Abstracts
Résumé
Barry J. Marshall, Australien, est né le 30 septembre 1951 à Kalgoorlie (Western Australia). Médecin, chef de clinique en gastroentérologie au Royal Perth Hospital de 1977 à 1984, il accède par la suite à la chaire de médecine interne en 1997, puis devient Professeur de microbiologie en 1999 à l’University of Western Australia. Il reçoit en 1995 le Prix Albert Lasker et en 1999, à Philadelphie, la Benjamin Franklin Medal for Life Sciences.
J. Robin Warren, Australien, est né le 11 juin 1937 à Adélaïde (South Australia). Médecin, chef de clinique, en hématologie en 1962 à l’Institute of Medical Science d’Adélaïde puis en anatomopathologie en 1964 au Royal Melbourne Hospital, il est lauréat (conjointement avec Barry J. Marshall) des Prix Warren Alpert (1994) et Paul Ehrlich (1997).
Article body
Le prix Nobel de médecine 2005 vient d’être attribué très légitimement à deux chercheurs australiens J. Robin Warren et Barry J. Marshall pour leurs travaux princeps sur le rôle pathogène pour la muqueuse de l’estomac et du duodénum d’une bactérie à Gram négatif, l’Helicobacter pylori (HP). Si des anatomopathologistes avaient bien observé depuis un siècle la présence d’une flore microbienne dans la muqueuse de l’estomac, ce n’est qu’en 1983 et 1985 que Warren et Marshall ont établi de façon formelle le rôle pathogène au niveau gastrique et duodénal de la nouvelle bactérie qu’ils avaient cultivée et qui était jusqu’ici inconnue, Campylobacter pylori (rebaptisée Helicobacter pylori en 1989). Leur théorie suscita une telle polémique entre partisans et adversaires du rôle pathogène de cette bactérie dans la genèse de la maladie ulcéreuse que Marshall lui-même alla jusqu’à avaler un grand bol d’Helicobacter pylori déclenchant l’apparition d’une authentique gastrite qui devait heureusement guérir spontanément. Depuis, une myriade de travaux tant expérimentaux que cliniques, au prix d’un investissement financier considérable, ont tenté de comprendre comment HP s’installe de manière chronique chez l’homme, par quels mécanismes physiopathologiques il conduit à des pathologies aussi différentes (parfois exclusives) que la gastrite chronique, l’ulcère et le cancer gastrique et duodénal (UGD), ou les lymphomes MALT, et enfin comment se débarrasser de ce germe intempestif.
L’infestation par HP, dont la prévalence est 2 fois plus grande dans les pays sous-développés avec acquisition précoce dans la première enfance, intéresse environ 0,5 % de la population en France chaque année. Elle induit d’abord une inflammation aiguë de la muqueuse gastrique rarement symptomatique et identifiée seulement à l’examen histo-pathologique. HP pullule ensuite sous le mucus à l’apex des cellules muco-sécrétantes et dans la lumière des cryptes glandulaires antro-pyloriques. En l’absence d’éradication d’HP (cas habituel), la gastrite évolue vers une forme chronique active dont la topographie, antrale exclusivement ou diffuse, et des facteurs favorisants liés soit à l’hôte (dénutrition, immunité locale perturbée, hérédité) ou à la bactérie (toxine VacA, protéine CagA et son îlot de pathogénicité, facteurs de recrutement et d’activation des polynucléaires neutrophiles, facteurs pro-apoptotiques) vont conduire préférentiellement à l’ulcère puis au cancer gastriques, au lymphome et à l’ulcère duodénal. Il va de soi que tous ces facteurs se conjugent de façon très variable et vont s’associer à d’autres encore mal cernés pour conduire à ces maladies variées dont la prévalence est bien inférieure à celle de l’infestation par HP (5 à 10 % pour l’ulcère duodénal, 1 à 2 % pour l’ulcère gastrique, 0,01 % pour le cancer gastrique et beaucoup moins encore pour le lymphome). Pour le cancer gastrique, la filiation pan-gastrite chronique atrophique, métaplasie intestinale, puis dysplasie est bien établie et l’éradication d’HP encouragée. Elle est très recommandée en cas d’antécédents familiaux de cancers gastriques. Dans l’ulcère duodénal, la gastrite chronique est à prédominance antrale, n’étant que superficielle au niveau du fundus, ce qui explique que la sécrétion gastrique acide y soit normale ou excessive. Des anomalies de la fonction gastrinique liées à l’infestation par HP de l’antre semblent souvent en cause. Elles sont susceptibles de se normaliser après éradication. L’ulcère duodénal ne s’installe qu’après que se soit créée une métaplasie pylorique de la muqueuse sous l’influence de l’agression chlorhydro-peptique. Ainsi s’installe la séquence physiopathologique : métaplasie pylorique bulbaire, infestation par HP qui, bien à l'abri sous le mucus, va pouvoir proliférer à l'aise, duodénite érosive, et ulcère vrai. L’observation de métaplasie pylorique et l’occurrence croissante, en valeurs relatives, de l’ulcère duodénal sans infestation par HP suggèrent cependant que ce schéma physiopathologique de l’évolution vers l’ulcère duodénal ne peut convenir à toutes les formes de cette entité morbide complexe. L’éradication de HP est indispensable en cas d’infestation. Elle entraîne une réduction majeure des rechutes et des complications ulcéreuses. Pour les ulcères duodénaux et gastriques négatifs pour HP, il faut prendre en compte, outre les médications gastro-toxiques, les rôles de l’hérédité, du stress et du tabagisme et revenir au traitement anti-sécrétoire classique. Ce dernier a amplement démontré son efficacité pour contrôler la maladie et prévenir, en une certaine mesure, rechutes et complications.
L’éradication de HP a bénéficié de la définition de schémas thérapeutiques de plus en plus affinés reposant sur l’utilisation d’inhibiteurs de la pompe à protons à fortes doses et d’antibiotiques (amoxicilline, clarythromycine ou métronidazole), et de la mise au point d’un test respiratoire non invasif afin de détecter la présence de la bactérie dans l’estomac et de contrôler son éradication. Malheureusement en France, l’efficacité de ce schéma n’est pas optimale en raison de résistances croissantes (le plus souvent acquises) du germe à la clarythromycine et au métronidazole, voire même à l’amoxicilline. Les taux d’éradication n’excèdent pas, même en cas de traitement bien suivi, 70 % à 75 %. C’est donc dans le domaine thérapeutique qu’il faut poursuivre les efforts vers le développement, soit de meilleures associations antibiotiques, soit d’une vaccination efficace.
Il faut donc saluer très vivement la contribution majeure que Marshall et Warren ont, avec la découverte d’HP, apporté à la compréhension et au traitement de maladies digestives si prévalentes, importantes, et coûteuses, et qui leur vaut la récompense suprême du Prix Nobel. Les travaux des lauréats du Prix Nobel de Physiopathologie et Médecine 2005 apportent une démonstration éclatante qu’il reste un champ important pour un progrès médical fondé sur l’observation, la compétence clinique et l’obstination, même sans recourir aux données issues du séquençage du génome humain. Hors de la génomique, le salut reste possible ! Reste que la détermination de la séquence du génome d’Helicobacter pylori sera utile pour développer l’arsenal thérapeutique, vaccinal ou médicamenteux, nécessaire pour mieux juguler ce parasite sournois de la muqueuse gastrique.