres/ titre2290/integral/2004.12-52.1.pdf
- 2. Meyer-Bisch C. Epidemiologic evaluation of hearing damage related to strongly amplified music (personal cassette players, discotheques, rock concerts). High-definition audiometric survey on 1364 subjects. Audiology 1996 ; 3 : 121-42.
- 3. Meyer-Bisch C. Audioscan: a high-definition audiometry technique based on constant-level frequency sweeps. A new method with new hearing indicators. Audiology 1996 ; 35 : 63-72.