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« Le coeur ? N’y touchez pas ! C’est un mauvais sujet : galvaudé à force d’avoir voulu tout dire. Car le coeur n’en a fait qu’à sa tête. Depuis qu’il bat dans la poitrine des hommes, dans toutes les civilisations, il a cru pouvoir se métamorphoser. Il fut l’âme, l’amour, la passion, le courage, la vie.
D’où vient-il ? Cor en latin, cardia en grec, hrid en sanscrit, peut-être a-t-il la même racine que le mot qui, dans les langues indo-européennes désigne le cerf : heort (celui qui saute : hrid en sanscrit). Sans doute est-il donc à l’origine le bondissant, le palpitant, la tocante… l’horloge de notre biologie.
Roi des viscères, il était, dans l’ancienne médecine chinoise, le siège de l’intelligence, puis chez les Grecs, le siège de l’âme, comme Corinne Coop-Phane l’a si bien évoqué dans son excellent article [1]. Mais s’il reste encore gravé sur les troncs d’arbre, et s’il époumone encore dans des bluettes sentimentales, il se voit peu à peu dépouillé de toute sa symbolique.
Depuis William Harvey, il est devenu un muscle, un organe, une simple pompe. Désormais, la circulation corporelle démontre qu’on peut se passer de lui. On le choque, on l’implante, on le dompte par pace-maker, on le répare, on lui glisse, quel outrage ! des valves de porc pour remplacer les siennes, et ses zones nécrosées se font coloniser par des cellules, des jeunettes qui s’installent sans vergogne. Bref, dans notre monde mercantile, il n’est plus qu’un produit. Dépouillé de ses métaphysiques, lorsqu’il s’arrête, il n’est même plus le symbole de la mort. Avec l’attestation de la mort cérébrale, le cerveau a eu raison de lui.
Appendices
Référence
- 1. C Coop-Phane. L’âme au coeur. Med Sci (Paris) 1998 ; 14 : 1089-96.